VERMELIN Henri

1891-1968

` sommaire

Autres photos : cliquez ici

ELOGE FUNEBRE

Je ne pensais pas, il y a sept ans, lorsque je succédai au Professeur Henri Vermelin, que j'aurais au dernier jour de mon petit septénaire le douloureux devoir de prononcer son éloge funèbre. Il était à cette époque si robuste, si plein de vie. Tout laissait supposer qu'il jouirait comme notre commun Maître, le Professeur Fruhinsholz, d'une longue et heureuse retraite. Or chacun put constater peu de temps après son départ de la Maternité un net affaissement de ce dynamisme qui le caractérisait, et lorsque quelques mois plus tard devait avoir lieu la remise du médaillon destiné à être apposé à la Maternité, le Professeur Vermelin tombant franchement malade, cette cérémonie ne put avoir lieu. Sans doute se remit-il momentanément après ce choc et put-il encore poursuivre son activité à l'Office d'Hygiène Sociale, mais depuis deux ans sa santé s'altéra gravement et il devait succomber le 15 juin 1968. Il allait avoir 77 ans.

La Presse locale (un peu aidée, je dois le dire) a rendu hommage à notre collègue et retracé l'essentiel de sa vie publique. Je ne m'étendrai pas sur l'ensemble de celle-ci. Je rappellerai seulement sa brillante conduite pendant la guerre de 1914-1918 qui lui valut la Croix de guerre avec deux citations, la Légion d'honneur à titre militaire et la Médaille d'Or de la Bravoure Serbe (cette dernière sur le front d'Orient).

Je rappellerai également tout l'intérêt qu'il porta aux oeuvres Sociales. Il fut notamment Directeur de la Station de Protection Maternelle de l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle en même temps qu'il était membre du Conseil permanent d'Hygiène Sociale du Ministère de la Santé, et Consultant Régional d'Obstétrique pour la Région Sanitaire de Nancy. Je rappellerai aussi qu'il fut jusqu'à sa retraite hospitalo-universitaire Directeur de l'Ecole de Sages-femmes de Nancy. Alors qu'il était Président de l'Ordre des Sages-femmes de Meurthe-et-Moselle jusqu'en 1961, il fut en même temps, de 1950 à 1956, Président de l'Ordre national des Sages-femmes de France. Il contribua beaucoup à l'amélioration des statuts de cette profession.

Mais c'est surtout de son rôle d'Enseignant et de Chef d'Ecole que je voudrais parler devant vous. Outre les nombreuses générations d'étudiants en médecine qu'il a initiées à l'Obstétrique, il forma en dehors de ses collaborateurs directs de nombreux Gynécologues-Accoucheurs (avant même la création du diplôme national de Gynécologie-Obstétrique) à qui il faisait attribuer un diplôme d'Université et qui sont allés porter au loin, en France et à l'Etranger, le renom de l'Ecole Obstétricale Nancéienne.

C'est en 1944 que Henri Vermelin, après avoir conquis à Nancy tous les grades universitaires et hospitaliers (Externe des Hôpitaux dès 1910 - Interne en 1913 - puis, après l'interruption de la première guerre mondiale, de nouveau Interne à la Maternité en 1920 - Chef de clinique, agrégé en 1930, succéda à la fin de la deuxième guerre mondiale à son maître Fruhinsholz dans la chaire de clinique obstétricale de la Faculté de Médecine de Nancy. Il devait la conserver pendant 17 ans. Malgré la redoutable succession qu'il prenait dans cette Chaire, il l'illustra à son tour incontestablement.

Il eut d'abord la grande sagesse de rester fidèle à l'esprit de cette Ecole qui avait fait ses preuves. Une idée domina sa conduite, idée qui au premier abord paraît élémentaire, mais qui malheureusement n'inspire plus aussi constamment la conduite de nombreux accoucheurs - l'idée que la nature, dans le domaine physiologique que constitue la fonction de reproduction dans toutes ses phases, et notamment dans sa phase terminale, la mise au monde de l'enfant, devait être un modèle.

