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HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE EN LORRAINE

 

Marie-Bernard DILIGENT

 

LA NAISSANCE DE L’ASILE

En France, le mouvement philanthropique apparaît au début du règne de Louis XVI lorsque Necker succède à Turgot en 1776. Déjà en 1775 l’incendie de l’Hôtel-Dieu de Paris et les projets de reconstruction qui avaient suivi, attirèrent l’attention sur la nécessité de traiter les fous dans des salles particulières.

Il faut “écouter cette voie de la nature qui réclame sans cesse les sentiments d’humanité en faveur d’un grand nombre de victimes des passions humaines ou de la mauvaise fortune, je veux dire les fous” (lettre de M. Dufour) sur la nécessité d’avoir une maison particulière pour le traitement de la folie.

Dix ans plus tard, la question de la folie officiellement à l’ordre du jour en France avec la parution en 1785 d’une circulaire due à Colombier, Inspecteur général des Hôpitaux et des Maisons de Force, et à Doublet, son assistant : “cette instruction sur la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans des asiles qui leur sont destinés” est un véritable manifeste de la prise en charge des insensés par l’Etat.

Dans ces “lieux nouveaux” que seront tantôt les asiles destinés au traitement, tantôt ceux destinés “à contenir ceux qui n’y sont pas soumis” (formule quelque peu embarrassée qui revient à envisager de séparer les curables des incurables), les malades seront répartis dans des quartiers de classement ; celui-ci en dépit des intentions correspond plus aux impératifs de la discipline, qu’à la nosographie esquissée dans cette même circulaire.

Pinel, peut-être de manière mythique mais plus encore de manière scientifique, va être le fondateur français, non seulement de cette tendance philanthropique, mais pourrait-on dire de la psychiatrie.

Esquirol dans sa thèse “Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale” en 1805, prône le petit hôpital seul apte à mettre en œuvre le traitement moral. François Fleuret, Nancéien, développe en 1840 cette notion “traitement moral de la folie”. La maison d’aliéné selon la formule de Tenon est un instrument de guérison ; entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales. Ce mouvement d’idées est à l’origine de la loi sur les aliénés du 30 juin 1838. Rarement les conditions architecturales en seront respectées. Au lieu de petites unités, on verra se développer des structures importantes et néanmoins surpeuplées.

LA SITUATION EN LORRAINE EN 1838

Depuis le début du 19e siècle, l’asile de Maréville à Laxou dans le département de la Meurthe, était le seul établissement de l’Est de la France destiné à recevoir des fous. A sa construction, datée du début du 17e siècle, il était réservé aux aliénés. Suite au décret impérial du 4 mars 1813, léguant au département “le soin de pourvoir au traitement et à la défense des indigents attaqués de folie”, l’asile de Maréville a été institué : “Hôpital Central des Aliénés du département de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges, du Haut-Rhin, du Bas- Rhin, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et du Doubs”. Après la loi du 30 juin 1838, l’hospice de Maréville restera l’unique établissement lorrain pour aliénés et continuera à accueillir les malades de toute la province. Le Dr Archambault, dans son rapport médical de 1842 au préfet, signale l’augmentation du nombre d’admissions (passées de 11 à 189 de 1808 à 1840) en expliquant “on les retire des couvents qui les dérobaient aux regards, des hospices où ils végétaient pour les placer à l’asile, pouvant recevoir des soins éclairés et peut-être guérir pour certains d’entre eux”.

Pour autant, d’autres établissements accueillent à cette époque les malades mentaux, ainsi l’hospice St-Nicolas de Metz qui, à travers les siècles, a toujours été un établissement abritant les insensés. En 1777, l’Edit de Renfermement prescrit l’internement de tous les vagabonds, mendiants, filles de mauvaises vie, marginaux, fous, insensés divers qui troublent l’ordre public. L’hospice St-Nicolas gardera partiellement cette fonction jusqu’à sa fermeture en 1986.

De même, le dépôt de mendicité de Gorze, devenu le 30 septembre 1811, asile départemental, puis hôpital militaire après la retraite de Russie, garda une vocation de dépôt de mendicité organisé pour recevoir en qualité d’asile départemental les pauvres, les vieillards, les indigents, les faibles d’esprit et les incurables du département de la Moselle.

