Seize leçons inaugurales
et discours
Professeurs
de Médecine de Nancy
Textes réunis par Bernard Legras
À tous les Maîtres de cette Faculté
de Médecine de Nancy
qui ont contribué à son rayonnement
A
l’Association des chefs de service du CHU de Nancy pour son aide précieuse.
Couverture
De gauche à droite et de haut en bas,
les Professeurs dans l’ordre
chronologique des textes :
Spillmann Ancel Bouin Schmitt
Bernheim Collin Michel Dufour
De Lavergne Watrin Parisot Bodart
Plan
Préface p
9
Introduction p 11
Leçons inaugurales
Spillmann
- 1887 : leçon du cours de clinique médicale p 17
Ancel - 1908 : leçon
d'ouverture du cours d’anatomie p 30
Bouin-1908 : leçon
d'ouverture du cours d’histologie p 49
Schmitt - 1910 : leçon
du cours de clinique médicale p
62
Collin - 1920 : l’histologie et la médecine p 79
Michel - 1922 : à propos de la chirurgie en Lorraine p 99
Dufour - 1924 : l’enseignement de la physique… p 131
De
Lavergne - 1931 : leçon de la chaire de bactériologie p 152
Watrin - 1938 : l’anatomie pathologique moderne… p 159
Gosserez - 1962 : leçon de clinique de stomatologie p 183
Lochard - 1962 : leçon de pathologie
chirurgicale p
210
Sadoul - 1962 : leçon de
physiopathologie respiratoire p
237
Ribon - 1977 : grands et petits chemins de la gynécologie p 258
Autres textes
Bernheim - 1911 : discours (jubilé) p 283
Parisot - 1957 : discours (hommage solennel) p 294
Bodart - 1959 : la désacralisation de la médecine p 304
Eléments biographiques
Ancel : Eloge du Pr. Beau p 320
Bernheim
: Texte du Pr. Louyot p
325
Bodart : Eloge du Pr. Beau p 328
Boin : Eloge du Pr.
Legait p 332
Collin : Eloge du Pr. Grignon p
336
De Lavergne : Eloge du Pr. Kissel p 339
Dufour :
Texte du Pr. Arnould p
346
Gosserez : Eloge du Pr. Beau p
347
Lochard : Eloge du Pr. Borrely p 351
Michel : Eloge du Pr. Spillmann p 354
Parisot : Eloge du Pr. Beau p
357
Ribon : Eloge du Pr.
Schweitzer p
363
Sadoul : Monde contemporain de la Lorraine p 367
Schmitt : Texte du Pr. Louyot p 368
Spillmann :
Eloge du Pr.
Etienne p
371
Watrin : Texte du Pr. Beurey p
373
Annexe
Autres leçons et articles généraux p 375
Préface
Professeur Alain
Gérard
Président de
l’Association des Chefs de Service
du CHU de Nancy
Le Professeur Bernard
Legras a écrit plusieurs ouvrages sur les hôpitaux de Nancy et les Professeurs
de médecine de Nancy. Celui-ci, « Seize
leçons inaugurales et discours (1887-1977) », concerne seize
Professeurs de médecine de Nancy et se compose de trois parties. La première
concerne treize leçons inaugurales de 1887 à 1977, du Professeur Paul Spillmann
au Professeur Marcel Ribon. La deuxième partie concerne trois discours
prononcés à diverses occasions et l’ouvrage se termine par des éléments
biographiques sur les seize Professeurs. L’auteur de cet ouvrage les a
sélectionnés selon ses goûts, tous ont été de grands maîtres de la Faculté de
Médecine de Nancy avec, pour certains un rayonnement international.
La lecture de ces
textes ne peut laisser indifférent en particulier quand on a fait ses études à
la Faculté de Médecine de Nancy et l’autre partie de sa formation dans les
hôpitaux nancéiens.
Avoir entendu parler de
ces Professeurs (pour les plus anciens d’entre eux), les avoir côtoyés,
rencontrés, avoir bénéficié de leur enseignement pour les autres, nous apporte
émotion et fierté. Les leçons inaugurales, véritables leçons d’histoire et de
philosophie, soulèvent bien des réflexions et il faut regretter que cette
coutume ait disparu. Ces textes devraient être lus également par les plus
jeunes, étudiants en médecine et internes, tant ils sont riches d’informations
et suscitent mainte méditation sur notre métier.
L’Association des Chefs
de Service du CHU de Nancy tient certes à féliciter le Professeur Bernard
Legras pour ce nouvel ouvrage sur la médecine à Nancy, mais surtout à le
remercier de permettre à ses lecteurs d’y retrouver tant de souvenirs et
d’émotion. Cette association, dont un des objets statutaires est d’imprimer
et diffuser les publications, éditions, revues ou livres, dont ses membres sont
les auteurs est fière de lui apporter à nouveau son soutien.
