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Autres textes sur le sanatorium

Le sanatorium de Lay-Saint-Christophe

 

Extrait de la thèse de médecine de Fabien Pageot

LA LUTTE CONTRE LA TUBERCULOSE

UN EXEMPLE D’INITIATIVE PHILANTHROPIQUE EN LORRAINE

LE SANATORIUM DE LAY SAINT CHRISTOPHE A L’AUBE DU XXe SIECLE

Nancy – Novembre 2007

 

1871, la France sort exsangue de la guerre. Le traité de Francfort, le 10 mai de la même année, enlève à la France l’Alsace, la quasi-totalité de la Moselle, et le tiers de la Meurthe.

Nancy se retrouve ainsi à vingt-cinq kilomètres de la nouvelle frontière. Et pour s’assurer du paiement des indemnités de guerre, les troupes allemandes restent cantonnées quelque temps à Nancy (de septembre 1871 au 1er août 1873). Ayant subi peu de dommages, Nancy va alors connaître un développement intellectuel, économique, industriel et artistique sans précédent.

De ville moyenne, elle deviendra la « Capitale de la France de l'Est ». Et cela en partie grâce à l'afflux de plusieurs dizaines de milliers d'émigrés Alsaciens et Lorrains annexés qui refusèrent la nationalité allemande.

 

Groupe « le souvenir » par Dubois représentation de l’Alsace et la Lorraine

envahies par la Prusse en 1870, se consolant mutuellement

 

La population de Nancy passe ainsi de 50000 habitants à 120000 en trente ans, malgré une natalité relativement faible. Nancy voit donc sa population augmenter rapidement, créant ainsi une hausse des besoins et de la consommation. Les industriels « immigrés » ne tardent pas à créer de nouvelles usines, profitant de l’importante main-d'oeuvre disponible, donnant ainsi à la ville un dynamisme économique exceptionnel.

Tout n'est cependant pas idyllique au pays des Ducs de Lorraine. La pauvreté reste de mise pour une grande partie de la population tout comme dans le reste du pays. Cette misère touche notamment la classe ouvrière pour laquelle les conditions de travail sont peu enviables. Pour peu qu'un hiver rigoureux s'annonce, et c'est la misère qui revient. Ainsi, en 1891, la rigueur de l'hiver est telle que la ville doit s'organiser pour trouver des refuges et des aliments pour les plus misérables. On compte 12000 « assistés » à Nancy en 1892. C’est dans ce lit que la tuberculose, peste blanche, put activement se développer.

Paul Spillmann analyse bien cette situation qui le préoccupe :

« Le développement croissant de l’industrie, les mauvaises conditions hygiéniques où vivent des milliers d’ouvriers surmenés, mal nourris, débilités par l’alcoolisme, augmentent encore les causes d’infection et favorisent la contagion »

Comme il le soutenait, la contagion par tuberculose est beaucoup moins spectaculaire et visible que la contagion diphtérique, variolique ou encore scarlatineuse puisque, dans ces maladies, les symptômes cliniques suivent de très près la contamination. L’agent de contamination, comme nous l’avons vu, est le bacille de Koch et celui-ci peut rester très longtemps confiné dans l’organisme de façon circonscrite dans un ganglion, un viscère, un os ou plus communément dans le poumon. À ce stade, il n’est pas dangereux pour l’entourage du patient. Le Professeur Grancher lui donnait le nom de « tuberculose fermée ». Cet enfermement n’est que temporaire et il finit par se produire une ulcération, une abcèdation ou encore une rupture de tubercule pulmonaire libérant ainsi le bacille. L’agent infectieux émerge alors du pus ou des crachats à l’air libre, rendant ainsi le patient contagieux et vecteur de la maladie. Son entourage est alors en danger, qu’il soit familial, professionnel ou encore une simple rencontre dans les transports publics ; tous sont susceptibles d’être la cible du bacille. «La tuberculose ouverte, voilà l’ennemi qu’il faut combattre incessamment »

L’hospitalisation du tuberculeux indigent devenait le seul remède préventif efficace pour lutter contre la tuberculose qui sévissait au sein du monde ouvrier. Si l’institutionnalisation était le seul moyen de contenir la contagion, elle était aussi la seule chance de guérison qu’offrait la médecine de l’époque. Compte tenu des données de la science, les hôpitaux généraux étaient insuffisants tant du point de vue de la prophylaxie que pour le traitement de celle-ci.

L’hospitalisation des tuberculeux faisait cependant courir un risque non négligeable aux autres patients ainsi qu’au personnel soignant qu’ils exposaient au risque de contagion. Le Professeur Haushalter avance un chiffre de 36% du personnel infirmier qui fut victime du bacille de 1886 à 1895. À l’instar du tuberculeux riche qui pouvait obtenir sa guérison moyennant une somme non négligeable dans les sanatoriums luxueux ou dans les stations climatériques, il devenait impératif que l’ouvrier puisse, en dépit de sa condition financière peu enviable, avoir accès au traitement qui jusqu’à présent lui était interdit. À cette vision humaniste s’ajoutait une mesure de santé publique indispensable.

Il ne faut donc pas voir dans le sanatorium une léproserie où, pour se prémunir de la maladie, la société y enferme ses tuberculeux, comme les pestiférés d’autrefois qui étaient repoussés en dehors des villes. Le sanatorium populaire offrit aux patients nécessiteux une possibilité de traitement. À côté de la classe ouvrière se positionnait une classe moyenne qui, faute de moyens, ne pouvait prétendre aux sanatoriums privés des stations balnéaires du sud de la France ou des sommets alpins. En créant une offre de soins sur le sol lorrain pour ces classes moyennes, le sanatorium populaire pouvait exister en proposant à des prix modestes aux phtisiques un traitement sanatorial de qualité calqué sur le prise en charge germanique de la tuberculose, mais aussi et surtout une prise en charge totalement gratuite pour les classes laborieuses de Meurthe et Moselle.

 

La tuberculose, maladie sociale

La notion de « tuberculose maladie sociale » est apparue en 1899 au congrès de Berlin. A Nancy, Paul Spillmann et nombre de ses confrères avaient établi un lien entre développement de la maladie et l’environnement socio-économique. Ainsi l’insalubrité des logements, l’hygiène défectueuse des usines et ateliers, la pénibilité du travail, l’insuffisance des salaires, l’alcoolisme devenaient autant de facteurs faisant le lit de la tuberculose. Ces facteurs, pris individuellement, semblaient si prépondérants dans la genèse de la maladie que certains ont voulu faire de la tuberculose la maladie des logements insalubres alors que d’autres y voyaient une conséquence de l’alcoolisme.

