TREHEUX Augusta

 

1923-2014

 

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Fiche sur Wikipedia

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ELOGE FUNEBRE

A l'issue d'un long combat qu'elle a mené avec courage contre la résurgence d'une affection qui l'avait frappée une quinzaine d'années auparavant, Madame le Professeur Augusta-Emilie Tréheux nous a quittés le 10 novembre 2014 à l'âge de 91 ans, dans sa maison du Haut de Chèvre, entourée de l'affection des siens.

Durant presque quatre décennies, elle a, aux yeux de Toutes et de Tous, incarné la radiologie nancéienne hospitalière et universitaire. Ayant eu le privilège de travailler à ses côtés d' abord à l'Hôpital central comme interne puis plus tard à Brabois pendant 14 ans, je voudrais en évoquant sa carrière et les grands traits de sa personnalité, témoigner, au nom de ses très nombreux élèves, de notre admiration pour ce qu'elle a été et de notre reconnaissance pour tout ce qu'elle nous a apporté.

Augusta Beauchot a 17 ans en juin 40 ; elle vit à Paris et, comme pour beaucoup de jeunes de cette époque, sa vie sociale et scolaire va être bouleversée par la guerre. Envoyée en province à Vendôme pour des raisons médicales elle y fait la connaissance puis épouse en 1942, un Professeur de Lettres classiques de son lycée, Jacques Tréheux, normalien, brillant helléniste, très investi dans les travaux de l'Ecole Française d'Athènes, en particulier dans les fouilles sur l'ile sacrée grecque de Délos. Elle l'accompagnera fréquemment dans ses voyages et ses séjours et nous a souvent raconté les terribles tempêtes de la Mer Egée qu'ils devaient affronter dans des conditions précaires, sur les caïques de pécheurs reliant les Cyclades à la terre ferme ; elle émaillait volontiers ses présentations radiologiques des photographies des célèbres colonnes de marbre phalliques du temple de Dionysos, entre autres. Après l'année de PCB à Paris en 1942, Elle prend sa première inscription en médecine à Paris en 1943.Son fils Michel naîtra en 1947 et elle terminera ses études médicales en 1949 à Nancy où son mari poursuit sa carrière universitaire

A l'issue de son cursus de médecine générale, elle débute la spécialité d'électroradiologie, nouvellement créée, dans le service central de radiologie dirigé par le docteur Marcel Antoine, au côté des Docteurs Chatelain, Creusot, Malraison, Stehlin. Très vite elle complète cette formation locale par de multiples stages, en particulier de radiothérapie dans les grands services parisiens et par un séjour de quatre mois à Uppsala, dans le service du professeur Knuttson qui, à l'époque, était une référence mondiale de la spécialité. Elle y perfectionne ses connaissances et sa pratique de la sialographie qui sera l'objet de sa première monographie publiée en 1952. Elle est reçue au CES de radiologie en 1954 et passe dès l'année suivante le concours d'assistant des hôpitaux qui lui permet d'accéder à ces fonctions dans le service de radiologie de l'hôpital central. Elle développe alors une importante activité dans le domaine de la radiologie O.R.L. et dentaire ainsi qu'en chirurgie maxillo-faciale ou elle met au point l'incidence " racine-base" de la pyramide nasale qui devient vite un standard de la radiologie des traumatismes de la face, sous le nom d'"incidence de Gosserez-Tréheux".

1962 marque un pas majeur dans sa carrière. Les hôpitaux de Nancy décident en effet de l'ouverture d'un concours pour le recrutement d'un radiologiste des hôpitaux afin de procurer un adjoint au docteur Marcel Antoine. Ce concours fait l'objet de convoitises en particulier pour un candidat privilégié, soutenu par le clan médical hospitalier dominant de l'époque, ancien major d'internat, mais qui a surtout travaillé dans le domaine de la médecine nucléaire. Par sa très brillante prestation aux épreuves pratiques et en dépit d'une misogynie déclarée d'une partie du corps professoral, Mme le Docteur Tréheux est reçue première au concours et nommée dans le poste de radiologiste des hôpitaux. À ce sujet, elle nous rappellera souvent l'inénarrable prophétie d'un des plus célèbres professeurs de notre faculté qui déclara "ils ont réussi à faire nommer une femme eh bien vous verrez, ils en nommeront d'autres !…" On reste confondu devant une telle perspicacité et une telle clairvoyance. L'année suivante, la création des CHU par la Loi Debré, avec la bi- appartenance et le temps plein hospitalo-universitaire permet l'intégration des radiologistes des hôpitaux qui le souhaitent comme Maîtres de conférences agrégés à la Faculté; les Docteurs Marcel Antoine et Augusta Tréheux choisissent cette voie du temps-plein hospitalo-universitaire.

