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HENRY BEAUNIS (1830-1921)

DIRECTEUR-FONDATEUR DU LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE DE LA SORBONNE

par Serge NICOLAS

L'Année Psychologique, 1995, 95, 267-291

 

L’auteur est professeur de psychologie à l'Université Paris Descartes. Il enseigne la psychologie cognitive expérimentale et l'histoire de la psychologie. Il a publié de multiples articles, écrit et co-écrit de nombreux ouvrages dans ces deux domaines (et notamment Charcot face à Bernheim - L'école de la Salpêtrière face à l'école de Nancy).

PLAN

INTRODUCTION. 1

I. Eléments de biographie et présentation de l’œuvre de Beaunis. 2

a)       La jeunesse (1830-1848) 2

b)      La formation médicale : le parcours (1848-1863) 2

c)       Physiologiste et médecin : de Strasbourg à Sétif (1866-1872) 3

d)      La nomination à Nancy (1872-1893) 3

e)       Beaunis et l’« Ecole » de Nancy ». 5

II. Le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne et « L'Année psychologique » : les conditions de leur création. 6

a)       La rencontre avec Théodule Ribot et la Société de psychologie physiologique. 6

b)      Fondation du Laboratoire de psychologie physiologique. 7

c)       La rencontre avec Alfred Binet (1891) 8

d)      Création de « L'Année Psychologique » (1894-1895) 9

EPILOGUE. 11

BIBLIOGRAPHIE. 12

NOTES. 13

INTRODUCTION

 

Le nom d'Henry BEAUNIS (Il s'agit bien d'Henry - comme cela est indiqué sur son acte de naissance - et non Henri) est familier aux psychologues. Il est directement attaché, d'une part, à la fondation en 1889 du premier laboratoire français de psychologie expérimentale et, d'autre part, à la création de la revue L'Année Psychologique. Cependant nous avions jusqu'à présent peu d'éléments sur la vie, les travaux et la personnalité d'Henry Beaunis ainsi que sur les conditions exactes de la fondation du laboratoire et de la revue. Le centenaire de L'Année Psychologique nous fournit l'occasion solennelle d'une mise au point historique. Celle-ci n'aurait pu avoir lieu avec autant de précision si récemment je n'avais pas eu en main des extraits d'un manuscrit inédit : les Mémoires autobiographiques écrits par Henry Beaunis après 1914. Les quelques pages des Mémoires que je possède sont d'un grand intérêt pour l'histoire de la psychologie expérimentale[i].

I. Eléments de biographie et présentation de l’œuvre de Beaunis

 

a)      La jeunesse (1830-1848)

Henry-Etienne Beaunis, né le 2 août 1830 à Amboise (Indre-et-Loire), fut le premier enfant d'une famille qui en compta cinq (trois fils et deux filles). C'est en partie à cause des circonstances de l'histoire qu'Amboise fut sa ville de naissance. En effet, pendant l'été 1830, sa mère, femme d'un fonctionnaire des contributions indirectes à Rouen, dut quitter brusquement cette ville menacée par la révolution de Juillet pour se réfugier en Touraine dans sa famille. A la fin de ces événements politiques, elle revint auprès de son mari mais laissa le petit garçon à sa grand-mère qui le garda deux ans avant de le ramener aux parents. Envoyé à la pension Lévy, il devint un élève modèle présentant une curiosité et une intelligence qui ne demandait qu'à éclore. Très tôt la lecture devint sa passion dominante. Selon Madeleine Brunon-Guardia (1922, p. 570), « il se l'administrait par doses énormes, sans choix ni discernement, au hasard, tout lui était bon ». Les visites aux musées et dans les ateliers de peintres amis de son père l'initièrent aux questions artistiques qui devaient plus tard tenir une place importante dans sa vie. Classé parmi les meilleurs élèves, son travail lui valait de continuels succès. Vers l'âge de treize ans, son père fut muté à Lisieux. Pour ne pas nuire à des études en si bonne voie, les parents décidèrent de laisser leur fils à Rouen comme interne à la pension Guernet. D'après Brunon-Guardia (1922, p. 571), « l'adolescence et la jeunesse d'Henry Beaunis s'accommodèrent du régime de la pension... Dans ses Mémoires, écrits à la fin de sa vie, on ne perçoit ni plainte ni amertume envers la servitude du collège et de l'institution ». Beaunis poursuivit ses études avec succès entre 1844 et 1849, s'intéressant aussi bien à la partie littéraire des programmes qu'à la partie scientifique. A la fin de ses études secondaires au collège de Rouen, il obtint successivement les diplômes de bachelier es lettres (1848) et de bachelier es sciences physiques (1849).

b)     La formation médicale : le parcours (1848-1863)

Il commença ses études de médecine à l'Ecole secondaire de Rouen (1848-1850) sous l'influence de son grand-oncle maternel, vieux praticien tourangeau, qu'il visitait pendant ses vacances d'été à Vouvray. Ses débuts d'étudiant en médecine lui furent faciles. Il se rendit ensuite à Paris pour continuer ses études sous les auspices des maîtres du temps : Alfred Velpeau (1795-1867), Philippe Ricord (1800-1889), Armand Trousseau (1801-1867), Paul Broca (1824-1888) et Claude Bernard (1813-1878). La vie parisienne lui était fort agréable et les distractions nombreuses. Cette ambiance réveilla le goût du jeune homme pour la littérature. Il écrivit plusieurs poèmes, un roman, des pièces de théâtre dont une Ode à Molière jouée en 1853 à l'Odéon (cf. Beaunis, 1917). Cette activité préjudiciable aux études éloignait peu à peu Henry de la voie médicale. Son père, averti à temps de toutes ces distractions, l'emmena avec lui dans la nouvelle résidence familiale à Rodez (Aveyron), où il venait d'être nommé directeur des contributions indirectes. Il continua ainsi ses études à Montpellier dans la célèbre Faculté de médecine. Trois ans plus tard, il obtint le titre de docteur en médecine après avoir soutenu le 25 février 1856 une thèse sur L'habitude en général (Beaunis, 1856), il venait d'avoir 25 ans. Afin de réparer les erreurs passées et de ménager les subsides paternels, il embrassa la carrière militaire en concourant pour le Val-de-Grâce et y sortit avec le galon d'aide-major de deuxième classe en 1856. Son premier poste fut Blidah en Algérie française où il rencontra un jeune officier qui deviendra plus tard le général Boulanger, et qui fit sur lui une formidable impression. Après plusieurs garnisons en Algérie, il rentra en France avec le galon de médecin-major de deuxième classe en 1860. Il fut nommé à Montpellier dans un régiment du Génie puis suivit sa garnison à Arras où il profita de ses loisirs pour apprendre l'allemand et préparer le concours de répétiteur à l'Ecole du Service de santé militaire qu'il obtint en 1861. Répétiteur à Strasbourg, il s'inscrivit pour concourir à l'agrégation de médecine (section des sciences anatomiques et physiologiques) qu'il obtint deux ans plus tard ayant rédigé, selon Gross (1921), une thèse remarquable intitulée Anatomie générale et physiologie du système lymphatique (Beaunis, 1863).