Nous terminerons en
invitant le lecteur à méditer cette phrase du Professeur Gaston Michel dans sa
leçon inaugurale :
« Le médecin, le chirurgien, doivent toujours
laisser derrière eux l’apaisement et l’espoir ».
Introduction
« Sachez aimer et respecter l'homme dans le
malade et vous respecterez, vous aimerez votre
science ». Paul Spillmann
L |
e but de cet ouvrage est de sauver d’un
possible oubli des textes anciens de grande qualité publiés pour la plupart
dans la Revue
médicale de Nancy. Il s’agit de
discours prononcés par d’éminents professeurs de la Faculté de Médecine de
Nancy entre 1887 pour le premier (Spillmann) et
1977 pour le dernier (Ribon). L’auteur a
sélectionné selon ses préférences treize leçons inaugurales complétées par
trois discours dont deux prononcés en fin de carrière, à l’occasion d’un jubilé
(Bernheim) ou d’un hommage solennel (Parisot).
Parmi ces seize professeurs (quatre
chirurgiens, cinq médecins, six biologistes, un obstétricien), plusieurs ont
connu des carrières exceptionnelles et sont de véritables gloires pour la
Faculté : Hippolyte Bernheim, Pol Bouin, Paulin de Lavergne, Jacques
Parisot.
Ce travail de mémoire complète différentes
réalisations dont la finalité est voisine : le livre sur les professeurs
de la Faculté de Médecine de Nancy décédés entre 1782 et 2005, l’album de
photos des médecins de cette Faculté entre 1885 et 2005, le document
relatif aux activités hospitalo-universitaires à Nancy de 1975 à 2005, l’ouvrage
sur l’histoire des hôpitaux de Nancy, sans oublier le site Internet relatif à
la médecine hospitalo-universitaire de Nancy de 1872 à 2010.
Les seize textes ont
été complétés par des éléments biographiques portant sur ces auteurs, souvent
l’éloge funèbre. Les textes sont présentés dans l’ordre chronologique,
les biographies dans l’ordre alphabétique. Afin de bien distinguer les
Nancéiens, professeurs ou non, nous avons mis leur nom en majuscule, à la
première apparition dans le texte.
Ces textes de référence présentent le
grand intérêt de nous apporter une vision évolutive
de la médecine, au cours d’une période de près d’un siècle, mais déjà assez
éloignée de l’époque actuelle, trente ans pour le plus récent. Les professeurs
y affirment l’importance de nouvelles disciplines, soit fondamentales :
histologie (Bouin, Collin), bactériologie (de Lavergne), anatomie pathologique
(Watrin), soit cliniques : chirurgie
réparatrice (Gosserez), physio-pathologie respiratoire (Sadoul), soit enfin de
santé publique : médecine sociale (Parisot). On peut noter que
certains développent des positions en avance sur leur temps et comment ne pas
penser, par exemple, à Jean Lochard dont la leçon est d’un modernisme
remarquable pour l’époque.
Ces documents dévoilent
aussi des éléments fort personnels : la haute idée de leur métier que se
faisaient ces Maîtres et le grand respect qu’ils manifestaient pour leurs
devanciers ; leurs parcours avant d’atteindre ce but prestigieux à leur
époque : être professeur titulaire d’une chaire ; leurs positions et
propositions relatives à l’enseignement (et notamment celle de Dufour dont le
texte est consacré presque uniquement à ce problème).
On rencontre également dans ces
écrits, des notions historiques : par exemple, la
chirurgie en Lorraine avant la création de la Faculté en 1872 (Michel) ou la
naissance de l'Ecole anatomique de Nancy
(Collin) ou enfin une histoire de la gynécologie (Ribon).
En guise de conclusion, pour mettre en exergue la qualité d’écriture et de pensée de ces auteurs et pousser le lecteur à parcourir ces textes dans leur totalité, nous proposons un petit florilège de phrases extraites de leurs discours.
Citations choisies
Ancel - 1908 : C'est une des grandes faiblesses de l'homme de vouloir
tout juger sans rien connaître. Son esprit est ainsi fait qu'il sent
l'impérieux besoin d'avoir un avis sur toute chose et ce n'est malheureusement
pas seulement dans les salons qu'on entend solutionner les plus graves
problèmes par des hommes qui possèdent à peine les notions suffisantes pour
leur permettre de formuler une timide hypothèse.
Bernheim - 1911 : Saluons l'ère
scientifique contemporaine, comme l'aurore d'une thérapeutique nouvelle ! Que
les sceptiques ne découragent pas les croyants ! Tant de miracles scientifiques
s'accomplissent de nos jours !
