DE REN Gérard

1921-1996

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

C'est le dimanche 15 octobre dernier au matin que j'ai appris par son fils Jean, Directeur Adjoint au Centre Hospitalier Universitaire de Nancy, la mort à l'âge de 74 ans de mon Maître, le Professeur Gérard de REN. Il s'était éteint tout doucement la veille au soir après que, lucide malgré la maladie avec laquelle il luttait déjà depuis plusieurs années, il eut persuadé avec la ténacité et le courage qui le caractérisaient, les médecins hospitaliers qui se relayaient à son chevet de le laisser mourir chez lui. Et c'est une heure plus tard qu'il nous quittait, entouré des siens dans cette maison de Malzéville qu'il aimait tant et où son épouse l'avait aidé avec un dévouement sans égal à se battre contre le mal qui l'affaiblissait inexorablement de jour en jour.

Et aujourd'hui, il me revient la lourde et difficile tâche d'évoquer sa mémoire. C'est pour moi un instant particulièrement émouvant car les sentiments qui me liaient à lui ne se limitaient pas à la reconnaissance élémentaire que tout élève doit à son Maître et à laquelle il aurait répondu par une courtoisie de circonstance. Il s'est agi en fait pendant de longues années de liens très étroits grâce auxquels j'ai eu l'honneur de partager avec lui et les siens bien des événements heureux mais parfois aussi d'autres beaucoup plus empreints d'amertume qui ont les uns et les autres émaillé sa vie professionnelle et familiale. Mais même pour moi qui ai longtemps vécu à ses côtés, l'homme, toujours discret, reste difficile à dépeindre. Sa carrière, bien qu'hésitante à ses débuts, est plus facile à rappeler.

Le Professeur Gérard de REN est né à Laxou le 30 septembre 1921. Il débute ses études secondaires au Petit séminaire alors implanté à Bosserville. Mais le lycée Henri-Poincaré l'accueille dès la classe de seconde. En effet sa vocation n'est déjà plus la prêtrise. Elle n'est pas encore la médecine. Il veut préparer Saint-Cyr. Mais en 1939, tandis qu'il est élève de terminale, un malheureux accident qui l'atteint à l'oeil l'oblige à se détourner de la carrière militaire. Il va lors entreprendre de brillantes études de médecine puisqu'il se voit attribuer les prix de fin de 1ère, de 2ème et de 3ème années. Dans le même temps, il est nommé Externe des Hôpitaux dès 1941. Deux ans plus tard, en 1943, il est reçu au concours d'Internat. Parallèlement, il s'initie à la Physiologie et exerce des fonçons de préparateur dans cette discipline de 1942 à 1944.

Cette année 1944 va l'éloigner de Nancy, de son hôpital et de sa faculté. Le débarquement anglo-américain a débuté en Normandie le 6 juin à l'aube et rapidement les troupes alliées ont atteint la Somme, l'Aisne et la Marne. Simultanément, on apprend qu'un débarquement franco-américain a eu lieu en Provence le 15 août et a opéré sa jonction avec les forces débarquées en Normandie le 12 septembre près de Châtillon-sur-Seine. Et le 20, dès la libération de Nancy, celui qui n'avait pu réaliser son rêve d'intégrer Saint-Cyr s'engage. La Campagne d'Alsace va débuter quelques semaines plus tard et le 5 décembre, il demande à être intégré dans la 1ère Armée de De Lattre de Tassigny en qualité de médecin-auxiliaire. Le 12 décembre, il est affecté au 6e Régiment d'Infanterie Coloniale et le 21 janvier 1945, lors de l'attaque lancée pour la libération de Colmar, il est atteint à l'épaule droite par une balle allemande alors qu'il assure avec l'aide de deux brancardiers seulement l'évacuation de blessés. La tête humérale fracassée, sa conduite courageuse durant cette mission lui vaudra une citation à l'ordre de la brigade et de se voir décerner la Croix de Guerre avec étoile de bronze d'autant que, malgré le handicap qu'il conservait et une fois rétabli, il tint à rejoindre son régiment pour participer à la Campagne de Rhénanie en tant que médecin sous-lieutenant.

