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SOCIETE – SANTE – RESILIENCE – FOI

 

Michel MANCIAUX

 

 

Merci, je voudrais vous dire le plaisir que j’éprouve à être au milieu de vous aujourd’hui et le défi que cela représente d’avoir à traiter devant vous toute une série de thèmes puisqu’on m’a proposé de parler de société, de santé, de résilience et de foi. Excusez du peu !

J’essaierai de faire un lien entre tout cela et je voudrais dire que des rencontres comme celles-ci sont pour moi un enrichissement et si je peux vous parler aujourd’hui non pas avec une autorité mais avec quelque expérience, je le dois beaucoup aux rencontres que je fais à titre professionnel ou à titre confessionnel avec des gens engagés dans le concret, plus que je ne le suis. Avec l’âge et avec des responsabilités assez élevées, il est difficile de garder le contact avec le quotidien des gens mais la réflexion est toujours possible et les échanges toujours riches.

 

Ma carrière est un peu atypique pour un professeur d’université, je l’ai commencée comme pédiatre, je suis devenu professeur de pédiatrie préventive et sociale et j’ai été chargé au CHU

de Nancy des enfants malades chroniques et handicapés et des enfants maltraités, domaine que j’ai commencé à travailler il y a plus de 40 ans. Cela m’a mis en pleine cohérence, en plein contact avec des gens, des enfants, des familles très marqués par la vie, dont on ne pouvait qu’admirer la façon dont ils géraient leurs difficultés et dont ils se situaient, se projetaient dans l’avenir et cela m’a donné beaucoup à réfléchir.

J’ai eu ensuite une carrière un peu internationale puisque j’ai travaillé trois ans à l’Organisation Mondiale de la Santé, au Bureau pour l’Europe à Copenhague entre 1968 et 1970, chargé de la protection maternelle et infantile, de la santé des mères et des enfants, au niveau des 50 pays d’Europe du temps du Rideau de fer, ce qui m’a valu de nombreux voyages dans des pays de l’Est à l’époque où ils étaient assez fermés ou isolés.

Après trois ans de cette expérience, je suis rentré à Nancy où j’ai été doyen de la faculté. Le professeur Debré, vieille gloire de la pédiatrie française et internationale, m’a confié la responsabilité du centre international de l’Enfance à Paris, centre national de formation de personnels de toutes natures, des professionnels variés travaillant au service de l’Enfance, spécialement dans les pays du Tiers monde. Cela m’a mis en contact avec de nombreux problèmes de terrain, de difficultés mais aussi avec de nombreuses richesses dans ces pays qu’on a beaucoup de suffisance à qualifier de pays sous-développés ou en voie de développement. Il y a des richesses insoupçonnées qu’il faudrait mettre en lumière parce qu’il se passe de belles choses dans ces pays.

Après dix ans au centre international de l’Enfance, je suis rentré à Nancy comme professeur de santé publique, ma pédiatrie clinique étant loin après cette expérience et j’ai terminé ma carrière comme tel, non sans un nouveau passage à Paris où j’ai été conseillé technique au secrétariat d’Etat chargé de la Famille, du temps d’Hélène d’Orlac où sont sorties deux lois importantes qui me tenaient à cœur, l’une sur la protection maternelle et infantile et la promotion de la santé de la famille, l’autre sur la prévention et la prise en charge des mauvais traitements envers les enfants. Ce sont deux lois fondatrices qu’on a trop oubliées que j’ai eu plaisir à faire avancer.

J’ai présidé pendant dix ans avant mon retour en Lorraine l’Observatoire régional de la santé et des affaires sociales et je tenais beaucoup à ce qu’on parle d’Observatoire de la santé et des affaires sociales car santé et affaires sociales sont indissociables et c’est peut-être ce que j’ai appris au cours d’une longue et mouvementée carrière. Assez pour moi !

 

Je voudrais en remerciant les organisateurs de leur aimable invitation, avant de passer au vif du sujet faire une remarque liminaire. J’ai reçu le compte rendu de Metz et j’ai beaucoup réfléchi sur le sens de votre rassemblement, en préparant cette intervention, je me suis reporté

au début des années 80 au moment où les propositions pastorales pour le monde de la santé ont envoyé en mission tant d’entre vous et d’autres disparus maintenant.

 

LE DEBUT DES ANNEES 80

 

C’était pour beaucoup une période de vision et d’espoir. On peut dire que les mêmes évêques en même temps, à peu d’années d’intervalle, ont publié la déclaration sur le pluralisme des choix politiques pour les chrétiens, et le texte sur les nouveaux modes de vie qui à l’époque avait provoqué beaucoup d’espoir, d’autant qu’il était assorti de propositions concrètes qui n’ont pas tellement vieilli même si le contexte a beaucoup changé depuis. Il y avait toute une efflorescence de réflexions, d’espoirs, de visions qui faisaient de l’Église une force de proposition, j’aimerais qu’elle redevienne visionnaire et force de proposition pour le monde d’aujourd’hui qui a terriblement changé dans les vingt dernières années. On est là pour y réfléchir et y travailler.

On continue à découvrir à cette époque la richesse et les possibilités de changements qu’offraient les textes conciliaires. Le Concile était déjà un peu loin, mais on se nourrissait de son miel très nutritif, on vivait d’espoir, les mouvements de l’Action catholique existaient, étaient reconnus par la hiérarchie, étaient actifs, lieux de rassemblement, de travail, de réflexion et d’espérance, ils attiraient beaucoup de chrétiens.

La France prospère avait connu un séisme politique avec l’avènement de la gauche au pouvoir, Mitterrand président de la République, c’était une ouverture relativement inattendue qui pouvait offrir une nouvelle possibilité de développement, l’Europe prenait forme. Malgré la fin des trente glorieuses et le choc pétrolier, malgré le début d’un chômage déjà tenace, on était à une époque où on espérait un avenir meilleur pour le monde, l’Église, notre pays, nos familles, nos enfants. C’est bon de se référer à cette période proche, non pas pour s’attarder sur un passé révolu et s’y accrocher, mais parce que c’était une période de travail, de réflexion et d’espoir.