Bodart - 1959 :
On ne peut que rester confondu
devant l'inimaginable crédulité de
l'homme d'aujourd'hui, quels que soient d'ailleurs
son rang social et son niveau
de culture.
Bouin - 1908 : Il ne suffit pas de démonter pièce à pièce et jusque
dans ses plus infimes rouages la machine vivante ; il faut également en
pénétrer le mystérieux mécanisme et chercher à saisir au
sein des cellules les manifestations vitales
élémentaires.
Collin - 1920 : En restant
sur le plan physique pour faire de l'histologie, pour cultiver les sciences
biologiques et pour pratiquer la médecine, nous sommes sûrs, par surcroît,
d'être utiles à nos semblables et de nous acheminer ainsi vers le but supérieur
et le couronnement de la science : connaître pour aimer.
De Lavergne - 1931 : Et c'est alors que, venu que venu de loin, sans attache aucune avec la Lorraine, étranger autant qu'on peut l'être, je suis
arrivé parmi vous... Certes, ce n'est point sans quelque émoi que je fis mes premiers pas dans
cette Faculté lorraine
que le renom de ses maîtres a, de tous temps, auréolée
de prestige.
Dufour - 1924 : A part
quelques très rares exceptions, nos étudiants ne s'intéressent qu'à ce qu'ils
voient et ne retiennent que ce qu'ils ont vu. Les raisonnements abstraits n'ont
pas de prise sur eux quand ils ne sont pas soutenus par des expériences.
Gosserez - 1962 :
Ce recours de plus en plus fréquent à la chirurgie esthétique nous prouve qu'il y a actuellement, dans le monde
travaillé par une crise de civilisation,
et où la spiritualité a souvent cédé devant
le matérialisme, un défaut d'adaptation, une incertitude du lendemain, que chaque individu éprouve plus ou moins douloureusement, mais auxquelles personne n'échappe
complètement.
Lochard - 1962 : Cette pénétration des sciences et des
investigations objectives dans
la Médecine […] tient à son actif
tous les grands progrès qui se sont manifestés,
ou tout au moins elle en a aidé et permis
l'avènement et, dans l’avenir comme par le passé, c'est essentiellement par elle qu’il faut entrevoir l'essentiel des progrès futurs.
Michel - 1922 : Par votre
vie, par vos actes, montrez que vous avez au fond du cœur, autre chose que la
soif de l'or, ou le désir de faire du bruit autour de votre nom.
Parisot - 1957 : Ainsi, à côté
de la médecine dite « de soins » la médecine préventive et sociale constitue
une étape logique dans l'évolution de la Science médicale. La Médecine sociale
[…] a pour programme fondamental la protection et le développement de la
personnalité humaine considérée à la fois comme valeur économique et comme
valeur spirituelle.
Ribon - 1977 : Rester dans le réel et le possible, c'est
suivre le conseil donné il y a deux mille ans par Hérophile, le célèbre anatomiste d'Alexandrie : Par-dessus tout, le médecin devra connaître
les limites de son pouvoir ; car celui-là seul qui sait distinguer le possible
de l'impossible est un médecin parfait.
Sadoul - 1962 :
Il est utile pour trouver des solutions neuves que des groupes de travail rassemblent des hommes venus d'horizons
variés, ayant une formation différente
et si possible complémentaire.
Schmitt - 1910 : Sachez gagner
la confiance des malades, et quand leur mal dure, que leur courage faiblit, que
leur résignation se perd, quand vous-même vous n'espérez plus, apprenez et efforcez-vous,
malgré tout, à relever leur espoir ; ne prononcez jamais une parole qui puisse
les éclairer sur la gravité du mal et montrez-leur que vous luttez jusqu'au bout. Ils sont deux fois à plaindre, car ils sont malades et ils sont malheureux ; et à ce
double titre, ils
ont droit à
toute votre sollicitude, à tout votre
dévouement, à
tous vos respects.
Spillmann - 1887 : Pour étudier
avec succès la médecine, il faut l'aimer et l'aimer avec passion.
Watrin - 1938 : Chez tous, sans distinction, je veux exalter ce besoin de curiosité, qui est la clé la plus sûre de toutes sciences, m'efforçant de vous faire comprendre que l'obtention d'un diplôme ne procure qu'une satisfaction passagère et que le serment d’Hippocrate ne fixe pas définitivement la somme des connaissances à acquérir.
LECONS
INAUGURALES
Paul Spillmann
Leçon
inaugurale : 1887
Clinique médicale
D |
ès le début de mon enseignement dans cette enceinte, je me suis rappelé
avec une profonde émotion, et les maîtres qui ont dirigé mes premiers pas et
les professeurs qui m'ont précédé dans cette chaire. Aux uns et aux autres
j'éprouve le besoin de payer un tribut de filiale reconnaissance ou de
respectueuse affection.
