HEULLY François

1912-1976

` sommaire

Autres photos : cliquez ici

ELOGE FUNEBRE

La Faculté endeuillée rend aujourd'hui un hommage solennel à celui qui fut l'un de ses membres les plus estimés et les plus éminents, le Professeur François HEULLY, mon Maître, qui nous a quittés brutalement alors qu'il était en pleine activité. C'était un homme bon, généreux, courageux, médecin de grand talent, que nous ne reverrons plus et dont la vie entière, toute de droiture, inspire le plus grand respect.

La tâche est difficile, l'honneur est immense, pour un élève profondément marqué par une disparition si soudaine, d'avoir à trouver les mots justes, capables de retracer une vie si exemplaire, mais c'est un devoir sacré pour le collaborateur et l'ami que je crois être devenu, d'essayer de faire ressentir aux membres de cette assemblée la perte cruelle qui l'affecte et l'émotion profonde qui l'étreint. Perdre un Maître, tel que le Professeur François HEULLY, c'est pour un élève voir s'effacer toute une longue période fructueuse et enrichissante d'étroite collaboration professionnelle, c'est surtout déplorer la perte d'un être cher tant étaient réels les liens presque filiaux qui nous unissaient. Pendant près de 20 ans, François HEULLY a guidé ma vie médicale ; il a participé à mes peines et à mes joies, comme j'ai moi-même vivement ressenti tous les événements heureux ou malheureux qui l'atteignaient.

Sa vie fut d'une richesse peu commune sans jamais la moindre concession à la facilité. Les plus sombres périodes de son existence furent traversées avec un courage exemplaire et la sage philosophie qui l'animait a fait de lui l'homme exceptionnel qui nous manquera toujours. Issu d'une famille médicale, son père était un chirurgien réputé, François HEULLY fit au Lycée H.Poincaré de Nancy des études secondaires brillantes. Puis attiré par la médecine, et suivant les traces de son père, il rentre à la Faculté de Médecine et passe sa thèse de Doctorat au seuil du deuxième conflit mondial. Sa vie fut alors profondément marquée par la guerre et ses effroyables conséquences. De ces moments-là, il ne parlait que très rarement avec la plus grande des réticences comme s'il voulait que soient ignorées des plus jeunes les dures épreuves qu'il avait subies. La carrière médicale de mon Maître fut riche et heureusement moins tourmentée. Toutefois, comme toute carrière hospitalo-universitaire, elle ne fut pas totalement exempte de contre-temps. Mais sa ténacité et sa sage philosophie devaient lui permettre de, toujours en ces circonstances, conserver une grande sérénité.

Au plan universitaire, après avoir été préparateur de Pathologie Générale, de Médecine Expérimentale, une thèse consacrée à l'étude clinique de l'artérite sénile mésentérique, devait en 1939 le faire accéder au grade de Docteur en Médecine, puis il fut chef de clinique médicale et nommé à l'Agrégation, section médecine générale en 1946. D'abord chargé de l'enseignement de la séméiologie médicale, les hasards de la vie universitaire, mais aussi l'intérêt qu'il portait à la discipline, le conduisirent à devenir en 1956 Professeur titulaire de la Chaire de Médecine Légale et de Déontologie. En 1969, il accédait par transfert à la Chaire de Thérapeutique et en 1976 il obtenait la transformation de cette chaire en chaire de Thérapeutique et de Clinique des Maladies de l'Appareil Digestif. Il parvenait enfin au but qu'il s'était toujours fixé. Cette nomination, qui lui procura une de ses plus grandes satisfactions, venait récompenser à juste titre, le travail de toute une vie.

Au plan hospitalier, après avoir franchi avec grande facilité les étapes traditionnelles de la hiérarchie hospitalière. Externat en 1932, Internat en 1936, Assistanat en 1944, il devint Médecin des Hôpitaux de Nancy en 1951 et fut successivement Chef de Service de l'Infirmerie de l'Hospice Saint-Julien en 1953, Chef de Service des Consultations externes en 1960 et enfin Chef de Service de Médecine C, orientée vers la Pathologie digestive en 1963, chefferie de Service qu'il devait conserver jusqu'à sa mort.