Compte tenu du climat actuel assez défaitiste et peu enthousiasmant, c’est bon de se référer à ce passé, et de dire que nous vivons des changements inouïs qui nous provoquent à bâtir pour notre temps qui est un autre temps que celui de ces textes fondateurs, un monde nouveau, une

Eglise renouvelée, visionnaire, qui avec l’Esprit puisse renouveler la face de la terre, elle en a bien besoin. Je tenais à délivrer ce message pour des temps nouveaux et difficiles, si vous êtes toutes et tous là c’est dans cet esprit, pour faire un monde vivable dans la mesure de nos capacités ensemble et avec d’autres.

Je parlerai rapidement de la société, le titre qu’il m’a été demandé de traiter, « société, santé, résilience et foi » est finalement très cohérent même si les liens ne sont pas toujours évidents entre ces différentes substantifs.

On peut dire que la santé individuelle est en grande partie dépendante de la santé du corps social. On doit situer nos réflexions sur la santé dans la société d’aujourd’hui. Cette société nous provoque à une réflexion basée sur les compétences des gens qui nous entourent et non pas seulement sur leurs problèmes et c’est tout le message de la résilience. La résilience nous convie à la spiritualité, à creuser notre foi, à voir quelle est notre foi, à voir les ressorts positifs dans notre existence. J’aime citer Boris Cyrulnick qui a le génie des phrases lapidaires et pleines de sens : « Toute existence humaine est un artisanat ordonné autour d’une transcendance. » C’est un beau message et nous avons à coller à la réalité des existences humaines d’aujourd’hui qui ne sont pas toujours drôles, à situer notre réflexion dans le cadre d’une transcendance. Qui le fera, si nous autres chrétiens, ne sommes pas capables de le faire ?

 

LA SOCIETE

 

Société en mutation profonde

Rapide et largement imprévisible, nouveauté dans l’Histoire humaine. Cette société s’emballe, je pense à la métaphore de la voiture dont le régulateur de vitesse a lâché sur une autoroute, une voiture emballée que le conducteur ne savait plus comment arrêter. Nous vivons dans une société emballée dans laquelle nous nous posons bien des problèmes, comment faire une pause, réfléchir, planifier dans la mesure de nos possibilités l’avenir qui nous attend, au lieu d’être lancés à 200 à l’heure sans pouvoir s’arrêter.

 

Société de l’immédiat

De l’éphémère mais qui paradoxalement -et il y a beaucoup de paradoxes dans la société d’aujourd’hui- se penche sur son passé, voyez toutes les commémorations, tout ce qui parait sur notre Histoire relativement proche même, faute de pouvoir envisager son avenir.

 

Société fractionnée

Où les grandes étapes de la vie sont complètement bouleversées si on la compare à ce que c’était il y a deux générations à peine. L’enfance est vite passée, tant d’enfants sont sous pression participant à l’agitation générale où l’enfant est à la fois un roi à qui rien n’est refusé et une victime de l’indisponibilité des adultes, parce qu’il est livré trop souvent à lui-même, parce qu’il a une vie décousue et très occupée, parce qu’il est traité mal par les adultes qui s’occupent de lui et quelquefois maltraité.

 

L’adolescence, je compare deux textes qui ne sont pas éloignés, le premier ouvrage médical sur la santé de l’adolescent a été fait par un professeur de pédiatrie de Lille, chrétien très engagé, le professeur Louis Christians, s’intitulant : L’adolescence, sa mise au travail. Dans l’après deuxième guerre mondiale, la puberté était relativement tardive à cette époque-là, les enfants qui quittaient l’école à cet âge n’étaient pas tous pubères, ils entraient en apprentissage au mois d’octobre après avoir quitté l’école au mois de juillet. L’adolescence était terminée pour eux avant d’avoir commencé pourrait-on dire.

Autre livre quarante ans après : Interminables adolescences, par Tony Annatrella, prêtre psychanalyste, où il montre et beaucoup l’ont montré à sa suite, que l’adolescence tarde à finir. Elle commence de plus en plus tôt, les gamins et gamines de dix, douze ans ont des comportements -ce qu’on appelle des conduites d’essai- qui étaient la caractéristique des quinze seize ans il n’y a pas tellement longtemps.

L’adolescence qui devrait déboucher sur l’insertion dans la société au triple niveau de la citoyenneté, du travail et de la famille, se poursuit indéfiniment parce que ces trois insertions qui conditionnent la vie adulte ont de la peine à se réaliser, l’adolescence ne se termine pas. On sait combien de jeunes et de moins jeunes adultes adoptent des comportements vestimentaires, des habitudes culturelles qui font d’eux des adolescents dépassés.

 

L’âge adulte commence donc tard pour beaucoup de nos contemporains, et s’éternise de plus en plus. A l’heure actuelle les personnes de 75 ans aujourd’hui ont les capacités fonctionnelles et l’espérance de vie qui étaient celles des gens de soixante ans il y a seulement deux générations. C’est un changement inouï dans l’Histoire de l’Humanité. Une vie adulte qui se poursuit longtemps et n’est plus cadrée sur la période de travail. Avant, l’adulte c’était la personne, qui après l’apprentissage, était en travail jusqu’à la retraite.

 

Quant à la vieillesse, elle est aussi de plus en plus prolongée, l’espérance de vie augmente sans cesse, cela pose à la vie sociale des problèmes inédits, inouïs. A l’heure actuelle les gériatres font commencer la vieillesse à 85 ans, on parlait de quatrième âge, c’est presque le cinquième âge. La plupart des gens, bien que porteurs de maladies chroniques, vieillissant et un peu handicapés, gardent des possibilités fonctionnelles assez extraordinaires. Pensez à ces multitudes de personnes dites âgées qui passent leur temps en circuit touristique, ce n’est pas de tout repos. Beaucoup de personnes après la retraite prennent de nouvelles responsabilités, professionnelles, dans la vie associative, culturelle, c’est un âge adulte prolongé.

