` sommaire

 

Le samedi 9 novembre 1872, le Conseil de la Faculté, réorganisé, tenait à Nancy sa première séance.

Le Président et Doyen, M. le professeur Stoltz, donna à ses collègues lecture d'une lettre du Ministre de l'Instruction publique de l'époque, Jules Simon.

Cette lettre admirable mériterait d'être citée en entier.

Les extraits ci-dessous suffiront à montrer la hauteur de vues de son signataire et les espoirs, réalisés aujourd'hui, que le Grand Ministre mettait dans la Faculté lorraine :

 

« Si les circonstances me l'avaient permis, je n'aurais cédé à personne l'honneur de présider la première réunion des membres de la Faculté. Je vous prie de leur donner lecture de cette lettre, à l'ouverture de la séance. Ils y trouveront une nouvelle preuve de ma vive sollicitude pour les intérêts dont ils reçoivent aujourd'hui le dépôt. Je n'ai certes aucun besoin de stimuler leur zèle et le vôtre, M. le Doyen, mais je veux vous dire à tous les vœux que je forme pour cette grande Ecole qui prend place, dès aujourd'hui, parmi nos institutions scientifiques, et qui ne tardera pas, je l'espère, à y tenir un des premiers rangs.

 

« Nancy est une ville studieuse, où les lettres et les sciences ont toujours été cultivées, qui veut et qui peut être une capitale intellectuelle ; elle a un musée curieux, une riche bibliothèque, une Académie, un ensemble de Facultés complet. Elle fera des savants, ce qui nous manque un peu d'ailleurs, et ce qui ne l'empêchera pas, sans doute, de faire aussi des praticiens. Le personnel de la Faculté est très nombreux, toutes les branches importantes de la science médicale y sont représentées ; la plupart des chaires comptent un titulaire et un adjoint ; les agrégés feront des cours libres : nulle part, en France, il n'y aura ni cours si nombreux, ni une liberté aussi ample. Les élèves, au lieu d'être perdus dans la foule, seront l'objet de soins particuliers ; ils seront personnellement connus de leurs maîtres ; ils pourront les consulter sur la direction de leurs lectures et de leurs travaux, faire leurs expériences sous leurs yeux et avec leur secours, acquérir, même par de laborieuses recherches, et jusque sur les bancs de l'Ecole, une certaine notoriété. Si même l'érudition les tentait, il faudrait s'en applaudir. L'histoire de la médecine est l'histoire d'une grande chose et un grand côté de l'histoire générale de l'esprit humain.

 

« Les professeurs ne sont pas des fonctionnaires ayant chacun sa tâche séparée, soumis à des règlements et à un chef et dont la mission est terminée quand ils ont fait leur leçon et assisté aux examens, ce sont les membres d'une même famille, qui doivent avoir les mêmes soucis puisqu'ils ont les mêmes élèves et qu'ils sont chargés d'en faire de bons médecins, c'est-à-dire des gens de cœur et d'honneur, prêts à tous les dévouements, et aimant avec une égale passion la science et l'humanité. Etre l'Ecole où se forment les jeunes praticiens et les jeunes savants, leur apprendre leur devoir, le leur faire aimer, développer en eux le goût et la passion des études sérieuses, leur servir de modèles, quand ils entrent à leur tour dans la carrière, les suivre attentivement, les fortifier par des conseils et des récompenses, les recevoir à ta clinique, à la bibliothèque, comme des enfants de la maison, leur indiquer des travaux, leur faire connaître les •sources, les aider dans leurs préparations et leurs expériences, user à leur égard, quand il le faut, de l'autorité et même de la sévérité d'un père, tenir à la considération de cette marque D. M. N. qui va figurer cette année, pour la première fois, au-dessous de la signature des Docteurs, c'est un ensemble de devoirs, Monsieur le Doyen, qu'on ne peut exercer qu'en commun, et l'honneur d'avoir une telle charge est si grand qu'il crée entre les membres d'une Faculté le plus noble et le plus sacré des liens.

 

« Je rétablis ainsi, autant qu'il est en moi, l'Université de Nancy, et je lui donne toute la liberté dont une famille et un corps savant ont besoin, sans rien ôter à ce qu'il y a d'efficace et de bienfaisant dans l'autorité centrale.

 

« Je suis persuadé, Monsieur le Doyen, que toutes les idées que je viens d'exprimer sont aussi les vôtres, et celles de vos collaborateurs. Je sais quels étaient les sentiments de l'illustre Faculté dont vous avez été le chef. Vos collègues sortis de l'Ecole de Nancy ont les traditions de cette ville, où les sciences et les lettres ont été, de tout temps, cultivées avec amour. Ils ont été avant vous les pères autant que les maîtres des jeunes gens qui vont suivre vos leçons. Vous vous unirez tous avec moi dans un commun effort pour que la Faculté de Nancy prenne rapidement sa place au premier rang de nos écoles savantes.

 

« Je vous prie d'agréer, Monsieur le Doyen, et de faire agréer à vos collaborateurs, l'assurance de ma haute considération et de mon affectueux dévouement.

 

Le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes,

Signé : Jules Simon.