Ses travaux furent d'abord ceux d'un interniste. Il ne devait d'ailleurs jamais renier ce goût pour la médecine interne tant son esprit rationnel ne pouvait accepter le fractionnement, quelque peu arbitraire, des différentes disciplines médicales. Curieux de tout, il consacrait beaucoup de temps à lire, à annoter, à classer les multiples revues médicales qu'il recevait. Sa culture était immense et sa mémoire fidèle lui permettait bien souvent de donner « ex abrupto » la réponse à une question posée par l'un de ses élèves.

Son premier travail, qui fit l'objet de sa thèse inaugurale, concernait la gastro-entérologie. Il traitait de l'artérite sénile mésentérique, où il créait pour qualifier les manifestations douloureuses d'hypovascularisation intermittente le terme devenu classique de claudication intermittente mésentérique. Puis se retrouvent dans son épreuve de titres toute une série de publications consacrées à la Neurologie, à la Pneumologie, à l'Hématologie, à la Dermatologie, à la Cardiologie. Il s'agit soit de synthèses ou de revues générales sur des sujets de l'actualité du moment, soit de rapports d'observations privilégiées où sont toujours ébauchées des conceptions pathogéniques originales.

Titulaire de la Chaire de Médecine Légale et de Déontologie pendant treize ans (1956-1969), de très nombreux rapports et publications soulignent le grand intérêt qu'il porta toujours à cette discipline et qui ont fait de lui un légiste de premier plan, estimé de tous ses collègues. Toute son oeuvre en ce domaine illustre bien le souci de justice, de rigueur et de précision qu'il a toujours manifesté pendant toute sa vie et qui constituaient un des traits marquants de son caractère. Il était devenu pour ses collègues nancéiens l'ami efficace auprès duquel on venait chercher secours lorsque se posait un problème délicat de procédure juridique ou de déontologie.

Parmi ses écrits, outre ceux qui concernent des cas médico-légaux isolés, retenons ceux qui ont trait à l'appréciation des taux d'invalidité entraînés par certaines affections médicales ou chirurgicales. Les barèmes qu'il propose pour les séquelles de gastrectomie, pour les séquelles des hépatites virales, firent autorité et servent actuellement de base à la cotation retenue par la Sécurité Sociale. Retenons également l'intérêt qu'il porta aux intoxications de tous ordres pour lesquelles il procéda à une analyse minutieuse de leurs aspects médico-légaux et juridiques. Mais il faut citer aussi et surtout les importantes études qu'il consacra au problème de la responsabilité médicale. L'exposé très documenté qu'il fit en 1974 à la Société Nationale Française d'Endoscopie digestive sur la responsabilité du médecin dans les accidents de l'Endoscopie fut un modèle de clarté qui jetait les bases d'un code professionnel de l'endoscopiste.

Mais la plus grande partie de son oeuvre fut évidemment consacrée à la Pathologie Digestive où il acquit une renommée internationale. Son orientation gastro-entérologique date du début de sa carrière universitaire. C'est en 1946, alors qu'il venait d'être nommé à l'Agrégation de Médecine, mais qu'il était encore Assistant des Hôpitaux, qu'il décida, encouragé par son épouse, de se consacrer à la Gastro-Entérologie, discipline à l'époque non individualisée à la Faculté de Nancy. Très vite adopté par les milieux gastro-entérologiques français, où il créa de solides et durables amitiés, il devint le Gastro-entérologue consultant Nancéien et fut chargé de la responsabilité d'une salle de gastro-entérologie à la Clinique Médicale A dont le titulaire était alors son Maître, le Professeur ABEL. C'est à cette époque qu'il s'intéressa à l'Endoscopie Digestive haute dont le précurseur nancéien avait été le Professeur Paul MICHON. Ayant connu et fréquenté les plus grands Maîtres de cette jeune discipline, citant souvent MOUTIER, pour lequel son admiration était profonde, il entreprit la tâche difficile de convaincre ses collègues de l'intérêt de cette technique. Il y mit de la passion ; il sut également faire preuve de patience. Durant les dix dernières années de sa vie, il eut alors l'immense satisfaction de voir venir à lui en demandeurs ses collègues autrefois les plus sceptiques. D'abord seul gastro-entérologue, il sut au bout de quelques années communiquer son enthousiasme à celui qui devait être son premier élève, son ami le Docteur Robert DORNIER.