Il paraît évident aujourd’hui que les conditions socio-économiques créaient autour de l’individu et de sa famille un milieu phtisiogène. Ainsi les fondements économiques de la société industrielle moderne devenaient la cause efficiente de la maladie sociale qu’était la tuberculose.

Il est essentiel pour comprendre la tuberculose à l’aube du XXe siècle de se remémorer les modifications fondamentales engendrées par les Révolutions Industrielles successives de la fin du XIXe siècle. Progressivement, la machine s’est substituée au travail manuel. Le machinisme poussé à son paroxysme aboutit à la centralisation et à la rationalisation des moyens de production et d’échange. La main d’oeuvre employée dans les fabriques, manufactures ou les mines, s’est amassée créant de véritables fourmilières autour de l’outil de travail. Ce peuplement urbain s’est fait au détriment des campagnes aboutissant à un véritable exode rural. Ne pouvant lutter contre un moyen de production supérieur, les gens de la campagne n’ont eu d’autre choix que de quitter une activité souvent ancestrale, familiale et à domicile pour aller « gagner leur vie à la ville ». À la campagne, la tuberculose est au moins trois ou quatre fois moins fréquente que dans les petites ou grandes agglomérations.

Autre fait crucial observé, les femmes qui jusque-là étaient cantonnées à leur domicile ont fini par prendre le chemin de l’usine tout comme leur mari. Ainsi, en 1896 les femmes représentent plus d’un tiers de la population active. Conséquence sur la structure familiale, les enfants sont laissés en nourrice ou à la crèche. À l’âge de treize ans voire douze, ils prennent à leur tour le chemin de l’usine ou de la fabrique et tout comme l’adulte, ils y travaillent dix heures par jour. Ainsi, ils représentent avec les femmes la majorité de la main d’oeuvre dans l’industrie du textile.

De toutes les catégories socioprofessionnelles, ce sont certainement les ouvriers qui payaient le plus lourd tribut à la tuberculose. Sans faire l’inventaire détaillé des différentes conditions de travail dans l’industrie, celles-ci étaient très toxiques, que ce soit avec l’utilisation du mercure, de l’arsenic et de ses composés; ou encore dans les mines et les ateliers où l’ouvrier travaillait dans une atmosphère confinée, souvent privé de lumière. Aucune norme pour la protection de la santé du travailleur n’avait cours. La priorité était faite au rendement. À tous cela s’ajoute la durée du travail : une journée de travail durait dix heures et les congés payés n’existaient pas encore.

Par ailleurs, au début du siècle dernier, de vieux adages sont très en vogue. Ils persistent d’ailleurs encore de nos jours :

« Le vin n’est pas de l’alcool »

ou encore :

« L’alcool fortifie, réchauffe, stimule, rafraîchit et de ce fait,

il est indispensable au travailleur.»

Ces idées préconçues associées à la pénibilité du travail et à la déstructuration des familles ont aussi favorisé l’éthanolisation du monde ouvrier.

 

Le bacille de Koch à Nancy au temps de Paul Spillmann

Comme nous l’avons vu, la tuberculose enlevait annuellement au début du XXe siècle environ 150 000 individus en France. Ce chiffre n’est qu’un reflet de la réalité puisqu’à ce moment la déclaration obligatoire de la maladie n’avait pas encore été votée.

Par ailleurs, il a pu exister nombre d’erreurs de diagnostic par abus de langage. Le professeur Brouardel soutient qu’au moment où il a débuté ses études aux Hôpitaux de Paris, le terme de bronchite chronique était celui consacré pour la phtisie pulmonaire. Ainsi ce cadre nosologique inapproprié a pu perdurer quelques années et ainsi être une source d’erreurs statistiques.

«Dans certaines localités moins peuplées, on est frappé de ce fait que subitement les bronchites chroniques, très fréquentes jusque-là, deviennent rares et que la tuberculose subit un sort inverse. Souvent, consultant l’annuaire, j’ai constaté qu’au moment où la statistique avait subi une secousse, un jeune médecin avait succédé à un confrère décédé. Les faits étaient restés les mêmes, les appellations seules avaient changé. »

De même, il est aussi arrivé que les médecins de famille, par souci du discrédit qu’ils pouvaient engendrer sur toute une famille, omettaient de mentionner le diagnostic sur le bulletin de décès de leur patient. Ainsi, pour ces diverses raisons, il peut exister une variabilité des chiffres selon les auteurs et les études.

La mortalité par tuberculose à Nancy

Chaque année, de 1877 à 1904 selon des chiffres avancés par le docteur Sognies, la tuberculose tuait en moyenne 364 nancéiens par an. On observe aussi l’écrasante prédominance de l’atteinte pulmonaire puisqu’elle représentait 79% des cas par rapport aux autres localisations. La méningite tuberculeuse toucha au cours de ces vingt-huit années 14% des cas recensés.

La mortalité moyenne pour ces années par tuberculose toutes localisations confondues est de 4,1/1000 ha à Nancy. A savoir que le taux moyen de mortalité à cette époque pour cette région était de 27,8 décès/ 1000 ha. La tuberculose représentait donc en moyenne 20,4% des décès dans le paysage médical du Nancy de la Belle Epoque.

L’opinion publique était très peu sensibilisée aux risques encourus. La communauté scientifique avait pourtant alerté les pouvoirs publics quant aux moyens de lutte contre la maladie, mais ceux-ci restèrent longtemps sourds et ce fut à l’instar d’autres villes, l’initiative privée qui initialisa le combat.

Durant cette période, on observe une diminution de la mortalité par tuberculose à Nancy.

Influence du sexe

Le sexe ne semble avoir que peu d’influence sur la maladie. Certes, on constate plus de décès chez les hommes que chez les femmes, mais cela semble plus être le fait des conditions de travail et d’environnement social qu’une cause intrinsèque.

Les données sont extraites d’une étude réalisée par le docteur Sogniès. Elle porte sur le recensement des cas de tuberculose des années 1877 à 1904  

Décès par tuberculose en fonction des âges à Nancy entre 1877 et 1904

De ce graphique, on tire les conclusions suivantes :

• La mortalité est très importante dans les cinq premières de la vie dans les deux sexes.

• Les hommes sont plus souvent atteints que les femmes.

• La tranche d’âge la moins souvent atteinte se situe entre 7 et 13 ans.

• La tuberculose frappe le plus souvent dans la tranche d’âge 18-50 ans, avec un pic de fréquence maximale vers 21 ans, ce qui peut correspondre à l’entrée dans la vie active des hommes et au service militaire. On retrouve deux autres acmés entre 34-36 ans puis entre 44-46 ans. Certains auteurs de l’époque ont attribué la seconde augmentation aux conséquences de l’alcoolisme qui commence à produire ses effets délétères sur l’organisme vers cet âge. Pour la dernière, aucune hypothèse précise ne fut proposée.