Mes devanciers ne sont pas nombreux. Agrégé en 1834, Schutzenberger
devenait en 1844 Professeur de clinique à la faculté de Strasbourg. Il a formé
plusieurs générations médicales. Il a laissé un volume de leçons cliniques et
de fragments de philosophie médicale où respire toute son âme. Ecrivain et
professeur, il honora l'école de Strasbourg. Il a marqué sa trace dans
l'histoire de la médecine contemporaine. Lorsque, dans un jour de deuil, on
ferma la Faculté, il ne put se résoudre à quitter la cité malheureuse. Retenu
par de douloureux souvenirs, il fonda une Faculté autonome et continua
l'enseignement français. Cet enseignement devait bientôt succomber sous les
attaques des envahisseurs.
La Faculté de Strasbourg fut transférée dans la capitale de la Lorraine.
Alors à Schutzenberger succéda le Professeur Victor PARISOT. Depuis de longues années, il occupait la
chaire de clinique médicale à Nancy. Vous vous rappelez les brillantes qualités
de ce maître aimé : il y a quelques mois à peine, sa parole ardente
retentissait encore dans cet amphithéâtre. Maintenant, devenu maître à mon
tour, j'ai charge d'intelligences ; j'imiterai les exemples que j'ai reçus et
je me dévouerai à mes élèves. Dès les premiers moments, j'ai senti qu'il me
fallait réunir toutes mes forces pour accomplir ma mission. J'ai compté sur le
sentiment du devoir et sur votre cordial concours. Par expérience, je sais
quels liens étroits se forment de jour en jour entre le maître et l'élève ; il
existe entre nous une solidarité qui rendra ma tâche facile ; unis par un
esprit de confiance réciproque, nous marcherons ensemble vers le même but.
Victor Parisot (1811-1895)
Je vais vous exposer ce que j'attends de vous, dire la dignité de la
médecine, et insister sur la méthode de l'enseignement clinique.
Avant tout, vous avez dû comprendre toute l'importance de la mission qui
vous sera confiée. Pour mériter le titre de médecin, il faut être un homme de
sens, de cœur et de bien ; il faut être l'homme de sa profession, compatir à la
souffrance et dévouer toute sa vie au service du prochain. Comprenez toute la
beauté de la science médicale. Dans cette œuvre de dévouement, au milieu de
bien des peines, on goûte une double joie ; d'abord on éprouve une profonde
admiration pour cette merveille de l'organisme humain, puis on soutient une
lutte énergique et souvent victorieuse contre la maladie. Car d'un côté,
suivant le mot d'Hippocrate, l'homme tout entier est une maladie, et d'autre
part chaque individu porte en lui des germes nombreux de mal. D'abord inaperçu,
le mal fait des progrès lents, puis rapides ; devant cette structure vivante et
si belle, minée par la maladie, ravagée de toutes parts et qui succombe sous
ses assauts répétés, le médecin est pris de pitié et de commisération ; il faut
qu'il regarde, découvre, comprenne, qu'il lutte quelquefois avec angoisse ;
mais aussi, s'il parvient au succès, non seulement il a sauvé une vie, mais il
a comme un gage assuré de nouvelles victoires. Quel malheur si, par sa faute,
il laissait mourir ou faisait périr un seul homme ! Sans ce sentiment
d'intelligente admiration et de pitié effective vous manqueriez votre but, et
manquer votre but ce serait faillir à votre devoir, ce serait assumer une
responsabilité terrible.
Pour étudier avec succès la médecine, il
faut l'aimer et l'aimer avec passion ; et comment ne pas l'aimer avec passion quand on comprend toute la beauté
de la science médicale ? Si donc vous n'avez pas de vocation, si vous n'avez
pas l'amour du métier, le sentiment du devoir, de l'abnégation, du sacrifice,
retirez-vous. Ne venez pas échouer à la redoutable épreuve d'un examen. Car
nous vous promettons d'avoir une affectueuse et prévoyante sévérité : tout nous
la commande.
Nous sommes témoins de vos efforts et de vos progrès ; nous sommes juges de
votre mérite et de votre science ; nous serons des témoins sincères et de
justes juges. Pour vous donner le titre de docteur et vous recommander à la
confiance de la société, nous exigerons que vous ayez fait vos preuves et nous
n'assumerons sur nos têtes aucune solidarité avec une ignorance coupable. Nous
ne voulons point, par une excessive indulgence, vous mettre en état de jeter la
désolation dans une famille et mériter ainsi de provoquer contre nous le cri de
la réprobation publique. Ou vous serez dociles et doctes, ou vous ne serez pas
docteurs.
