` menu

La famille Alliot

Audrey PAUCHET

Les membres de la famille Alliot ont eu une influence importante en Lorraine dans divers domaines, notamment ceux de la médecine et de la politique au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Le musée de notre Faculté de médecine de Nancy abrite les portraits de deux d’entre eux: Pierre et Jean-Baptiste Alliot, tous deux médecins. Cette famille lorraine, implantée dans la Meuse, originaire d’Italie, de Florence a perdu son titre de noblesse en arrivant en France.

 


Voici les principaux membres dont nous allons parler :

 

La famille Alliot et la médecine

 

Pierre Alliot (1610-1685) est un célèbre médecin de Lorraine. Médecin à Bar-le-Duc où il s'est installé après ses études de médecine effectuées à la toute nouvelle Faculté de Pont-à-Mousson. Il est proche de Levrechon, un des enseignants dont il prendra d’ailleurs la suite à la Maison Dieu de Bar-le Duc. Il sera nommé médecin ordinaire du Duc de Lorraine Charles IV et de son neveu, le Prince Ferdinand. Sa réputation s'est forgée grâce à ses recherches sur le traitement du cancer. Il utilise une poudre à base d'arsenic pour essayer de traiter cette maladie. Quand Anne d'Autriche, mère de Louis XIV, est atteinte d'un cancer du sein, Pierre est appelé à la cour du roi de France pour soigner la reine mère. C’était un très grand honneur à l'époque pour un médecin étranger, - la Lorraine ducale n’est pas française - mais cela lui vaudra quelques inimitiés.

 

Marié à Bonne de Mussey, il eut quatre enfants. Notons en passant la répétition des prénoms d’une génération à l’autre, ce qui était habituel dans les familles de cette époque :

 

- Jean-Baptiste (1640-1721 ou 1729 selon les sources) : Egalement médecin,

- Pierre : Abbé de Senones en 1684 (décès 1715),

- Hyacinthe l'ancien (1643-1723) qui sera Abbé de Moyenmoutier en 1676,

- François : conseiller à la chambre des comptes à Bar-le-Duc (décès 1723),

- Jeanne (née vers 1640).

 

On voit se dessiner la triple orientation familiale, médicale, politique et religieuse.

 

                

Pierre Alliot                                            Jean Baptiste Alliot

Faculté de Médecine de Nancy

 

 

Jean Baptiste est donc le fils aîné de Pierre Alliot. Après des études de médecine également à Pont-à-Mousson, il accompagne son père au chevet d'Anne d'Autriche. Il poursuit ensuite le travail de son père sur le cancer. En reconnaissance, il est nommé Médecin de la Bastille par Louis XIV et  Premier médecin à la Cour de Lorraine par le duc Léopold.  En 1698, Léopold redonne à la famille Alliot son titre de noblesse en lui accordant le titre maternel "de Mussey" dont voici ci-dessous le blason. 

 Jean Baptiste développe également l'usage des eaux thermales de Plombières-les-Bains, exploitées depuis 1683. En l'honneur du travail de son père et sur ordre de Louis XIV, un Traité du cancer est publié sous le nom de Jean Baptiste Alliot en 1698.

 A vrai dire, son père avait déjà publié un opuscule sur ce sujet en 1664, opuscule d'ailleurs réédité à la suite du traité de Jean-Baptiste.

 