• Chez la femme, la mortalité monte rapidement de 14 à 22 ans. Durant la période d’activité sexuelle (14-30 ans), la mortalité est plus importante que chez l’homme puis elle redevient inférieure.

Influence de l’habitat

Le logement contribue largement à la progression de la tuberculose au sein de la société ouvrière et populaire. Les logements des quartiers populaires étaient extrêmement insalubres.

Ils étaient bas de plafond : il s’agissait d’une norme de l’époque afin de limiter les pertes en énergie de chauffage. Par ailleurs, l’hygiène était quasi inexistante. Le logement était lavé une fois par an et encore. Il disposait d’une d’isolation rudimentaire. Une famille pouvait littéralement s’y entasser avec animaux de compagnie. Si bien que la moyenne à Nancy est de trois habitants par chambre au début du XXe siècle.

Henry Sogniès, médecin inspecteur du dispensaire de Nancy, a analysé la mortalité de la tuberculose à Nancy en différents lieux dans la ville. Il a pu ainsi déterminer que la mortalité la plus forte était en rapport avec la densité de population et sa paupérisation.

Ainsi dans les rues les plus riches, il observait une mortalité moins importante. En établissant sur un plan de Nancy les décès par tuberculose, on observe que les quartiers les plus touchés sont ceux du centre où vivent les ouvriers. Mais il fut observé qu’au fur et à mesure de l’extension centrifuge de la ville, les ravages de la tuberculose évoluaient de même.

Le coût de la tuberculose

De la même façon, il a été observé par le professeur G.Etienne que dans le service du professeur Paul Spillmann de 1890 à 1894, il avait été hospitalisé en moyenne cent vingt-six patients tuberculeux par an. Parmi ceux-ci, quarante-trois décédaient dans le service et quatre-vingt-trois en ressortaient.82 Il n’est pas précisé l’état de santé au moment de la sortie des 83 patients survivants. Ils revenaient cependant presque toujours après un laps de temps plus ou moins important, leur fin étant inéluctable. Le professeur Etienne s’est attaché à calculer la dépense annuelle qu’occasionnaient ces hospitalisations au sein d’un service de médecine finalement peu ou pas adapté à répondre efficacement à la problématique qu’était la tuberculose. Il est arrivé à chiffrer une dépense annuelle de 8 014 francs pour le seul service de médecine du Professeur Spillmann. Il est important de savoir que cette somme n’était dépensée que dans une optique palliative et non curative. Par ailleurs, le patient tuberculeux, comme l’avait démontré A.Villemin, était une source de contamination pour les autres malades et le personnel soignant. Il devenait donc crucial pour le traitement du patient phtisique et pour les autres malades d’hospitaliser les bacillaires au sein de service spécialisé.

Au sanatorium de Bligny, la prise en charge du patient tuberculeux coûte 4 francs 14 centimes/patient : dans ce prix, 1 franc 76 centimes sont dévolus à la nourriture. A titre d’exemple, dans les hôpitaux parisiens, un malade de médecine coûte 3 francs 50 centimes, un malade de chirurgie ou une accouchée coûte à peu près 5 francs.83

La tuberculose dans les hôpitaux lorrains

Les différents auteurs nancéiens sont unanimes. Les services de l’Hôpital Civil de Nancy étaient submergés par les phtisiques, et toujours selon eux, il ne s’agissait que de la partie émergée de l’iceberg. En effet, seul un nombre très restreint de patients tuberculeux pouvait être hospitalisé. Il n’était pas rare de voir à la consultation médicale plusieurs fois le même patient se présenter en vue d’être hospitalisé. Parfois, son admission était possible jusqu’au moment où par faute de place, il devait céder son lit à plus malade que lui. Errant alors de service en service, il déversait nombre de bacilles. Il finissait par retourner à son domicile où il contaminait son entourage familial et amical. Et puis, rapidement, l’Hôpital Civil de Nancy le voyait revenir moribond. Il chassait alors un moins malade que lui d’un lit et le cercle infernal recommençait!

Il en était de même dans les hôpitaux publics parisiens. Le règlement avait même été publié de telle façon que les phtisiques ne pouvaient être acceptés que « lorsqu’ils sont arrivés au dernier degré de l’épuisement, lorsque sans asile convenable, sans ressources régulières, ils viennent réclamer l’humble lit de repos et de mort que l’humanité leur doit. Mais dans la pratique, en présence de ces êtres qui se traînent aux consultations, anéantis, mourants… on reçoit le malade. Le praticien le garde pour l’amour du bien, aggravant de propos délibéré, mais dans un but absolument louable, l’encombrement de son service. Le séjour en salles d’hôpital est aussi funeste aux tuberculeux, aux phtisiques, que leur présence est préjudiciable à leurs compagnons. »

L’hôpital général répondait de façon très insuffisante à la prise en charge du patient tuberculeux tant sur le point de la prévention que de la thérapeutique.

L’époque est à la cure hygiéno-diététique et à la cure d’air. Or la structure de l’hôpital général ne peut prétendre à ces principes de soins du fait de sa structure et de son mode de fonctionnement. Le patient phtisique ne peut trouver le calme nécessaire à son repos dans les salles de soins communes. Par sa toux, il empêche les autres malades de dormir. La promiscuité fait qu’au lieu d’un air pur, c’est un air vicié et maintes fois inhalé qu’il respire.

De même, les abords de l’hôpital général sont inappropriés aux tuberculeux. Il n’y a pas suffisamment d’abris contre le soleil ou le vent. Il n’y a pas non plus de chaise longue, outil indispensable de la cure d’air et surtout la situation géographique au coeur de la cité rend difficile cette quête d’air pur. Ainsi tout concourt à faire du patient tuberculeux, un malade qui encombre les lits, coûtant à l’assistance publique et ce sans aucun bénéfice thérapeutique pour lui.

Le Professeur Haushalter écrira que « A l’hôpital général, le phtisique est un passager qui, moribond, vient terminer ses jours aux frais de l’assistance, et qui, au début de sa maladie bénéficie imparfaitement et pour un temps forcément limité de l’asile et des soins généraux. Dans l’hôpital spécial aménagé pour les tuberculeux, tout concourt à l’amélioration et à la guérison des malades et à la prophylaxie de la maladie. »

Par ailleurs, le nombre de places disponibles compte tenu du nombre de patients tuberculeux traduisait une inadéquation entre l’offre de soin et la demande.

 

Genèse d’un sanatorium populaire lorrain

C’est en 1899, à la suite d’un voyage en Allemagne, que les professeurs Paul Spillmann et Paul Haushalter ont décidé de doter la région nancéienne d’une institution médicale spécifique pour accueillir et soigner les patients victimes de la tuberculose.