Le département de la Meuse n’était pas en reste, puisque le préfet achetait en 1810, au compte du département, le monastère du Tiers Ordre de Fains-les-Sources pour en faire un dépôt de mendicité en application du décret du 5 août 1808. Cet établissement prévu pour recevoir 400 à 500 mendiants des deux sexes, ne joua jamais ce rôle. Il fut transformé en hôpital pour accueillir les blessés et malades de l’armée napoléonienne de 1813 à 1815, puis les blessés des troupes d’occupation du 26 juin 1815 à février 1816. Constitué par ordonnance du 4 juin 1823 en “hospice départemental pour les aliénés, les incurables et les malades atteints de maladies qui ne sont point traitées dans les hospices ordinaires, scrofuleux, teigneux et vénériens”, il ne devint effectivement asile pour aliénés mentaux qu’à compter de 1842, tellement fortes furent les résistances. Le Docteur Renaudin fut appelé à sa direction pour réorganiser complètement les services, non sans provoquer de fortes réactions, qui le firent muter d’office comme médecin directeur de Maréville le 24 mai 1849.

Durant le 19e siècle, le nombre de malades admis dans les différents établissements augmenta progressivement, on peut remarquer qu’il atteint le chiffre de 819 malades à Fains-les-Sources et de plus de 2000 malades à l’hôpital de Maréville. C’est donc à propos du 19e siècle qu’il convient de parler de grand renfermement des aliénés. Une telle multitude, à raison de 2 médecins en moyenne par asile de 500, voire 1000 aliénés n’a évidemment pas pu bénéficier du traitement moral individualisé que préconisaient les pères fondateurs de la psychiatrie. Très vite, cet asile avec la rigueur de ses horaires, son règlement immuable, son plan symétrique, est devenu à lui seul le traitement moral, le système se renfermant dès lors sur lui-même.

Au début de la IIIe République, les statistiques officielles donnent une moyenne de 6% d’aliénés sortis guéris et de 3% sortis améliorés, c’est-à-dire moins que le pourcentage des décédés (11%). Partout en France, comme en Europe, s’est constitué un volant incompressible et sans cesse croissant d’internés incurables et chroniques à la fois cause et conséquence de la faillite du traitement moral.

LES CONSÉQUENCES DE L’ANNEXION DE LA MOSELLE EN 1870

En 1871, lorsque l’Alsace et une partie de la Lorraine devinrent allemandes, le “Landesausschuss” décida de maintenir dans leur grande majorité les lois françaises d’assistance publique dans les territoires annexés ; les préfets et les conseils généraux gardaient le contrôle direct des asiles publics d’aliénés et la loi française du 30 juin 1838, quoique en partie modifiée, restait en vigueur. L’Alsace possédait déjà à cette époque son asile, “l’hospice médiéval de Stephansfeld-Brumath” au nord de Strasbourg, qui avait été transformé en 1836 en “asile spécial d’aliénés pour les malades alsaciens”. L’accord qui existait entre la Meurthe et la Moselle lors de l’occupation allemande en 1870, daté du 5 août 1865, devait arriver à échéance pendant l’occupation. Il fut cependant prorogé de façon tacite par les deux parties. On craignait que les conditions existantes ne puissent être accordées à nouveau lors de la révision du contrat.

Il était peu envisageable par ailleurs que des Allemands, lors de leur séjour en Lorraine annexée soient hospitalisés à Maréville avec les problèmes linguistiques et relationnels que cela pouvait supposer. Ainsi, il fut décidé de construire un asile d’aliénés. Après que furent envisagées les hypothèses de construction dans la forteresse de Bitche, puis la forteresse de Marsal, et enfin dans le dépôt de mendicité de Gorze, plus proche de Metz, fut retenu l’emplacement de la ferme de Steinbach près de Sarreguemines. Le projet prévoyait un hôpital de 400 malades, avec une colonie agricole de 100 autres malades sur une surface de 60 hectares, y compris pour développer une ferme nécessaire à la vie de l’établissement. Le Centre Hospitalier de Sarreguemines fut construit entre 1872 et 1880. Au total 297 malades furent transférés de Maréville vers l’établissement. Il s’agissait d’un système pavillonnaire, où les bâtiments sont séparés les uns des autres par des grands espaces ayant pour rôle d’éviter les endémies, notamment la tuberculose, si fréquente dans les asiles. Cela permettait par ailleurs une répartition des différents patients : les tranquilles de classe normale et de classe inférieure, les semi-agités hommes et femmes et les agités hommes et femmes, les grabataires et les épileptiques, les malades somatiques dans le Lazarett.