Rendu à la vie civile, il poursuit son internat ainsi interrompu par les hostilités en même temps qu'il commence à participer en qualité de préparateur à l'enseignement et aux travaux de la Chaire de Médecine Légale sous l'autorité du Professeur MUTEL. Chef de clinique médicale dans le service du Professeur Paul-Louis DROUET, il soutient sa thèse de Doctorat en Médecine consacrée aux hémopathies mégaloblastiques en 1948. Reçu au concours d'Assistant des Hôpitaux en 1949, il continue à travailler avec son Maître, le Professeur DROUET vraisemblablement trop tôt disparu pour la suite de sa carrière, mais auquel il vouera une admiration indéfectible. Admis au Médicat en 1953, il sera tout d'abord nommé en 1954 Chef du Service des Maladies chroniques avant de recevoir la chefferie du Service de Pneumologie-Phtisiologie femmes en 1956. C'est d'ailleurs là, à l'Hôpital Villemin, que je devais le rencontrer pour la première fois, ayant eu l'honneur d'effectuer mon premier stage d'externe sous sa direction en 1960-1961.

Mais passionné par l'hématologie, tout autant que par l'endocrinologie, la neurologie ou la pneumologie, il va le rester également par la médecine légale, discipline dans laquelle il sera nommé, en 1962, Maître de Conférence agrégé. C'est d'ailleurs à l'Institut de Médecine Légale de la rue Lionnois que je devais le retrouver en 1963 lorsque le Professeur François HEULLY, alors titulaire de la Chaire de Médecine Légale et de Déontologie, voulut bien m'y accueillir en qualité de préparateur. Et désormais nos chemins ne devaient plus jamais se séparer. En 1970, il est nommé Professeur sans Chaire, devenant dès lors le responsable de l'enseignement de la médecine légale à Nancy après que le Professeur HEULLY eut quant à lui été appelé à guider les destinées de la Chaire de Thérapeutique.

L'année 1976 va être un nouveau tournant dans la carrière de celui dont nous honorons aujourd'hui la mémoire. Le Professeur Louis PIERQUIN ayant fait valoir ses droits à la retraite et le Professeur Claude PERNOT ayant désormais décidé de se consacrer à la seule cardiologie, la médecine du travail se retrouve orpheline et risque de ne plus pouvoir être enseignée dans notre Faculté. Celle-ci se souvient alors qu'en 1948, le brillant étudiant qu'était Gérard de REN n'a pas seulement été admis au grade de Docteur en médecine mais a obtenu, en même temps d'ailleurs que celui de Médecine Légale et Psychiatrie, le diplôme d'Hygiène Industrielle et de Médecine du Travail. D'autre part, en tant que pneumologue, il avait déjà été à l'origine d'un bon nombre de publications concernant des affections pulmonaires d'origine professionnelle et dont les implications médico-légales étaient évidentes. D'ailleurs si les deux disciplines n'étaient plus tout à fait soeurs comme elles l'avaient été en 1946, époque de la création officielle de la médecine du travail en France, elles restaient cousines germaines et le temps n'était pas loin où à l'instar du Professeur PERNOT, on concourait d'ailleurs à l'agrégation commune de médecine légale et de médecine du travail. Et, compte tenu de la notoriété qu'il avait acquise dans les deux matières, il devenait donc Professeur titulaire de la Chaire de Médecine Légale et de Médecine du Travail en 1977 avant d'être nommé en 1985 Chef du Service de Médecine Légale, Médecine du Travail et de Pathologie Professionnelle à l'Hôpital Villemin, poste qu'il occupera jusqu'à sa retraite en 1988.

