GRIMAUD René

1902-1978

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ELOGE FUNEBRE

Nous avons la tristesse de vous faire part du décès du Docteur René GRIMAUD, Professeur Honoraire de Clinique O.R.L., survenu à Nancy le 29 juillet 1978. Né à Vesoul, le 19 décembre 1902, il effectua toutes ses études secondaires dans cette ville, où les hasards de la vie militaire avaient fixé le foyer familial.

En s'inscrivant à la Faculté de Médecine de Nancy, il allait faire partie de la brillante cohorte franc-comtoise, à laquelle appartiennent tant de maîtres valeureux et illustrant les qualités de cette belle province. Ses études médicales se déroulèrent de la façon la plus limpide : externat en 1922, internat en 1926, clinicat en 1931 marquaient les premières étapes d'une vie vouée à l'enseignement et dévouée aux malades. Dès son premier stage d'interne, il avait la possibilité d'être l'élève du professeur Paul JACQUES, un des premiers titulaires de Clinique O.R.L. en France. Sa thèse de Doctorat en Médecine sur « Les kystes mandibulaires d'origine dentaire » était récompensée par un titre de Lauréat, et marquait la question de son esprit déjà didactique. Dès 1926, il publiait une « Étude critique de la physiologie de l'audition », couronnée par le prix Heydenreich-Parisot, et dont la lecture est encore profitable aujourd'hui pour bien comprendre l'évolution des idées. Il faut dire que, sous l'impulsion du Professeur JACQUES, la Clinique O.R.L. nancéenne avait un rayonnement national et international. Aucun domaine de la spécialité n'était laissé dans l'ombre par ce maître très actif et dont le Docteur GRIMAUD, formé à la rigueur de l'anatomie et de la physiologie, allait devenir ultérieurement le successeur.

La Seconde Guerre mondiale marquait un temps d'arrêt dans la carrière universitaire du Professeur GRIMAUD, mobilisé le 2 septembre 1939 avec le grade de médecin-lieutenant. Mais son sens du devoir le poussait en avant. Chef du Service O.R.L. de l'Hôpital Complémentaire des Armées n° 21, il se fait remarquer par son mépris du danger le 16 juin 1940 en continuant à traiter les blessés et à assurer l'organisation sanitaire sous le bombardement et le feu de l'ennemi (Citation à l'Ordre du Service de Santé des Armées).

Après la débâcle, il est de ceux qui reviennent au poste où le devoir les appelle. Il reprend ses fonctions d'O.R.L. du Centre Anticancéreux de Lorraine, avant de devenir successivement et rapidement : agrégé en 1949, oto-rhino-laryngologiste des Hôpitaux en 1952, enfin Professeur de Clinique en 1955. Dans des locaux mal adaptés à l'évolution formidable et rapide de la spécialité, il lutte sur tous les fronts d'où son intérêt pour l'endoscopie trachéo-bronchique et oesophagienne. Il s'agit surtout être pragmatique et lucide. L'héritage du Professeur JACQUES doit être partagé : la chirurgie stomatologique et maxillo-faciale échoit au Professeur GOSSEREZ avec le succès que l'on sait, tandis que le Professeur GRIMAUD recueille le coeur de la spécialité. Dès lors, il se montrera très attentif à son nouveau développement, souvent comme précurseur. En chef d'école efficace, il a la sagesse de distribuer les tâches et favorise le travail de trois collaborateurs débutants : WAYOFF, WERNER et PERRIN qui épauleront leur patron. Par ses qualités humaines et son esprit de justice, il sait faire régner une entente réelle et efficace.

A côté de l'activité de carcinologie cervico-faciale qu'il a toujours améliorée, il apprécie l'importance croissante de la fonction dans la médecine moderne, et singulièrement en oto-rhino-laryngologie qui est vraiment la spécialité de la communication. Dès 1954, il obtient la construction d'un bloc insonorisé pour l'exploration fonctionnelle de l'audition et parfaitement équipé à l'époque. L'importance croissante de la pathologie de l'audition dans le monde moderne sera finalement un de ses principaux sujets de préoccupation : il devient O.R.L.-Consultant de l'Institut des Jeunes Sourds de La Malgrange en 1958 ; il est chargé d'un rapport sur « L'évaluation qualitative et quantitative des bruits dans l'industrie sidérurgique » par la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier à Luxembourg en 1959. Pendant quelques années, le Service d'O.R.L. comportera un secteur radiologique et une consultation d'allergologie qui disparaîtront ensuite devant les progrès de ces spécialités, ce qui apporte la preuve de l'unité mouvante des disciplines médicales et des qualités d'adaptation du Professeur GRIMAUD.