Malgré les concepts dynamiques qui présidaient à cette fondation, notamment à travers la psychiatrie allemande de l’école de Kalbaum et l’hydrothérapie, l’encombrement sera la règle, faisant décider de la construction d’un nouvel hôpital. Après diverses investigations, il fut décidé de créer un asile d’aliénés à Lorquin, localité située en zone annexée mais de langue française, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Sarrebourg. L’établissement destiné à accueillir des aliénés tranquilles, tout en prévoyant un certain nombre de cellules par rapport à des sujets agités, devait recevoir 400 malades des deux sexes. Le domaine s’étend sur une superficie de 55 hectares, dont une quarantaine étaient réservés à l’agriculture, aux pâturages et aux vergers. Le 22 septembre 1910, l’asile départemental d’aliénés était officiellement inauguré, dépendant administrativement de l’établissement de Sarreguemines qui lui transfère ses malades incurables, tranquilles et travailleurs. Il est réservé aux indigents, excluant les pensionnaires, à savoir les malades de première classe payant leur pension.

LES CONDITIONS DE VIE DU MÉDECIN ET DES PATIENTS DANS LES ASILES DURANT LA PREMIÈRE PARTIE DU XIXe SIÈCLE

Chaque section composant un service médical est placée sous l’autorité d’un médecin chef de service ; le règlement prévoit que chaque service médical ne doit pas dépasser 400 malades sauf exception autorisée par le ministre. Le médecin-chef remplit sous sa responsabilité dans la section qui lui est attribuée toutes les obligations imposées aux médecins des établissements. Il règle dans son service le mode de placement, de surveillance et de traitement des malades. Il désigne, seul, les aliénés pour les travaux et les exercices auxquels ils peuvent être occupés. Il s’assure que les infirmiers, employés et gens de service ont pour les malades les égards nécessaires. Il visite chaque jour tous les malades de son service. Concernant le traitement, il est dit que le médecin-chef de service règle la thérapeutique et a seul la qualité pour prescrire des bains et douches de traitement. Il a également seul la qualité pour prescrire à titre exceptionnel le placement en chambre d’isolement et l’emploi des moyens de contrainte.

C’est donc un contexte d’absence quasi-complète de thérapeutique qui se limite au travail des champs, à l’entretien des arbres et des vignes d’une part ou à l’activité dans les ateliers de ferronnerie, de menuiserie, de chauffagerie, voire de boulangerie ou de boucherie. Les horaires d’hiver et d’été sont décrits. Une demi-heure est consacrée chaque matin à la toilette et aux soins de propreté. Le régime alimentaire est établi par classe, correspondant au prix de pension ; il est déterminé par les tableaux annexés au règlement intérieur sur proposition du directeur, en accord avec le corps médical. Le régime alimentaire est réglé comme suit : pensionnaires de première classe ; pensionnaires de deuxième classe ; pensionnaires de troisième classe ; malades du régime commun non travailleurs ; malades du régime commun travailleurs ; personnels supérieurs ; personnels secondaires. Pour le coucher et l’habillement, les pensionnaires de première classe pourront bénéficier d’objets, de meubles et de linge personnels, ce qui n’est pas le cas pour les autres pensionnaires. À titre d’exemple, notons que la plupart sur le plan alimentaire reçoivent du pain, de la soupe et des légumes, plus rarement de la viande ou du fromage blanc, comme c’était le cas dans la plupart des familles au début du XXe siècle. La consommation de vin est bien codifiée et traduit l’organisation hiérarchique de ces collectivités.