Ce voyage n’était pas un voyage d’agrément. Paul Spillmann et Paul Haushalter allaient assister au premier Congrès International contre la tuberculose à Berlin qui s’est tenu du 24 au 27 mai 1899, sous le protectorat de l’Impératrice. Les thèmes à l’étude furent la prophylaxie de la tuberculose mais aussi et surtout le traitement de la tuberculose au sein de la population ouvrière.

Les deux amis mirent à profit leur séjour germanique pour visiter plusieurs sanatoriums populaires afin de parfaire leur connaissance du sujet et rapporter matière suffisante pour réaliser un sanatorium de conception allemande en Lorraine. Après avoir visité nombre d’hôpitaux pour tuberculeux, ils avaient fait le constat qu’il s’agissait là d’une entreprise coûteuse que de construire en différents points de notre pays des établissements de ce type, d’autant plus que la France ne possédait pas le système d’assurance sociale allemand qui avait largement contribué à édifier l’ossature sanatoriale germanique. Spillmann et Haushalter pensent cependant qu’il faut parvenir à surmonter ce handicap. Des initiatives isolées peuvent conduire à une prise de conscience de la population. Dans l’attente de ce déclic, l’initiative privée et philanthropique doit précéder celle des pouvoirs publics.

Le sanatorium qu’ils souhaitaient serait destiné en premier lieu à recevoir les patients tuberculeux originaires du bassin nancéien et dans l’incapacité financière de se soigner. Leur démarche s’inscrivait dans un cadre social et humanitaire. Ils avaient compris très tôt que pour vaincre la tuberculose, la lutte s’inscrivait dans deux dimensions. On ne trouverait de solution à la maladie que dans une prise en charge globale, à savoir une solution médicale et sociale. L’établissement devrait recevoir ces patients à titre gratuit ou moyennant une rétribution de la part des institutions caritatives. D’autres patients bien sûr pourraient y être admis mais sans se soustraire au règlement des frais de séjour. Ces frais seraient réglés soit par le patient ou par le biais des entreprises privées ou publiques, employeurs de ces patients.

Un sanatorium populaire en Lorraine

Leur idée était donc de créer un sanatorium populaire en Lorraine. Le sanatorium n’était qu’un moyen d’offrir aux tuberculeux curables ou améliorables les meilleures conditions de réaliser la cure d’air, de repos et d’alimentation reconnue comme seul traitement efficace selon les données de la science de l’époque. Pour guérir la tuberculose, il fallait la dépister à son extrême début et soumettre immédiatement le malade aux actions curatrices de la cure sanatoriale.

Le traitement hygiénique devait être poursuivi longtemps et avec méthode. Donc outre la volonté du corps médical, il fallait avant tout l’acceptation du patient aux règles de vie salvatrices pendant des semaines voire des mois s’il voulait voir venir le jour de sa guérison.

Pour les tuberculeux riches, l’intérêt du sanatorium était très peu discuté. Le problème était tout autre pour les classes laborieuses. Comment pouvait-on faire accepter à un ouvrier qu’il était malade alors qu’il ne ressentait aucun symptôme. Et que pour guérir de maux imperceptibles, il devait suspendre tout travail, se reposer et laisser sa famille sans ressources le temps du traitement. C’est donc à ces derniers que le sanatorium populaire était destiné.

La société anonyme de l’oeuvre lorraine des tuberculeux

Afin de pouvoir mettre en oeuvre son projet, il fut fondé une Société Anonyme au début de l’année 1900. Elle serait la personne civile et morale qui permettrait de posséder, d’acquérir et de construire sur le territoire de Lay Saint Christophe un établissement destiné au traitement de la tuberculose pulmonaire. Cette institution aurait pour mission d’accueillir les tuberculeux des deux sexes, donnant la préférence à ceux de Meurthe et Moselle.

Cette Société Anonyme prit le nom de Sanatorium de Lay Saint Christophe. Son existence fut fixée à cinquante ans lors de sa création. Son capital social était fixé à 200000 F divisé en 400 actions de 500 F. Ce capital social pourrait être revu à l’augmentation ou à la baisse. Les actionnaires n’étaient engagés que jusqu’à concurrence du capital qu’ils avaient bien voulu concéder à l’Oeuvre. Cette société anonyme prévoyait dans ses statuts qu’elle n’aurait d’existence légale que le jour où l’ensemble des actions serait souscrit.

La Société est administrée par un Conseil d’Administration qui se composait initialement de :

• Nicolas Guntz, professeur de la faculté des Sciences ;

• Paul Haushalter, professeur agrégé à la faculté de Médecine ;

• Pierre Francisque Marie Comte de Landrian, ancien receveur particulier ;

• Henri Michaut, ingénieur des Ponts et Chaussées, conseiller général ;

• Paul Spillmann, professeur à la Faculté de Médecine ;

• Louis Vilgrain, industriel.

Pour mener à bien cette entreprise, il fallait des fonds. Le 16 mars 1900 le professeur Brouardel, hygiéniste de renom, vint prêter main-forte à son confrère et ami le professeur Spillmann dans une conférence à la salle Poirel afin de mobiliser les capitaux privés des notables nancéiens. A cette date, un tiers des actions avaient reçu acquéreur. Cette conférence fut suivie de bien d’autres actions et c’est le 6 juillet 1900 que la Société fut légalement constituée avec un capital social initial de 230000 F. En 1902, le capital social sera porté à 240000 F. Tout naturellement, Paul Spillmann est nommé Président du Conseil d’Administration.

Sa première mission fut de créer les conditions permettant la construction de ce nouveau sanatorium. Seulement aucune étude n’avait été entreprise afin de chiffrer le coût global du projet. Très vite, devant l’importance de la réalisation, le capital initial apparut comme très insuffisant. Le compte-rendu de l’Assemblée Générale du 30 avril 1903 fait déjà état de ces préoccupations financières.

Lors de l’Assemblée Générale du 12 avril 1905, les comptes sont définitivement arrêtés et confirment ce qui avait été pressenti. Les dépenses pour l’installation la plus réduite révèlent une insuffisance supérieure à 45000 francs, soit un coût global de 285578 francs. Les postes de dépenses étaient repartis de cette façon : achats des terrains : 34879 F, travaux : 226366 F, mobilier : 24333 F.

De plus, la prise en charge des tuberculeux s’avérait plus onéreuse que prévue. Les recettes d’exploitation perçues grâce aux malades payants ne pouvaient aucunement équilibrer les charges d’exploitation de l’institution (amortissement de la dette, coût de fonctionnement).