c)      Physiologiste et médecin : de Strasbourg à Sétif (1866-1872)

Après les trois années de stage, jadis réglementaires, il prend, en 1866, une part active à l'enseignement de la Faculté de médecine de Strasbourg, en assurant un cours complémentaire de physiologie, dont il a ultérieurement publié le programme du semestre d'été 1869 (Beaunis, 1872). Il est en même temps attaché à l'hôpital militaire de Strasbourg, où il est chargé du service des vénériens (pour les souvenirs de Beaunis sur cette période, cf. Beaunis, 1888a). Jeune professeur, déjà ses quelques travaux de physiologie l'avaient fait connaître et l'éditeur Baillière lui demanda avec insistance un traité d'anatomie qui puisse s'adapter aux besoins des étudiants. Cette demande à un provincial n'était motivée que par une politique de décentralisation scientifique. Cet ouvrage intitulé Nouveaux éléments d'anatomie descriptive et d'embryologie, dont la première édition remonte en 1867, fut rédigé en collaboration avec Abel Bouchard[ii], son condisciple et fidèle ami (Beaunis et Bouchard, 1867). L'importance de cet ouvrage en fît, à l'époque, un classique par excellence (Horn, 1921) qui connut quatre rééditions (1873, 1879, 1885, 1893) et une traduction (l'édition de 1885 fut traduite en espagnol). Une connaissance suffisante de la littérature scientifique étrangère de l'époque avait permis aux auteurs de ne laisser échapper aucune des découvertes récentes. Même si ce livre présente quelques innovations ingénieuses et pratiques, il ne peut être considéré que comme un traité de compilation des connaissances actuelles dans les domaines de l'anatomie et de l'embryologie. Comme complément à cet ouvrage, il convient d'ajouter le Précis d'anatomie et de dissection publié quelques années plus tard (Beaunis et Bouchard, 1877) qui fut traduit successivement en espagnol et en italien.

La vie à Strasbourg lui plut énormément. Il s'était fait un nom dans cette ville et passait pour avoir une place prépondérante comme chirurgien et comme professeur. C'est dans cette région alsacienne qu'il rencontra Marie-Amélie Fabry (1842- 1912) qui allait devenir sa femme en août 1867 dans des circonstances relatées par Madeleine Brunon-Guardia (1922, p. 574- 575). Trois ans plus tard, la guerre éclata entre la France et la Prusse. Dès le 13 août 1870, le bombardement meurtrit la ville. Le major Beaunis exerça son travail à l'hôpital militaire jusqu'à la capitulation de la ville, le 28 septembre 1870. Prisonnier, il s'enfuit par Kehl le 4 août, habillé en touriste, et retrouva sa femme à Bâle. Tous deux se rendirent à Lyon où il fut détaché à Nevers et commença la campagne de la Loire aidé par sa femme devenue pendant un temps ambulancière. Affecté comme médecin-chef à l'ambulance de la 1ère division du 18ème corps d'armée, il fera les campagnes de la Loire et de l'Est. L'armistice signé le 28 janvier 1871, Beaunis fut envoyé à Chambéry puis à Lyon. Un court séjour à Paris pour voir sa mère lui fit assister à la proclamation de la Commune, le 18 mars 1871, sur la place de l'Hôtel-de-Ville. De retour à Lyon, il y rédigea ses impressions de campagne, relatant les événements de la guerre, qui furent publiées dans un premier temps sous forme de feuilleton dans la Gazette médicale en 1871-1872 avant d'être rassemblées dans un ouvrage (Beaunis, 1887a). Le séjour à Lyon fut brusquement interrompu par une nouvelle affectation en Algérie, à Sétif (province de Constantine), où il reçut l'insigne de chevalier de la Légion d'honneur pour service rendu à la Patrie.

d)     La nomination à Nancy (1872-1893)

L'étape de Sétif se prolongeait lorsqu'il reçut sa nomination à la Faculté de Nancy. Le décret du 1er octobre 1872 qui transférait la Faculté de médecine de Strasbourg à Nancy confia à Beaunis, agrégé de la Faculté de médecine de Strasbourg, la chaire de physiologie. Cette chaire était devenue vacante à la suite de la disparition de son titulaire E. Küss[iii].

C'est à Nancy que le monde savant strasbourgeois s'était regroupé. Le Pr Beaunis a été le brillant créateur de l'enseignement de la physiologie à la Faculté de médecine de Nancy. Un laboratoire absolument rudimentaire lui fut d'abord attribué au rez-de-chaussée du bâtiment de l'ancienne Ecole supérieure de garçons, place de l'Académie, aujourd'hui place Carnot, bâtiment mis à la disposition de la Faculté de médecine pour une première installation purement provisoire. Les instruments et les appareils furent envoyés par le ministre de l'Instruction publique, et ont permis à Beaunis de compléter l'enseignement théorique par les expériences nécessaires et d'organiser des conférences et travaux pratiques qui, bien que nullement obligatoires encore, ont été suivis par un certain nombre d'élèves. C'est en 1875-1876 qu'un laboratoire de physiologie, en tout point satisfaisant pour l'époque, fut installé au premier étage de l'aile droite du bâtiment élevé le long de l'ancienne rue de la Ravinelle, sur le terrain du jardin de l'Académie, et mis à la disposition de la Faculté, bâtiment qui sera occupé plus tard par l'Institut de zoologie de la Faculté des sciences. Dans son nouveau laboratoire Beaunis put développer l'organisation de ses travaux pratiques qui obtinrent un véritable succès, démontrant ainsi la valeur de l'enseignement du maître. Beaunis avait acquis une réputation justement méritée par ses travaux d'anatomie et de physiologie. Il publia bientôt un ouvrage de haute importance à partir de ses notes de cours accumulées depuis ses enseignements à la Faculté de Strasbourg, les Nouveaux éléments de physiologie humaine comprenant les principes de la physiologie comparée et de la physiologie générale, avec une première édition en 1876 (volume de 1140 pages avec 282 figures), bientôt suivie d'une seconde édition entièrement refondue en 1881 en deux gros volumes totalisant plus de 1600 pages. Il introduisit dans son ouvrage la psychologie physiologique pour les raisons qu'il a exposées dans la préface de la première édition :

« L'auteur n'a pas cru non plus que la physiologie dût laisser de côté, pour l'abandonner aux philosophes, la partie psychologique de la physiologie cérébrale ; pour lui, en effet, à l'exemple de l'Ecole anglaise, la psychologie trouve dans la physiologie sa base la plus sûre et la plus solide ; aussi n'a-t-il pas craint de traiter, en s'appuyant sur les données physiologiques, les questions des sensations, des idées, du langage, de la conscience, de la volonté, etc., et si les limites de ce livre lui ont interdit de s'étendre sur ces sujets, il espère en avoir assez dit pour en préciser nettement les points essentiels » (Beaunis, 1876, p. VII).