Les vrais vieillards vivent de plus en plus longtemps, très souvent à cause de la mobilité des familles et de la difficulté de vie, coupés de leur milieu de vie, souvent dans l’isolement. Des épisodes comme la canicule montrent bien que l’isolement des personnes âgées n’est pas facile à gérer.

 

L’allongement de l’espérance de vie touche aussi les personnes handicapées mentales et gravement handicapées. J’ai travaillé au sein de l’UNAPEI, union nationale des associations de parents et d’amis de personnes handicapées mentales, dans le comité d’éthique, nous nous sommes penchés sur cet allongement de vie de ces personnes qui va nous interpeller. Leurs parents lorsqu’ils existent encore, ne sont plus en état de les soutenir, de les accueillir, et on manque cruellement d’institutions pour ces personnes. Pour les personnes sans handicap mental, on estime qu’il nous faudrait d’ici à 2007, 40.000 nouvelles places en institution. Arrivera-t-on à en bâtir 10.000 ? Pour les personnes handicapées mentales vieillissantes, on estime qu’elles sont 5000 au-dessus de 65 ans, aujourd’hui elles risquent d’être 15.000 à l’horizon 2000. Vous voyez ce que l’accueil de ces personnes vieillissantes pose comme défi. Dans votre pastorale de la santé, les personnes handicapées doivent tenir une place essentielle dans la réflexion et dans l’action.

 

Je signale d’ailleurs à ce propos que j’ai dirigé à la suite de ce travail dans l’UNAPEI la parution d’un ouvrage intitulé : Personne handicapée mentale, éthique et droit, qui pourrait intéresser un certain nombre d’entre vous qui travaillent dans ce domaine. C’est un problème pour lequel les princes qui nous gouvernent n’ont absolument aucune vision ni aucune anticipation. Pourtant j’ai travaillé au conseil scientifique de l’institut national d’études démographiques et je peux dire que les prospectives démographiques sont connues, on les a fait connaître, on les a transmises aux politiques de tout rang sans aucun résultat apparent.

 

Fracture de la transmission

Nous vivons dans une société fracturée, mobile, instable où les différentes générations vivent séparément, où la transmission trans-générationnelle pose des problèmes, la transmission de la foi en est un mais ce n’est pas le seul, les transmissions culturelles, des principes de vie sont également très touchées, les transmissions peinent à se faire et je sais que des documents ecclésiaux se sont penchés sur ses problèmes.. Même si la solidarité entre générations existe, bien qu’à sens unique, ce sont les personnes retraitées qui ont encore quelques moyens qui aident les jeunes à s’en sortir, à essayer de vivre et à se bâtir une existence qui en vaille la peine.

 

Une société profondément inégalitaire

Avec une richesse inouïe pour certains dont le salaire mensuel atteint jusqu’à 200 fois le SMIC, c’est nouveau aussi. Avec une précarité, une pauvreté, un endettement chronique de beaucoup de familles qui ne sont pas forcément asociales comme on le dit trop souvent mais des familles gravement démunies. Dans notre société des femmes seules avec des enfants en bas âge représentent la frange la plus défavorisée de toutes. Cette situation intolérable doit nous faire beaucoup réfléchir.

 

Le rapport au travail

Nous vivons dans une société où le rapport au travail -le travail étant très inégalement partagé- n’a plus le sens qu’il a eu pendant de très nombreuses générations, les jeunes peinent à s’insérer dans le monde du travail, le travail n’est plus toujours le lieu du lien social et de l’épanouissement de la personnalité qu’il a été, même quand il était pénible, on avait la fierté de son travail, ce n’est plus tellement le cas. Les carrières en zigzag avec de longues périodes de chômage, les changements professionnels font que le travail est très difficile à cerner dans le monde d’aujourd’hui.

 

Une société de l’information

Le règne des médias façonne l’opinion, les scoops tiennent la grande place, les tendances aussi. Je suis frappé en écoutant France Inter depuis des années de voir la place qu’y a prise la Bourse, on en parle au moins trois fois par jour, et la place qu’ont prise les procès en cours dont on est abreuvé quotidiennement en début d’information comme si c’étaient les nouvelles les plus importantes pour la vie sociale.

J’ai beaucoup travaillé les problèmes d’enfance maltraitée et la médiatisation de situations de maltraitance qui relève davantage du crime que de la maltraitance à proprement parler, et qui créent une psychose sécuritaire autour des enfants aujourd’hui. Ces enfants sont élevés dans une pédagogie de la méfiance vis à vis des adultes, je me demande ce que peut devenir une génération élevée dans ces conditions. La dérision des présentateurs à la Télévision, la futilité sont les bases des relations humaines vues par le petit écran.

 

Une société dangereuse dans une certaine mesure

Michel Fils(?) ethnologue au conseil national de la recherche scientifique dit que cette société gérontographique se protège des jeunes en les tenant à l’écart et en les trompant, c’était dans le numéro d’octobre de Messages du Secours catholique, il prédisait un choc des générations parce qu’il ne voit pas d’autres issues qu’un affrontement violent intergénérationnel, cela mérite réflexion. Société sécuritaire où l’on se replie sur soi, où l’on s’enferme, où l’on est méfiant, à outrance. Les messages véhiculés par la société, relayés largement et ciselés par les médias entretiennent cette psychose.

 

Une société pluriethnique, pluriconfessionnelle

Mais dont on souligne surtout les difficultés et les dangers, dont on sous-estime la richesse potentielle. J’aime citer Saint Exupéry qui disait : « Si tu diffères de moi frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » Voit-on ainsi actuellement la vie dans notre société éclatée ? Je ne pense pas, nous vivons dans une société dont les pratiques religieuses sont en recul même si un pourcentage inattendu de Français affirme dans les enquêtes d’opinion l’importance de l’Eglise dans la vie sociale et dans les grands moments de l’existence, tout en ne mettant pas les pieds à l’Eglise, c’est l’un des paradoxes de notre société.

