` sommaire

Psychiatrie et psychologie clinique

 

par M. LAXENAIRE et J-P. KAHN

les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

Le Service de Neuro-Psychiatrie du CHU de Nancy a été créé à la fin de la deuxième guerre mondiale par le Pr. Pierre Kissel. La Psychiatrie y était représentée par des consultations hebdomadaires assurées par le Dr. Hacquart, médecin chef à ce qui était encore alors l’asile de Maréville. Un  Livre Blanc de la Psychiatrie, écrit à l’initiative de Henry Ey et de Charles Brisset, en 1967, accumula les arguments en faveur d’une séparation de la Psychiatrie et de la Neurologie. En 1970, on demanda aux agrégés de Neuro-Psychiatrie d’opter pour l’une ou l’autre discipline. Agrégé de neuropsychiatrie  depuis 1963, Michel Laxenaire opta pour la psychiatrie.  

Dès lors, se posa le problème de la création au sein du CHU d’un service  susceptible de compléter sur le plan universitaire la psychiatrie pratiquée jusque là uniquement au CHS de Laxou, devenu à la même époque  « Centre Psychothérapique de Nancy ». La décision  fut prise en Octobre 1971, à l’initiative du Pr. Herbeuval, alors Président de la Commission Médicale d’Etablissement et de  Mr. Marquet, Directeur de l’Hôpital.

Le nouveau service fut ouvert à l’Hôpital Jeanne d’Arc à Dommartin les Toul, qui avait été rattaché au CHU quelques années auparavant. Le Directeur en était à l’époque Monsieur Proy. Le service commença modestement  sous la forme d’une unité de 17 lits et d’une consultation  destinée à accueillir les demandes venant du CHU mais, pour faciliter l’examen des patients admis en urgence dans le Service de Réanimation, une consultation fut mise en place à l’Hôpital Central  et parallèlement à l’Hôpital de Brabois, qui venait d’ouvrir ses portes.

Un mode de prise en charge des patients, basé sur une psychothérapie individuelle et institutionnelle, fut mis en place dès cette époque. Chaque malade était vu trois fois par semaine en entretien par un psychiatre attaché au service et son cas  discuté par l’ensemble des intervenants une fois par semaine au cours de  réunions de synthèse où étaient confrontés les avis de  tous ceux qui le prenaient en charge sous forme  de techniques particulières, comme la musicothérapie, l’expression corporelle, le dessin,  les jeux de rôle ou la relaxation.  Un psychologue, formé aux techniques de groupe, rassemblait  trois fois par semaine pendant une séance d’une heure et demi des patients pour lesquels avait été portée une indication d’analyse de groupe et de psychodrame. De façon générale, toutes ces techniques étaient décidées au cours des réunions de synthèse, selon des indications précises et le bénéfice qu’en tiraient les patients était régulièrement évalué au cours de ces mêmes réunions. 

La chimiothérapie, si importante en Psychiatrie depuis la découverte de l’action des neuroleptiques par Deniker en 1952 et celle des antidépresseurs dans les années soixante, était utilisée avec discernement et selon leurs indications particulières.

Le « staff » du service comprenait à l’époque, outre le chef de service, un interne de CHU, deux internes issus de l’internat spécialisé en Psychiatrie et trois externes. Deux vacataires à mi-temps venaient également dispenser des soins tous les matins. Les psychothérapies dispensées par les internes et les externes étaient supervisées une fois par semaine par deux psychanalystes attachés au service.

En 1976, le service quitta des locaux devenus trop exigus et déménagea dans cinq unités de 17 lits, créés par la Direction de l’Hôpital à partir de locaux jusqu’alors inoccupés à l’autre extrémité du bâtiment. En plus des malades venus du CHU, la psychiatrie universitaire dut, en effet, à partir de cette époque, prendre en charge les malades du secteur de Toul (6ème secteur de Psychiatrie Générale de Meurthe-et-Moselle : 54G06). Toutefois, une convention fut passée avec le CPN pour la prise en charge des malades en HDT et en HO car les structures ne permettaient pas encore  de les traiter dans un hôpital général comportant à proximité immédiate  des services de médecine et de chirurgie. Le nombre de lits qui avait été prévu par les instances administratives  s’avérant  trop important, une unité de 17 lits  fut supprimée peu après par le Directeur du CHU, Mr. Aubanel.