Mme le Professeur Agrégé Tréheux succède au Professeur agrégé Antoine en 1967 et dirige le service de radiologie centrale jusqu'en 1977. Elle en développe les différents secteurs d'activité, en particulier celui de l'angiographie dans lequel excelle le docteur Jacques Fays, bourreau de travail, perfectionniste et impétueux dont elle réussit à merveille à canaliser l'hyperactivité par son sens aigu de la diplomatie. À l'autre extrémité du service et dans un style tout autre mais non moins exigeant, le docteur Marie-Claude Bretagne de Kersauson assure avec compétence le domaine radiopédiatrique. Plus à distance, le professeur Tréheux soutien efficacement le combat quotidien que mène le docteur Luc Picard pour acquérir son indépendance matérielle et développer la neuroradiologie diagnostique et interventionnelle qu'il amènera au pinacle de la spécialité. Plus tard, le professeur Tréheux fournira un poste de chef de clinique à la radiothérapie ce qui permettra à la faculté d'avoir son premier professeur des universités dans cette discipline, en la personne de Pierre Bey. Très clairvoyante, Mme Tréheux crée dès 1966 l'école de manipulateurs du CHU qui deviendra très rapidement une référence nationale de sérieux et de qualité.

Les promotions de Mme Tréheux au titre de professeur sans chaire en 1975 puis de professeur titulaire en 1977 confirment la notoriété régionale et nationale qu'elle a su acquérir et son choix de la dénomination de "Chaire de radiologie clinique" témoigne de son attachement à ce que les radiologues restent avant tout de bons médecins.

Pendant les 14 années durant lesquelles elle a occupé les fonctions de chef du service de radiologie adultes du CHU Nancy Brabois, Mme Tréheux aura eu la lourde charge de conduire la mutation rapide et exigeante de la radiologie, de l'imagerie par projection à l'imagerie en coupes, tout en favorisant le développement de la radiologie interventionnelle. Les talents diplomatiques et les remarquables qualités relationnelles dont elle a su faire preuve , tant à l'égard de ses collègues que vis à vis des responsables de l'administration hospitalière lui ont permis d'équiper son service de matériels très performants et innovants sur le plan technique, en échographie , en scanner puis en I.R.M. permettant ainsi aux médecins de faire connaître et apprécier ce service dans la communauté radiologique francophone.

Bien sûr, comme l'a dit Joseph Ratzinger, le Pape Benoit XVI, à la fin de son Pontificat "à côté des moments de joie et de lumière, il a fallu faire face aux eaux agitées et aux vents contraires" mais Mme Tréheux m'a toujours apporté son soutien inconditionnel et je suis très fier de la confiance qu'elle m'a manifestée en faisant tout pour que je lui succède à la tête de son service sans qu'il soit morcelé.

Mme Tréheux a été la première femme nommée professeur dans cette Faculté et a également été le premier chef de service féminin à l'Hôpital. A ce titre, elle a dû plus que d'autres affronter les résistances et les doutes de l'époque en montrant qu'il était tout à fait possible de concilier une vie professionnelle très active dans une discipline très technique avec une vie familiale et sociale totalement équilibrée. Elle a tout au long de sa carrière agit en prosélyte pour encourager les jeunes femmes médecin à défendre leur droit à des perspectives de vie professionnelle identiques à celles de leurs collègues masculins. Elle a, à ce titre, présidé pendant 2 années la section régionale de l'association française des femmes-médecins.

Son sens de l'humain, son souci constant de s'informer de la vie familiale de l'ensemble des membres du personnel, d'apporter son aide et son soutien lorsque le besoin s'en faisait sentir, restent à nos yeux un modèle de direction bienveillante, à la fois rigoureuse et tolérante, si délicate à réussir, en particulier dans le secteur public.

Je voudrais pour terminer adresser notre profonde sympathie attristée à la famille et aux proches de Mme le professeur Tréheux, Mais je voudrais surtout redire à sa fille Hélène, à ses petits-enfants et à ses arrière-petits-enfants combien ils peuvent être fiers de leur Mère, GrandMère et Arrière GrandMère, de ce qu'elle a été, dans son métier de radiologue et d'enseignante de la radiologie, de ce qu'elle a représenté pour faire évoluer sans les travestir les idées sur la condition féminine dans le milieu médical, du courage dont elle a fait preuve dans l'adversité en particulier du très grand dévouement avec lequel elle a accompagné son Mari dans sa lutte contre une longue maladie invalidante, puis plus tard , lorsque des accidents de santé liés à l'âge ont limité sa soif de vivre d'avoir su ne jamais abandonner son sens de l'humour ni son sourire bienveillant .

Notre Faculté peut s'enorgueillir d'avoir compté dans ses rangs Mme le Professeur Tréheux ; ses collègues comme ses anciens étudiants peuvent être fiers d'Elle, pour ce qu'elle a été, pour ce qu'elle a donné.

Professeur D. REGENT