Ce traité est composé de 3 parties : la première sur la nature du cancer. La seconde est une réponse au traité d’un autre médecin de son temps : Helvétius. Dans la troisième, l’auteur expose le traitement du cancer proposé par son père. Cette œuvre est marquée par une relative modernité quant à la méthodologie employée. L’auteur passe tout d’abord en revue la littérature des « anciens » et des « modernes de son temps ». Il fait appel à ses propres observations et à son esprit de déduction pour appuyer ses arguments. Il tente de réconcilier les partisans d’Hippocrate et de Galien avec les idées de ses confrères contemporains voire des empiriques. En ce qui concerne le contenu de l’œuvre, l’auteur commence par donner sa définition du cancer: « il s’agit d’une tumeur dure et douloureuse ». Il explique que son étiologie serait un « acide corrupteur ». Il évoque des causes internes ou externes, et même l’hérédité. La notion de métastases émerge également comme cause de localisations secondaires. Sur le plan du traitement, aucun n’est curatif au XVIIe siècle. La chirurgie est dangereuse et douloureuse. L’auteur propose de traiter uniquement les cancers qu’il qualifie d’apparents. Il donne à son traitement les propriétés d’absorber les acides causant le cancer. En comparaison avec la chirurgie il estime que son remède est moins douloureux et plus efficace. D’autre part il place le patient au centre du traitement et enjoint les médecins à considérer avec attention le profil psychologique du malade.

 

                         

Armoiries de la Famille de Mussey           Opuscule de Pierre Alliot (p. 1)     Traité du cancer de J.B. Alliot

Faculté de Médecine de Nancy

 

Le Traité du cancer est donc publié sous le nom de Jean-Baptiste Alliot. Cependant il existe un doute sur la véritable identité de l’auteur. L’historien Dom Calmet évoque Dom Hyacinthe le jeune, fils de Jean-Baptiste, moine à la congrégation de Saint Vanne.

 

Jean-Baptiste a été marié à Anne Blondelot et a eu cinq enfants :

 

- Francois Joseph (1668-1744),

- Marie Claude,

- Hyacinthe le jeune (1663-1701) : d'abord prieur de Saint-Mansuy à Toul, il a ensuite dirigé l'abbaye de Moyenmoutier puis de Senones. Nous allons reparler de lui,

- François Faust (v.1665-1700) : docteur en médecine, il est nommé médecin ordinaire du roi en survivance de son père. Il ira exercer en Martinique où il meurt,

- Jean Pierre (1672-1745 : nommé par Léopold maître des cérémonies de SAR le duc Léopold.

 

Les religieux de la famille

 Il existe deux Dom Hyacinthe Alliot. Dom hyacinthe Alliot l’aîné  (1635-1705) est le frère de Jean-Baptiste Alliot. Il est profès à l’abbaye de Saint-Mihiel le 5 mai 1656, puis promu Abbé de Moyenmoutier en 1676. Il est le contemporain de Dom Desgabets qui inventa la transfusion sanguine. Dom Alliot l’aîné y expérimenta sur des animaux. On peut voir à Moyenmoutier les canaux en argent qui servaient à la transfusion. Le célèbre historien Dom Calmet (1672-1757) y fut son élève. Et c’est sur son témoignage que repose essentiellement l’attribution du traité du cancer à un petit fils de Pierre et non à Jean-Baptiste. Ils sont pratiquement contemporains et, comme nous allons le voir, ce petit-fils semble avoir eu les compétences pour rédiger ce texte.