Pour couvrir ce déficit initial, la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe avait deux possibilités :

• Ouvrir le sanatorium exclusivement à des patients aisés, mais cela signifiait l’échec du projet premier puisqu’il ne s’agissait plus d’un sanatorium populaire tel que l’entendaient ses initiateurs,

• Solliciter des subventions et des autres modes de rémunérations mais, dans cette solution, la société fondée ne pouvait subvenir au bon fonctionnement du sanatorium.

C’est la deuxième solution qui a été retenue. De par ses statuts, la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe ne pouvant recevoir à titre gratuit des aumônes, legs ou cotisations puisqu’en apparence tout ce qu’elle reçoit profite directement à ses actionnaires. Le choix fut fait de créer une autre structure en parallèle avec une vocation charitable : l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux.

Malgré tous les efforts entrepris, les bilans annuels soulignaient une perte supérieure aux trois quarts du capital initial. Maintes fois la dissolution a été repoussée mais Spillmann et le Conseil d’Administration durent s’y résoudre le 30 avril 1910. Au moment de la dissolution de la Société, la somme à repartir aux actionnaires était de 50880 F soit un montant de 106 F par action.

Il est difficile de parler de réussite à la vue de ce bilan financier, mais le but de Spillmann n’était pas de faire fructifier des bénéfices, ou encore d’engranger des dividendes mais bel et bien de permettre à toute une frange de la population d’accéder aux soins. Ces classes laborieuses sur lesquelles l’économie du pays reposait, cette main d’œuvre usable et consommable, le professeur Spillmann a tenté de lui rendre sa dignité humaine, en lui offrant un avenir meilleur. La tuberculose n’était plus une fatalité, un mal contre lequel on ne pouvait rien. Désormais, la Lorraine pouvait lutter avec des armes efficaces contre cet ennemi redoutable qui fauchait la population dans la fleur de l’âge.

Malgré tout, le sanatorium existait et fonctionnait grâce à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux.

Et surtout, il participait activement à améliorer et prolonger la vie des phtisiques et c’était bien cela l’important.

L’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux

On a vu que la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe ne pouvait assurer la gestion et le fonctionnement du sanatorium. C’est donc l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux qui prend le relais. Il s’agit d’une société de charité, régie par la loi de 1901. Elle voit le jour le 17 mai 1902, par arrêté préfectoral et est reconnue d’utilité publique le 5 janvier 1903.

Cette association s’est donné deux missions :

• « vulgariser les notions scientifiques afin de les rendre compréhensibles auprès d’un plus large public afin d’endiguer la progression de la maladie dans la population lorraine,

• fournir au tuberculeux des deux sexes des soins appropriés selon les données scientifiques de l’époque. »

L’association n’a pas de capital initial. Mais en plus des revenus d’exploitation, elle pourra recevoir des financements d’autres natures comme: les cotisations et les souscriptions des membres, des subventions des pouvoirs publics ou privés, des produits de vente, des legs privés, des produits de loteries et de tombolas. Ces derniers lui permettaient de concéder un prix de séjour inférieur au prix réel de revient. Ainsi, toute une catégorie de la population laborieuse pourrait prétendre aux soins spécifiques. Le département et la ville de Nancy ont aussi participé à cet élan philanthropique en finançant des bourses pour les « travailleurs pauvres ».

L’association se compose de trois types de membres :

le membre titulaire payant une cotisation annuelle de dix francs minimum,

le membre donateur aura cumulé un capital d’au moins mille francs au profit de l’oeuvre,

le membre fondateur qui, par ses donations, aura contribué à l’ouverture d’un lit.

Il sera proposé à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux en avril 1903, soit moins de cinq mois après l’ouverture de l’Institution, la location et la gestion du sanatorium de Lay Saint Christophe pour une durée de 30 ans. Les termes du bail lui ouvraient les droits d’acquisition dès qu’elle le pourrait.

L’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux s’était engagée à rembourser toutes les dépenses engagées par la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe qui se répartissaient sur deux postes :

• Le capital social de 240000 F qui serait remboursé sans intérêt par annuités calculées sur la base de 60 centimes par journée de malade,

• L’insuffisance de moyens de 45578 F qui serait amortie par l’emploi des dons, subvention, legs…

L’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux devait aussi s’acquitter de toutes les dépenses inhérentes au fonctionnement et à l’entretien de l’établissement.

En 1907, elle deviendra propriétaire du sanatorium de Lay Saint Christophe. Afin de faciliter cette acquisition, le Ministère de l’Agriculture avait concédé une subvention de 20000 F sur les fonds du Pari Mutuel.

Lors de cette vente, nombre des actionnaires cédèrent à titre gratuit leurs actions de la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux. En mars 1909, 321 actions avaient été transférées à l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux. En avril 1910, elle détient 352 actions mais potentiellement beaucoup plus puisque les membres du Conseil d’Administration de la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe étaient encore détenteurs de leurs titres et qu’ils les cèderaient au moment de la dissolution de la société anonyme.

Après la disparition de la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe, l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux poursuivra l’administration de l’établissement de soins jusqu’en 1919, date à laquelle, faute de moyens, elle n’eut d’autre choix, pour poursuivre l’action de Paul Spillmann, que de passer le flambeau aux Hospices Civils de Nancy.

 

Les architectes du projet

Ferdinand Genay, le maître d’oeuvre

Ferdinand Genay sera l’architecte du premier sanatorium en Lorraine. Il est né à Nancy, le 13 novembre 1846 d’un père architecte. En 1867, il part à Paris pour étudier l’architecture auprès de Salleron et Devrez. En 1868, il entre dans l'atelier de Laisné à l'école des Beaux-Arts. Il est nommé architecte des Hospices et Hôpitaux civils de Nancy en 1874. 1887 le voit devenir inspecteur des travaux de restauration de Saint-Nicolas-de-Port et de Blénod-lès-Toul. La même année, il entre à la société centrale des architectes. Il sera le président fondateur de la société amicale lorraine des anciens élèves de l'école des Beaux- Arts, ainsi que le premier président de la Société des architectes de l'Est de la France, fondée en 1888 à Nancy. Il est nommé le 2 avril 1873, inspecteur des édifices diocésains de Nancy. Il occupera ce poste jusqu’à sa mort en mars 1909.

Lucien Weissenburger

Comme nous le verrons plus loin, en 1910, le sanatorium sera agrandi. La conduite des travaux sera confiée à Lucien Weissenburger. Ainsi, il mettra en oeuvre une nouvelle aile destinée aux femmes appelé Pavillon Finance.