 

Une société de désaffiliation

A dit le sociologue Robert Castel, une société libérale, productiviste, de l’argent roi où personne même au plus haut niveau n’est sûr de son sort même à court terme. C’est un tableau noir qui n’est d’ailleurs pas exhaustif, il y a des aspects positifs et la résilience nous convie à partir de ces descriptions un peu sombres à voir des éléments d’espoir, des choses positives, des ressources surtout chez les personnes en grande difficulté, le côté positif des choses, les bonnes pratiques de professionnels, de gens travaillant dans la vie associative, de bénévoles, de gens comme vous qui nous permettent d’espérer tout en étant réalistes.

 

Le Bureau international catholique de l’Enfance a défini la résilience comme le réalisme de l’espérance. J’aime le choc de ces deux mots, il faut être réaliste, et il faut espérer. Jusqu’à présent, dans la vie de l’humanité qui n’a pas toujours été drôle, l’espèce humaine a su faire face, rebondir, continuer à vivre, progresser. Les défis deviennent de plus en plus difficiles et lourds, il y a urgence à changer mais espérons en l’homme, dans ses ressources d’humanité de transcendance, de foi, d’espérance qu’il a en lui ; espérons dans l’amour, le partage dont on voit autour de soi tellement d’exemples réconfortants.

On vit dans une société de progrès où la santé de la plupart d’entre nous dans les pays développés n’a jamais été aussi bonne, où les conditions de vie de beaucoup de personnes sont plus qu’acceptables, où les ressources inouïes, disponibles, pourraient procurer sécurité et vie de qualité à toute la population et même à tous les peuples si la solidarité et l’entraide remplaçaient la défense des acquis, l’égoïsme et l’enfermement individualiste. La pâte sociale est lourde mais sommes-nous le levain ?

Le chantier est colossal mais Michel Serres, le grand philosophe, dans la Croix du 7 novembre disait : « Notre ère nouvelle n’est comparable qu’à la Renaissance ou au début de l’ère chrétienne mais il faut s’extraire du bruit de l’actualité et travailler dans la durée. » J’aime cette comparaison avec le début de l’ère chrétienne car ce n’était pas joué, le défi était très grand et les chances de réussite étaient très limitées, l’ère chrétienne a quand même vu le jour, s’est développée, et nous a amenés jusque-là où nous sommes aujourd’hui et il n’y a pas de raison pour qu’elle s’arrête avec nous, c’est ce que j’espère.

 

LA SANTE

 

Je tenais à la situer dans ce contexte social, il faut que vous lisiez ce petit livre intitulé : La guérison, quand le Salut prend corps écrit par Christelle Javary, édition du Cerf, chargée de cours à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Pour la pastorale de la santé, l’accent mis sur la guérison est essentiel. Pour la personne âgée que je suis, voir une personne de 35 ans faire un livre de cette profondeur et de cette sagesse, c’est très réconfortant, là il y a de la transmission et de l’avenir.

 

Définitions

J’aime commencer par quelques définitions de la santé qui contiennent toutes une part de vérité, qui méritent d’être mises ensemble et creusées. La définition officielle de la santé par l’OMS en 1948 c’était pionnier, « Ce n’est pas seulement l’absence d’infirmités et de maladies mais un état de complet bien-être physique, mental et social. » Ce n’est pas mal, les pays du Tiers monde et quelques pays développés avaient insisté pour que la dimension spirituelle soit associée à cette définition, on aurait dit que la santé est un complet bien-être physique, mental, social et spirituel, cela aurait peut-être apporté une dimension qui nous est familière mais qui n’est pas tellement acceptée par beaucoup d’autres. Il y a eu opposition des Etats rationalistes dont le nôtre. Jules Romain le père du docteur Knock disait : « La santé est un état précaire qui ne présage rien de bon. » La précarité et la finitude sont là. Les ados disent : « La santé c’est être bien dans sa tête et dans sa peau. » La notion de bien-être ressort ici très fort dans cette définition. Christelle Javary en parle beaucoup à propos de la guérison. Une gamine du Quart monde, de dix ans à qui on demandait ce qu’était pour elle la santé disait : « La santé c’est que mon papa ait du travail. » C’est une définition qui fait réfléchir et qui montre la profonde sagesse des petits enfants.

Absence de maladies et d’infirmités, c’est une utopie, on en rencontre toujours dans sa vie, mais on n’en ressort pas indemne, on en garde toujours des traces, Christelle Javary le dit très bien : « On va d’une guérison à une autre jusqu’au jour où la maladie chronique commence à s’intéresser à nous, jusqu’au jour où les déficiences motrices, sensorielles, de mémoire liées au vieillissement nous rattrapent. » C’est un état précaire, il faut s’y faire.

Même si la santé de la majorité de la population est longtemps bonne dans notre pays, des personnes sont atteintes très tôt dans l’existence, des enfants naissent avec des anomalies, des déficiences graves, pour eux la maladie est vécue comme une injustice et comme un scandale alors qu’elle faisait partie du quotidien de l’humanité pendant d’innombrables générations.

Dans un article paru dans la Croix il y a quelques années, le petit groupe d’éthique et santé dans lequel je travaille à Nancy, après deux ans de réflexion a publié sous le titre La non santé des exclus un tableau plutôt pessimiste des gens privés de travail, exclus du rôle social, exclus de la santé. Triple exclusion si on se réfère à la définition de l’OMS, hors du corps social au point de vue physique car malades, exclus aussi de la santé psychologique car leur exclusion de la société fait qu’ils se vivent comme des inutiles sociaux, en perte de dignité, vis à vis de leur famille, de leurs enfants, de leurs collègues restés au travail, vis à vis de la société tout entière. Cette non santé des exclus est un chantier important pour la pastorale de la santé.

 

Les tentatives de suicide

La santé n’est pas idyllique, sans entrer dans les détails médicaux, on est très préoccupé à l’heure actuelle par un certain nombre de problèmes, les maladies allergiques respiratoires chez les jeunes enfants deviennent un vrai problème public, lié très probablement à la pollution atmosphérique et domestique à l’intérieur des foyers.