L’ergothérapie, qui tient une place importante dans le traitement des malades hospitalisés, se déroulait au début dans les locaux du service de rééducation de l’hôpital Jeanne d’Arc. Elle eut dorénavant ses locaux propres à côté du service d’hospitalisation. Les ergothérapeutes, qui étaient deux au départ,  passeront  à trois, chacune déployant ses activités dans un domaine particulier : musique, dessin, relaxation.

Au fil des années le service sera complété par la création en 1988, au centre de la ville de Toul, d’un CMP (Centre Médico-Psychologique) où seront traités, en ambulatoire, certains  patients du secteur. A signaler également que  le service assurait  des consultations régulières  dans les deux prisons faisant partie du secteur : les Centres de Détention d’Ecrouves et de Toul-Ney. Ainsi, la création d’un service de psychiatrie universitaire en 1972 a comblé un vide au sein du CHU et a permis d’améliorer l’enseignement de la discipline pour les étudiants et pour les internes.

A la retraite de Michel Laxenaire en Septembre 1995, c’est le Dr. Jean-Pierre Kahn, son collaborateur depuis 1980 qui, nommé PU-PH, prit en charge la direction du service. Cette nouvelle phase, tout en conservant l’essentiel des principes de fonctionnement du service énoncés ci dessus, fût marquée par de nombreuses inflexions destinées à renforcer la place de la psychiatrie universitaire au sein du dispositif de la Psychiatrie publique en Lorraine : il s’agissait d’assumer et de développer l’ensemble des missions sectorielles du service et d’affirmer sa place au sein des autres spécialités du CHU de Nancy, dans les trois dimensions du soin, de l’enseignement et de la recherche.

 

·          Sur le plan clinique et de l’offre de soins, le service s’organisa pour faire face à l’ensemble de ses missions de secteur en accueillant, dès le début 1996, dans une unité hospitalière  entièrement modernisée et réhabilitée, les patients du secteur 54G06 hospitalisés sous contrainte (HDT, HO) et jusqu’alors prise en charge par le Centre Psychothérapique de Nancy. Il renforça également sensiblement l’offre de soin extra-hospitalière : par le développement des équipes du CMP et du Centre d’Activité Thérapeutique (CATTP) de Toul ; par la mise en place d’une équipe psychiatrique multi-professionnelle (médecins, infirmiers, psychologues), lors de la création de l’Unité de Consultations des Soins Ambulatoires (UCSA) intervenant quotidiennement dans les Centres de Détention de Toul-Ney et d’Ecrouves, en collaboration avec le Centre Hospitalier de Toul ; par la prise en charge, à partir de 1998, des urgences psychiatriques de l’UPATOU du Centre Hospitalier de Toul, 365 jours par an. Le rattachement, en 1998 des cantons d’Haroué et Vézelise au 6ème secteur de psychiatrie générale de Meurthe-et-Moselle accrut fortement la surface et la population dont le service à la charge. Cette modification rend actuellement indispensable la diversification et le renforcement de l’offre de soins extra-hospitalière par l’ouverture, prévue, d’un deuxième Centre Médico Psychologique et d’un Hôpital de jour. Ces deux projets sont en cours de finalisation.

Par ailleurs, en parallèle de sa mission de soins de proximité, (Secteur de Toul et Bassin de l’agglomération nancéienne) le Service de Psychiatrie et Psychologie Clinique affirmait ses missions de recours et d’excellence au sein du CHU dans trois directions principales :

1)        - La prise en charge des syndromes dépressifs et la prévention du suicide : les dépressions résistantes, récurrentes et la maladie maniaco-dépressive (ou maladie bipolaire) pour la prise en charge desquelles la  mise en place de l’électroconvulsivothérapie (ECT) a été décisive. 