Il est né à Nancy en 1860, fils d’un « manufacturier » fabricant de matériaux pour les entrepreneurs. Il est formé dans l’agence de Charles André avant d’intégrer l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris. Il étudiera dans les ateliers parisiens de Jules André et de Victor Laloux (architecte de la gare d’Orsay). Il est le premier architecte nancéien diplômé par le Gouvernement. Il revient à Nancy en 1888 et devient l'architecte municipal de Lunéville dont il réalise le théâtre, mais c’est à Nancy qu’il consacre l’essentiel de ses activités. Il collabore dès 1900 avec Henri Sauvage à la construction de la villa de Louis Majorelle, dont il contrôle l'exécution. Lucien Weissenburger adopte avec prudence la nouvelle mouvance qu’est l’Art Nouveau mais il en deviendra vite un des principaux diffuseurs. En 1903 il construit sa propre demeure à Nancy, il est alors au faîte de sa notoriété et c’est à la même date qu’Albert Bergeret lui passe commande de sa villa. Son activité fait preuve d'un grand éclectisme par ses inspirations variées (Art Nouveau, régionalisme, références historiques) et dans la nature de ses commandes (usines, hôtels particuliers, grands magasins, les premiers HLM de Nancy). Il est membre du Comité directeur de l'Ecole de Nancy dès sa création en 1901. Il décède en 1929 à Nancy.

 

Les grandes étapes du sanatorium

Situation topographique et climatérique du sanatorium

Le choix de Paul Spillmann s’est porté sur la commune de Lay Saint Christophe située sur l’axe ferroviaire Nancy-Château-Salins, qui parcourt à ce niveau la vallée de l’Amezule, au pied d’un relief où l’air y est pur.

Il sera implanté à flanc de colline plein sud, protégé des vents frais du nord et de l’est à une altitude de 270 mètres. Le sanatorium sera installé à distance des centres d’habitation, au milieu d’une propriété de 10 hectares en grande partie boisée. La vue du sanatorium s’ouvrira sur un panorama s’ouvrant sur la vallée de la Meurthe, le plateau de Malzéville et les hauteurs de Maxéville. Le vaste parc permettra aux patients l’exercice physique qui leur est salutaire.

Aucune industrie ne se trouve à proximité de la propriété sanatoriale. L’industrie la plus proche est constituée par « les Grandes Brasseries » de Champigneulles.

Le Choix architectural : un projet ambitieux

L’édifice imaginé par Spillmann était grandiose et largement inspiré des conceptions germaniques. Ferdinand Genay avait tout d’abord privilégié un tracé curviligne pour l’édifice, ce qui devait permettre une meilleure protection de la cure d’air contre les vents. Cette disposition a été abandonnée compte tenu de l’emplacement du sanatorium. En effet, le bâtiment étant implanté dans une sorte de cirque, la conception architecturale devenait inutile puisque la topographie du terrain offrait un rempart naturel contre les vents. Ainsi le coût du bâtiment s’est trouvé allégé de manière considérable.

 

Sanatorium de Lay Saint Christophe tel qu’il fut pensé par Paul Spillmann

façade sud. Genay, arch., 1901.

 

Différentes combinaisons de pavillons ont été étudiées pour établir les plans et c’est une conception dotée de trois pavillons qui fut retenue. Le corps principal et central devait être le pavillon des services sur lequel de part et d’autre se grefferaient les ailes destinées à recevoir les malades. Dans le projet initial, les malades indigents étaient séparés des malades qui réglaient leur séjour, le principe étant que les malades payants assuraient le fonctionnement pour les indigents. Principe d’autant plus généreux qu’il convient de rappeler qu’en octobre 1900, la sécurité Sociale n’existait pas encore en France.

La façade principale du bâtiment serait orientée au sud-ouest et profiterait à toute heure de chaque rayon du soleil. La galerie de cure devait courir le long de tout l’édifice. Elle serait divisée en trois quartiers. Elle devait être suffisamment élevée du sol pour que l’on puisse circuler en dessous et que l’éclairage naturel du sous-sol soit suffisant. Une vue panoramique sur la vallée de la Meurthe s’ouvrait de la galerie de cure.

Voici de façon plus détaillée, le descriptif du bâtiment établi par Genay sur les conseils et recommandations de Spillmann :

Le sous-sol du bâtiment

Il est élevé de trois mètres et tout comme le bâtiment, il est divisé en trois parties distinctes :

• A gauche (partie des non payants), on retrouve la buanderie, la désinfection, la salle de bains et d’hydrothérapie pour les hommes et les femmes, WC et lavabos. Un escalier court du sous-sol aux combles.

• La partie centrale est dédiée aux générateurs de chauffe et au stockage du combustible.

• La partie droite est réservée à l’intendance du sanatorium, elle reçoit les caves à provision, à vin, la fruiterie, la laiterie.

Le rez-de-chaussée

Le rez-de-chaussée est de plain pied. C’est à son niveau que court la galerie de cure d’air munie de plusieurs accès aux terrasses extérieures.

Le pavillon de gauche contient une salle de réunion, les ateliers d’agrément, un cabinet de lecture, deux autres salles de réunion où la mixité n’est pas de mise et le réfectoire pour les hommes.

La partie centrale regroupe le réfectoire des femmes, une grande salle à manger pour les pensionnaires et une galerie de passage.

Le pavillon de droite retient le service médical, un salon, une salle de billard, une salle à manger réservée et un magasin.

Le premier étage

À gauche, cet étage est réservé aux hommes avec trois chambres de quatre lits et trois chambres à trois lits.

La partie centrale contient neuf chambres individuelles payantes. Sur l’arrière du bâtiment, on retrouve un escalier réservé au personnel et un ascenseur, le cabinet du médecin, la pharmacie, le bureau de la Mère supérieure, un parloir, une salle pour la communauté, le réfectoire des soeurs et une petite cuisine.

Le pavillon de droite contient six chambres individuelles et six chambres à deux lits.

Le deuxième étage

Il offre la même disposition pour les ailes que le premier étage et toujours neuf chambres dans sa partie centrale.

En arrière de la partie centrale avec les mêmes passages de service, on retrouve la lingerie générale, le dortoir des soeurs, la chapelle et la sacristie.

Les combles

A gauche, ils accueilleront des chambres de pensionnaires non payants et à droite quelques chambres de pensionnaires et celles des domestiques. L’architecte Genay avait estimé que l’on pourrait installer 12 indigents et 7 malades payants dans les combles.

Sur la terrasse de la partie centrale, on pourra établir la chapelle et aménager quatre chambres d’isolement réservées aux soeurs en traitement.

C’est donc au total 115 lits réservés aux tuberculeux lorrains qu’offre le futur sanatorium de Lay Saint Christophe répartis de la façon suivante :

• 54 lits pour les patients indigents ;

• 61 lits pour les patients réglant leur séjour ;

• 4 lits pour les soeurs de la congrégation de Saint-Charles.

La hauteur des plafonds du rez-de-chaussée sera de 4 mètres et portée à 3,5 mètres pour les étages, cela étant calculé pour obtenir un cubage d’air suffisant aux patients.