Cette sévérité, nous l'aurons aussi dans votre intérêt. Après les examens
que vous aurez passés devant nous, nous entrevoyons des examens d'une autre nature,
des examens ou, à votre tour, vous serez témoins et juges : un jour, et ce jour
n'est pas si éloigné, un jour, confiante dans le titre de docteur que nous vous
aurons conféré, une famille vous appellera près d'un père, d'une mère, d'un
fils, d'une fille : que cette famille soit riche ou pauvre, elle vous dira :
« Sauvez-lui la vie ; Rendez nous la
joie ; Ayez pitié de nous ». Alors sous le regard d'une famille et de
la société, vous examinerez le malade et votre examen pourra, sous votre
responsabilité, sortir ou la mort ou la vie.
Service du Professeur Paul Spillmann (1895)
2ème rang de gauche à droite :
L. Spillmann, Vaney, Michel, Richon, Hadot
1er rang de gauche à droite :
Etienne, P. Spillmann,
Stroup, Thevenin
Ayez une jeunesse non pas sombre et morose, mais laborieuse et grave ;
soyez des hommes non de plaisir mais d'étude ; recherchez des amis sérieux et
dignes ; lisez assidûment les auteurs qui font autorité, analysez leurs
ouvrages, rapprochez de leurs observations consciencieuses vos propres
observations ; vivez dans le commerce des maîtres qui par leur caractère comme
par leur intelligence ont honoré la médecine. Vous aurez ainsi, tout ensemble,
et une direction sûre et un noble délassement ; vous prendrez des habitudes de
travail que vous ne quitterez plus de toute votre vie ; vous vous approprierez
la science étrangère, et dans cette continuelle acquisition de connaissances,
dans ces perpétuels progrès de votre esprit, vous goûterez une satisfaction
intime qui sera votre première récompense. Souvent quand vous aurez repoussé
les appels du plaisir ou secoué les tentations de la paresse, vous constaterez
un fait, vous recueillerez un témoignage qui projettera de la clarté sur la
situation d'un malade, et vous mériterez, vous pourrez obtenir d'arracher plus
d'une victime à la mort.
C'est de la clinique que vous attendez toute votre initiation pratique à la médecine. Vous cherchez presque tous à devenir, non pas des savants, mais des praticiens. Quelle est la meilleure voie pour arriver au but.
Pendant votre première année d'études, vous n'entrez pas encore à
l'hôpital, et je le regrette. Excellents cliniciens, nos pères commençaient par
les services hospitaliers. Pour vous, la première année est presque perdue ;
vous complétez alors les connaissances exigées pour le baccalauréat ès sciences
restreint. On pourrait supprimer ce dernier examen et votre première année de
médecine suffirait pour donner une base scientifique à vos études médicales.
Vous gagneriez ainsi du temps, et c'est beaucoup dans la vie, surtout avec les
exigences de plus en plus absorbantes du service militaire.
Mais si l'on vous a habitués dans les laboratoires de physique et de chimie
à la manipulation des instruments et des réactifs, si vous en avez entrevu
l'utilité pour le diagnostic, vous retrouverez à la clinique la véritable
application des connaissances acquises pendant les premières années d'étude.
Aussi est-il désirable que les parties de la chimie et de la physique
applicables à la biologie vous soient enseignées en temps opportun.
Voyez, en effet, ce qui se passe aujourd'hui. Incomplètement préparés aux
études chimiques par le baccalauréat ès sciences restreint, vous suivez dès la
première année de vos études médicales un cours de chimie biologique. Le
professeur vous fait des leçons importantes sur l'analyse des urines, sur
celles des tissus, des liquides normaux ou pathologiques. On vous parle
d'albuminurie, de glycosurie, de peptonurie, de phosphaturie, on vous enseigne
la recherche et le dosage de l'urée, des alcaloïdes toxiques, etc. et vous
n'avez encore aucune notion de pathologie, vous n'avez vu aucun malade ! Ne
pouvant saisir, ni la portée pratique, ni la portée clinique de cet
enseignement, vous amassez dans votre esprit des notions confuses qu'il vous sera difficile de garder.
De là une conséquence déplorable. Arrivés en troisième et en quatrième
année, vous avez en partie oublié les notions utiles qui pourraient éclairer le
diagnostic, et bien peu d'entre vous seraient à même de faire une analyse
chimique.