2)        - Les pathologies addictives : Outre le renforcement de sa spécialisation dans la prise en charge de l’anorexie mentale et de la boulimie, le service s’est impliqué dans la prise en charge des obésités morbides, en collaboration avec le Service de Médecine orienté vers la Nutrition et les Maladies Métaboliques, ainsi que dans une consultation d’expertise avant indication de gastroplastie.; la mise en place en collaboration avec le service de pneumologie d’une consultation d’aide au sevrage tabagique et l’implication dans les programmes « Hôpital Sans Tabac » et « Faculté Sans Tabac » ; la mise en place fin 2004 en collaboration avec le service de Pneumologie et l’UFATT d’une « Consultation Information Cannabis » et, progressivement dans l’avenir, la prise en charge des autres addictions ;

3)        - Le développement d’une psychiatrie de consultation-liaison : le service est fortement impliqué dans la psycho-oncologie et les greffes d’organes par des interventions cliniques mais aussi la mise en place de groupes de paroles à l’intention des équipes.

Ces évolutions, s’accompagnant d’un accroissement sensible des effectifs du service (1 PU-PH, 3 PH, 2 Assistants Chefs de Clinique, 4 Internes et 4 Psychologues) ont rendu nécessaire le changement de l’intitulé du service et, début 2004, le service de Psychologie Médicale et Psychothérapie devenait le service de Psychiatrie et Psychologie Clinique.

 

·      Sur le plan de l’enseignement et de la recherche, le service est engagé dans de nombreux enseignements dans l’ensemble des cycles des études de médecine ; mais il intervient également dans d’autres composantes de l’Université Nancy I ainsi que dans d’autres établissements, l’ensemble des praticiens du service assurant plus de 400 heures d’enseignement annuel. Sur le plan de la recherche, le service est particulièrement impliqué dans des essais cliniques et thérapeutiques d’antidépresseurs, thymorégulateurs et d’antipsychotiques et dans des études d’épidémiologie clinique de la maladie maniaco-dépressive. Il participe à la constitution, en cours actuellement, d’un réseau de Centres de Référence pour les troubles bipolaires en France.

En ce début d’année 2005, le service de Psychiatrie et Psychologie Clinique se trouve confronté à la stimulante perspective de son déménagement, dans le cadre de la fermeture programmée de l’Hôpital Jeanne d’Arc pour 2007 et son installation dans le nouveau bâtiment des spécialités médicales, à construire sur le plateau des Hôpitaux de Brabois et son intégration dans le « Pôle 1 » des spécialités médicales.

 

REFERENCES (ouvrages parus entre 1975 et 1995 en relation avec le travail du service)

 

LAXENAIRE M : Les processus de changement en psychothérapie de groupe, Masson Edit, Paris, 1975, 174 p.

LAXENAIRE M : La rencontre psychologique du médecin. ESF Edit, Paris, 1980, 166 p

LAXENAIRE M : La nourriture, la société et le médecin. Masson Edit., Paris, 1983,163 p.

GUILLEMOT A, LAXENAIRE M : Anorexie mentale et boulimie. Masson Edit., Paris, 1993, 138 p. 2ème édition 1997.

LAXENAIRE M, KUNTZBURGER F : Les incendiaires. Masson Edit, Paris, 1995, 157 p. Traduit en italien.

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L'urgence psychiatrique à l'hôpital général, 15 ans après

par C. PICHENE, M. LAXENAIRE et A. LARCAN

Le 23 novembre 1987, s'ouvrait à Nancy une des premières unités spécialisées dans la prise en charge des urgences psychiatriques. Ce service est né d'une collaboration entre le CHU et les différents secteurs de psychiatrie adulte du Centre Psychothérapique de Nancy grâce au soutien des Pr. LARCAN et LAXENAIRE et du Dr DEMOGEOT.

Il n'existait alors que deux services d'urgences psychiatriques en France, l'un à Saint Etienne et l'autre à Reims. Nancy était donc en la matière une ville pionnière et l'on y imagine difficilement maintenant le scepticisme de l'époque tant de la part des psychiatres que des urgentistes vis à vis de ce qui allait devenir l'un des dispositifs majeurs dans le domaine de la psychiatrie publique. Pourtant, le dispositif nancéen devait inspirer la circulaire de 1992 relative aux urgences psychiatriques et, depuis 1997, tous les services d'urgences sont dotés d'une consultation psychiatrique.

