DUHEILLE Jean

 

1928-2015

.

` sommaire

 

Professeur d’immunologie, décédé le 16 janvier 2015 dans sa 86ème année.

.

ELOGE FUNEBRE

A la fin des années 60, il y a 50 ans seulement, les lymphocytes B étaient à peine nés comme vient de le rappeler Max Cooper dans un article de la semaine dernière paru dans Nature Reviews in Immunology….Jean Duheille, Professeur d'Histologie, Cytologie, Embryologie décidait à ce moment-là d'entrer en Immunologie Médicale, une discipline émergente, transversale, différente. Cette démarche témoignait déjà d'un esprit d'innovation remarquable qui l'aura caractérisé toute sa vie.

Paradoxalement, cet esprit innovateur était associé à une extrême discrétion, ce qui fait qu'il n'a jamais dit dans quelles conditions il est entré dans la nouvelle sous-section nouvellement créée d'Immunologie, après avoir travaillé à l'hôpital Saint Louis à Paris aux côtés de Jean Dausset. Il n'a pas non plus indiqué comment il s'est alors retrouvé seul, dans un bâtiment préfabriqué Rue Lionnois, dans le cadre d'une convention avec l'hôpital dont la discipline aura assumé la gestion dans la douleur pendant toute sa carrière…

La troisième qualité de Jean Duheille a été son ouverture aux autres disciplines médicales avec très tôt des collaborations novatrices avec l'Hématologie, la Médecine Interne, la Rhumatologie, la Néphrologie, l'Endocrinologie, la Dermatologie… pour le développement de l'ensemble des techniques de diagnostic de l'autoimmunité (immunofluorescence, immunodosages non isotopiques) et de l'immunohistologie, au service des malades et des médecins de Nancy ;

J'ai connu le Professeur Duheille au début des années 70 grâce au Professeur Jacques Pourel qui avait pensé que les maladies articulaires avaient affaire avec l'Immunologie. Les pistes abordées dans son laboratoire par le Pr Duheille concernaient alors les antigènes musculaires, la thyroglobuline et les pathologies hépatiques auto-immunes. Jean Duheille nous a alors proposé d'étudier la synoviale articulaire, lieu probable de la physiopathologie de la polyarthrite rhumatoïde, et d'utiliser la microscopie à balayage disponible à la Faculté des Sciences, faisant preuve par cette proposition d'une vision moderne et transversale, alors considérée comme un « papillonnage ». En collaboration avec les équipes chirurgicales nous avons pu obtenir rapidement des images et documents totalement novateurs, intégrés dans les différents Textbooks américains de Rhumatologie, non seulement pour les rhumatismes inflammatoires chroniques mais aussi pour les pathologies microcristallines permettant la réalisation de nombreuses publications internationales. Il faudra, dans la suite de cette histoire passionnante, l'arrivée des anticorps monoclonaux à la fin des années 70 pour identifier les cellules in situ dans le pannus synovial, et décrire l'immunocompétence des vaisseaux, des cellules lymphoïdes, monocytaires macrophagiques, dendritiques, fibroblastiques… Il s'agissait d'une recherche clinique transversale physiopathologique bien avant l'heure. Toujours seul, le Professeur Duheille assurait l'ensemble des tâches médicales hospitalières, et universitaires d'Enseignement et de Recherche, avec la charge de la gestion autonome d'un laboratoire conventionné en développement.

En l'absence de prospective en Rhumatologie, et en raison de mon intérêt croissant pour cette jeune discipline, j'ai fait le pari d'une reconversion en Immunologie avec le soutien d'Alain Gaucher, en acceptant le passage obligé de formation et de recherche à Paris VI et Paris VII, entre St Louis, Necker et Bichat, pendant plusieurs années… Au début des années 80, je suis donc moi aussi entré en Immunologie (naïvement) grâce à l'ouverture enfin d'un poste temporaire d'assistant assistant Par chance et par hasard, pour la première fois un poste d'interne a été ouvert à la même date, choisi par une interne en biologie en fin de cursus, Marie C Béné. Je ne détaillerai pas ce que nous avons fait ensemble au bénéfice de l'établissement pendant 33 ans.

Je parlerai seulement du soutien du Professeur Duheille.