 Dom Hyacinthe Alliot le jeune est né en 1663. Fils de Jean-Baptiste, Il est né peu après la soutenance de thèse de son père. Dom Hyacinthe fait sa profession de foi le 25 juillet 1681 à l’abbaye de Moyenmoutier. Comme son oncle, il entre dans la congrégation de Saint-Vanne qui est très impliquée dans la vie intellectuelle de l’époque. Il s’agit d’une congrégation bénédictine fondée en 1604 par Dom Didier, un moine de Verdun. L’installation de la congrégation à l’Est est stratégique pour combattre le protestantisme en Europe au XVIIe siècle. Elle s’oriente vers les sciences religieuses telles que la théologie, l’exégèse, la controverse, l’apologie. Les novices sont instruits au cours d’un scolasticat suivi à l’université jésuite de Pont-à-Mousson. Puis le novice se consacre à l’étude pendant cinq à sept ans pour parfaire ses acquisitions dans les humanités, la philosophie et la théologie positive. Il développe ainsi des connaissances intellectuelles et des aptitudes à l’expression orale. La congrégation organise des académies monastiques : de jeunes religieux, encadrés par un président, un religieux expérimenté, débattent de sujets divers choisis par le président. Ces débats intellectuels sont nourris par des fonds d’archives et des bibliothèques riches d’ouvrages anciens et récents. Un réseau d’échange se crée avec l’extérieur, permettant la diffusion des idées et des documents. La bibliothèque de Moyenmoutier comptera jusqu’à 8000 livres. Dom Hyacinthe le jeune dirigea l’académie monastique de Moyenmoutier fondée par son oncle Dom Hyacinthe l’aîné. En 1697, l’évêque de Toul l’appelle pour lui confier la charge des conférences ecclésiastiques. Suite à cette charge, Dom Hyacinthe le jeune crée une académie à l’abbaye de Saint-Mansuy de Toul. Il publie des travaux sur l’écriture sainte, les langues anciennes et la médecine. En 1700, il est nommé prieur de l’abbaye de Saint-Mansuy de Toul. Il meurt le 5 février 1701, probablement d’un cancer.

 

La famille Alliot et la politique

 

Jean Pierre Alliot (1672-1745), fils de Jean-Baptiste, n'est pas médecin comme ses aïeuls mais il va orienter les carrières de ses descendants dans le domaine de la politique à la Cour des Ducs de Lorraine. En 1721, il est nommé introducteur des ambassadeurs et grand maître des cérémonies. En 1723, il obtient la fonction de lieutenant de police à Lunéville : il s'occupe de l’approvisionnement, de la voirie, de la sureté publique, de la police des mœurs, de la surveillance des hôtelleries et des auberges et de l'ordre des cérémonies publiques. Il est connu pour la rédaction d’un texte célèbre : "Relation de la pompe funèbre faite à Nancy le 7e jour de juin 1729 aux obsèques du très haut, très puissant et très excellent prince Léopold I du nom, duc de Lorraine et de Bar, roy de Jérusalem" dans lequel il décrit l'enterrement de Léopold et les fastes de la cérémonie. Cette dernière se déroule en trois temps : exposition du corps, messe et enterrement. Ces livres mortuaires sont écrits sur commande. Ils sont rédigés dans un but de propagande afin de montrer la place sociale et politique du défunt. Ils sont ensuite offerts aux proches ou aux ambassadeurs. L'historien Lionnois rapporte ce proverbe lorrain : "le couronnement d'un empereur à Francfort, le sacre d'un roi de France à Reims, et l'enterrement d'un duc de Lorraine à Nancy, sont les trois cérémonies les plus magnifiques qui se voient en Europe".

 

François Antoine Pierre Alliot (1699-1779)

 

Petit-fils de Jean-Baptiste, fils de Jean-Pierre, il hérite de la charge de son père à la Cour de Lunéville sous Léopold, puis François III. Il commence comme aide introducteur des ambassadeurs et maître des cérémonies. En 1742, il devient intendant de Cour. Il est également nommé conseiller aulique (le terme aulique signifie "qui appartient à la Cour") et intendant du roi Stanislas, ce qui lui permet d'assister aux réunions de la cour.

 

François Antoine est alors chargé de veiller aux dépenses de la Cour du duc. Il exerce cette fonction avec zèle et parfois avec excès. Il a ainsi provoqué de nombreuses querelles dont plusieurs avec Voltaire. Cependant, le roi Stanislas est satisfait du travail d'Alliot. Il dit de lui : "un intendant honnête homme est un trésor plus précieux que ne sont tous les trésors qu'on lui confie".