Ainsi pour l’hôpital de Sarreguemines, à la “table extra“ prévue pour 10 personnes dont 3 médecins et 6 pensionnaires de classe 1-A, 40 centilitres de vin sont décernés quotidiennement aux hommes, 30 centilitres aux femmes et 75 centilitres aux médecins. La “table 1” prévue pour 58 personnes dont 39 pensionnaires, 18 soeurs et le jardinier-fleuriste, reçoit 40 centilitres pour les hommes, 30 centilitres pour les femmes et 40 centilitres aux employés, 30 centilitres aux soeurs. La “table II” (pour 141 personnes dont 22 pensionnaires de la classe 2, 112 infirmiers, infirmières, personnes de service, apprentis et infirmières privées et 7 journaliers), reçoit 30 centilitres pour les hommes, 15 centilitres pour les femmes, 40 centilitres aux infirmiers et autres employés, 20 centilitres aux infirmières et laveuses, 40 centilitres aux cuisinières et filles d’écurie. La “table III” (pour 574 à 549 personnes dont 34 personnes de troisième classe et les autres indigents) reçoit 30 centilitres pour les hommes et 25 centilitres pour les femmes.

A l’établissement de Stephansfeld-Hoerd en Alsace, les règlements sont différents. Ainsi pour la consommation de vin, seulement les dimanches et jours de fête, les hommes reçoivent 20 centilitres et les femmes 15 centilitres pouvant être remplacés par 1/2 litre de limonade. Ceux de cette classe qui travaillent reçoivent pour les hommes 30 à 45 centilitres en été et 15 à 40 centilitres en hiver. Les femmes travaillant à la cuisine ou à la buanderie, 25 centilitres, ailleurs 15 centilitres.

La codification de l’alimentation comme de l’habillement, ainsi que des horaires se poursuivra tardivement avec l’arrêté ministériel et la circulaire ministérielle en date du 5 février 1938 portant “règlement modèle” du service intérieur des hôpitaux psychiatriques. Dans ce texte, le régime alimentaire comprend 25 pages consacrées à une topographie alimentaire suivant le critère grand et petit régimes en fonction des sexes, des âges et de l’occupation, comme un manuel gastronomique à l’usage des malades mentaux et de ceux qui les assistent dans l’espace asilaire clos. L’analyse des documents montre le détournement de l’objectif thérapeutique vers un système gestionnaire qui a prévalu jusqu’au début des années 1970.

Quand les équipes médicales allemandes occupèrent de 1940 à 1944 l’hôpital psychiatrique de Lorquin qui resta pour partie dans cette orientation spécialisée et pour partie hôpital général pour les troupes allemandes, les infirmiers furent très surpris par les conditions de vie introduites par ceux-ci. Ainsi les malades pouvaient porter leurs propres vêtements au lieu de l’uniforme asilaire, les méthodes de contention étaient bannies. C’est un peu avant le deuxième conflit mondial que de nouvelles thérapeutiques étaient apparues. Certes dès 1917 était apparue la malariathérapie ; en 1932, la cure de Sakel ou choc insulinique. En 1936 fut introduit le choc convulsif par injection intraveineuse de cardiazol, introduit par V. Méduna à Budapest puis en 1938 le choc électrique appelé encore sismothérapie par Cerletti et Binis.

Cette méthode se généralisa rapidement puisque dès 1942 la plupart des hôpitaux disposèrent de ce moyen souvent rudimentaire. Il s’agissait d’une poignée portant deux électrodes reliées par un long fil aux prises du pavillon permettant de faire des sismothérapies en série auprès d’une dizaine de malades du service avec l’assistance de deux ou quatre infirmiers qui maintenaient vigoureusement les articulations pour éviter luxation ou fracture. Cette technique se poursuit actuellement dans des conditions codifiées par décret prévoyant anesthésiste et psychiatre, l’électroconvulsivothérapie qui retrouve un certain regain au moins dans des indications précises de début de schizophrénie et de mélancolie délirante. En tout état de cause, dès 1942 l’ambiance des hôpitaux se modifie, les sismothérapies résolvant des crises aiguës ou chroniques d’agitation, de manie, qui valaient l’appellation de malades agités ou furieux, et apportent un apaisement très grand dans les hôpitaux permettant l’ébauche de nouvelles formes de prise en charge qui iront en s’accélérant après le deuxième conflit mondial.

