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L’APOTHICAIRE REMY WILLEMET (1735-1807)

 

démonstrateur de chimie et de botanique au Collège royal de médecine de Nancy

 

Pierre LABRUDE

 

Description : Willemet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi les apothicaires ayant exercé à Nancy au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, Rémy Willemet occupe une place importante par le volume et la qualité de son activité de pharmacien, de botaniste et de professeur. Mais il est aussi pendant deux décennies, de 1772 à 1793, le démonstrateur de chimie et de botanique du Collège royal de médecine. En même temps, il y est aussi associé-correspondant et, au vu des listes de ses différents membres, telles que les a publiées Madame Eber-Roos dans sa thèse, il semble qu’il soit le seul représentant de la pharmacie. Enfin, de 1782 à 1793, il est aussi le démonstrateur de chimie de la Faculté de médecine.

 

Quelle a été l’existence de Rémy Willemet et quelles ont pu être les raisons de sa double nomination au Collège royal ?

 

L’origine de la famille et les premières années

 

Rémy Willemet est né le 13 septembre 1735 à Norroy les Pont-à-Mousson, village situé sur la rive gauche de la Moselle à un peu plus de trois kilomètres au nord de Pont-à-Mousson où se trouve alors l’université. Son père François est né en ce lieu le 14 janvier 1691 et il s’y est marié avec Catherine Laurent le 28 janvier 1716. Neuf enfants sont nés de cette union et Rémy est le benjamin.

 

Ses biographes ont indiqué que l’origine de la famille paternelle était suédoise : en 1635, un soldat blessé au cours du conflit franco-lorrain serait resté à Norroy et s’y serait marié. Ceci n’est pas certain, car ces affirmations ne sont pas prouvées par leurs auteurs, cependant qu’on trouve le nom dans la région avant 1635. Toutefois, des liens de parenté n’ont pu être clairement établis.

 

Rémy aurait entrepris à Pont-à-Mousson des études que la pauvreté de ses parents aurait fait interrompre rapidement. C’est alors qu’il est venu à Nancy auprès d’un oncle, jésuite et apothicaire sans titre du noviciat des Jésuites. Le commerce actif de médicaments par les Jésuites exaspère les apothicaires qui déposent des plaintes renouvelées auprès des autorités civiles et religieuses. Dans l’apothicairerie, Rémy reçoit la formation pratique et théorique nécessaire au métier d’apothicaire ; il se passionne pour la botanique et l’histoire naturelle et, compte tenu des connaissances qu’il a acquises, il décide de faire carrière dans la pharmacie. Pour cela, il lui faut obtenir la maîtrise auprès de la communauté des maîtres apothicaires de Nancy.

 

La difficile obtention de la maîtrise d'apothicaire

 

Pourvu de moyens dont nous ignorons l’origine, Rémy obtient d’abord une place à Nancy par suite de la démission de Desvillers en sa faveur. C’est une pratique classique. Il lui reste à obtenir la maîtrise. Or il n’a pas effectué les années d’apprentissage et de compagnonnage prévues par les statuts de la communauté. Les maîtres refusent donc de lui faire passer les épreuves, mais aussi de prendre en compte comme apprentissage les années qu’il a passé dans l’apothicairerie des Jésuites.

 

Willemet dépose une requête devant le Conseil d’Etat de Lorraine en vue d’une dispense et, comme il se présente aux épreuves de la maîtrise quelques jours après sa dispense datée du 6 août 1762, il faut en déduire que tout ou partie du temps qu’il a passé dans l’apothicairerie des Jésuites a été validé. Mais il ne fait pas de doute que la communauté des apothicaires est mal disposée à son égard. On la comprend… Si l’épreuve théorique et la reconnaissance des drogues se passent bien, il n’en est pas de même pour la reconnaissance des plantes où Willemet est deux fois ajourné. La réalisation de trois des cinq chefs d’oeuvre nécessite aussi plusieurs tentatives. Il est enfin reçu maître et admis dans la communauté des maîtres apothicaires de Nancy le 23 octobre 1762.