 

Marque de sa réussite sociale, il a été le propriétaire du pavillon Alliot, aujourd’hui situé au numéro 2 de la place Stanislas et correspondant au « Grand Hôtel de la Reine ». Le roi Stanislas lui offrit gratuitement le terrain et fit bâtir à ses frais la façade.  En 1763, Alliot revend son pavillon au Roi qui le lui avait offert. Son sens des affaires est indiscutable. L’hôtel est ensuite utilisé comme école de musique. La légende dit que Marie Antoinette s'y rendit pour écouter des poésies, ce qui inspira le nom actuel de l'hôtel. Après la révolution, l'hôtel accueillit la préfecture avant qu'elle ne soit transférée en 1824 au palais du gouverneur.

 

L'ambition de François Antoine Aillot ne s'arrête pas là. Il vise le titre de Fermier général. La Ferme générale est une compagnie privilégiée chargée de la collecte des impôts indirects. Les Fermiers généraux avancent le produit attendu et se remboursent auprès du contribuable avec des bénéfices.  Cette charge est obtenue par un bail unique qui est valable 6 ans. Le roi Stanislas intervient alors en faveur de son protégé et avance à Alliot la somme de 80 000 livres nécessaires pour entrer dans la compagnie. François Antoine obtient un bail en 1756. Il participe notamment au financement de la publication des fables de La Fontaine.

 

Mais le nom de François Antoine Alliot est connu pour un autre événement qui fit scandale à Lunéville. En 1751, il oblige sa fille Marie-Louise à épouser Charles François Xavier de Pont, jeune conseiller à la Cour. Les époux ne ressentent qu’une profonde aversion l’un pour l’autre et ne consomment pas le mariage. Dix ans plus tard, le chevalier de Pont entreprend un procès pour déclarer la nullité du mariage. Le procès dure deux ans avec de nombreux rebondissements. En effet, Marie-Louise a été la maîtresse officielle de Ferdinand Jérôme de Beauvau, neveu de la marquise de Boufflers, la favorite du roi Stanislas. Elle bénéficiait donc de la protection du duc de Lorraine. Marie-Louise eut avec son amant un enfant durant son mariage, ce qui fit grand scandale.

 

La protection de Stanislas s’étend également aux enfants de son conseiller aulique. Ainsi le duc fait nommer Nicolas Joseph Alliot, abbé commanditaire de l’abbaye de Haute-Seille en 1747. Son autre fils Jean Joseph Alliot, qui est chanoine de Saint-Pierre de Bar, obtient la charge de prévôt dignitaire de l’église primatiale. Enfin Stanislas-Catherine, qui est le filleul du duc, est nommé abbé de l’abbaye de Saint-Benoît-en-Woëvre grâce à son parrain. La famille Alliot a donc largement bénéficié des largesses des Ducs de Lorraine.

 

L’intervention de Pierre Alliot auprès d’Anne d’Autriche

 

Dona Ana Maria Mauricia - Anne d’Autriche - est née le 21 septembre 1601. Elle appartient à la dynastie des Habsbourg. Mariée à Louis XIII, elle est la mère de Louis XIV. Lorsqu’elle est atteinte d’un cancer du sein en 1663, les médecins sont impuissants. Aucun traitement curatif n’existe à cette époque contre le cancer. Louis XIV fait alors appel à tous les médecins qui prétendent avoir un remède pour guérir sa mère. Parmi ceux-ci se trouve Pierre Alliot.

 

 

La santé de la reine semble se détériorer à partir de 1663, date à laquelle elle fait de nombreux malaises inexpliqués. En 1664, elle sent une masse dans son sein gauche mais n’en parle à personne. En octobre, Madame de Motteville rapporte que la reine est prise de faiblesses et de nausées lors d’une visite chez les Carmélites à Vincennes. Elle souffre de douleurs mammaires depuis l’automne, et son entourage remarque son teint cireux et une fatigue importante. Elle consulte alors des médecins qui semblent poser le diagnostic de cancer du sein. Ils proposent en traitement l’application locale d’un onguent à base de ciguë.

 

Louis XIV recommande son propre médecin à sa mère : le docteur Vallot (1594-1671). Ce dernier prescrit à la reine plusieurs saignées, des purges et des onguents à base de ciguë, remèdes qui se révèlent également inefficaces.