Les problèmes de consommation et d’addiction à l’adolescence, problèmes de tentatives de suicide, la Croix a parlé de cette réunion organisée par la Fondation de France au début novembre sur le suicide et les tentatives de suicide chez les jeunes. D’une étude épidémiologique sérieuse menée pendant plusieurs années dans plusieurs endroits de France ressort qu’environ 14% des adolescents font au moins une tentative de suicide, un peu plus chez les filles que chez les garçons mais les tentatives de suicide sont plus souvent « couronnées de succès » chez les garçons que chez les filles. Les récidives sont fréquentes, presque 10%, si après l’hospitalisation après la tentative de suicide il n’y a pas d’accompagnement dans la durée.

Pour ceux qui s’occupent de jeunes, d’adolescents, un chantier énorme s’ouvre à nous.

 

Les maladies cardio-vasculaires

Reculent mais le cancer du sein de la femme et celui de la prostate chez l’homme sont en progression préoccupante. Malgré les progrès thérapeutiques ils finissent par emporter les gens qui en sont atteints mais après une longue survie qui est une période de vulnérabilité sur laquelle on peut concentrer des efforts d’accompagnement et des démarches de foi. La perte d’autonomie et d’indépendance est difficile à vivre pour les personnes âgées.

 

Une diminution préoccupante du nombre de médecins

Mais il y a aussi des modifications dans notre système de santé, au point de vue quantitatif, on assiste à une diminution préoccupante du nombre de médecins qui va s’aggraver dans les années à venir. Des professions médicales sont sinistrées, comme les professions à risques de judiciarisation, on recrute de moins en moins d’anesthésistes et de moins en moins d’obstétriciens, la pénurie d’infirmières pose aussi de graves problèmes. La crise permanente de l’assurance maladie qui diminue petit à petit les remboursements, le rôle accru des mutuelles, la Sécurité sociale qui se défausse sur les mutuelles. Pourtant beaucoup de gens ne sont pas mutualisés, en particulier les tranches défavorisées de la population. Cela pose un problème pour elles, il y a la couverture maladie universelle qui a ouvert un chantier d’espoir, qui fonctionne bien dans certains endroits. C’est encore très inégal, mais j’aurais préféré qu’on l’appelle couverture santé universelle, et non pas maladie, et que la prévoyance, la prévision et la prévention soient beaucoup plus présentes dans les actions de cette couverture dite universelle dont sont quand même exclus les plus exclus des exclus, ceux qu’on n’arrive pas à toucher même en décentralisant au maximum les actions de santé.

 

La technologie dans les hôpitaux

Au point de vue qualitatif, la technologie dans les hôpitaux est envahissante au détriment de la relation humaine entre soignants et soignés, les infirmières se plaignent amèrement –et c’est l’une des conséquences de leur pénurie- de ne plus pouvoir parler au patient et cela est tragique. La machine est là, les médecins travaillent sur leurs écrans d’ordinateurs, vous opèrent à partir d’elle. La machine est le passage obligé dans la relation, qu’elle coupe très souvent. Nous pouvons beaucoup réfléchir -et vous pouvez y contribuer en fonction de votre contact avec les personnes en difficulté de santé- à ce que j’appelle Technologie et Humanisme dans le domaine de la santé, par référence au courant du père Lebret Economie et Humanisme qui a été un courant extrêmement important dans la réflexion sur la vie économique. Une réflexion sur Technologie et Humanisme est une nécessité et vous pouvez y contribuer.

 

Epidémies nouvelles

Je ne voudrais pas oublier la santé catastrophique des Tiers mondes, de l’Europe de l’Est plus proche de nous qui est très préoccupante avec les ravages du Sida dans ces deux mondes. Les épidémies nouvelles, en matière de santé, dès qu’on a fini de juguler un fléau, un autre se présente, pensez au SRAS, d’autres sont en préparation. Nous sommes vulnérables malgré notre science et notre progrès.

Un prix Nobel de médecine, Joshua Lederberg disait récemment : « Si une épidémie comparable à la grippe espagnole des années 20 survenait dans le monde d’aujourd’hui alors que nous sommes toujours démunis de thérapeutiques actives contre les virus, les maladies virales, avec la rapidité des transports, des voyages, des contacts dans l’humanité infiniment plus grande aujourd’hui qu’en 1920, on ne sait pas comment on pourrait s’en sortir, ce serait une épidémie extrêmement dévastatrice. »

Je ne veux pas vous gâcher la journée avec des pensées noires, mais il faut savoir que la médecine triomphante c’est comme l’Eglise triomphante, ce n’est pas pour tout de suite.

Je veux lancer à l’avance la discussion sur la pastorale de la santé dans le monde d’aujourd’hui en fonction de ce que j’ai dit de la société et de la santé, parlons de l’aumônerie hospitalière bien qu’elle ne résume pas la pastorale de la santé, il y a d’autres sillons à labourer.

 

L’aumônerie hospitalière

La réflexion sur la guérison que propose Christelle Javary peut renouveler notre approche des personnes que nous accompagnons dans la maladie, dans l’aumônerie hospitalière. Nous avons eu à Nancy à l’ouverture de l’année diocésaine en octobre dernier, trois journées de réflexion sur Laïcité et Eglise. L’un des sous thèmes était laïcité et santé axé sur le rôle de l’aumônerie hospitalière dans le monde d’aujourd’hui. Il y a eu des témoignages extrêmement intéressants, j’en ai retenu la nécessité pour vous qui travaillez en hôpitaux de vous faire accepter, accueillir. Vous n’êtes pas en terrain conquis, vous n’êtes pas chez vous et vous avez à vous faire accueillir, à ne pas vous imposer à l’équipe hospitalière mais à vous faire accepter sinon intégrer.