En pratique, depuis cette date, une équipe psychiatrique médicale et para-médicale est affectée par les secteurs psychiatriques au sein de locaux qui lui sont propres et travaille au SAU en très étroite collaboration avec ce service et avec le SAMU. De 2500 passages en 1987, l'Unité d'Accueil des Urgences Psychiatriques a vu son activité passer à 5000 passages par an en 2003

Cette augmentation vertigineuse est à mettre en parallèle avec le recours à l'urgence en général comme modalité privilégiée d'accès aux soins pour une partie de la population.

Mais qu'est ce qu'une urgence psychiatrique ? Pour notre part, nous partageons l'opinion de J. Vedrinne qui définit l'urgence psychiatrique comme une « pathologie recouvrant toute une série de situations caractérisées par leur allure particulièrement aiguë et dramatique, leurs implications relationnelles constantes, la fréquence d'un recours au passage à l'acte et leur résolution généralement rapide. Ces situations ne sont pas obligatoirement corrélées à un processus psychopathologique défini ». Il s'agit, effectivement, le plus souvent, de situations résultant de l'intrication de facteurs de personnalité et d'événements d'ordre existentiel et l'on peut s'interroger sur l'apparition de cette nouvelle pathologie résultant des transformations du tissu social, de la nouvelle organisation de la famille, des difficultés d'adaptation à des conditions de vie et de travail qui se font de plus en plus complexes, la solitude, l'instabilité des valeurs et des relations sociales. Tout ceci facilite l'apparition d'une souffrance qui se résorbe de moins en moins facilement au sein de la famille et de la communauté et qui s'adresse plus facilement aux professionnels que nous sommes. Elle s'exprime par des symptômes polymorphes et aspécifiques et notamment très souvent par l'agir avec des impulsions suicidaires ou un besoin de faire appel d'une façon explosive qui bouleverse leur entourage. Ces patients demandent de façon massive et n'admettent pas de délai dans la réponse, régressent au niveau du besoin et n'ont pas une demande de soins clairement formulée. Ces crises ont quelque chose de contagieux, l'entourage devenant vite un protagoniste à part égale de l'événement.

Ces situations de crises existentielles à la fois si banales et si lourdes de conséquences sociales et psychopathologiques introduisent un nouveau langage sémiologique et ont invité les psychiatres à réfléchir à de nouveaux dispositifs institutionnels et à une adaptation nécessaire de leur pratique en réponse à cette forme nouvelle d'expression de la souffrance psychique.

Et c'est aux urgences de l'hôpital général, lieu magique et mythique, lieu où l'on soigne, où l'on prend en charge tout et tout de suite que convergent ces patients dont la très grande majorité va rencontrer un psychiatre pour la première fois de leur vie. On imagine bien l'importance de la qualité de ce premier contact non seulement sur les chances d'une évolution favorable de la crise actuelle mais aussi sur toute possibilité de démarche psychothérapique ultérieure et, plus simplement, sur la façon d'envisager d'une manière différente l'abord de leurs difficultés.

La richesse de cette « rencontre » sera beaucoup plus fortement prédictrice des résultats d'un traitement psychothérapique que ne l'est la gravité du trouble psychique d'autant que seuls 20% des patients rencontrés aux urgences seront ultérieurement hospitalisés dans un service de psychiatrie.

La réponse à l'urgence psychiatrique est donc d'abord une introduction aux soins psychiques, une forme de renégociation de la demande ayant pour objectif de focaliser la démarche de soins sur un projet thérapeutique viable. Cette réponse à l'urgence psychiatrique ne peut donc se concevoir efficacement qu'intégrée à une politique globale de la sectorisation psychiatrique, articulée avec la prise en charge tant en amont, au niveau de la prévention en santé mentale, qu'en aval de l'urgence.

Que sera la réponse à l'urgence psychiatrique à l'hôpital général dans les 15 ans à venir ?

La diminution très importante du nombre de lits en psychiatrie durant ces dix dernières années nous oblige à inventer d'autres formes de traitements psychothérapiques. Dans ces situations d'urgence et de crise, une hospitalisation brève (5 à 7 jours) suivie de consultations de post-urgence pendant toute la durée de la crise sous forme intensive, plurimodale, en partenariat avec les médecins traitants et les secteurs de psychiatrie permettront d'éviter une hospitalisation traditionnelle et d'offrir la possibilité d'une évolution favorable pour un grand nombre de patients. C'est l'un des grands enjeux des années à venir. Rendez-vous donc dans 15 ans…