Puis vint en 1963 l'époque de la création du Service de Médecine C dont on ne peut parler sans évoquer la compétence et l'admirable dévouement de Soeur Fernand qui sut si bien lui simplifier les tâches matérielles. Cette date marque le véritable début de son Ecole gastro-entérologique qui très rapidement se développa. Avec la création du Certificat d'Etudes Spéciales des Maladies de l'Appareil Digestif, il étendit alors son influence à la Lorraine entière par l'intermédiaire de ses élèves qui lui vouaient une respectueuse admiration. C'est à cette époque que j'eus le privilège de devenir son Chef de Clinique ; nous ne devions pratiquement plus nous quitter.

Pendant 10 ans, le Service de Médecine C devait rester dans les locaux du Vieil Hospice Saint-Julien où mon Maître s'était acharné à améliorer des conditions d'hospitalisation. Dès l'année 1964, il sut créer au sein de son service un Département d'Endoscopie digestive, puis quelques années plus tard un Département de Radiologie, faisant ainsi du Service de Médecine C, orienté vers la Pathologie digestive, une unité de diagnostic et de traitement exemplaire envié par nombre de ses collègues gastro-entérologues d'autres universités. Mais malgré de multiples améliorations réalisées dans les locaux qui lui avaient été octroyés en 1963, il sut comprendre très vite l'intérêt d'obtenir son transfert à l'Hôpital de Brabois, cet hôpital neuf, qu'en tant qu'administrateur des hospices il avait contribué à créer. C'est en 1973 qu'il s'installait dans les nouveaux locaux et qu'il obtenait enfin pour son Service l'appellation de Service de Clinique des Maladies de l'Appareil Digestif. Parallèlement, après avoir vaincu quelques oppositions et surmonté bien des difficultés, il obtenait la création du Service Central d'Endoscopie dont l'existence lui avait paru indispensable et dont le caractère rationnel avait fini par séduire l'Administration.

Ayant constitué une équipe solide, il devait alors redoubler d'activité. Ses travaux recouvrent presque la totalité des chapitres de la pathologie digestive et il ne saurait être question de tous les mentionner. Les affections de l'estomac et singulièrement le problème de l'ulcère et du cancer gastrique ont représenté un de ses principaux pôles d'intérêt. D'abord imprégné par les idées de GUTMANN, auquel il voua une véritable dévotion, il s'attacha à l'étude minutieuse des données cliniques et radiologiques du cancer ulcériforme. Plus tard, cependant, il devait quelque peu s'éloigner de la pensée de son Maître convaincu que les techniques histo-endoscopiques permettaient de cerner de plus près la réalité. C'est alors qu'il devait proposer un schéma de surveillance et de traitement des ulcérations gastriques, actuellement admis dans ses grandes lignes par tous les gastro-entérologues.

En pathologie colique, il consacra de nombreux articles aux troubles organico-fonctionnels du colon et proposa une classification originale des colopathies chroniques. Mais c'est l'étude des colites ulcéreuses qui devait retenir plus encore son attention, en insistant dans de nombreux écrits sur les difficultés du diagnostic clinique, radiologique, endoscopique, anatomo-pathologique, de leurs formes frontières. Signalons enfin qu'il fut le premier en Europe à démontrer la relative fréquence des localisations oesophagiennes de la maladie de Crohn considérée jusqu'alors comme très exceptionnelle et même niée par certains. Dans le domaine des affections du grêle, outre les travaux consacrés à la pathologie tumorale, à la maladie de Crohn et aux lésions vasculaires, il faut retenir ses études sur la malabsorption. Citons avant tout les publications qu'il consacra à la maladie de Whipple et aux manifestations digestives des agammaglobulinémies. Ce dernier travail d'une grande originalité ouvrait un nouveau chapitre de la pathologie intestinale et dans ce domaine faisait encore de lui un précurseur.