 

Les débuts de la vie professionnelle et la participation aux activités du Collège royal de médecine

 

Rémy Willemet s’installe dans la pharmacie qu’il a acquise et qui se situe rue des Dominicains. Les rapports des inspections faites sous l’égide du Collège royal et de la communauté des maîtres apothicaires indiquent qu’elle est bien tenue, que les drogues sont bien conservées et les médicaments de bonne qualité. Elle devient rapidement la plus fréquentée de la ville. Willemet participe à l’inspection des apothicaireries et drogueries et à l’analyse des drogues saisies, entre autres chez les fabricants de boules d’acier vulnéraires, souvent préparées par des personnes qui ne sont pas apothicaires, sans autorisation, sans méthodes, ni produits valables, et souvent contrefaites.

 

Or il se trouve que l’article XXV des statuts du Collège lui confère un rôle d’enseignement en anatomie, botanique et chimie. En effet, pour leur agrégation au Collège, les médecins sont soumis à diverses épreuves, dont une de pharmacie et de chimie, ce qui implique pour eux des connaissances de chimie pharmaceutique, et justifie le recours à un enseignement magistral, presque toujours fait par un médecin, et à des démonstrations presque toujours effectuées par un apothicaire. Les différentes opérations chimiques sont réalisées sous les yeux des élèves pendant les cours et nul mieux qu’un apothicaire ne peut s’en acquitter en raison de son expérience des manipulations et du fait que celles-ci sont tirées du Codex de la Faculté de médecine de Paris. La place de démonstrateur de chimie est attribuée à Willemet en 1772.

 

Il existe aussi au Collège une charge de démonstrateur de botanique. Sa mission est de ranger les plantes dans le jardin royal en fonction du système adopté par le professeur et de faire des démonstrations aux élèves lors d’herborisations à la campagne. La charge est également attribuée à Willemet en 1772, ce qui correspond bien à ses capacités et à ses goûts.

 

Les premières publications et l’accession à la notoriété

 

Comme déjà indiqué, Willemet est passionné par la botanique et l’histoire naturelle, et ceci beaucoup plus que par la chimie. Depuis 1772, il travaille avec le médecin militaire Coste. En 1774, la Société des belles-lettres, sciences et arts de Lyon met au concours la question du remplacement en médecine de plantes exotiques par des espèces indigènes. Le but poursuivi est d’essayer de l’affranchir des difficultés d’approvisionnement liées à la distance et aux guerres, ainsi que des risques d’altérations, de confusions et de falsifications. Le mémoire que Coste et Willemet présentent est couronné en 1776 et publié en 1778 sous le titre "Essais botaniques, chimiques et pharmaceutiques, sur quelques plantes indigènes substituées avec succès à des végétaux exotiques, auxquels on a joint des observations médicinales sur les mêmes objets." C’est pour Willemet le premier ouvrage d’une série assez longue consacrée à la botanique, à la flore et aux usages des végétaux, en particulier de notre région.

 

En 1777, Willemet devient le doyen de la communauté des maîtres apothicaires de Nancy. Il publie des articles qui attirent l’attention sur lui et le font élire dans nombre d’académies et de sociétés savantes. Puis, en 1782, il est choisi comme démonstrateur de chimie de la Faculté de médecine.

 

Les dernières activités pharmaceutiques et publiques

 

Peu avant la Révolution, Willemet participe à la rédaction de la Pharmacopée de Nancy. La question d’un formulaire nancéien est posée depuis les premiers règlements sur la pharmacie, et encore dans ceux de 1764, qui seront les derniers donnés avant le Révolution. Mais c’est seulement en 1784 qu’un projet est soumis au Collège royal, et au début de 1786 que ce dernier en fait examiner le plan. Il faudra encore quatre années pour que la pharmacopée soit prête à être publiée en latin... Willemet y a bien sûr contribué. Entre temps, le 11 mars 1789, il a été choisi pour rédiger avec Mandel le cahier des doléances des pharmaciens de Nancy.

 

Après la Révolution, il fait partie du jury d’inspection des pharmacies, drogueries, épiceries et herboristeries, constitué de pharmaciens nommés par le préfet, et qui vérifie la tenue des établissements et la qualité des produits délivrés, et règle les différends éventuels.

 

Une des dernières activités pharmaceutiques de Willemet est sa participation à la rédaction de deux fascicules, le "Catalogue des médicaments simples et composés qui doivent se trouver dans les pharmacies des hospices civils, suivi d’un formulaire à l’usage des dits hospices et prisons", et le "Formulaire pour les prisons et maisons d’arrêt". Enfin il est membre du Conseil d’agriculture et du commerce de la Meurthe, et il en est le vice-président en 1802.