Un bâtiment sera construit à proximité du chemin principal d’accès pour y loger le jardinier concierge. Cette bâtisse comprend le logement du jardinier, une petite étable et une laiterie.

L’épuration des eaux usées se fait par l’intermédiaire d’une fosse Mourras couverte, où les matières putrescibles sont transformées puis épandues sur le domaine sans aucune émanation de mauvaises odeurs.

Un rêve au grand jour, une réalisation limitée

On a vu plus haut que les coûts de la construction et de celui du fonctionnement n’avaient absolument pas été exactement évalués. C’est donc dans un premier temps une réalisation plus modeste qui fut réalisée. De toute façon, ce qui était important pour Paul Spillmann à l’époque, c’était de concrétiser le projet.

Les travaux ont commencé en octobre 1900 pour s’achever en juillet 1902. La société anonyme comptait alors un capital de 240000 F pour 170 actionnaires ayant souscrit 480 actions de 500 F.

Dans un premier temps, le sanatorium ne voyait donc surgir que l’aile droite du bâtiment initialement pensé. Son extension serait prévue dans les années à venir selon les moyens financiers dont disposerait l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux.

C’est donc un bâtiment pouvant accueillir 38 patients tuberculeux sous la direction du docteur L. Nilus, qui ouvrait ses portes le 8 décembre 1902. Il comprenait 18 chambres individuelles et 10 chambres doubles. Le coût d’un lit revenait à 7500 F. Il s’agissait d’une somme élevée. Mais comme l’établissement créé n’était pas celui du projet initial, la Société du Sanatorium de Lay Saint Christophe tablait sur une extension ultérieure. Celle-ci permettrait de diminuer sensiblement le prix de revient d’un lit puisque les installations de services pourraient en grande partie subvenir à un agrandissement notable de la capacité d’accueil.

Rappelons que le sanatorium projeté devait accueillir trois fois plus de patients.

 

Carte postale représentant le sanatorium de Lay Saint Christophe

 

La galerie de cure d’air était située au rez-de-chaussée avec une orientation sud-ouest comme prévue initialement.

Dans le même bâtiment, on retrouvait les locaux des services (cuisine, buanderie, salle de désinfection, le chauffage). Outre l’édifice principal, à proximité du chemin d’accès, on retrouvait la conciergerie avec une laiterie et une étable.

Les soins des patients et la tenue du sanatorium étaient confiés aux soeurs de Saint-Charles.

 

Sanatorium Lay Saint Christophe en Juillet 1902

façade sud.

 

Extension du bâtiment principal : le bâtiment Finance

C’est grâce aux donations des époux Finance, de la compagnie Solvay, des Aciéries du Nord et de l’Est, des époux Fisson, Grosdidier et Renault et d’une subvention de 20000 F de la commission du Paris Mutuel qu’en 1910 l’extension du sanatorium est possible. Suite au décès récent de Genay, la mise en oeuvre du chantier est confiée à Weissenburger. Le devis estimatif était de 80000 F.

Cette aile supplémentaire permettrait d’établir une stricte séparation des sexes à l’intérieur des locaux. Ainsi hommes et femmes se retrouvaient isolés lors des longues séances de cure d’air.

Le jardin et le parc restaient mixtes, mais plus tard un projet visant à séparer les sexes même dans le jardin vit le jour et se matérialisa par la plantation d’une haie dans laquelle courraient plusieurs rangées de fils de fer.

Cette nouvelle aile destinée aux femmes prendra le nom de « Pavillon Finance ». Cet agrandissement portait le nombre possible d’hospitalisations à 50 lits. Il permettait de répondre à la demande croissante des patients qui devaient parfois attendre plus de trois mois pour qu’une place se libère. Par ailleurs, en répartissant les frais généraux sur un plus grand nombre de lits, le coût de la journée d’hospitalisation devait être réduit.

Les premières pensionnaires furent reçues à partir du 1er juin 1911.

Extension du bâtiment initial : le pavillon Finance situé à droite

 

Un tournant dans l’histoire du sanatorium

Le sanatorium n’accueillera plus de patients tuberculeux à partir du 3 août 1914. Pendant toute la durée de la Grande Guerre, il sera occupé par diverses formations sanitaires militaires puis par de la troupe en casernement. Il ne sera évacué qu’en 1918. Ces quatre années de conflits ne furent pas sans engendrer des dégâts ; elles laissaient un établissement dévasté où d’importants travaux de réparations s’imposaient.

L’équilibre financier de l’Oeuvre Lorraine des Tuberculeux était déjà précaire à la veille des hostilités, il lui devenait impossible de faire face à de nouvelles dépenses. Le compte rendu de l’assemblée générale du 28 mars 1914 fait état de ces difficultés financières et ce malgré un taux d’occupation des lits important. En effet, le nombre de journées d’hospitalisation pour l’année 1913 étaient de 14302, ce qui faisait environ 39 lits occupés à l’année. Il existait un déficit des comptes à la fin de cette année qui fut comblé par un don exceptionnel de 10000 F émanant d’une certaine Mlle Gautier.

On comprendra donc aisément que les conditions de fonctionnement d’un établissement de ce type devenaient difficiles dans une période peu propice au mécénat. A la suite du bouleversement économique et financier laissé par la guerre, l’œuvre Lorraine des Tuberculeux décida en fin d’année 1919 de renoncer à la gestion et à la direction du sanatorium.

Louis Spillmann, fils de Paul Spillmann, Doyen de la Faculté de Médecine de Nancy et président de l’œuvre Lorraine des Tuberculeux, proposa de céder à titre gratuit l’établissement fondé par son père aux Hospices Civils de Nancy. La Commission Administrative des Hospices Civils de Nancy se devait avant d’accepter cette offre généreuse, trouver les moyens et les concours nécessaires à la remise en état de l’établissement dont l’entretien avait été passablement négligé.

Le département de Meurthe et Moselle prit à sa charge une partie des dépenses de rénovation et d’agrandissement du bâtiment et l’Etat français sur les fonds du Pari Mutuel devait couvrir 50% des dépenses. Ceci devait conduire les Hospices Civils de Nancy à accepter la proposition le 14 octobre 1919 qui ne fut effective qu’en mai 1922

L’architecte des Hospices Civils de Nancy, M. Biet fut saisi et déposa ses plans et devis au 20 janvier 1920, celui-ci s’élevait à : 609604 F. Le département apporta une aide substantielle de la moitié du devis initial ; soit une subvention de 300000 F. En novembre, le Ministère de l’Hygiène répondait favorablement pour une subvention égale à celle votée par le Conseil Général sur les fonds du Pari Mutuel. Il restait donc un découvert de 9604 F sur le devis initial. Les travaux purent débuter en avril 1921.