Le laboratoire, contenant les instruments et appareils nécessaires aux études et aux travaux de physiologie, lui permit de planifier de nombreux travaux dont les résultats furent pour certains communiqués à diverses sociétés savantes (Académie des sciences, Académie de médecine, Société de biologie, Société de psychologie physiologique, Sociétés de médecine de Nancy, Société des sciences de Nancy) et pour d'autres publiés dans diverses revues et journaux (Revue médicale de l'Est, dont il fut un des membres fondateurs, Revue scientifique, Gazette médicale de Paris, Science et Nature...). Si son œuvre scientifique n'est pas très originale, il faut tout de même souligner qu'il était très estimé dans le monde scientifique. C'est peut-être dans le domaine de la psychologie physiologique des sensations qu'il fut véritablement un novateur. Il a par exemple été le premier à étudier les temps de réaction des sensations olfactives (Beaunis, 1884) et à fournir une étude complète sur les sensations internes (Beaunis, 1889b).

Il fut un professeur spécialement qualifié, à la parole élégante et évocatrice d'idées dans l'esprit de ses auditeurs (Meyer, 1921). Il consacra en 1878 une leçon d'ouverture à Claude Bernard qui fut très appréciée (Horn, 1921), et un cours sur l'évolution du système nerveux pendant l'année universitaire 1888-1889 qui fut particulièrement remarqué puisque la Revue Scientifique le publia in extenso dans une série d'articles (Beaunis, 1888b, 1889a) avant d'être assimilé dans un ouvrage (Beaunis, 1890).

e)  Beaunis et l' "Ecole" de Nancy

En 1882, Dumont, chef des travaux de physique à la Faculté de médecine présenta à la Société de médecine quatre malades traités par un médecin de Nancy, Liébeault, à l'aide de procédés hypnotiques. Lorsque ses collègues à la Faculté, le professeur de clinique médicale Bernheim et le professeur de droit Liégeois, entreprirent de constater la réalité des faits avancés et les étudier de plus près, Beaunis s'intéressa aussitôt à la question de la suggestion et de l'hypnotisme. Dans les années qui suivirent les trois universitaires se répartirent pour ainsi dire la tâche. Bernheim s'occupa de l'aspect thérapeutique, Liégeois envisageait les phénomènes au point de vue du droit civil et criminel alors que Beaunis les étudia au point de vue physiologique et psychologique.

Beaunis voulait tout d'abord démontrer que les phénomènes observés étaient réels en cherchant des preuves de l'état somnambulique chez les sujets appartenant au petit hypnotisme (le grand hypnotisme n'avait été décrit qu'à la Salpêtrière)[iv]. Il prit une part active aux recherches de l'Ecole de Nancy et à ses discussions avec l'Ecole de la Salpêtrière : son ouvrage sur le « somnambulisme provoqué » (Beaunis, 1886), réédité en 1887 (Beaunis, 1887c), résume sa contribution expérimentale de nature psycho-physiologique et expose son point de vue (cf. Carroy, 1991). Il rechercha d'abord, d'un point de vue strictement physiologique, des phénomènes qui ne pussent être simulés comme l'accélération et le ralentissement du pouls, la rougeur cutanée et la vésication. L'approche physiologique du sommeil hypnotique qu'il avait entreprise le conduisit ainsi à rechercher les modifications produites par le sommeil hypnotique dans le pouls, la respiration, la force musculaire et les sensations. Les résultats qui ont été exposés dans la première partie de son ouvrage (Beaunis, 1886) apportaient des preuves sur le caractère somatique du somnambulisme. D'un point de vue psychologique, Beaunis voyait dans l'hypnotisme non seulement un instrument d'étude des phénomènes psychologiques, mais surtout un procédé d'expérimentation direct sur les phénomènes de l'intelligence, une véritable méthode de psychologie expérimentale. L'hypnotisme devait être pour le psychologue ce que la vivisection était pour le physiologiste (Beaunis, 1885a).

On ne peut pas dire qu'il existait une « Ecole » de Nancy, car le mot école implique un corps de doctrine cohérent et coordonné dans lequel tous les membres partagent les mêmes idées (Beaunis, 1887c). Or, Beaunis a bien souligné dans ses Mémoires que Liébault, BERNHEIM, Liégeois et lui-même ne s'accordaient que sur deux points. Le premier était celui de l'irréalité des phénomènes observés par Charcot et décrits par l'Ecole de la Salpêtrière. Ces phénomènes n'étaient dus qu'à des suggestions inconscientes. Le second était celui de la puissance de la suggestion et son emploi en thérapeutique. Pour tout le reste les opinions divergeaient. Par exemple, si pour Bernheim il n'y a pas d'hypnotisme mais que de la suggestibilité, pour Beaunis il y a autre chose que de la suggestion dans le somnambulisme provoqué. En effet, la suggestion seule ne peut pas expliquer tous les phénomènes comme ceux de la vésication décrits dans son ouvrage sur le somnambulisme (Beaunis, 1886), et encore moins les faits de vision à distance sur lesquels il a publié un article en 1914 (Beaunis, 1914) à la suite de l'affaire Cadiou (cf. Carroy, 1991). Beaunis admet un état cérébral particulier dans lequel l'innervation cérébrale est profondément modifiée sans qu'il sache d'ailleurs au juste quelle est cette modification. La psychologie des sujets suggestionnés se doublait d'études et de réflexions sur la physiologie. Il était le digne représentant en France de la psychologie physiologique. Ses travaux au laboratoire de Nancy (Beaunis, 1884, 1886) avaient pour objectif avoué, d'une part, d'étudier les effets de l'activité mentale et, pour cela, de déterminer l'équivalent chimique du travail cérébral et, d'autre part, d'essayer de fixer les conditions dans lesquelles se produit cette activité. Si officiellement la France n'avait pas encore à l'époque un laboratoire de psychologie physiologique elle possédait un homme qui, par ses efforts, s'occupait assidûment de cette question.