Il a initié le travail néphrologique que nous avons pu réaliser sur la néphropathie à IgA, les amygdales de ces patients et les développements thérapeutiques permettant d'être précurseurs en Immunité muqueuse avant que cette sous-discipline ne s'individualise Il a favorisé notre collaboration avec l'endocrinologie et Jacques Leclère pour l'étude tissulaire des thyroïdites auto-immunes, Il a soutenu nos collaborations avec les transplanteurs autour des greffes de rein et de coeur Il a encouragé les collaborations avec la pédiatrie dans le contexte de la malnutrition avec Michel Vidailhet , des déficits en IgA avec Danièle Olive avec la démonstration des effets du facteur thymique sérique. L'ensemble de ces efforts a permis les recrutements, de moi-même comme PUPH en 1986 et de MCB en 1985 sur un recrutement original par concours national qui a permis d'apporter un chapeau de MCU à Nancy.

En parallèle, nous nous sommes vite rendus compte que la situation pratique pour un HU isolé était intenable et nous avons pris en charge l'activité biologique médicale en auto-immunité, en immunité tissulaire et pour le développement de l'immunologie cellulaire alors artisanale, avec l'immuno-monitoring des déficits immunitaires acquis aussi bien infectieux dans le contexte du VIH, que iatrogène pour le suivi des transplantés. Cet aspect d'immuno-monitoring est actuellement le fer de lance de l'activité de notre successeur, le Pr De Carvalho. L'immunologie nancéienne, un temps riche de 2 PUPH, 2 MCU-PH (et la valence PH d'un MCU-PH d'histologie), deux ingénieurs se retrouve en effet maintenant quasiment réduite à la situation de Jean Duheille à la fin des années 70. Mais ceci n'est pas le propos d'aujourd'hui.

Deux mots clés doivent rester associés à la mémoire du Pr Jean Duheille :

Innovation,

Compte tenu de notre investissement en immunologie médicale et en recherche clinique, il a pu consacrer beaucoup de son temps à développer une autre de ses idées innovantes et visionnaires, avec une petite équipe de recherche, pour le développement de technologies innovantes en immuno-néphélémétrie microparticulaire, précurseur des nanotechnologies dans le cadre d'une collaboration industrielle avec Sanofi, Isigny Ste Mère et l'INRA… à l'origine de brevets maintenant valorisés par l'intégration de cette technologie dans des automates d'analyse.

Discrétion

Jean Duheille a quitté l'établissement en 1993, fatigué par les difficultés de la gestion du budget global pour se consacrer à l'accompagnement de sa fille trisomique. Il n'aura pas suivi notre investissement productif dans l'immunologie cellulaire et l'immuno-phénotypage des cellules, d'abord en microsocopie puis en cytométrie de flux, alors débutante qui a permis de construire localement, nationalement et internationalement des compétences universellement reconnues dans le cadre du GEIL, de l'EGIL, de l'European Leukemia Net et de la cytométrie internationale Il n'a pas non plus vu les développements apportés à Nancy dans le domaine des événements rares pour le diagnostic et le suivi des maladies hématologiques, les CTCS dans les cancers épithéliaux, les développements nancéiens en neuro-oncologie, les possibilités d'application pour la prise en charge précoce des patients de la détection des cellules endothéliales circulantes dans de multiples pathologies tout cela dans le cadre du dernier plan Etat-Région basé sur NANCYTOMIQUE. Il ne verra pas non plus l'explosion des applications thérapeutiques des anticorps monoclonaux en rhumatologie, en cancérologie, en oncohématologie …. ni les besoins majeurs de caractérisation immunologique des patients en vue d'une médecine personnalisée, et d'immuno-monitoring pour une optimisation des coûts

En résumé, le Professeur Duheille, un médecin ayant choisi la biologie, conscient des possibilités de développement de l'immunologie hospitalo-universitaire, était un homme de qualité comprenant l'implication du système immunitaire dans de nombreuses pathologies associées à des spécialités médicales distinctes, était un précurseur sur l'intégration d'une démarche de recherche clinique dans les activités universitaires. L'absence de masse critique dans l'environnement local l'a empêché de créer la/les structures que Nancy aurait mérité. Ne l'oublions pas.

Professeur G. FAURE