Vous avez à écouter beaucoup avant de parler et à resituer les gens malades à l’hôpital pour peu de temps maintenant, dans une histoire de vie où cette hospitalisation est un accident, qui ne réduit pas la personne à sa maladie et ne nie pas toute son existence antérieure, sa santé antérieure, ni les possibilités de guérison, même très inattendues, ni la nécessité d’un projet d’avenir, même quand on est gravement malade. Resituer les personnes dans leur histoire, mettre en lumière leur passé, ne pas se concentrer uniquement sur leur présent aide à se projeter dans l’avenir avec ces personnes. Le maître-mot est de se faire accueillir et ne de pas réduire le malade à sa maladie. L’hôpital est une parenthèse dans la vie de la personne malade.

Il y a autre chose. C’est aussi la chance d’une rencontre dont on ne recueille pas forcément les fruits dans l’immédiat, les séjours sont courts, les changements dans une trajectoire de malade prennent du temps mais combien de malades, de non malades, disent combien telle parole que telle personne leur a dite, tel geste fait envers elles ont changé quelque chose dans leur vie. Ne vous polarisez pas sur les apparents échecs de communication avec les personnes que vous visitez, la chance d’une rencontre, cela peut être une vie qui reprend même si vous n’en êtes pas témoin. C’est cela la difficulté de la résilience d’ailleurs, ce qu’on appelle les tuteurs de résilience, ceux qui aident à remettre debout des personnes en grandes difficultés ne savent pas la plupart du temps le rôle qu’ils ont joué. C’est un rôle ingrat, il ne faut pas attendre de retour.

Vous avez aussi à rencontrer les familles, les soignants avec beaucoup de discrétion, dans un climat de confiance. Certaines équipes hospitalières restent hermétiquement fermées à la présence tolérée sans plus des aumôniers et aumônières d’hôpitaux, beaucoup par contre peuvent s’ouvrir progressivement et des relations de confiance peuvent s’établir, mais dans la discrétion. Vous n’êtes en aucun cas les soignants des personnes que vous visitez même si vous prenez soin d’elles mais c’est dans un autre domaine.

Les équipes du diocèse de Nancy insistaient beaucoup sur le relais paroissial possible. Les personnes passent peu de temps à l’hôpital, beaucoup de temps dans leur quartier et dans leur village. Il ne faudrait pas de hiatus entre la période forte de l’accompagnement à l’hôpital et l’absence ou la médiocrité de l’accueil et de l’accompagnement en paroisse.

Ces aumôniers, aumônières nous ont dit que le secret professionnel les lie et que ce n’est pas à eux à faire une démarche vers la paroisse, mais il ne serait pas exclu qu’une paroisse fasse une démarche vers eux quand l’un de ses membres même si ce n’est pas un fidèle paroissien, vient à l’hôpital.

 

LA RESILIENCE

 

C’est un peu la tarte à la crème aujourd’hui, c’est un danger si c’est une mode, car une autre mode viendra la remplacer. Mais ce n’est pas une mode, ce ne sont pas des habits neufs pour de l’ancien, c’est un autre regard, une autre perception, une autre prise en charge dans le bon sens du terme, des personnes en difficulté, en reconnaissant leurs richesses, leur compétence, leur potentiel.

 

Définitions

Voilà quelques définitions à peu près universellement admises de résilience et du processus de résilience. Ceux qui veulent en savoir plus liraient avec grand profit une petite revue qui s’appelle Enfance majuscule, c’est pour les professionnels de l’enfance, dans un article de décembre 2003 intitulé Résilience on trouve des regards croisés de personnes, de professions, de pays différents sur la résilience aujourd’hui. C’est l’accès le plus facile à la résilience sans vulgarisation excessive. 2 place de Bir Hakeim à Boulogne 92000.

La définition a été produite par un petit groupe de travail au sein de la fondation pour l’Enfance qui a beaucoup travaillé sur la maltraitance, et ce sont sur des cas de maltraitance assumée, si l’on peut dire, que l’on a proposé cette définition. « La résilience c’est la capacité d’une personne ou d’un groupe (-les familles)- à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence - d’éléments déstabilisants, de situations extrêmes, comme cataclysmes naturels, les guerres, les camps de concentration, les traumatismes sérieux, graves maladies, deuils, séparations et de conditions de vie difficiles, vie dans la pauvreté, la précarité. »

La résilience qui a été beaucoup étudiée et mise en pratique par le Bureau international catholique de l’Enfance, c’est « résister et se construire. » Le BICE a publié il y a quelques années une plaquette intitulée La résilience, réalisme de l’espérance, et une autre sur Résilience et spiritualité. Une autre est en préparation sur Résilience et humour parce que l’humour est un facteur de résilience.

 

Le processus dans la construction de la résilience

« Un concept scientifique identifie un mécanisme d’adaptation avec quatre caractéristiques essentielles :

- l’identification d’un traumatisme, rupture, déchirure, deuil, déchirure du tissu social, conditions de vie difficiles,

- la mise en place de stratégie de résistance,

- un potentiel de développement préservé, potentiel latent, méconnu, les ressources des personnes sur lesquelles on n’a pas encore mis le doigt,

- la protention à l’épanouissement, une démarche volontariste vers un épanouissement. »

 

Les tuteurs de résilience

Expression créée par Boris Cyrulnick aussi. Même si vous n’êtes pas forcément des tuteurs de résilience pour les personnes que vous aidez, que vous visitez, un certain nombre de qualités des tuteurs de résilience doivent être les qualités des gens qui travaillent dans la pastorale de la santé.

Ils manifestent de l’empathie et de l’affection, l’empathie n’est pas, comme on le dit souvent, se mettre à la place des autres car on ne peut pas se mettre à la place des autres et si on veut le faire, c’est qu’on les déplace et qu’on les nie. L’empathie c’est chercher à comprendre l’autre, à avoir l’intelligence de l’autre, comprendre ce qu’il est, ce qu’il vit dans la situation où il

vit, c’est la première démarche pour l’établissement de la relation.

Ils s’intéressent prioritairement aux côtés positifs de la personne, si on faisait toujours cela avec nos interlocuteurs, que le monde changerait !