II. Le laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne et « L'Année psychologique » : les conditions de leur création

a)      La rencontre avec Théodule Ribot et la Société de psychologie physiologique

Le philosophe Théodule Ribot (1839-1916) tient une place centrale dans le développement de la psychologie scientifique en France (Fraisse, 1989), principalement à cause de la publication de ses deux ouvrages sur la Psychologie anglaise contemporaine (Ribot, 1870) et la Psychologie allemande contemporaine (Ribot, 1879). Il fit connaître cette Ecole allemande dont les études de psychologie avaient pris une allure nettement physiologique sous l'influence de savants tels que Fechner, Helmholtz et Wundt pour ne citer que les plus importants. En 1876, Ribot crée une revue mensuelle, la Revue philosophique qui accueillera pendant des années les travaux de psychologie empirique. Dès sa parution Beaunis s'abonna à la Revue, mais ne connut personnellement Ribot que quelques années plus tard. C'est en 1879 que Ribot demande par écrit à Beaunis de participer à l'instruction physiologique de ses lecteurs par l'intermédiaire d'articles ou de comptes rendus d'ouvrages. L'invitation était lancée et Beaunis y répondit par la rédaction d'un premier article intitulé « Sur la comparaison du temps de réaction des différentes sensations » (Beaunis, 1883). D'autres articles suivirent, mais la plupart s'inscrivaient dans le cadre de la Société de psychologie physiologique (Beaunis, 1885b, 1885c, 1885d, 1887b, 1888c) et traitaient de la psychologie des sensations et de la suggestion hypnotique : ses deux thèmes de prédilection à l'époque.

La création en 1885 de la Société de psychologie physiologique prépara la voie de la création officielle d'une psychologie fondée sur l'expérience. Cette société avait été fondée sous les auspices de Théodule Ribot et de Jean-Martin Charcot, son étiquette même indiquait la direction qu'elle devait donner à ses travaux. Elle comporta au début des membres honoraires (Jean-Martin Charcot : président; Théodule Ribot, Hyppolite Taine, et Paul Janet), des membres titulaires parmi lesquels Alfred Binet, François Franck, Paul Richer, Henry Beaunis et des membres associés parmi lesquels Pierre Janet et des correspondants étrangers parmi lesquels Helmholtz, Galton, Myers, James, Sully, Delbœuf. Charles Richet était secrétaire général, Charles Féré et Eugène Gley secrétaires. En 1888, Henry Beaunis devenait membre honoraire. Les séances avaient lieu le soir, le premier lundi de chaque mois, d'abord dans le cabinet même de Charcot, puis rue de l'Abbaye pour enfin s'établir à l'hôtel des Sociétés savantes (rue Serpente). Cette société mourut au bout de peu d'années (1891) pour des raisons obscures, certainement liées à des problèmes de personnes, mais elle avait tracé la voie vers la reconnaissance de la psychologie physiologique.

Il y avait déjà vers la fin des années 1880 d'assez nombreuses recherches effectuées en psychologie physiologique, principalement à Paris et à Nancy dans le laboratoire de Beaunis. La nomination de Ribot à la chaire de psychologie expérimentale au Collège de France le 9 avril 1888 a été le premier acte officiel dans cette voie. Beaunis avait déjà constaté, comme il l'écrit dans ses mémoires, que la France était très en retard dans le domaine de la psychologie physiologique en comparaison de pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis. Il écrit ainsi dans ses mémoires :

« Si j'avais le malheur de parler à quelques-uns de mes camarades d'un laboratoire de psychologie, je constatais chez un certain nombre d'entre eux un véritable ahurissement comme si deux mots, psychologie et laboratoire, hurlaient d'être accouplés. J'étais honteux pour mon pays de le voir ainsi en retard sur les autres » (p. 487 des Mémoires).

Après avoir mûrement réfléchi à ce sujet, il se décida à en parler à Ribot en lui demandant s'il croyait que Louis Liard[v], alors directeur de l'Enseignement supérieur, serait hostile à la création d'un laboratoire de psychologie physiologique, et s'il voulait se charger de le sonder sur ce point. Ribot adopta tout de suite son idée et lui promit d'en parler à Liard dès qu'il en trouverait l'occasion. La réponse de Ribot lui parvint début juin 1888 avec une réponse favorable de Liard. Voici un extrait de la lettre de Ribot adressée à Beaunis :

« ... Il croit comme moi qu'il faut le placer (le laboratoire) dans l'Ecole des Hautes Etudes... Je vous engage à aller le voir quand vous serez à Paris... Il a besoin de causer avec vous de beaucoup de détails que je n'ai pu qu'effleurer. En impression finale, c'est que cela est bien mais il faut un peu de patience... J'oubliai de vous dire qu'il est très favorable non seulement au projet mais à vous » (p. 488 des Mémoires).

b)     Fondation du Laboratoire de psychologie physiologique

Dans la démarche de Beaunis auprès de Ribot il y avait non seulement un intérêt scientifique et patriotique, mais aussi une arrière-pensée personnelle qu'il n'a pas cachée. En effet, il espérait bien un peu que, si le laboratoire se fondait, il aurait quelque chance d'en être nommé directeur. A son premier voyage à Paris, il alla trouver Liard, lui expliquant les raisons à l'appui de cette création. Liard, favorable au projet mais ne s'engageant pas formellement, lui demanda de lui apporter un mémoire succinct et un devis approximatif qui furent rédigés en quelques jours. L'espoir vint quand Ribot lui écrit ces quelques lignes le 8 juillet 1888 :

« Je suis très heureux d'apprendre que cette affaire marche sur des roulettes. Je crois que le mieux est de commencer le plus tôt possible et puisque le laboratoire dépendra directement du ministère, tout sera très simple. »

Une question épineuse était celle du local. Et le 6 août 1888, Liard écrivait à Beaunis :

« Je ne sais pas encore où nous placerons le nouveau laboratoire. Mais il n'y a aucun inconvénient à ce que vous réunissiez tous les renseignements sur l'outillage. »