Son intérêt pour les multiples facettes de la médecine se concrétisa tout au long de sa carrière par des communications et publications fort diversifiées mais ce sont celles consacrées au Droit Médical et l'éthique qui firent particulièrement autorité. En effet, sa parfaite connaissance du droit et son immense culture générale empreinte d'un humanisme profond ne pouvaient que nourrir sa réflexion sur les problèmes de responsabilité médicale et de déontologie et l'ériger en défenseur des valeurs morales qui doivent régir notre profession.

D'autre part, en raison de la notoriété qu'il avait acquise dans les milieux judiciaires, grâce à la rigueur et au perfectionnisme dont il faisait preuve, il était un expert particulièrement apprécié et fut de ce fait appelé à collaborer avec les autorités compétentes à bon nombre d'affaires criminelles dont certaines restent dans toutes les mémoires. Je ne le connaissais pas encore au moment de l'affaire du curé d'Uruffe mais j'étais à ses côtés lors de celle pour laquelle fut jugé Patrick Henry, auteur d'un rapt avec mort d'enfant et qui lors de son procès devant les assises de l'Aube ne sauva sa tête que grâce à l'à-propos et il faut bien le dire le talent de son défenseur, Maître Badinter. Malheureusement, la maladresse de quelques-uns a fait qu'il n'allait pas être ménagé dans l'affaire Grégory par des médias toujours en mal de sensationnel.

Quoi qu'il en soit, la réputation qu'il avait su se tailler en médecine légale et dans le domaine de l'expertise font qu'après avoir été tout d'abord Expert près la Cour d'Appel de Nancy, il devait acquérir en 1974 le titre d'Expert national agréé par la Cour de Cassation et c'est aussi grâce à sa grande compétence qu'il dut être sollicité pour exercer des fonctions de médecin-expert au sein d'institutions aussi diverses que le Centre de Réforme, les Commissions Régionales du Contentieux Technique de la Sécurité Sociale ou le Collège des Trois Médecins dont il fut membre titulaire jusqu'à ce que la maladie lui interdise toute activité.

Membre de nombreuses société savantes nationales et internationales, ses qualités lui avaient enfin valu de se voir décerner, outre la Croix de Guerre 1939-45 dont j'ai déjà fait état, les plus hautes distinctions honorifiques françaises : il était en effet Chevalier de la Légion d'honneur, Chevalier dans l'Ordre national du Mérite et Officier des Palmes académiques.

Telles sont ici résumées les principales étapes de la carrière du Professeur Gérard de REN. Pour qui ne le connaissait que superficiellement, il pourra laisser le souvenir d'un homme effacé, avare de paroles et ne recherchant guère les contacts humains. Il est vrai qu'il appréciait peu les mondanités. Mais pour ceux à qui il avait accordé son amitié et qui avaient la chance de partager son intimité, ses énormes qualités éclataient vite au grand jour. Travailleur acharné, il restait certes toujours un peu secret et par pudeur livrait difficilement ses sentiments d'autant que devant l'adversité il réagissait avec un humour toujours égal. Mais profondément épris de justice, il ne pouvait ressentir au fond de lui-même qu'une grande tristesse devant l'incompréhension et l'ingratitude. Sa simplicité, sa gentillesse, sa tolérance et sa haute intelligence marquaient tous ceux qui le fréquentaient et les étudiants n'étaient pas les derniers à l'apprécier, eux qui pendant toute une génération ont suivi ses cours avec assiduité et auxquels il s'est toujours efforcé d'enseigner les règles de l'honneur alors même que commençaient à être remis en cause tous les idéaux de dévouement, de grandeur et de noblesse.

Tous ceux qui l'ont côtoyé et aimé ne peuvent être que profondément affectés par sa disparition. A son épouse et à ses enfants, je ne peux qu'exprimer au nom de toute la Faculté ma sympathie en les assurant que ses élèves, ses amis et tous ceux qui ont travaillé avec lui ne pourront jamais l'oublier.

Professeur G. PETIET