Ils sont modestes, patients, et laissent à l’autre la liberté de parler, ils ne se découragent pas face aux échecs apparents, respectent le parcours de résilience ou de non résilience d’autrui, ils facilitent l’estime de soi chez autrui. Beaucoup de personnes en difficultés perdent leur dignité, le sentiment d’utilité sociale, l’estime d’elles-mêmes. Les aider à leur faire retrouver une estime d’elles-mêmes est capital.

Ils facilitent l’altruisme chez les autres, ils associent le lien et la loi, la loi existe aussi pour les personnes hospitalisées qui ont des droits, il faut les connaître.

Ils évitent les gentilles phrases qui font mal. J’insiste car avec nos gros sabots, on croit faire œuvre de charité ou de pitié en disant aux autres : « Ce qui vous arrive n’est pas grave, vous vous en sortirez » même quand on pense le contraire et que notre physionomie dit exactement le contraire des bonnes paroles qu’on est en train de proférer. Les gentilles phrases c’est aussi : « Je sais ce que sais, je suis passé par là. » même quand ce n’est pas vrai car on ne passe pas par chaque histoire humaine singulière, on ne peut pas se mettre à la place des autres, on peut les comprendre, essayer de les comprendre mais pas se comparer à elles et prendre leur place. « Ce n’est rien, vous allez guérir, vous allez vous en sortir. » Ce n’est pas bien sûr le message que vous délivrez aux gens que vous visitez mais que nos paroles soient en coïncidence, en consonance avec ce que nous pensons.

 

La résilience

On affronte un traumatisme sévère, on est dans une situation qui peut paraître désespérée, et quelque chose se passe, on réfléchit, on donne sens à ce qu’on a vécu, on prend un peu de recul par rapport à ce qu’on est en train de vivre, on cherche et on est aidé à chercher nos ressources non mobilisées jusqu’à présent car on n’en avait pas besoin dans le quotidien de la

vie. A partir de ces ressources, on tente de continuer à vivre, à se développer, à avoir des projets dans la vie. C’est extraordinaire de voir combien de grands malades sont capables d’avoir des projets, cela m’a toujours frappé, ils sont irréalistes, utopiques quelquefois car on sait bien, compte tenu de leur état de santé, qu’il y a peu de chance qu’ils puissent les réaliser mais ne leur disons pas, ne leur disons pas non plus qu’ils vont s’en sortir et que cela va aller, écoutons les simplement.

On a étudié la résilience à partir des enfants maltraités qui ne répètent pas à la génération suivante les mauvais traitements dont ils ont été victimes. Là encore la société et les médias jouent des rôles pervers avec ce dogme social « Qui a été battu battra », « Comment les enfants élevés sans amour pourraient-ils en donner ? Un fils d’alcoolique est condamné à le devenir » etc. Nous avons des dogmes déterministes qui enferment les gens dans des pronostics péjoratifs, c’est éthiquement inacceptable, nous n’avons pas le droit d’enfermer les gens dans des cases toutes faites, d’avoir des prophéties à leur propos mais nous avons au contraire le droit de chercher avec eux ce qui peut les aider à rebondir après un traumatisme dans une situation grave et difficile.

Là vous avez un grand rôle à jouer. Je précise qu’on ne s’autoproclame pas tuteur de résilience, je le dis sans arrêt aux professionnels du social qui ont tendance à croire qu’ils sont là pour susciter la résilience chez leurs usagers. On l’est peut-être et on ne le saura sans doute jamais. On doit être des ‘émergeurs’, des promoteurs, des découvreurs des compétences des autres. Toutes les personnes, si démunies paraissent-elles, ont des ressources.

Quand j’ai parlé pour la première fois en France de résilience, beaucoup et pas des moindres m’ont dit que la résilience est un concept Nord-américain. Il est vrai qu’on a commencé à en parler en France il y a une dizaine d’années alors qu’aux Etats-Unis c’est travaillé depuis 40 ans, ils m’ont dit qu’ils préféraient parler de ressources. C’est bien de parler des ressources des gens mais la résilience ce n’est pas seulement d’en parler mais de les mobiliser. C’est rendre les gens conscients de leurs compétences, ce qui augmente l’estime qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes et ce qui les remet dans un chemin, un parcours de progrès.

Je n’aime pas parler non plus de personnes résilientes, personne n’est complètement résilient dans tous les secteurs de son comportement pour toute la durée de sa vie. Des gens qui ont fait un parcours de résilience extraordinaire craquent à un moment donné car le choc final est trop fort ou trop difficile à vivre, cela a été le cas de Primo Lévi. Je suis entré en résilience en partie à cause de lui en lisant dans son livre Si c’est un homme cette phrase extraordinaire, il avait écrit son livre peu de temps après son retour de déportation, « La faculté qu’a l’homme de se creuser un abri, de secréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense même dans les situations les plus désespérées est un phénomène stupéfiant qui demanderait à être étudié de près, il s’agit d’un processus en partie inconscient et passif, en partie conscient. » Tout est dit avec cette phrase extraordinaire de quelqu'un sorti des camps de la mort. Il disait aussi que parmi ses compagnons de captivité les seuls qui avaient peut-être une chance de s’en sortir étaient ceux qui croyaient qu’il y a un après. Ceux qui s’enfermaient dans le présent, enfermés dans leur dignité niée, refoulée, piétinée, qui ne croyaient plus en eux en tant qu’êtres humains, étaient condamnés, il utilise le mot « damnés ».

Relisez Si c’est un homme, cela fait réfléchir, lisez aussi un livre de Jacques Lecomte grand résilient qui s’appelle Guérir de son enfance chez Odile Jacob. Tous ceux qui travaillent avec des enfants et des adolescents le liront avec profit. Cela nous rend confiance en l’enfant qui, même dans des situations très graves comme beaucoup en vivent, ont des potentiels de résistance, de développement. Des jeunes qui ont des ressources, s’ils sont bien accompagnés, discrètement mais fermement, peuvent trouver sens à leur vie.