Muni de cette autorisation, il écrivit immédiatement à Wilhelm Wundt à Leipzig en lui demandant de le mettre en rapport avec ses fournisseurs habituels pour les instruments. La réponse datée du 30 août lui donna très aimablement tous les renseignements demandés. Le décret annonçant la création effective du Laboratoire de psychologie physiologique et qui nommait Henry Beaunis directeur fut signé le 23 janvier 1889. Cette direction n'était pas usurpée dans la mesure où il était un digne représentant de la psychologie physiologique française et le promoteur de l'idée de la création d'un tel type de laboratoire qui fut rattaché à l'Ecole des Hautes Etudes dans la section des Sciences naturelles. C'est seulement le 14 février 1889 qu'une lettre de Liard lui dit de contacter Nenot, l'architecte de la Sorbonne, afin de s'entendre avec lui sur le choix de l'implantation du laboratoire dans les locaux de la nouvelle Sorbonne en construction. Il y avait cependant une petite difficulté. Dans le plan des bâtiments de la nouvelle Sorbonne, il n'y avait rien de prévu pour un laboratoire. C'est en visitant les locaux avec l'architecte adjoint que Beaunis choisit trois salles placées au troisième étage à l'angle de la rue Saint-Jacques et de la rue des Ecoles. Seulement ces trois salles étaient, sur le plan, destinées à un bibliothécaire. Beaunis insista de son mieux pour les obtenir. L'architecte consentit à en faire la proposition à Liard qui accepta sur le champ. Au début le laboratoire fut installé provisoirement dans deux salles de la nouvelle Sorbonne. Un an après, il fut enfin transféré au troisième étage du bâtiment (cf. Oléron, 1966). Voici la description des locaux telle qu'elle a été publiée dans le premier bulletin des Travaux du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne (Beaunis, 1893a) :

« Il (le laboratoire) comprend quatre pièces dont chacune a sa destination spéciale :

« 1 / Une grande salle pour les démonstrations en commun ;

« 2 / Le cabinet des directeurs, où sont renfermés, dans des vitrines, les appareils et instruments les plus délicats ; cette salle sert aussi de salle d'expérience pour les recherches spéciales ;

« 3 / Une pièce qui contient la bibliothèque et une armoire vitrée pour la verrerie et les réactifs. Cette salle est utilisée pour les recherches macroscopiques et microscopiques sur le système nerveux ;

« 4 / Une quatrième pièce est réservée exclusivement au maître de conférences. Un petit cabinet annexe peut être transformé en cabinet noir pour des expériences sur les sensations visuelles.

« Un cabinet semblable donne sur le corridor qui commande toutes les pièces du laboratoire. Enfin une dernière pièce, pourvue d'un fourneau, d'une hôte, etc., sert à la fois de débarras, de réserve pour le combustible et peut être utilisée pour des expériences de chimie. »

c)      La rencontre avec Alfred Binet (1891)

Les débuts du laboratoire furent très modestes. Beaunis était seul, sans aide, sans même un garçon de laboratoire et c'était une des concierges de la Sorbonne qui, provisoirement, y faisait le ménage. Mais peu à peu tout s'organisa (cf. Beaunis, 1893a pour une description des matériels et revues). Un préparateur, Jean Philippe[vi], fut tout d'abord affecté au laboratoire avant qu'Alfred Binet s'intègre dans cette structure en 1891. C'est sur le quai de la gare de la rue Verte à Rouen que Beaunis rencontra pour la première fois Alfred Binet. Beaunis attendait le train de Cany quand il fut abordé par « un grand monsieur, de complexion robuste, l'œil vif à travers les verres du lorgnon, l'air souriant, une figure pénétrante de chercheur. Il se nomma et la glace fut vite rompue entre nous. Je connaissais ses travaux et je les appréciais tout en me trouvant dans le camp opposé au sien dans les questions d'hypnotisme et de suggestion qui m'occupaient beaucoup en ce moment. Nous causâmes, il me demanda de venir travailler au laboratoire, autorisation que je lui accordai immédiatement, heureux de trouver un collaborateur de cette valeur pour un laboratoire à ses débuts et dont la création avait éveillé des défiances plus ou moins déclarées qui n'étaient pas encore éteintes. Ce que je pus apprécier de suite chez Binet c'est la profondeur de son intelligence, cette vivacité d'esprit toujours en éveil et cette personnalité qui s'affirmait si nettement dans toutes ses recherches. Dans chaque expérience, dans chaque domaine scientifique, il savait découvrir quelque chose qui n'avait pas été vu avant lui, émettre des aperçus nouveaux, tenter des voies inexplorées. Il avait une remarquable puissance de travail, une surprenante activité cérébrale » (Mémoires, p. 495).

Binet ne tarda pas à prendre dans le laboratoire une place importante et fut nommé d'abord préparateur puis, en 1892, directeur adjoint à 35 ans. Le personnel du laboratoire comprenait en 1893 les membres suivants (cf. Beaunis, 1893a) : Beaunis (directeur), Binet (directeur adjoint), Charles Henry (maître de conférences)[vii], Jean Philippe (chef de travaux) et Jules Courtier (chef adjoint des travaux)[viii].

Quand Beaunis prit sa retraite comme professeur à Nancy en 1893 (il fut nommé professeur honoraire de la Faculté de médecine de Nancy par décret du 15 janvier 1894), il put consacrer tout son temps au Laboratoire de la Sorbonne, résider à Paris, sans avoir à s'occuper ni de cours ni d'examens. A cette époque, quelques élèves, dont le plus en vue fut certainement Victor Henri (Nicolas, 19946), quelques curieux et quelques étrangers vinrent y travailler. Les premiers travaux sortis du Laboratoire furent publiés essentiellement dans les bulletins des Travaux du Laboratoire de psychologie physiologique (1893 pour les travaux de 1892 ; 1894 pour les travaux de 1893), même si d'autres revues de l'époque accueillirent quelques autres recherches (Revue scientifique, Revue générale des sciences, Revue des Deux Mondes, Comptes rendus de l'Académie des Sciences...). Dans les deux fascicules des bulletins du laboratoire on trouve deux publications signées par Henry Beaunis, l'une concerne une note sur les questionnaires psychologiques individuels qui fut présentée au Congrès international de psychologie physiologique à Londres en 1892 (Beaunis, 1893a) et l'autre est un article écrit en collaboration avec Alfred Binet sur un sujet à la mode à l'époque : l'audition colorée (Beaunis et Binet, 1893). Par la suite, les recherches du laboratoire furent publiées quasi exclusivement dans L'Année Psychologique.

d)     Création de « L'Année Psychologique » (1894-1895)

C'est sans conteste à Alfred Binet que revient l'idée de fonder L'Année Psychologique. C'est la lettre du 19 février 1894 adressée à Beaunis qui l'atteste :

« Je veux depuis longtemps vous parler d'un projet qui trotte dans ma tête. Voici ce que c'est. Je suis absolument désolé que nous payons fort cher pour notre Bulletin et qu'il ne se vend pas et n'a pas même été mis en vente. J'ai conçu l'idée d'une publication d'un genre tant soit peu différente ; ce serait une Année Psychologique analogue à L'Année Philosophique de Pillon, qui publierait en appendice un en-tête de nos travaux et où se trouveraient résumés et critiqués les travaux des autres. Je voudrais une analyse assez bien faite pour dispenser de recourir à l'original, avec dessins d'appareils, et le tout suivi dans le cas où ce serait possible, d'une critique expérimentale, la seule vraie critique en somme. J'ai parlé de ce projet à Alcan qui hésite un peu... Que pensez- vous de mon idée? Approuvez- vous si je puis la faire aboutir ? » (Mémoires, p. 497-498).