Juste dans l’avant-guerre, s’ébauche un mouvement d’idée puisqu’une circulaire de 1937 préconise des services ouverts. Une première consultation externe s’ouvre à Paris sous l’autorité du Docteur Duchenne en 1941. La situation de guerre va apporter d’autres problèmes dans les hôpitaux psychiatriques. Max Lafont en 1987 a publié une thèse sur “l’extermination douce”, à savoir le décès de 40000 malades mentaux du fait des privations alimentaires dans les hôpitaux psychiatriques. Au Centre Psychothérapique de Nancy, on peut noter que pour une population de 2400 malades répartis en 5 sections et 24 pavillons en 1939, l’administration n’avait prévu que la mise à disposition de 390 masques à gaz, réservés aux personnels, ce qui en dit long sur le manque d’intérêt pour les patients. Dans ce centre psychothérapique, on peut noter durant la guerre, 2620 décès dont 1500 des conséquences de la sous-alimentation. Ainsi, avant la guerre on notait 20 décès par an par tuberculose, en 1942 120 décès par tuberculose, année où le nombre de décès est culminant à 720, la courbe allant ensuite en décroissant.

Signalons l’hospitalisation à l’hôpital psychiatrique de Laxou de l’homme politique Edouard Herriot du 2 août 1943 au 8 novembre 1943, date à laquelle il fut transféré à Ville Evrard, et le 16 juin 1944 ; le 11 août 1944 Pierre Laval, président du Conseil, lui rend visite à Maréville pour tenter de convoquer les députés, ce que seul Edouard Herriot avait le pouvoir de faire. Herriot part à Paris, mais finalement refuse la constitution d’un gouvernement d’unité nationale. Une dernière tentative de contact a eu lieu à la Préfecture de Nancy, alors même que les membres du gouvernement de Pierre Laval sont en retraite vers Sigmaringen en faisant étape au château Val au Mont, villa du baron Riston à Malzéville.

Durant cette époque, l’hôpital psychiatrique de Fains-les-Sources a connu les mêmes problèmes : 800 patients étaient présents en 1940 ; 410 patients vont décéder durant les 4 ans malgré une lutte extraordinaire menée par un des médecins, Mme le Docteur Masson.

Lorsque le 6 octobre 1944, les troupes américaines réquisitionnent l’hôpital pour en faire l’hôpital militaire 90, puis à compter du 2 avril 1945 un camp de prisonniers, l’effectif de la population vivant à l’hôpital est alors de 4000 pensionnaires. Cette cohabitation entraîne un choc psychologique majeur pour les équipes médicales du fait de l’organisation américaine. Tout est sujet à étonnement. La liberté des rapports humains dans un cadre très précis de gestion de vie, la nourriture qui apparaît, les capacités thérapeutiques, la présence d’un self où chacun peut se rendre quel que soit son grade, sa fonction, sans qu’il n’y ait plus les catégorisations d’employés et de patients.