En hépatologie, il contribua grandement à la progression rapide de la discipline. Le problème des hépatites virales le préoccupa et dans plusieurs articles il expliqua son point de vue sur les formes évolutives de cette affection. Il s'éleva par ailleurs avec vigueur contre l'utilisation abusive de la corticothérapie dans les formes bénignes de la maladie en montrant que cette thérapeutique présentait plus d'inconvénients que d'avantages, qu'elle n'assurait en aucune façon la prévention des formes chroniques dont elle semble au contraire favoriser l'apparition. Cette attitude lucide et réaliste, en contradiction flagrante avec l'opinion généralement admise, devait déclencher une polémique au plan national dont les échos retentirent jusque dans un grand quotidien parisien.

Dans le domaine des cirrhoses décompensées, il fit également oeuvre originale, en proposant en 1954 la réinjection intra-veineuse du liquide d'ascite concentré. Cette méthode efficace qu'il dût abandonner pour des raisons techniques, devait être reprise ces dernières années sans que ne soit faite, comme cela se produit fréquemment, la moindre référence à son travail princeps. Toujours en thérapeutique, il fut le premier en Europe à recourir aux perfusions artérielles mésentériques de post-hypophyse dans le traitement des hémorragies digestives des cirrhotiques par rupture de varices oesophagiennes. Cette technique, dont il était devenu un des plus ardents défenseurs, a maintes fois prouvé sa grande efficacité et reste utilisée couramment dans le secteur de réanimation des hémorragies digestives qu'il avait créé dans son service. Ce secteur, qu'il sut rendre très actif, lui permit d'acquérir une autorité incontestable, dans le domaine des hémorragies digestives et parmi les nombreux articles consacrés à ce sujet, il convient de citer ceux qui insistent sur l'intérêt fondamental de l'endoscopie réalisée en urgence et ceux ayant trait aux hémorragies digestives iatrogènes. Citons toujours dans la sphère hépato-biliaire, l'intérêt qu'il portait au difficile diagnostic de l'ictère. Très rapidement il avait compris l'intérêt immense des techniques endoscopiques et singulièrement du cathétérisme endoscopique rétrograde des voies biliaires dont il fut le premier, à montrer en France, en 1971, les grandes possibilités et dont il devait au cours des années suivantes préciser avec rigueur les indications.

Parmi les parasitoses hépato-biliaires, il apporta une très intéressante contribution à l'étude de la distomatose, mais il s'intéressa surtout à l'echinococcose alvéolaire du foie dont il démontra la relative fréquence en Lorraine. Il sut alors donner une description clinique précise de cette parasitose presque méconnue et s'attacha à l'étude de l'épidémiologie et des méthodes diagnostiques. Parmi celles-ci, l'endoscopie et l'artériographie coelio-mésentérique firent l'objet de ses travaux les plus connus. Il s'inquiétait vivement de l'augmentation rapide du nombre de cas d'échinococcoses et peu de temps avant sa mort, devait dans une de ses dernières publications, souhaiter la réalisation d'une campagne d'information pour essayer de prévenir l'extension de cette parasitose dont le pronostic s'avère malheureusement aussi péjoratif que celui du cancer primitif du foie.

La pathologie biliaire et pancréatique retenait également son attention; si l'on excepte toute une série de travaux ayant trait à des syndromes rares, il faut d'abord citer une revue générale consacrée aux angiocholites ictéro-urémigènes. Il faut également retenir des études originales consacrées aux pancréatites chroniques et notamment une description de la séméiologie radiologique des modifications canalaires survenant au cours des pancréatites chroniques grâce aux images fournies par la wirsungographie endoscopique ainsi qu'une étude très élaborée des perturbations du métabolisme glucidique et de l'insulinosécrétion au cours des pancréatites chroniques opérées et non opérées. Signalons également un travail princeps sur les modifications de la muqueuse de l'intestin grêle au cours des pancréatites chroniques où il devait démontrer la survenue non exceptionnelle des syndromes d'atrophie du grêle expliquant la malabsorption parfois rencontrée.