Si Henry Beaunis donna son approbation à ce projet, il était assez sceptique sur le résultat. Il avait tort, car Binet remporta un plein succès[ix]. Grâce à l'appui du ministère et au zèle de nombreux souscripteurs, Binet réussit à couvrir les frais du premier volume (Binet, 1895) qui parut en 1895 chez l'éditeur Felix Alcan et rendait compte des travaux du laboratoire pour l'année 1894. La première Année Psychologique comprenait trois parties : des travaux originaux, des revues générales, des analyses et un index bibliographique. Son contenu s'ouvrait sur les recherches magistrales d'Alfred Binet et de Victor Henri relatives à la mémoire (cf. Nicolas, 1994a) et sur les premiers travaux que Binet consacrait à la psychologie des grands hommes. Au moment de la publication, il venait d'abandonner à Binet la responsabilité complète du laboratoire non sans émotion, car il considérait le laboratoire comme le couronnement de sa carrière. Il écrit ainsi dans ses Mémoires :

« La cause de l'écroulement fut pour moi la maladie. En 1894, je fus pris d'une grippe infectieuse très grave, aux spasmes laryngés, suffocations, grippe qui mit ma vie en danger et laissa à sa suite une incapacité de travail avec obligation de quitter Paris et d'aller vivre dans le Midi. Dans un travail comme celui que j'avais entrepris un arrêt d'un an ou deux équivaut à un arrêt définitif. C'est ce qui arriva. Quand je me retrouvai d'aplomb et tout à fait bien portant, en considérant le travail qu'il me faudrait faire pour réviser mes notes, mettre le tout en ordre, et cela loin de mon laboratoire, loin de toute bibliothèque, loin de l'atmosphère scientifique du Quartier latin dans cet air, dans ce milieu méridional et méditerranéen si peu propice à ce genre d'études (sic), je ne me sentis pas le courage de me remettre à la tâche que j'avais entreprise. Ce fut une déception terrible à laquelle je dus me soumettre » (p. 494 des Mémoires).

Cependant, Beaunis avait eu le courage de faire précéder le premier tome de L'Année Psychologique d'une introduction (Beaunis, 1895) dans laquelle il indiquait nettement les idées directrices à cette publication : une psychologie comprise comme science naturelle et séparée de la métaphysique. Ce texte résume de manière succincte l'affranchissement de la psychologie et sa constitution comme science. Il note que les tendances métaphysiques ne disparurent qu'au cours du XIXe siècle avec Taine, Spencer et Bain pour ne citer que les plus célèbres. Mais pour construire une nouvelle science il ne suffisait pas d'en éliminer les éléments de métaphysique, il fallait aussi faire appel aux données physiologiques. Il note en effet que le seul terrain solide pour l'édification d'une psychologie rationnelle c'est la physiologie. Ce sont d'ailleurs les physiologistes germaniques J. Müller, Weber, Donders, Helmholtz et leurs successeurs qui ont été les précurseurs et les véritables initiateurs de la nouvelle psychologie. La physiologie a montré que la conscience à elle seule ne peut rien nous apprendre sur les sensations élémentaires, qu'au contraire elle nous trompe en nous faisant prendre pour simples des états complexes. C'est la physiologie qui a aussi prouvé que les phénomènes psychiques ont toujours un concomitant cérébral. Par les recherches sur le fonctionnement du cerveau, les localisations cérébrales, les sensations, la vitesse de transmission des nerfs, etc., elle a ouvert à la psychologie des voies nouvelles et lui a fourni des méthodes en contribuant à l'élever en véritable science. Il souligne que c'est Weber qui est entré le premier dans cette voie par ses recherches sur les sensations, mais que c'est à Fechner que revient l'honneur d'avoir donné une orientation scientifique à la psychologie, d'avoir écrit un travail complet, systématique, basé sur des recherches précises et méthodiques et d'avoir essayé de formuler des lois. Pour Beaunis, les Elemente der Psychophysik de Fechner (1960) marquent une date importante dans l'histoire puisqu'il considère son auteur comme le véritable fondateur de la psychologie expérimentale. Il souligne qu'en France Ribot a eu une grande influence sur le mouvement philosophique en faisant une large part aux travaux de psychologie expérimentale et note qu'aujourd'hui à la suite des travaux de Wundt le mouvement s'accélère :

« Mais ce n'est plus, comme au début, la mesure de la durée des processus psychiques et de l'intensité des sensations qui constitue l'objet presque exclusif des recherches ; la mémoire, l'attention, le jugement, en un mot, tous les processus psychiques sont étudiés par les procédés expérimentaux usités en physiologie. C'est grâce à cette méthode que la psychologie deviendra une science d'observation et d'expérimentation, c'est-à-dire une véritable science, comme les autres sciences naturelles. C'est pour cette raison qu'elle s'interdit, qu'elle doit s'interdire toute spéculation sur l'essence et la nature de l'âme, sur son origine, sur sa destinée. Il est des questions qu'il est inutile de se poser puisqu'il est impossible de les résoudre scientifiquement (...) Elle étudie l'homme et l'animal dans ses manifestations psychiques, elle recherche les liens qui rattachent ces manifestations au fonctionnement des organes et en particulier du cerveau. Elle recueille des documents nécessaires pour constituer plus tard la science de l'homme sans laquelle les sciences sociales, l'éducation, la criminalité n'auront jamais de fondement solide. La psychologie ne doit pas aller au-delà. C'est dans cet esprit que ce livre est conçu » (Beaunis, 1895, p. VI et VII).

Beaunis a été un des rares promoteurs en France des recherches expérimentales en psychologie. Sur les traces de Ribot, il a affirmé que la psychologie devait se détacher de la philosophie pour devenir une science autonome utilisant les méthodes des sciences naturelles. Mais si l'on devait aujourd'hui juger l'apport de Beaunis dans le domaine de la psychologie expérimentale française, on peut affirmer sans conteste qu'il fut essentiellement institutionnel. Si Beaunis a permis la mise en place d'un nouveau laboratoire et a attiré vers lui des chercheurs français et étrangers, il n'a pas effectué lui-même de recherches expérimentales originales comme en témoignent ses publications de l'époque, ce rôle revient sans nul doute à Alfred Binet.