On n’est pas résilient tout seul, on a besoin d’être aidé, soutenu, accompagné et si possible dans la durée pour éviter les rechutes. Ce qu’on a vécu ne s’oublie pas, les bonnes paroles « Oubliez tout cela, repartez du bon pied », restent des paroles qu’on ne peut pas oublier les souffrances, les traumatismes, mais il ne faut pas que cela empoisonne l’existence. Le corps a été marqué, on a vu après des traumatismes uniquement psychologiques les processus immunitaires affectés, parce que nous sommes corps et psyché, l’organisme n’oublie pas.

Christelle Javary insiste beaucoup, la guérison ne guérit pas tout. La restitution ad integrum comme on disait en médecine n’existe pas, les traumatismes ne s’oublient pas mais on peut en

faire quelque chose de positif.

Une capacité des sujets résilients c’est de savoir déceler, même par des enfants en bas âge, des relations possibles avec des personnes protectrices. C’est assez curieux de voir des enfants qui maltraités dans leur famille savent trouver quelqu'un dans leur entourage proche, souvent un grand-parent -les grands-parents ont un rôle important dans l’existence- un enseignant, un copain plus âgé, un voisin à qui ils se confient et à partir de quoi on peut commencer un travail de réparation. J’ai publié il y a quelques années dans la revue jésuite Etudes un article sur la résilience, ce que j’ai dit là n’a pas tellement vieilli.

 

Résilience et spiritualité

La résilience est omniprésente dans la Bible, je voudrais citer deux prototypes :

- Jacob avec son combat, avec son traumatisme, il en sort avec une hanche déboîtée, et on l’appellera alors le boiteux. Il était simplement le chef d’une tribu en migration, l’ange ou le Seigneur qu’il identifie avec celui qu’il a combattu lui dit : « Désormais on ne t’appellera plus Jacob, tu t’appelleras Israël et tu seras le père d’un grand peuple. » Changement complet de destinée à la suite d’un traumatisme grave -il a été secoué- et d’une certaine révélation, on peut dire aussi que l’ange a été son tuteur de résilience.

- Saul de Tarse le persécuteur de l’Eglise naissante, traumatisé sur le chemin de Damas, on ne sait pas exactement ce qui lui est arrivé mais cela l’a visiblement marqué, il en est sorti aveugle, cela n’a pas duré heureusement, il en a gardé cet ange qui vient le fouetter de temps en temps pour lui éviter le péché d’orgueil. On ne sait pas très bien ce dont il s’agit, certains médecins ont dit qu’à la suite de son traumatisme crânien il était resté épileptique et qu’il faisait des crises de temps en temps, c’est une interprétation un peu osée mais il n’est pas sorti indemne du traumatisme et en a gardé des séquelles, qui ne lui ont pas empoisonné l’existence, il a su rebondir et devenir quelqu'un de fondamentalement autre, l’apôtre des Gentils.  Le livre de O Connors montre bien comment Paul de Tarse a mis de côté la loi, il montre cela en particulier à travers l’épître aux Galates, se séparant d’un courant judaïque de la chrétienté naissante pour créer du nouveau à partir de ce qu’il avait vécu.

Geneviève Anthonioz de Gaulle, qu’on mettra peut-être un jour sur les autels est un exemple extraordinaire de résilience, la résilience a fleuri dans les camps de concentration, on en a de nombreux exemples. Ce qui est bien c’est que les gens en parlent maintenant.

Il y a des résiliences moins brillantes, Dans l’enfer des tournantes, c’est une jeune beur qui a écrit ce livre pour montrer comment elle a réussi après cinq ou dix ans de galère à s’en sortir et à devenir quelqu'un fière d’elle-même, elle est décédée, probablement des suites de son adolescence extrêmement perturbée, peu de temps après être ressuscitée si je puis dire.

La Résurrection est sans doute le plus bel exemple de résilience, je n’ose pas appliquer ce mot au Christ lui-même, ce serait de l’anthropomorphisme. Marie-Madeleine l’ancienne pécheresse est la première à avoir rencontré le Christ ressuscité. Thomas le mécréant fait un chemin extraordinaire après avoir touché les plaies du Christ. Je souhaiterais que des biblistes éminents cherchent et trouvent dans la Bible une littérature sacrée de résilience, cela nous aiderait beaucoup aussi.

 

Nous rencontrons tous la résilience à titre personnel, vous rencontrez à titre de bénévoles, de professionnels, des personnes gravement ou chroniquement handicapées par la vie qui font des parcours d’existence complètement inattendus. J’ai rencontré cela avec des enfants gravement handicapés, avec des familles qui assumaient au-delà de ce qu’on estimait possible la maladie grave ou la mort de leur enfant. L’un des critères de la résilience réussie est l’altruisme, beaucoup de ces personnes qui ont vécu des choses dures et qui s’en sont sorties se mettent au service des autres qui souffrent de ce dont eux-mêmes ont souffert. C’est le projet d’une vie renouvelée de beaucoup d’anciens résilients.

 

Pour la spiritualité, le livre de Monique Hébrard Les nouveaux convertis donne des exemples contemporains de parcours de résilience, pas tous, il y a des histoires proches d’un parcours mystique et je n’oserais pas dire qu’il s’agit là de résilience. Beaucoup de parcours de vie plus modestes sont des métaphores de résilience. Elle insiste aussi beaucoup sur l’accompagnement des familles aux moments cruciaux, au moment de deuil, beaucoup de ces nouveaux convertis ont retrouvé ou découvert l’Eglise à l’occasion d’une célébration de deuil. Je livre cela aussi à votre méditation car certains d’entre vous travaillent dans ces conditions et accompagnent jusqu’à la fin, à l’au-delà. Evitons la lecture de textes tout faits et collons à la richesse de la vie des gens qu’on est en train d’enterrer et d’honorer. Essayons non pas d’en faire un sermon mais à partir de ces histoires de vie essayons de dire aux gens que la réalité est dure, le cercueil est là mais que l’espérance est là aussi pour celui qui est parti et pour ceux qui restent.