Ce sens de l'actualisation et du futur, il en apportait la démonstration en obtenant dès 1964 à Nancy, parmi les premières universités françaises, la création d'un Certificat de Capacité d'Orthophonie. Il s'agit maintenant d'une véritable Ecole paramédicale, avant la lettre, c'est-à-dire sans structures administratives propres, ni personnel titulaire régulier. Seul l'enthousiasme du Professeur GRIMAUD pour la création de cette profession devenue indispensable, pouvait entraîner l'adhésion de ses collègues des Facultés des Lettres et de Médecine, à un important surcroît de travail.

En 1962, pour ajouter à ses tâches, la Société Française d'O.R.L et de Chirurgie Cervico-Faciale le chargeait d'un rapport sur « les troubles auditifs et les manifestations ophtalmologiques associées », avec P. MOUNIER-KUHN et M. GIGNOUX de Lyon. Sur le plan nancéen, la collaboration du Professeur J. CORDIER montrait l'efficacité de l'amitié et de l'estime.

Cette estime, personne ne la discutait lorsqu'on parlait du Professeur R. GRIMAUD et son élection à la Présidence de la Société Française d'O.R.L. en 1963 venait le consacrer parmi ses collègues français. La publication de quelques trois cents communications, la participation à plusieurs ouvrages didactiques justifiaient, à côté de l'action de l'homme, la période des honneurs dont il savait apprécier, plus que d'autres, la relativité : Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier de l'Ordre National du Mérite, Commandeur des Palmes Académiques, Croix de Guerre. Il était naturellement membre de nombreuses Sociétés Savantes, dont certaines s'étaient tenues sous sa présidence annuelle. Citons, entre autres, les Sociétés O.R.L. Allemande, Belge et Italienne, et surtout le collegium O.R.L. Amicitiae Sacrum.

Le médecin d'aujourd'hui est véritablement déchiré entre les impératifs économiques que l'on désire masquer au public, et un pouvoir médical que l'on maintient artificiellement par antithèse alors qu'il est évanescent. Avant même que ces termes n'apparaissent clairement, parce qu'il n'appréciait ni le grand, ni le petit machiavélisme, le Professeur René GRIMAUD a mené une lutte difficile. Son sens du futur le poussait à améliorer le secteur d'exploration fonctionnelle de l'oreille interne, tandis que l'administration ne parvenait pas à comprendre la sophistication électronique rapide d'appareils qui commençaient à devenir plus coûteux. Ses dernières années d'activité aboutissaient néanmoins, non sans démarches nombreuses et stérilisantes, à donner un substratum réel au secteur d'audiophonologie de la Clinique O.R.L. Au moins, il eut la satisfaction de constater le début des derniers travaux d'aménagement de cette clinique O.R.L. qui lui doit beaucoup et qui lui a tant pris.

Il ne faudrait surtout pas que la relation de la carrière du Professeur GRIMAUD altère l'image de l'homme, du patron ou de l'ami, que conserveront tous ceux qui l'ont bien connu. Il fallait en effet bien le connaître pour savoir que la pudeur pouvait masquer l'orage, pour se rendre compte que la liberté est un mur mitoyen, et pour apprécier que chacun conserve une réserve d'idées, d'opinions et de secrets.

Médecin de grand devoir, il a toujours montré à ses élèves la médecine de l'homme total et libre, la bonne et saine clinique, sachant s'élever au-dessus des considérations purement techniques pour résister à leur mauvais usage et à une fausse impression de puissance. Souhaitons que son souvenir nous donne toujours la force de résister à la dépersonnalisation technocratique qui s'empare déjà de notre profession et de notre éthique. Il a su guider tous ses élèves par l'exemple, si bien qu'ils n'avaient plus que la liberté de le suivre dans la droiture et le travail.

Suggérant que la pensée et l'affectivité ne sont pas étrangères, BAUDELAIRE écrivait : « La sensibilité est le génie de chacun » ; en rédigeant ces quelques lignes, nous avons la sensation que l'émotion engourdit la pensée et que nous ne parviendrons pas à donner une idée exacte et nuancée des qualités humaines du Professeur René GRIMAUD. En tous cas, il peut être certain que son souvenir sera pieusement entretenu par ceux qui l'ont connu et, cela seul est important.

Professeur M. WAYOFF