Lorsque Beaunis dut passer la main, il regretta amèrement par la suite que Binet se soit de plus en plus éloigné du laboratoire et des méthodes qui avaient déterminé sa création. Les deux hommes entretinrent cependant encore des relations de travail, comme en témoigne la communication sur la première version de l'échelle de mesure de l'intelligence (Binet et Simon, 1905) apportée par Beaunis en 1905 au Ve Congrès international de psychologie tenu à Rome (Beaunis présenta aussi à ce congrès une communication peu remarquée sur la « nuit psychique »). La mort d'Alfred Binet survenue en 1911 faillit cependant être en même temps la mort du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne. Ses adversaires n'avaient pas désarmé et la lenteur mise par le ministre à donner un successeur à Binet favorisait leur critique. Les uns, tout simplement, demandaient sa suppression, tandis que les autres, plus dangereux et plus habiles, demandaient sa transformation, ce qui équivalait en somme à une suppression déguisée. Liard n'était plus directeur de l'Enseignement supérieur, il ne pouvait plus défendre efficacement sa création. Beaunis fut prévenu à temps du danger par le chef des travaux du Laboratoire, Jean Philippe, et fit tout son possible pour sauver l'œuvre à laquelle il tenait tant. Il écrivit à Liard, alors vice-recteur de l'Académie de Paris, au nouveau directeur de l'Enseignement supérieur, Bayet, à quelques membres de la commission du budget et à quelques personnalités scientifiques qu'il savait favorables au projet. Beaunis obtint gain de cause dans des circonstances qui furent relatées quelques décennies plus tard par Henri Piéron (1960). Le laboratoire fut maintenu avec son titre (Laboratoire de psychologie physiologique), avec comme directeur Henri Piéron et comme directeur adjoint Jean Philippe. L'orientation que Piéron avait imprimée au Laboratoire satisfaisait pleinement Henry Beaunis

EPILOGUE

 

Quittant la capitale, Beaunis et sa femme s'établirent dans le midi de la France. Après Beaulieu, Saint- Jean et Cannes, Le Cannet, qui connaît une grande renommée à l'époque, fut leur dernière résidence où ils s'installèrent en 1905. Ses activités furent très diverses. Il cultiva son dilettantisme par les voyages, la sculpture, la peinture et la musique publiant même un article sur ce dernier sujet (Beaunis, 1918). Il était, au surplus, un fin lettré, dont la plume alerte a laissé des pièces de théâtre en prose ainsi que des poésies, des drames, des fantaisies et des nouvelles sous le pseudonyme de Paul Abaur (1895) (cf. Gross, 1921). A la mort de sa femme survenue en 1912, il chercha dans l'étude la consolation. Il reprit l'idée caressée depuis le collège : la traduction en vers du théâtre d'Eschyle (Beaunis, 1917) qui fut achevée au début de la Première Guerre mondiale. Cet homme qui avait vu le jour en pleine Révolution, assisté personnellement au coup d'Etat du 2 décembre 1851 à Paris par celui qui allait devenir Napoléon III, suivi l'ascension et la chute du Second Empire, fait et subi la guerre franco-prussienne de 1870, souffert le deuil de Strasbourg, vécut assez longtemps pour connaître l'émotion du triomphe français et la joie d'assister à la restitution de l'Alsace retrouvée. Son fort sentiment patriotique le conduisit à rédiger dès 1914 des poésies vendues pour le soutien à l'effort français. Patriote convaincu, il écrivait le 11 mai 1919 (Beaunis, 1919, p. 184) :

 « Pendant cinquante ans j'ai vécu dans l'attente je ne dirai pas d'une revanche belliqueuse, mais d'une revanche du droit. »

Lorsque l'Université de Strasbourg, redevenue française, fut inaugurée de nouveau, le 21 novembre 1919, Beaunis fut nommé professeur honoraire de la Faculté de médecine et reçu la rosette d'officier de la Légion d'honneur.

Beaunis réfléchit et écrivit jusqu'à ses derniers jours, publiant dans l’American Journal of Psychology ses réflexions sur les rêves (Beaunis, 1903) puis dans la Revue philosophique des articles sur le fonctionnement cérébral (Beaunis, 1909, 1910) et la question des aveugles (Beaunis, 1921) dont il avait appris la lecture Braille. Il répondit même à un questionnaire sur les méthodes de travail intellectuel quelques semaines avant sa disparition (Vie universitaire, octobre 1921). A 91 ans, il fit une chute dans ses escaliers qui s'accompagna de complications. Avec la même curiosité qu'il eut pour tout ce qu'il avait entrepris, il suivit l'évolution de sa maladie et de sa mort lente, notant quotidiennement sur des fiches ses impressions physiques et morales. Il s'éteignit le 11 juillet 1921 au Cannet.

Si l'on peut exprimer un vœu pour l'avenir, il serait de retrouver dans leur intégralité les Mémoires d'Henry Beaunis. En effet, il apparaît maintenant que ces pages sont le témoin de l'activité d'un homme pour le développement en France de la psychologie scientifique. La publication de ces Mémoires serait un événement important pour l'histoire des sciences, et non pas seulement de la psychologie. En effet, Henry Beaunis était en contact avec de nombreux médecins, physiologistes et philosophes de son temps dont il a dressé les portraits et sur lesquels il a porté des jugements intéressants. Comptons sur la chance pour que dans un proche avenir ce travail inédit soit accessible à tous les publics[x].

BIBLIOGRAPHIE

 

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NOTES



[i] Cette découverte est à mettre au compte d'un heureux hasard. C'est en lisant en janvier dernier l'intéressant ouvrage de Jacqueline Carroy sur Les personnalités doubles et multiples (1993), alors que j'avais entrepris depuis un certain temps déjà mes recherches documentaires sur le sujet qui nous occupe, que j'ai découvert l'existence des Mémoires d'Henry Beaunis. Après une recherche infructueuse dans diverses bibliothèques à Paris et Nancy, j'ai contacté personnellement Jacqueline Carroy lors d'une réunion au GEPHP (Groupe d'études pluridisciplinaires d'histoire de la psychologie) qui m'a aimablement fait parvenir les extraits qu'elle possédait des Mémoires ainsi qu'un article écrit par Madeleine Brunon-Guardia, nièce d'Henry Beaunis, en souvenir de son oncle défunt pour la « Normandie médicale » et retranscrit dans la Revue médicale de l'Est (1922). Ce dernier article est en fait un résumé très succinct des Mémoires inédits de Beaunis. Les extraits des Mémoires qui me sont parvenus sont relatifs à l'œuvre psychologique d'Henry Beaunis sur l'Ecole de Nancy (p. 414-445) et la fondation du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne

[ii] Henri-Désiré Abel Bouchard est né le 18 décembre 1833 à Ribeauvillé. Il fit ses études à la Faculté de Strasbourg où il passa brillamment le concours de l'internat (1854), puis sa thèse de doctorat (1856). Il entra au Val-de-Grâce comme médecin stagiaire. C'est là qu'il rencontra Beaunis. Il professa ensuite l'anatomie et la physiologie à l'Ecole de santé militaire de Strasbourg de 1866 à 1870. La même année que Beaunis (1872) il rentra dans le civil pour occuper une chaire d'anatomie à la Faculté de Nancy, puis en 1876 demanda sa mutation à Bordeaux où il décéda en mars 1899.