Titulaire de la Chaire de Thérapeutique pendant quelques années, il eut également en ce domaine une activité importante. En dehors des très nombreux essais thérapeutiques qu'il réalisait comme dans tout ce qu'il entreprenait avec minutie et impartialité, il a exposé dans plusieurs articles ses conceptions personnelles sur le traitement médical et certaines affections digestives au long cours : états dyspeptiques, ulcères gastroduodénaux, colopathies fonctionnelles et signalons dans le cadre de la rectocolite hémorragique la valeur qu'il attachait au traitement par lavements-pansements dont il fut un des plus ardents défenseurs.

Je me dois également de rappeler son goût pour les études expérimentales. En raison de ses très nombreuses activités, il ne pouvait malheureusement leur consacrer tout le temps qu'il aurait souhaité, mais il savait inspirer à ses collaborateurs les sujets de recherches originaux. Contentons-nous de citer les travaux concernant l'action de l'Aspirine et des différents anti-inflammatoires sur la muqueuse gastrique ainsi que les recherches sur la toxicité des opacifiants biliaires sur le pancréas du rat où il put démontrer le risque à long terme de pancréatites chroniques expérimentales.

Pour terminer cette trop rapide revue des multiples travaux scientifiques du Professeur François HEULLY, il faut évoquer son immense activité en endoscopie digestive. Son autorité en ce domaine n'est nulle part contestée et il apparaîtra sans aucun doute aux yeux des générations suivantes comme un des grands noms de l'endoscopie française. Je ne rappellerai pas tous les travaux qui ont fait de lui en ce domaine un grand Maître mais je crois qu'il est impossible de ne pas redire tout le mérite qu'il eut à créer au sein du C.H.U., expérience alors unique en France, un Service Central d'Endoscopie digestive. La très grande activité de ce centre, complété par un service de garde permanent, la réalisation parallèle d'un enseignement spécialisé sanctionné par une attestation d'Etudes Spéciales, représente une réussite incontestable dont il pouvait s'enorgueillir à juste titre. Cette immense activité ne l'éloignait cependant pas des préoccupations de la médecine praticienne. Ayant renoncé depuis plus de 15 ans à la clientèle privée, il aimait garder un contact étroit avec ses confrères généralistes et spécialistes. Il gardait toujours pour eux une grande disponibilité et animait de nombreuses séances de perfectionnement post-universitaire durant lesquelles il se mettait sans restriction à la disposition de ses confrères.

Mais évoquons maintenant l'homme que j'avais le privilège de côtoyer chaque jour. Chaque jour, je retrouvais ses yeux vifs et clairs, son visage calme et sérieux, parfois préoccupé, mais souvent éclairé par l'ébauche d'un sourire teinté d'ironie. Tout dans sa personne était empreint de dignité et imposait le respect. Le médecin était de grand talent, son oeuvre en témoigne, il faisait partie de cette lignée de grands cliniciens qui avait profondément ancré en eux le souci de l'interrogatoire bien mené et de l'examen clinique minutieux. Il avait l'art de mettre le malade en confiance et savait découvrir l'élément séméiologique important qui permettait le diagnostic.

Mais derrière le Maître apparaissait l'homme avec sa riche personnalité. Il était honnête homme et sa culture faisait envie. Intéressé par tout ce qui l'entourait, il laissait aller sa curiosité toujours en éveil dans les domaines les plus divers. Attiré par les arts et notamment par la peinture et la musique, il était lui-même pianiste, il aimait fréquenter les salles de concerts et les galeries d'expositions où il faisait preuve d'un goût très sûr. Il lisait beaucoup, intéressé par tous les genres littéraires ; l'histoire le passionnait et j'ai pu à maintes reprises apprécier son érudition en ce domaine. Grand voyageur, il aimait s'imprégner des coutumes des pays qu'il visitait.