Service du Professeur Paul Spillmann (1897)
3ème rang de gauche à droite :
Laurent, Zuber, Hoummel, Fruhinsholz, Bichat, Girard,
Perrin, Jeandelize
2ème rang de gauche à droite :
L. Spillmann, Etienne, P. Spillmann, Demange, Grosmann
1er rang de gauche à droite :
Job, Rueff
Pour la physique, il y a les mêmes inconvénients. Vous connaissez la
structure d'une pile, d'un appareil faradique. Mais s'agit-il de manier un
appareil à courant continu ou à courant induit, et surtout d'en faire
l'application au lit du malade, vous êtes bien en peine. J'en dirai tout autant
des appareils enregistreurs et de ceux qui sont destinés à l'examen de l'œil ou
du larynx.
La réforme dont je vous parle avait été mise en pratique par le regretté
Professeur Lasègue. A la clinique de la Pitié, c'était par des agrégés qu'il
faisait faire des conférences de physique, de chimie, d'histologie pathologique
; à la théorie il joignait ainsi la pratique.
Les laboratoires rendent de grands services. Mais l'art de reconnaître et
de traiter les maladies ne s'apprend ni dans les leçons théoriques, ni dans les
laboratoires de chimie ou d'anatomie. Pour le médecin, le vrai laboratoire,
c'est l'hôpital ; c'est là que vous devez passer vos journées. Rappelez-vous
qu'en dehors des récréations nécessaires, votre temps c'est le temps des
malades.
La médecine est d'abord une science d'observation. Or pour former, pour
accroître l'esprit d'observation, il faut une pratique journalière et cette
pratique vous la trouvez à l'hôpital. Là vous avez, réunies, soit dans une
seule salle, soit dans des salles voisines, toutes les maladies qui affligent
le corps humain avec leurs variétés innombrables et leurs douloureuses
complexités ; là vous pouvez en même temps étudier une maladie dans ses
différentes phases ; vous rapprochez, vous comparez. Quand on voit la douleur
sous tant de formes, l'âme s'ouvre à la pitié, au respect, parfois à
l'admiration.
Dans les laboratoires de physique et de chimie, dans les amphithéâtres
d'anatomie ou de physiologie, le sujet d'expérience est tout passif. En entrant
à l'hôpital, pensez-y souvent, ce ne sont pas seulement des sujets ou des
maladies que vous avez à étudier, ce sont des hommes malades, d'autant plus
intéressants qu'ils n'ont pas autour d'eux une famille pour calmer leurs
appréhensions et pour adoucir leurs souffrances. Examinez donc vos malades avec
douceur et ne prononcez pas devant eux un mot qui puisse les blesser ou
aggraver leur peine. Combien de ces pauvres ont contracté dans un rude labeur,
dans un continuel dévouement, dans des privations méritoires, le germe de leur
maladie ; combien supportent avec une silencieuse patience des souffrances qui
les conduiront à la mort, ou combien attendent avec une généreuse ardeur le
moment de reprendre leur travail ! Ayez de la compassion pour leur douleur ;
parfois donnez-leur une parole de consolation voilà un noble ministère !
Sachez aimer et respecter l'homme dans le malade et vous respecterez, vous
aimerez votre science.
L'hôpital, toujours l'hôpital ! Il y a là des trésors, mais ces trésors
pour les découvrir, il faut un travail continu, persévérant. C'est aux esprits
vaillants, c'est aux cœurs dévoués, que la médecine découvre ses secrets !
Qu'un travail facile, apparent et trompeur ne vous prépare pas de tardifs
regrets. Observez vous-même ! faites une large part à
l'investigation personnelle ; apprenez non dans les manuels et de mémoire, mais
par le cœur et auprès du malade. Ayez une patience à toute épreuve. Il vous
faut un long apprentissage commencé dès le début des études médicales,
poursuivi dans les hôpitaux, au lit de la misère et de la souffrance, il faut
le sentiment d'un devoir, d'une mission sacrée à remplir, pour devenir un
médecin et un observateur habile. Voilà votre devoir ; voici maintenant mon
programme.
Votre but est d'observer des malades pour vous instruire, et il est
nécessaire que vous les observiez vous-mêmes, afin de suivre les modifications
de la maladie. Je tiens à ce que vous examiniez les entrants à tour de rôle,
devant tous vos camarades, en présence du maître et suivant une méthode bien
déterminée.
Pour que l'étude de la clinique soit profitable, il faut que vous agissiez
comme pour votre propre compte et sous votre responsabilité personnelle ; il
faut que, vrais praticiens, vous portiez un diagnostic et que vous posiez les
indications d'un traitement. Le malade une fois examiné, pensez-y bien, lisez
ce qui peut vous éclairer sur sa maladie ; s'il est gravement malade, allez le
revoir à la visite du soir, restez dans un commerce continuel avec lui, suivant
jour par jour la marche de la maladie, l'action du traitement : c'est à cette
condition que vous vous familiariserez avec toutes les méthodes de diagnostic
et de thérapeutique dont plus tard vous pourrez avoir besoin.
