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LAMBERT DES CILLEULS Fernand

(1851-1926)

 

Secrétaire de la faculté de médecine de Nancy

 

 

Simone GILGENKRANTZ

 

En 1900, une jeune polonaise, Mélanie Lipinska, soutient sa thèse de médecine à Paris, sous la direction des professeurs Brissaud et Landouzy - Paul Brouardel étant alors doyen de la faculté de médecine. Cette thèse intitulée « Histoire des femmes médecins » est très documentée (plus de 600 pages). Elle analyse les données européennes et, pour la France, elle contient les premières statistiques sur les étudiantes en médecine, non seulement à Paris, mais aussi en province.

Parmi les villes de province mentionnées, Nancy vient en premier, parce quelle accueille effectivement des étudiantes étrangères, mais surtout parce que le secrétaire de la faculté de médecine, Monsieur Lambert des Cilleuls, a pris la peine de lui répondre avec une grande amabilité et de façon très complète. Les documents que Mélanie Lipinska a reçu des autres villes : Lyon, Lille,  Bordeaux, Toulouse, Montpellier, sont beaucoup plus succincts. Elle cite donc presque in extenso cette lettre. Fernand Lambert des Cilleuls lui donne tous les renseignements sur ces étudiantes - surtout des Bulgares - depuis larrivée des premières, pour lannée scolaire 1894-95.  Il lui précise les titres des thèses jusquen 1899 et donne aussi des détails sur la vie de ces jeunes filles à Nancy, sur leurs projets davenir, mentionnant celles qui se sont fiancées ou mariées.

Il ajoute : « Jai cru devoir vous donner ces renseignements complémentaires que vous ne trouverez pas dans les statistiques du ministère ou ailleurs, parce que jai pensé quil y aurait peut-être des conclusions à tirer ou du moins des observations à présenter. »

On le sent soucieux de laccueil de ces jeunes étrangères, dans une aventure inédite, totalement nouvelle pour des filles : sexpatrier afin dobtenir des diplômes ; on devine quil a dû participer activement à leur insertion à Nancy.

Et ce sentiment se confirme rapidement : dans les dédicaces des thèses de médecine passées à partir des années 1890 jusquau début de la première guerre mondiale, il nest pas rare de trouver de chaleureux remerciements des étudiants ou étudiantes à ladresse de Monsieur des Cilleuls : pour « sa grande aménité », pour « son obligeance », ou « pour lintérêt quil nous a porté ainsi quà nos compatriotes ». Cette pratique est inhabituelle et ne se retrouvera pas par la suite pour ses successeurs.

La délicate sensibilité de Fernand Lambert des Cilleuls transparaît encore dans cette petite note quil ajoute à la fin de sa lettre à Mélanie Lipinska :

« Les études médicales nempêchent pas les sentiments », en ces temps où la littérature - les romans de Jules Claretie ou de Colette Yver - prédisait, pour ces malheureuses qui avaient « oublié » leur rôle dépouse et mère, les pires catastrophes.

Il semblait donc naturel de retracer la biographie de ce secrétaire hors du commun sur le site des professeurs de la Faculté de médecine de Nancy.

 

Fernand Stephen Louis LAMBERT des CILLEULS est né à Bourbonne-Les-Bains, en Haute-Marne, le 12 janvier 1851. Il est le fils dun notaire, Amédée Hippolyte Auguste, et de Félicie François.

Quand la guerre franco allemande éclate, sous le Second Empire, il a 19 ans. Quelques jours près les batailles sanglantes de Gravelotte, Saint-Privat, et lencerclement des hommes de Bazaine, à Metz, le 25 août 1870, il sengage. Il participe au siège de Paris, aux combats de lIle de Chiers, aux batailles de Buzenval et de Champigny où il est cité à lordre du jour et pour lesquels il sera décoré par la suite de la médaille militaire. Libéré en mars 1871, il se réengage en août au 46e régiment dinfanterie. Après la fin de son service militaire en 1876, il restera un militaire dans lâme.

Dans larmée de réserve il deviendra capitaine et sera nommé chevalier de la légion dhonneur en 1908. Convaincu de limportance des sociétés de secours mutuel, qui se sont développées après la chute du Second Empire - et qui sont les prémisses de notre sécurité sociale - il sera toute sa vie un mutualiste actif. Le Ministère de lHygiène, de lAssistance et de la Prévoyance sociales - la dénomination reflète bien les préoccupations de cette époque de la Troisième République lui rendra hommage en lui décernant la médaille de la Mutualité en 1920.