 

Mais toute carrière et toute existence a une fin... Comme l’écrit le journal "La Meurthe" le 24 juillet 1807 : « Les sciences ont fait une perte très sensible. M. Villemet (sic) un des plus fameux botanistes de l’Empire français, est mort le 21 de ce mois ». Il allait avoir 72 ans.

 

Comment expliquer la nomination de Willemet au Collège royal ?

 

Au moment de sa nomination en qualité de démonstrateur, en 1772, Willemet a 37 ans et dix années de pratique professionnelle. S’il est rapidement devenu un pharmacien apprécié, il n’a jusqu’à ce moment rien réalisé qui a pu attirer l’attention sur lui. Son origine est obscure et il n’est pas sûr que l’activité pharmaceutique illicite de son oncle jésuite l’a aidé… Des cinq autres apothicaires de Nancy, aucun ne s’est fait remarquer par des connaissances ou des activités particulières en botanique ou en chimie. À côté de Willemet, les seuls qui vont « sortir du lot » sont Nicolas et Mandel, mais il leur faudra encore attendre plusieurs années.

 

Le Collège a peut-être estimé que les connaissances de tout apothicaire en matière de chimie et de botanique pouvaient suffire pour lui permettre d’assurer dignement ce qu’on attendait de lui. Mais Willemet avait peut-être impressionné les médecins du jury par ses connaissances lors de ses examens de maîtrise en 1762. Le Collège et ses professeurs ont peut-être aussi fait intervenir des considérations personnelles, amicales ou familiales, les familles étant souvent liées par des mariages. Les apothicaires Desvillers et Mandel sont parents, Desvillers a cédé sa place d’apothicaire à Willemet, cependant qu’un autre Desvillers siège au Collège. Plusieurs apothicaires du nom de Harmant ont exercé à Nancy, et la veuve de Nicolas Virion, contemporaine de Willemet et exerçant la pharmacie « en survivance » de son mari, est née Monique Harmant. Est-elle apparentée à Dominique Benoît Harmant, personnage important du Collège ?

 

Les apothicaires connaissent la botanique et les plantes médicinales et sont interrogés sur ces sujets à leurs examens. Le choix d’un apothicaire semble donc naturel en ces domaines. Par contre, pourquoi choisir un apothicaire comme démonstrateur de chimie ? Jusqu’alors aucun ne l’a véritablement étudiée, et bien sûr les statuts de 1665, toujours valables au moment où Willemet a passé ses examens, n’en font pas mention. Mais les médecins ne l’étudient pas plus. Ce choix est certainement lié à la conjonction de trois éléments : le fait que les démonstrations sont faites en suivant les opérations décrites par un ouvrage de pharmacie, que le « couple » médecin-professeur et apothicaire-démonstrateur est présent dans nombre de villes du royaume, et enfin peut-être qu’un seul démonstrateur est plus facile à « gérer » que deux.

 

Quelle a été l’activité de chimiste de Willemet en dehors du Collège, plus tard de la Faculté ? Il faut bien reconnaître qu’elle a été faible. Son nom est cité pour l’analyse des drogues saisies au cours des inspections des pharmacies et drogueries, et des descentes de police faites au domicile des fraudeurs. Willemet est aussi commis avec le professeur Harmant en 1776 pour analyser des eaux à l’occasion d’un conflit opposant le perruquier et étuviste Dominique Mandel, de la famille des apothicaires de ce nom, aux « maîtres barbiers, perruquiers, baigneurs et étuvistes des villes et faubourgs de Nancy ». Nous connaissons les résultats de l’analyse organoleptique de ces eaux. Toutefois Willemet n’a laissé aucune réalisation en chimie.     

 

Conclusion

 

Rémy Willemet a mené à Nancy, durant plus de quatre décennies, une existence bien remplie, en particulier de botaniste, et cette activité est encore très connue des naturalistes et des historiens d’aujourd’hui. À l’opposé, son activité de chimiste est complètement inconnue parce qu’il n’a rien laissé d’original en ce domaine et que ses recherches étaient liées aux plantes et à leurs usages. Si des critiques ont été émises à leur encontre parce qu’elles sont entachées de certaines inexactitudes, ces réserves ne peuvent altérer ce qui constitue sans doute l’une des qualités essentielles de Rémy Willemet : son attachement au bien, sa volonté de faire le bien et constamment de bien effectuer son travail, ce qui a sans doute été le cas au Collège et à la Faculté pendant ces décennies.