Assistez également aux consultations de l'hôpital. Là encore vous verrez
passer sous vos yeux de nombreux malades, enfants, adultes, vieillards,
indigents, pauvres honteux, étrangers ; tout ce monde vient demander un conseil
et présente souvent des maladies aiguës ou chroniques que vous ne retrouverez
pas dans les salles.
L'interrogatoire d'un malade est une œuvre difficile, délicate. Suivant que
vous vous en acquitterez bien ou mal, votre appréciation de la maladie sera
juste ou fausse. Et vous comprenez toutes les conséquences !
Or pour interroger avec ordre et saisir un diagnostic, une pratique assidue
et une bonne méthode lèveront toutes les difficultés.
Bien que les malades changent chaque jour, et que les cas les plus variés,
les plus complexes, se présentent à vous, nous ne pouvons, en quelques mois,
faire passer devant vos yeux tous les types pathologiques, même les plus importants.
C'est par la méthode seule, que vous observerez avec sagacité et pourrez juger
et traiter même les cas nouveaux que, sans conseils, vous aurez le devoir
d'étudier.
Vous voyez employées à l'hôpital deux méthodes d'interrogation.
La première, que j'appellerai expéditive est appliquée à la consultation.
Là on ne peut donner à chaque malade qu'un temps assez court. Il faut, par un
coup d'œil rapide, et à la suite d'une interrogation sommaire, poser un
diagnostic. Basé sur quelques signes frappants, tels que l'œdème des membres
inférieurs, un état cachectique, de la dyspnée, ce diagnostic ne dispense pas
de reprendre ensuite l'histoire du malade et recourir au second procédé
d'interrogation, au procédé méthodique.
L'examen d'un malade varie suivant les professeurs et suivant les sujets.
Chacun, dans sa pratique, se fait un procédé pour atteindre son but. Mais en
clinique, où chacun doit pouvoir suivre et comprendre ce qui se fait, il faut
bien adopter une méthode unique. Cette méthode, j'y insiste chaque jour au lit
du malade.
La première question en s'informant des souffrances actuelles doit être :
où avez-vous mal ? où souffrez vous ? montrez l'endroit malade. Depuis quand souffrez vous ? Vous
pourrez ainsi commencer votre examen par l'étude de l'organe ou de la fonction
troublée.
Procédez toujours avec ordre : que rien ne soit livré au hasard. Sachez que
l'interrogation des malades est un des points les plus difficiles, les plus
délicats de la clinique. Choisissez un schéma que vous pourrez chacun développer
selon les occasions.
Préparez vous plusieurs schémas : l'un pour l'examen des malades atteints
de maladies générales ou de fièvre, les autres pour les maladies de l'appareil
respiratoire, circulatoire, digestif, pour les maladies du système nerveux. Suivez
ces schémas avec conscience et par conscience, et vous arriverez, à cette
condition, à prendre vos observations justes et vous poserez un diagnostic
exact d'où vous pourrez déduire et le pronostic et le traitement.
Vos camarades qui auront suivi pas à pas l'examen fait par vous, donneront
à leur tour leur avis.
J'aurai ainsi l'occasion de signaler l'erreur ou l'exactitude des
appréciations, jusqu'à ce qu'on soit arrivé à une conclusion sûre. Vous
acquerrez ainsi beaucoup de connaissances pratiques. Enfin, quand l'issue de la
maladie est la mort, une partie importante de l'enseignement clinique c'est
l'inspection du cadavre. Vous savez combien les lésions constatées servent à
l'appréciation du diagnostic et du traitement.
Paul Spillmann
Combien ces investigations anatomiques ne vous seront-elles pas plus utiles
que si vous examiniez des organes malades dans un laboratoire sans avoir vu le
sujet ! Nous vous tiendrons au courant de toutes les recherches, de toutes les
découvertes nouvelles ; on donnera un soin tout particulier aux analyses
chimiques ; avec son dévouement habituel, mon chef de clinique, le Docteur HAUSHALTER, vous initiera à tous les progrès de la
bactériologie.
Que de perspectives nouvelles, que de secrets jusqu'alors cachés, les
découvertes de Pasteur ne nous laissent-elles pas entrevoir ! La bactériologie
sert tout ensemble et la pathogénie et la thérapeutique. Nous connaissons les
bactéries pathogènes du charbon, de la tuberculose, du choléra, de la rage,
etc. s'il en est qui nous tiennent encore en échec, combien d'autres que nous
savons déjà combattre ! L'antisepsie n'a-t-elle pas produit une véritable
révolution en chirurgie et en obstétrique ? Aussi le médecin, souvent découragé
par son impuissance, a repris la lutte avec ardeur ; sans pouvoir encore
vaincre comme les chirurgiens, nous avons, nous aussi, l'espoir d'obtenir des
succès. La découverte des virus atténués n'est elle pas, en effet, une des
merveilles de la médecine contemporaine ? En présence de ces grands travaux ne
devons nous pas travailler de toutes nos forces, sinon pour les étendre, du
moins pour les appliquer !