 

Le médecin personnel d’Anne d’Autriche est le docteur Seguin (1596-1681) qui ne connaît comme traitement que la saignée. Il est opposé à toute autre thérapeutique et conseille à la reine de s’en remettre aux mains de Claude Gendron, le curé du village de Vauvre, qui soigne les pauvres avec des recettes secrètes. Celui-ci promet à Anne d’Autriche un remède qui doit durcir son cancer comme de la pierre et lui permettre de vivre longtemps. Il s’agit d’un onguent à base de belladone. Au cours du printemps 1665, les douleurs augmentent. Le 27 mai, lors d’une messe, la reine est prise d’un grand frisson. Apparaît ensuite un érysipèle du bras gauche qui s’étend à la moitié du corps, accompagné d’une forte fièvre. Pierre Alliot est alors introduit à la Cour de France en 1665 grâce à la famille Morel qui le protège.

 

C’est donc un très grand honneur pour Pierre Alliot, cet étranger, d’être appelé à soigner Anne d’Autriche. Mais, incontestablement, cette intervention est tardive, et la première réaction de Pierre Alliot est de refuser cet honneur !

 

Le remède de Pierre Alliot

 

Il s’agit d’une poudre à base d’arsenic dont la recette se trouve dans le « Traité du cancer ». En appliquant cette préparation sur le cancer, celle-ci provoque une nécrose des tissus. Cette nécrose est alors éliminée à l’aide d’un rasoir jusqu’à entraîner une escarre. La cicatrisation et la guérison peuvent alors se produire.

 

Pour comprendre le raisonnement de Pierre Alliot, il faut se placer dans le contexte historique du XVIIe siècle. Les théories d’Hippocrate et de Galien sont le socle du savoir du médecin. Les remettre en cause est dangereux et peut mener à l’Inquisition. Aucun traitement curatif du cancer n’existe à l’époque et la chirurgie est dangereuse et douloureuse.  Pierre Alliot pense que le cancer est dû à « un acide corrupteur ». Il donne à son remède les propriétés d’absorber cet acide responsable. Le médecin lorrain prétend avoir guéri plusieurs femmes atteintes d’un cancer du sein. Cependant nous pouvons émettre quelques réserves sur cette affirmation. Probablement ne s’agissait-il pas de cancer au sens actuel du terme. Pour Alliot, la définition du cancer se résumait à « une tumeur dure et douloureuse ». Or nous savons aujourd’hui qu’un cancer n’est pas forcement douloureux. La définition de l’époque pouvait englober d’autres types de tumeurs, notamment bénignes.

 

Les effets du traitement

 

Pierre Alliot est accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par une partie de la Cour mais aussi avec beaucoup de méfiance. Il n’est autorisé à appliquer son traitement que plusieurs mois après son arrivée. La reine est déjà très affaiblie par la maladie. Anne, qui était à Saint-Germain, rentre à l’abbaye du Val-de-Grâce, mais les visites n’y sont pas libres, et Alliot reste éloigné du Louvre. Le roi force alors sa mère à revenir au palais pour recevoir ses soins. Le voyage est pénible et douloureux. Fin août 1665, la reine retrouve assez de force pour débuter le traitement et Pierre applique son remède. En octobre, son état semble s’améliorer mais ce répit est de courte durée. En janvier 1666, la santé d’Anne d’Autriche se dégrade. Elle présente une hyperthermie, l’érysipèle s’étend à l’hémicorps gauche. Pierre Alliot paraît alors très critiqué à la Cour.