[iii] E. Küss (né à Strasbourg le 1er février 1815 ; décédé à Bordeaux le 1er mars 1871) était professeur de physiologie à Strasbourg depuis 1846 (pour une biographie : Beaunis, 1887a, p. 229-242).

[iv] A cette époque on opposait classiquement le petit hypnotisme de l'Ecole de Nancy au grand hypnotisme de l'Ecole de la Salpêtrière. Le grand hypnotisme se caractérise par l'état cataleptique, l'état léthargique et l'état somnambulique, dont chacun possède des traits spécifiques. Le grand hypnotisme peut se présenter soit à l'état complet soit à l'état frustre, c'est-à-dire qu'un certain nombre de phénomènes peuvent manquer chez un sujet donné, sans que pour cela l'aspect général soit altéré s'il reste suffisamment de traits caractéristiques. Les expérimentateurs de Nancy ne retrouvèrent pas chez leurs sujets ces phénomènes physiques qui ont été décrits avec tant de soins par Jean-Martin Charcot et ses élèves. Dans le petit hypnotisme, les sujets sont doués d'une suggestibilité particulière, on peut développer sur eux des états cataleptoïdes, des rigidités musculaires, des attitudes fixes, des paralysies, etc., mais ces sujets n'offrent qu'un très petit nombre de phénomènes somatiques. Ce qui a fait dire à Alfred Binet (1886) que c'est l'Ecole de la Salpêtrière qui a découvert les signes objectifs permettant d'exclure complètement le danger de la simulation.

[v] Louis Liard (1846-1917) fut un universitaire à la fois philosophe et administrateur. Il fut nommé comme enseignant de philosophie à la Faculté des lettres de Bordeaux en 1874, où il restera jusqu'en 1880. Durant cette période, il contribua par ses écrits au renouvellement de la philosophie critique par sa mise en question du naturalisme positiviste. Sa carrière d'administrateur commença par sa nomination comme recteur de l'Académie de Caen. En 1884, il fut appelé par le gouvernement pour un poste de directeur de l'Enseignement supérieur. De 1885 à 1893, il poursuivit la réorganisation de l'Enseignement supérieur et la construction des Universités. Il fut nommé vice-recteur de l'Université de Paris en 1902.

[vi]  Jean Philippe, né à Saint-Julien de Civry en 1862, fut nommé préparateur dès la fondation du Laboratoire en 1889, sur le conseil de Ribot (cf. Piéron, 1939). Il devint chef des travaux à l'âge de 30 ans (1892). En raison de l'insuffisance du traitement misérable qui lui était alloué, il avait dû prendre par la suite une place de professeur dans un école primaire de Paris (Piéron, 1958). Il ne vint par la suite au Laboratoire que le jeudi après-midi, car le laboratoire ne fonctionnait alors qu'une demi-journée par semaine, Binet ayant déserté les locaux de la Sorbonne pour les milieux scolaires (1897-1898). Après la mort de Binet, il fut promu directeur adjoint en 1912 quand la direction du laboratoire fut confiée à Henri Piéron (1881-1964). A sa retraite, il fut nommé directeur honoraire (1923). Il était licencié en philosophie et docteur en médecine. Il décéda à l'âge de 69 ans, le 10 décembre 1931.

[vii]  Charles Henry est né à Bollwiller (Haut-Rhin) le 16 mai 1859. Il fut bibliothécaire à la Sorbonne à partir de 1881. Esprit encyclopédique, il a abordé les sujets les plus divers. Passionné pour la littérature et l'histoire des mathématiques, il a découvert de nombreux manuscrits inédits qu'il fît éditer. Nommé maître de conférences en 1892, il fut nommé membre associé au Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne sur la proposition de Théodule Ribot et Louis Liard sur qui il avait fait une forte impression. Il obtint en 1897 de Louis Liard la direction d'un Laboratoire EPHE indépendant de physiologie des sensations, avec octroi de la pièce qu'il occupait dans les locaux de Binet et disposition de greniers qu'il réussit plus ou moins bien à aménager. Lors de la séparation avec Binet, avec qui il entretenait des relations conflictuelles, il emmena avec lui son collaborateur, Jules Courtier, chef adjoint des travaux à l'époque. Quand Charles Henry atteignit l'âge de la retraite, en 1925, son Laboratoire de physiologie des sensations fut attribué à Henri Piéron, et les deux laboratoires de l'Ecole des Hautes Etudes nés par scissiparité en 1897 du Laboratoire de psychologie physiologique furent à nouveau rattachés avec, comme titre, celui de Laboratoire de psychologie expérimentale et physiologie des sensations. Charles Henry a laissé une œuvre fondamentale dans le domaine des mathématiques appliquées et de la psychophysique. Cependant, il fut très mal jugé par ses contemporains (cf. Piéron, 1958). Il resterait à évaluer son œuvre, indépendamment des passions que sa personne a suscitées à l'époque. Il est mort à Versailles le 4 novembre 1926 à l'âge de 66 ans.

[viii] Jules Courtier, né le 21 mai 1860 à Rouen, fut l'un des premiers collaborateurs de Binet avec qui il publia divers mémoires dans L'Année Psychologique à ses débuts. Il passa en 1897 comme chef de travaux à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne à celui de physiologie des sensations, dirigé par Charles Henry, dont il devint en 1911 le directeur adjoint jusqu'à sa retraite, en 1926. A la fondation de l'Institut général psychologique en 1900, il fut nommé secrétaire. Il s'est éteint le 16 février 1938 à l'âge de 78 ans.

[ix]  La Revue philosophique de juillet 1894 (p. 112) annonce en ces termes la parution de cette nouvelle publication : « Le Laboratoire de psychologie des hautes études (Sorbonne) publiera, au commencement de l'année 1895, une Année Psychologique, contenant une série de mémoires originaux et un compte rendu aussi complet que possible des travaux de psychologie expérimentale parus dans tous les pays pendant l'année 1894.

[x] Selon l’article de Wikipedia consacré à Beaunis, ces mémoires ont depuis été retrouvées et en partie publiées par Bernard Andrieu (commentaire B. Legras).