Et d'abord il ne faut pas voir de la pathologie où elle n'existe pas. Trop souvent par exemple l'accouchement par le siège est considéré comme anormal, sinon comme franchement dystocique. Un des grands mérites du Professeur Vermelin dans ce domaine a été de montrer que l'accouchement par le siège pouvait se dérouler dans son entier sans même que l'on intervint par cette fameuse manoeuvre de Mauriceau sans laquelle aucun enfant, depuis le XVIIe siècle, n'avait le droit de venir au monde par une plongée « à reculons ». Le Professeur Vermelin a montré que cette manoeuvre d'apparence anodine pouvait être le point de départ de lésions cérébro-méningées facteurs de morts néo-natales ou de séquelles psychomotrices et qu'il valait mieux s'en passer. Dans tous les traités modernes d'obstétrique, on parle de la technique de Vermelin (technique sans manoeuvre) de l'accouchement par le siège, adoptée depuis par de nombreux accoucheurs et à laquelle l'Ecole de Nancy (réserve faite pour quelques catégories de prématurés) est restée fidèle.

C'est dans le même esprit que le Professeur Vermelin s'est toujours refusé à pratiquer systématiquement ce que certains appellent l'accouchement médical, d'autres l'accouchement dirigé, etc... se contentant pour son compte de guetter l'apparition des anomalies du travail pour les corriger aussitôt si elles venaient à se produire. Mais cette surveillance bien entendu doit s'exercer dès le début de l'apparition des contractions et tous les « faux débuts de travail » notamment doivent être immédiatement stoppés, afin d'éviter la survenue des dyscinésies majeures. En outre, cette surveillance ne doit jamais comporter la rupture systématique de la poche des eaux, à une dilatation peu avancée comme le prétendaient certains (pour Kreis, le promoteur de cette rupture, la poche des eaux faisait partie de la « poésie obstétricale » d'antan). Pour Vermelin il fallait continuer à la respecter et il enseignait ce respect et l'imposait autour de lui.

Toute cette sagesse obstétricale si j'ose dire, le Professeur Vermelin l'a concrétisée dans un grand nombre d'articles de mise au point de physiologie obstétricale et d'étude du mécanisme de l'accouchement dans les différentes présentations parues dans l'E.M.C. avec la collaboration de son élève Ribon. Et pourtant le Professeur Vermelin n'était pas ennemi des nouveautés, à condition que ces nouveautés aillent dans le sens de la physiologie. C'est ainsi qu'il fut un des premiers en France - et dès 1953 - à appliquer la préparation psychoprophylactique de l'accouchement qui nous venait d'URSS, préparation destinée à réaliser l'accouchement « sans douleur » ou tout au moins « sans crainte ».

Par contre, ayant été un des premiers avec notre Maître Fruhinsholz et toute l'Ecole obstétricale de Nancy à croire à la grossesse prolongée et à sa nocivité pour l'enfant, du moins dans certains cas, à une époque où personne ou presque ne voulait l'admettre, il s'est, depuis qu'elle hante les accoucheurs de partout et plus encore les familles, toujours opposé aux interruptions systématiques de la gestation pratiquées dans ces cas trop facilement et souvent sur de simples présomptions (ceci bien entendu avant ces toutes dernières années où certaines recherches nous permettent assez souvent à la fois de préciser la réalité de la prolongation de la grossesse et de mesurer le risque couru par le foetus).

C'était là de sa part simple sagesse, car il ne craignait pas l'action - il s'en faut. Il avait à la Maternité Pinard développé considérablement l'emploi des méthodes chirurgicales en même temps qu'il avait amélioré les techniques (notamment en ce qui concerne les sutures dans les opérations césariennes). Son tempérament dans sa jeunesse le portait vers la chirurgie du reste et il ne nous a jamais caché que si les circonstances avaient été différentes, il aurait choisi une carrière de chirurgien. Mais dans le domaine de la chirurgie obstétricale il a su toujours, comme en tout, garder la mesure.