 

Face à cette situation désespérée, le roi continue à chercher qui pourrait soulager sa mère. Un nouveau médecin, milanais, dont on ne connaît pas le nom, entre à la Cour. Il va rapidement éclipser Pierre Alliot. La reine, épuisée par la maladie, résignée par les souffrances, s’en remet à la volonté de Dieu et de son fils. Le Milanais applique son remède, de composition également inconnue, le 9 janvier 1666. Un nouvel érysipèle se déclare. La plaie du sein s’aggrave, et il s’en dégage une puanteur insupportable. Les douleurs sont telles que la reine en vient à pleurer en public, elle qui avait toujours voulu garder une dignité sans faille. Mi-janvier, l’érysipèle intéresse tout l’hémicorps gauche. Les bras sont œdématiés, les épaules s’ulcèrent et la reine est prise de plusieurs malaises. Elle décède le 20 janvier 1666 à 5 heures du matin.

 

Les témoignages

 

L’intervention de Pierre Alliot est retracée au travers des écrits de témoins plus ou moins directs : Guy Patin, le doyen de la Faculté de Médecine de Paris, et Madame de Motteville, la favorite d’Anne d’Autriche. 

 

Guy Patin (1601-1672) nous a laissé son témoignage dans une œuvre épistolaire remarquable qui constitue l’intérêt actuel du personnage. Ce médecin, particulièrement conservateur, défend les idées de Galien et conteste toute avancée médicale qui ne va pas dans ce sens. Il n’a jamais été appelé au chevet de la reine, probablement pour avoir critiqué Mazarin durant la Fronde, ce qui intervient vraisemblablement dans son jugement. Il n’est pas favorable à l’intervention d’Alliot, comme d’ailleurs de tout médecin étranger. Il le traite avec mépris et dédain et l’accuse, avec des mots très durs, d’être un charlatan. De plus, Patin est connu pour avoir eu plusieurs différends avec la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson. Nous pouvons citer l’affaire du fœtus mussipontain dont la réalité a toujours été niée par Patin alors que des médecins étrangers sont venus se rendre compte de sa réalité. Ces arguments nous amènent à faire l’hypothèse de la partialité et de la subjectivité de son témoignage. Toutefois, si de nombreuses théories nouvelles voient le jour à cette époque, certains charlatans en profitent pour tenter de se faire un nom ou une fortune. On peut donc comprendre en partie sa position.

 

 Madame de Motteville (1621-1689) est la seule qui encourage la reine à faire confiance à Pierre Alliot. Elle a été la favorite d’Anne d’Autriche et a partagé son intimité, ce qui donne à ses mémoires une dimension très personnelle. Confidente de la reine, son témoignage est donc empreint d’émotion mais il ne se base pas sur des faits scientifiques. Madame de Motteville réagit sur le coup des sentiments : d’abord l’espoir, puis la déception et enfin le rejet du médecin lorrain qui ne parvient pas à sauver Anne d’Autriche. Cependant, le caractère incurable du cancer de la reine ne semble pas être ignoré des médecins, et la principale critique que la favorite émet contre Alliot se rapporte aux douleurs que le traitement entraîne. Le médecin lorrain s’est pourtant vanté d’avoir trouvé une intervention moins cruelle que la cautérisation ou l’ablation mammaire qui, à l’époque, se faisait sans anesthésie et dans des conditions d’hygiène dangereuses.

 

Les critiques dont Pierre Alliot fait l’objet à la Cour de France sont le reflet des conflits qui agitent l’Europe au XVIIe siècle. Les théories de Galien ne suffisent plus à tout expliquer. A l’aube du siècle des Lumières, les médecins aspirent à une démarche plus scientifique. Ils s’opposent aux chirurgiens qui demandent à être reconnus pour leur art. Cet échec de Pierre Alliot sera sans conséquence sur ses relations, et sur celles de son fils, avec le roi de France.

 

 

On trouvera des précisions sur la nature du traitement, une tentative de reconstitution de sa nature chimique et une bibliographie dans la thèse de doctorat en médecine d’Audrey Pauchet : « Pierre et Jean-Baptiste Alliot, médecins des cours de Lorraine et de France au XVIIe siècle ? Traitement du cancer du sein d’Anne d’Autriche », Nancy, 2016.