Vous citerai-je le bacille de la tuberculose, dont la recherche est si bien
entrée dans l'usage, que la plupart des médecins instruits se servent de ce
moyen pour éclairer le diagnostic. Il en sera peut-être bientôt de même pour
d'autres bactéries.
Tel sera, Messieurs, mon système d'enseignement. Les mardis et les samedis,
nous ferons à l'amphithéâtre une leçon relative aux faits et aux cas spéciaux
observés dans nos salles. Nous insisterons sur les difficultés de diagnostic et
de traitement qui se sont présentées, nous discuterons
les doctrines pathologiques et nous ne manquerons jamais de vous présenter les
pièces anatomiques des sujets qui auront succombé dans le service. Les jeudis,
nous ferons une leçon au lit du malade, en interrogeant les entrants ; enfin
les autres jours de la semaine nous visiterons ensemble tous les malades de nos
salles.
Cette méthode est bien préférable à celle des universités allemandes.
En Allemagne, l'élève n'a pas le droit d'entrer dans les salles : il voit
chaque jour une seule fois un malade nouveau, et ce malade, il ne peut le
suivre ; s'il le revoit c'est à l'amphithéâtre, quand la maladie s'est finie
par la mort. Il ne peut ainsi connaître, ni la marche de la maladie, ni l'effet
des traitements. Telle ne doit pas être la clinique !
Les leçons, les interrogations du maître doivent vous servir de modèle pour
vos études. Soyez non pas des spectateurs oisifs, mais d'actifs coopérateurs.
On n'apprend pas la musique ou la sculpture dans des concerts ou des musées.
Fixez votre attention sur un nombre restreint de malades. Constatez sous forme
de note la conséquence de vos observations journalières. Ecrivez l'histoire de
chaque malade ; regardez chaque malade comme votre client. Intéressez vous au
progrès de sa guérison ; votre sollicitude soutiendra votre attention et le
cœur vous donnera de l'esprit. Puis aux heures solitaires du soir, réunissez
vos souvenirs, parcourez vos notes, vos observations de la journée ; voyez ce
que disent les auteurs, écoutez ce que le professeur n'a pas dit. La lecture
est le complément nécessaire des études cliniques. Repassez ainsi vos notions
d'anatomie, de physiologie, de pathologie et de thérapeutique. Vous utiliserez
ainsi tous ces matériaux et vous développerez sûrement votre intelligence
scientifique.C'est la condition pour devenir de vrais praticiens !
Paul Spillmann
Et maintenant, Messieurs, un dernier conseil. Le domaine de la médecine est
bien étendu, bien riche. Vous connaissez tous les trésors de la science et
d'expérience dont vous pouvez disposer et où vous pouvez puiser à pleines mains
: livres, laboratoires, hôpital, tout est en harmonie avec notre haute et noble
mission.
Pensez à vous acquitter de bien des devoirs. Vous-même, vous qui aspirez à
un si noble service, gardez inviolable le sentiment de votre dignité : de vos
jours faites des journées. Pendant que vous le pouvez, employez les moyens qui
sont mis à votre disposition. Ces moyens, la plupart d'entre vous les auront
seulement quelques mois, quelques années : qu'ils ne l'oublient pas : plus tard
ils seront isolés ! Messieurs, ne vous exposez pas à avoir un jour conscience
de votre propre insuffisance. Pensez à la responsabilité qui pèsera sur vous.
Prévenez les regrets navrants, les remords terribles qui vous tourmenteront
sans cesse, si, par votre faute, vous étiez au-dessous de votre tâche, si
appelés pour sauver un malade, vous aviez le malheur de le tuer. Ne perdez pas
votre temps en futiles plaisirs ; il y a des plaisirs qui vous prépareraient
des crimes.
Je comprends quelle tâche m'est confiée et rien ne me coûtera pour guider
vos premiers pas dans votre carrière. Ma ferme volonté, mon vœu le plus ardent,
est de faire de vous des hommes généreux, prodiguant tous les soins de votre
art aux malades. Je serai heureux de remplir ainsi la haute mission que la
Faculté m'a fait l'honneur de me confier, et je serai, Messieurs à votre
service, pour qu'un jour vous soyez au service de la société !