LES DERNIERES CONSTRUCTIONS D’HOPITAUX PSYCHIATRIQUES

C’est dans ce contexte de mouvement d’idées, lié pour partie aux découvertes médicamenteuses (apparition des neuroleptiques en 1952 et des antidépresseurs en 1957), mais également dans le contexte de recherche clinique et thérapeutique née du développement du concept psychanalytique que commence un nouveau mouvement qui ira progressivement vers la notion de service ouvert, accueillant librement les patients dans les hôpitaux psychiatriques, mais surtout vers la notion d’une prise en charge extérieure à l’hôpital où les patients sont accueillis après l’hospitalisation dans une phase de postcure montrant ainsi leur stabilisation, mais également à une étape préventive à l’hospitalisation pour des prises en charge psychologiques et médicamenteuses. Cela transforme la condition du malade qui reste en contact avec son milieu et avec sa famille. Pourtant, cette évolution n’est pas perçue par tous de manière univoque. En ce qui concerne la programmation de construction des hôpitaux sous l’égide de responsables ministériels et d’inspecteurs et architectes, il existe un décalage. Ainsi pour le département des Vosges, il y a eu un projet élaboré en 1932 approuvé en 1936 pour construire un hôpital (Ravenel), les malades vosgiens allant jusqu’alors à l’hôpital de Maréville de Laxou, où 256 étaient accueillis. Les travaux débutent en 1937 sur un terrain agricole. La construction est pratiquement terminée à la déclaration de guerre ; l’hôpital sera occupé par les troupes allemandes puis par les troupes américaines lors de la bataille des Vosges durant l’hiver 1944-45 où seront accueillis 5000 blessés. Ce n’est finalement qu’en avril 1947, soit 15 ans après la proposition de construction qu’il va ouvrir suivant un schéma en V autour duquel sont disposés encore les pavillons pour malades calmes, semi-agités ou agités. Prévu pour 500 malades, la population passera à 1700 malades dans les années 55-60 pour régresser à 1200 en 1983. Il existe de belles perspectives par la réalisation de 40 hectares de jardins et pelouses effectués par les malades sur un plan réalisé par l’ingénieur responsable du parc thermal de Vittel. Les malades travailleurs reçoivent un pécule dont le montant est quatre fois le prix du timbre poste. Ils peuvent travailler aussi en ateliers, en cuisine, en lingerie, en buanderie, en menuiserie, en cordonnerie ; ces activités évoluent progressivement non plus vers un travail de contrainte, mais un travail d’expression appelé ergothérapie.

Il en est de même en Moselle pour le Centre Hospitalier de Jury. La décision de construire un hôpital pour former un pôle thérapeutique près de l’agglomération messine a été prise en 1960, mais débutée plus tardivement. On peut remarquer que la décision a été prise de construire un hôpital classique au moment où étaient énoncés les textes officiels sur la sectorisation (circulaire du 15 mars 1960) possible du fait de la diversification de la pratique psychiatrique et d’un nouveau statut juridique pour les malades (la loi de protection des biens du 3 juin 68).

La construction d’un hôpital psychiatrique à Metz a été faite sur la base élaborée par l’OREAM d’une augmentation considérable de la population mosellane dans le cadre d’un schéma de développement du bassin de la Moselle allant d’Epinal à Thionville qui aurait constitué une grande mégapole de deux millions d’habitants. Cela va entraîner un surdimensionnement. Le choix de l’établissement, d’abord sur un terrain militaire près de la ville à Saint-Julien-les-Metz, connut une désapprobation de l’opinion publique et eut lieu au bénéfice du village de Jury, sur un territoire de 60 hectares pour 820 malades. Sept années s’écoulèrent entre la décision initiale et le début des travaux ; sept autres années avant la fin des travaux. Le paradoxe : il s’agit d’un “hôpital village” constitué de pavillons, eux-mêmes composés de deux ailes de 50 lits, disséminés dans la forêt. Cette conception apparaît heureuse par beau temps donnant une impression de “club méditerranée” ; par contre elle rend difficile toute vie logistique, mais également le déplacement des patients, y compris par la rareté des moyens de communication pour joindre le centre-ville distant de 12 km.

Ainsi nous avons voulu tracer les heurts et malheurs de la psychiatrie lorraine, notamment à travers les vicissitudes des guerres qui font que plusieurs établissements ont été transformés en hôpitaux ou en camps de prisonniers. Dorénavant il existe une entreprise de déconstruction des murs de telle manière que le malade puisse trouver son destin dans la communauté avec une offre de soins et d’accompagnement dans des centres de consultations proches de son lieu d’habitation. Nous n’avons pas à regretter cette transformation qui donne plus de disponibilités aux citoyens. Pourtant signalons que la disparition du patrimoine immobilier, allègrement détruit, est une amputation au travail de mémoire. Les objets du quotidien disparaissent, peut-être parce que les soignants avaient honte des appareils rudimentaires avec lesquels ils travaillaient pour la sismothérapie ou la lobotomie ; en tout cas par honte ou insouciance nous négligeons les objets de la vie quotidienne, les objets servant à la logistique, les objets montrant ce qu’il en était de la recherche médicale dans les pharmacies et les laboratoires. Le travail de mémoire nécessite de recueillir les témoignages des hommes qui y ont vécu pour reconstruire le «monde sans photo» qui était celui de l’asile et de recueillir les objets de cette vie.