Chef d'Ecole, il a dans de nombreux écrits laissé la marque de ses idées directrices. En 1933 il avait, en collaboration avec le Professeur Lucien, dont nous déplorons également la mort récente, écrit un livre sur « l'oeuf humain » dans lequel il développait les belles recherches qu'il avait faites avec le Professeur Mutel onze ans auparavant sur la circulation placentaire dans les grossesses gémellaires.

Je ne puis bien entendu énumérer les nombreux problèmes auxquels il a consacré une plume alerte et une parole (dans les Congrès notamment) qui ne l'était pas moins. Je citerai toutefois, en dehors de ce que j'ai déjà signalé, le rôle qu'il a joué dans le déboulonnement de la « syphilis héréditaire » de son piédestal obstétrical, ses recherches sur les manifestations vasculo-rénales de la grossesse, l'hémorragie rétro-placentaire, la réduction de la durée du travail grâce à une meilleure surveillance, etc...

Le maintien du procédé de réduction manuelle du cordon tombé en procidence auquel il restait fidèle, tout au moins chez les multipares, était justifié à une époque où la césarienne offrait encore quelques risques, surtout lorsqu'elle était improvisée comme dans ces cas d'extrême urgence, et avant les techniques modernes de réanimation. Toujours cette prudence dictée par la raison et l'expérience, et qui a sans cesse si heureusement contrebalancé une tendance naturelle plutôt orientée vers l'action.

Ce goût de l'action, le Professeur Vermelin a eu l'occasion de l'exercer en améliorant constamment son Service. C'est ainsi que le bloc de travail a été modernisé sur ses conseils et rendu apte notamment à l'application des méthodes psychoprophylactiques. De même il a réalisé le premier pas dans la modernisation du Service des Prématurés. Il a été à l'origine de la création, en 1951, du Laboratoire de Biologie Sexuelle qui s'est tant développé depuis. Signalons également le Service de Radiographie qu'il a mis en place grâce aux crédits des honoraires médicaux hospitaliers et dans lequel il a introduit ultérieurement les nouvelles techniques de radio-pelvimétrie.

N'est-il pas aussi à l'origine de la construction de ce pavillon spécial des Consultations qui peut-être n'a pas toujours donné toute satisfaction au point de vue étanchéité - mais c'est là problème d'architecte - mais qui, tout en libérant des locaux dans le bâtiment principal de la Maternité pour loger plus largement le service de garde, a permis de rassembler en un seul pavillon tous les Services de consultations externes de la Maternité et ceux de l'Office d'Hygiène Sociale ainsi que les Services administratifs du Contrôle Médical de la majorité des examens de grossesse effectués dans le département (Centre Médico-Social de Protection Maternelle).

Toutes ces activités hospitalo-universitaires et sociales, tous ces efforts couronnés d'un si constant succès, ont été récompensés, outre de nombreuses décorations (Commandeur de la Santé Publique, Officier de la Légion d'honneur, etc...) par l'élection du Professeur Vermelin comme membre correspondant national de l'Académie de Médecine peu de temps après l'immense succès du XIXème Congrès de la Fédération des Sociétés d'Obstétrique et de Gynécologie de Langue Française qui s'est tenu à Nancy en mai 1961 et qu'il a présidé avec tant d'autorité.

Incontestablement le Professeur Vermelin fut une personnalité marquante de notre Faculté. Sous sa dépendance pendant de longues années, vieux dauphin blanchi sous le harnais et rongeant forcément un peu son frein, j'aurais pu être mauvais juge ; mais je pense toutefois l'avoir observé avec assez d'objectivité pour oser le juger, même sur le plan humain. Si ce jugement avait dû être défavorable, je passerais sous silence cette partie de mon discours, ou plutôt je n'aurais vraisemblablement pas accepté cette tâche lorsque Monsieur le Doyen a eu l'amabilité de me demander de m'en charger.