Cette cession intervenait au moment même de la promulgation de la loi Honnoriat du 7 septembre 1919, laquelle imposait aux départements, ou la création d’un sanatorium, ou leur rattachement, au point de vue assistance des tuberculeux, à des sanatoriums existants. La population ouvrière et paysanne de Meurthe et Moselle était trop importante pour que le département se rattache à un sanatorium d’un département limitrophe.

Les Hospices Civils de Nancy avaient déjà un établissement destiné à la lutte antituberculeuse, l’Hôpital-sanatorium Villemin. Mais celui-ci devenait trop exigu compte tenu des ravages que causait le bacille parmi la population nancéienne. Ainsi l’adjonction du sanatorium de Lay Saint Christophe au dispositif en place venait parfaire le système de soins antituberculeux de l’agglomération nancéienne.

 

Sanatorium de Lay Saint Christophe en 1924

 

Avec son nouveau propriétaire, le sanatorium allait vivre une seconde jeunesse. Des travaux de restauration mais aussi d’agrandissement allaient porter sa capacité d’accueil à 130 lits.

• Le bâtiment principal allait être complété d’une cinquième partie à l’extrémité du pavillon Finance, donnant ainsi une symétrie parfaite au bâtiment ; une horloge centrale y sera ajoutée,

• La chapelle dans le bâtiment primitif était située au dernier étage, elle sera descendue au rez-de-chaussée,

• Désormais l’établissement sera doté de galeries de cure d’air courant sur toute la façade orientée sud-ouest sur les deux premiers étages. Celles-ci seront dotées d’un avant toit qui garantira mieux la protection contre le soleil qui, dans la conception antérieure, étaient trop hauts pour assurer une protection adéquate,

• Un troisième étage serait aménagé,

• Modification du système d’approvisionnement en eau potable de l’établissement.

C’est le 15 janvier 1924 que l’établissement rénové ouvre ses portes aux patients. Le service médical fut confié à Mme le Docteur Bouin, assistée d’un interne logé et nourri en permanence au sanatorium. Comme dans tous les autres établissements nancéiens, ce sont les soeurs de Saint-Charles qui administrent l’établissement pour le compte des Hospices Civils de Nancy et concourent aux soins. La première soeur supérieure nommée en 1924 fut Marie Gertrude Haas.

Après 1924

A partir de 1924, le sanatorium a fonctionné sous la tutelle des Hospices de Nancy. Tout malade admis au sanatorium devait être mis systématiquement en observation à l’hôpital Villemin où il subissait tous les examens complémentaires nécessaires. Il était ensuite statué sur la décision médicale à prendre en fonction de son état de santé. Le service médical du sanatorium Paul Spillmann était assuré par un médecin choisi par les professeurs de la Faculté de Médecine, le docteur Bouin. Ce médecin-chef assurait la surveillance médicale à jours fixes. Il se devait aussi d’enseigner aux étudiants la phtisiologie. Ce mode de fonctionnement tant sur le plan médical qu’administratif faisait du sanatorium de Lay Saint Christophe un service extra-muros du groupe Villemin-Maringer.

Pendant la guerre 1939-1945, l’établissement a fonctionné comme hôpital sanatorium. Il accueillait les nombreux malades qui encombraient les services de tuberculeux de la ville. Les patients étaient tous envoyés après passage par le service de tri de l’hôpital Villemin-Maringer sous le contrôle du professeur Pierre Simonin.

Après le deuxième conflit mondial, l’établissement reste centré sur le traitement de la tuberculose. Malgré une opposition farouche de la part des Hospices de Nancy, ceux-ci se voient contraints et forcés d’appliquer le décret du 24 mai 1948, texte de loi qui consacre essentiellement trois impératifs :

• Indépendance administrative des sanatoriums dont la direction appartient au médecin directeur.

• Indépendance financière sous réserve de l’approbation du budget par la collectivité gestionnaire.

• Indépendance médicale, le médecin-directeur étant le seul à se prononcer sur l’admission ou la sortie des patients.

La mise aux normes de l’établissement en adéquation avec les nouvelles recommandations ministérielles nécessite une nouvelle organisation administrative et de nombreux travaux.

Cela impliqua la fermeture du sanatorium en 1949 et donc le transfert des malades les plus atteints sur d’autres établissements, les non bacillifères étant renvoyés à leur domicile. Cela ne s’est pas fait sans difficulté. Il ne rouvrira ses portes aux patients qu’en 1952. Les Hospices de Nancy restaient propriétaires de l’établissement mais sa gestion était subordonnée à un comité de surveillance dirigé par M. Léon Grangé. Le docteur Bertheau fut nommé au poste de Médecin-directeur en 1952. C’est donc sous cette tutelle bicéphale, qu’un vaste programme de constructions aux abords du sanatorium fut entrepris avec le concours des architectes A. Lurçat et A. Michaut :

un immeuble pour accueillir le personnel de l’établissement,

un pavillon individuel pour loger le médecin adjoint,

une vaste salle de réunion aux abords du sanatorium qui servira par ailleurs de salle de fêtes,

dans les années soixante, un bâtiment dévolu à l’administration et une conciergerie

Un sanatorium pour enfants devait même être construit, mais ce projet fut avorté. Le traitement des patients hospitalisés était totalement bouleversé. La cure sanatoriale telle que le concevait Spillmann n’avait plus cours. Une nouvelle ère s’ouvrait, celle de la chirurgie de la tuberculose avec la collapsothérapie, le pneumothorax thérapeutique mais aussi et surtout l’avènement des antibiotiques. Ainsi la tuberculose allait être terrassée du moins dans les pays industrialisés. Il est important de préciser que le docteur Bertheau à Lay Saint Christophe fut l’un des premiers prescripteurs d’isoniazide en Lorraine dans le traitement de la tuberculose.

À partir de 1972, le sanatorium de Lay Saint Christophe devenu Centre Médical Paul Spillmann revient dans le giron du CHU de Nancy. Un service de pneumo-phtisiologie sociale est alors créé. Tout d’abord, il accueillera des patients atteints d’affections pulmonaires chroniques puis prendra en charge des pathologies chroniques plus diversifiées telles que les cancers broncho-pulmonaire, les maladies de surcharge, les bronchopneumopathies,..

Le docteur Jacqueline Boulangé, médecin adjoint depuis 1963 après le docteur Romeuf, succédera au docteur Bertheau en février 1974, et sera à l’initiative de cette nouvelle orientation du site. Le docteur Thérèse Jonveaux prendra sa suite en 1997.

En 2006, le Centre Paul Spillmann sera transféré dans le nouvel Hôpital Saint-Julien qui vient d’être réaménagé. Ainsi les locaux du sanatorium sur le site de Lay Saint Christophe seront laissés vacants.