De retour à la vie civile, après une formation au secrétariat de la faculté de médecine de Paris puis de Bordeaux, il est nommé secrétaire de la Faculté de médecine et de lEcole Supérieure de pharmacie de Nancy en 1886, poste quil occupera jusquen 1913.

Durant ces 27 années dactivité, il sest employé à faire rayonner la France à létranger en accueillant des étudiants de tous pays. Parmi les nombreux honneurs quil a reçus en reconnaissance, comme la médaille du Nicham Iftikar de Tunisie, retenons surtout la croix de chevalier de lOrdre national du mérite civil de Bulgarie. Car, en 1915, au moment de lentrée en guerre de la Bulgarie au côté des puissances centrales, il renvoie sa médailles au tzar Ferdinand Ier de Bulgarie par voie diplomatique, accompagnée dune lettre déplorant cette alliance « avec des puissances ennemies et barbares ».

En août 1914, quelques jours avant la déclaration de guerre, il est chargé par le maire de Nancy dorganiser et de commander la garde civile. Puis, il devient secrétaire volontaire du bureau militaire à lHôpital Villemin. Du fait de la proximité du front (à environ 20 km), les Hôpitaux de Nancy durent accueillir de nombreux blessés et Lambert des Cilleuls organise un service de délégués et de volontaires pour accompagner les corps des soldats morts à lhôpital et enterrés au cimetière du Sud.

 

En tant que secrétaire, et dans lintérêt de ces jeunes Facultés de Médecine et de Pharmacie, il publie plusieurs ouvrages parmi lesquels :

- Le Guide des aspirantes à la profession de sage-femme 1re et 2e classes (Reliure inconnue - 1889).

-  Le Petit Guide des aspirants pharmaciens et herboristes (mentionné dans le journal de pharmacie de Lorraine) in : Sautrot S. Thèse Pharma Nancy, 2003.

- Mais cest surtout son « Histoire de lEcole supérieure de Pharmacie de Strasbourg (1903, 192 p. édit Sidot Nancy, puis réédit Poncelet Nancy 1912) qui retiendra lattention.

Ce document, très complet et accompagné de nombreuses annexes est un ouvrage de référence très prisé par Louis Bruntz, doyen de la faculté de pharmacie qui était aussi son ami. Le livre a été cité par la suite, en particulier par Louis Sergent dans « Le centenaire de Pasteur : Pasteur et la pharmacie » (Bull Soc Histoire de la pharmacie 1923).

Louis Sergent note : « Lambert des Cilleuls na pas manqué, dans son Histoire de lEcole supérieure de Pharmacie de Strasbourg (1903), de mentionner Pasteur dans son énumération des professeurs en titre, suppléants et agrégés de cette école du 15 janvier 1801 au 28 novembre 1870. Grâce à son travail consciencieux, nous savons que Pasteur succédait à Kopp (qui avait été mis en congé le 1 janvier 1849, par suite de son élection de député à lassemblée nationale), dans la suppléance de la chaire de chimie dont Persoz était titulaire, et que Pasteur occupa cette suppléance du cours de chimie du 4 juin 1849 au 17 janvier 1851, date à laquelle il demanda à être déchargé de ses fonctions. »

Pendant cette période où lAlsace et une partie de la Lorraine étaient annexées, Lambert des Cilleuls navait pas oublié, en effet, que Pasteur avait été professeur à Strasbourg. Dans son ouvrage, il rendait hommage à tous ces scientifiques dont certains - comme Ignace-Louis Oberlin, Eugène-Théodore Jacquemin, Charles-Fréderic Schlagdenhauffen - étaient venus enrichir l’école de Nancy après le transfèrement de la faculté de Strasbourg à Nancy en 1872.

 Dans lintroduction, Lambert des Cilleuls explique pourquoi il a voulu écrire ce livre :

«  Les conditions difficiles où l'Établissement considéré prit naissance et fut laissé, pendant un tiers de siècle ; les efforts louables et persévérants des professeurs, pour se montrer dignes de leur mission, telles sont les données qui méritaient d'être recueillies et mises au jour. Heureux, serons-nous, si notre tâche est remplie de manière à  montrer l'intérêt que comporte, par lui-même, un sujet traité sans prétention, mais avec le désir de faire œuvre utile et de payer un tribut d'hommages à  la mémoire de savants honorables. »

 

Cest exactement dans le même but quest écrit cet article, afin de payer « un tribut dhommages » à la mémoire dun homme de bien et dun exceptionnel secrétaire des facultés de médecine et de pharmacie de Nancy.