J'appartiens à une époque où l'on ne « contestait » pas et ce n'était pas la faute du Professeur Vermelin s'il n'était né que sept ans avant moi, et ce n'était pas non plus sa faute, mais sa chance, si l'âge de la retraite a été reporté de quelques années après le départ du Professeur Fruhinsholz.

Admettant cela, je ne pouvais que vivre sagement dans son ombre et je ne puis aujourd'hui que relire ce que je me préparais à lui dire le jour de la remise du médaillon à la Maternité : « En toute sincérité, j'ai toujours souhaité que « Dieu vous prêta vie » pour employer une expression conjuratoire qui vous était familière. Indépendamment de la respectueuse amitié que je vous portais depuis longtemps, j'ose avouer que je goûtais une certaine quiétude, en dehors des responsabilités que vous assumiez toutes sur vos robustes épaules. »

Et cependant le Professeur Vermelin était autoritaire, mais il l'était surtout dans le sens de « plein d'autorité », il s'imposait aux autres mais parce qu'il était ferme d'abord avec lui-même. La discipline qu'il exigeait de son entourage, il commençait par se l'imposer à lui-même. Toujours à l'heure et souvent même avant. Il y avait quelque chose de militaire dans son comportement. A l'époque, du reste, certains n'étaient pas éloignés de penser que la discipline fait la force des Services.

A côté de cette tendance dominante, et sans contradiction avec elle, il était doué d'une très grande sociabilité - il connaissait du reste tout le monde. J'ai toujours, admiré, étant moi-même peu doué, combien il retenait facilement les noms et les personnes. Il ne craignait point de se déplacer, de faire des visites. Les démarches ne l'effrayaient pas. Il en faisait du reste largement bénéficier son service.

J'ai eu le privilège de connaître la profondeur de sa sensibilité et la qualité de son amitié lorsqu'il y a quinze ans j'ai eu d'énormes tourments familiaux. Il a été à ce moment-là mon confident de tous les jours. C'était si commode pour moi de lui redire tous les matins où en étaient mes affres et mes désespérances, et il savait si bien me remonter. Il avait le sens de la pitié, ce qui n'est pas donné à tous les hommes forts. Cette pitié, il savait la témoigner aux plus humbles et justement peut-être parce qu'ils étaient humbles. Jamais il ne manquait, lorsqu'une accouchée avait mis au monde un enfant mort, ou lorsque, chose plus rare, elle avait donné naissance à quelque malformé, de passer de très longs instants assis au chevet de l'infortunée pour la consoler.

Mais s'il était sensible, voire émotif, il l'était dans tous les sens du terme et je crois que personne dans son entourage, du moins à la Maternité, ne peut se vanter de n'avoir jamais essuyé ses orages. Moi-même j'ai assisté à bien des tempêtes. J'en ai été une fois ou l'autre l'objet assez surpris. Mais ces sautes d'humeur étaient toujours brèves, ses tendances altruistes reprenaient vite le dessus et le lendemain, quelquefois le soir-même, tout était arrangé.

En tout cas il a su garder l'affection de l'ensemble de ses collaborateurs et de ses élèves, et la nouvelle de sa mort les a tous bouleversés. Pourtant beaucoup y étaient préparés.

Depuis près de deux ans cette personnalité si attachante s'était anéantie. C'était la nuit, mais une nuit agitée qui ne permettait plus aucun dialogue. Courageusement Madame Vermelin a soigné pendant ces deux ans ce grand malade qui par instants ne la reconnaissait plus. Nous lui adressons en ce jour nos condoléances bien émues, non seulement pour cette mort, mais pour tout ce qui l'a préparée. Avec elle nous ne voulons nous rappeler que le Vermelin d'autrefois, ce chef incontestable, père de son Service comme de sa famille, père sévère mais bon et s'efforçant d'être juste - collègue estimé - ami fidèle. Avec elle et ses deux fils, François et Gérard, nous pleurons tous aujourd'hui Henri Vermelin.

Professeur J. HARTEMANN