Il aimait la vie et il en profitait à la façon d'un sage. Il possédait au plus haut degré ses valeurs morales qui ont fait de lui un homme aimé et respecté de tous. Il était courageux ; ses faits de guerre en donnent d'abord une preuve éclatante. Jeune médecin appelé sous les drapeaux, il eut à supporter en 1940 quelques mois de captivité qui l'éloignaient du Docteur Devin, sa femme qu'il venait d'épouser. Libéré, comme tous les autres médecins, il participait dès son retour à la résistance contre l'ennemi ce qui lui valut à plusieurs reprises de connaître l'angoisse de l'arrestation et des interrogatoires. Il fut d'abord à chaque fois relâché faute de preuves. Mais le 9 juin 1944, la gestapo s'emparait définitivement de lui et très rapidement ce fut la déportation dans les sinistres camps de Neuengamme, de Terezin et de Breczany. Son comportement fut exemplaire, jamais il ne cessa de lutter, jamais il ne cessa d'espérer. Une libération providentielle en mai 1945 lui permit de retrouver enfin sa famille. Durant les dernières années de sa vie, son attitude en face de la maladie forçait l'admiration de tous ses proches. Le combat incessant qu'il menait contre son mal n'affectait pas son caractère qui toujours resta égal. Ayant j'en suis persuadé froidement évalué la gravité de son état, il avait décidé, avec un courage peu commun, d'ignorer aussi longtemps que possible la lourde menace que représentait son affection artérielle abdominale. Il n'eut jamais l'idée d'abdiquer, augmentant au contraire son activité pour essayer d'oublier la souffrance qu'il ressentait presque quotidiennement mais aussi pour essayer de parachever son oeuvre tant il était conscient d'être en survie.

Il était modeste et n'aimait pas se donner en exemple et pourtant il reçut de multiples et enviables honneurs. Son héroïsme lui valut des décorations prestigieuses : Croix de Guerre avec Palmes, Commandeur à titre militaire de la Légion d'Honneur. Membre de multiples Sociétés Scientifiques, il fut par ses collègues conduit à la présidence de plusieurs d'entre elles et je me contenterai de citer la Présidence de la Société Nord-Lotharingienne de Gastro-Entérologie dont il fut fondateur, la présidence de la Société Nationale Française d'Endoscopie Digestive et la vice-présidence de la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie. Constamment sollicité par les organisateurs de Congrès, il s'efforçait toujours d'accepter ce qui parfois lui pesait lourdement tant ce type d'activités représente un surcroît de contraintes et de fatigues physiques. Il assumait ces différentes charges avec une grande compétence mais il préférait la vie au sein de son service hospitalier où il dirigeait avec une tranquille assurance l'activité de ses collaborateurs.

Jamais il n'apparut comme un mandarin. Il fut un patron bon et amical prenant à coeur les problèmes de ses élèves, s'intéressant de très près à leur carrière et leur dispensant un soutien sans réserve. Je fus le seul qu'il eut le temps de conduire à l'Agrégation et les problèmes de la carrière hospitalo-universitaire de ses élèves le tourmentaient. Bien souvent il me confia l'espoir qu'il avait de voir un jour se simplifier les itinéraires complexes et incertains dans lesquels devaient s'engager ceux qu'il aurait aimé voir rester à ses côtés. Il était bon et juste et son sens aigu de l'honnêteté fut sans conteste un des traits dominants de sa personnalité. Il se révoltait contre l'injustice, il répugnait au compromis. Il avait horreur de l'a peu près et se refusa toujours à se laisser guider par son intérêt personnel, tant il avait le souci de l'intérêt général. Il ne pouvait déguiser ses opinions et exprimait de façon simple et directe les sentiments qu'il ressentait. Mais il était d'une grande tolérance et savait juger avec objectivité et sans passion les problèmes délicats de toutes sortes qui pouvaient se présenter à lui.

Tel était, je crois, le Maître que j'aimais, tel fut pour vous le collègue qui pendant trente ans contribua grandement au renom et au prestige de la Faculté de Médecine de Nancy. L'émotion profonde que je ressens a certainement contribué à ne vous donner qu'un aperçu maladroit de la vie de celui qui fut et qui restera mon Maître. L'importance de son oeuvre m'a parfois contraint à un hommage un peu académique alors que je désirais ne laisser parler que le coeur. Mais que la Famille de François HEULLY ici réunie sache combien sa disparition m'a causé de peine. A son épouse. Madame le Docteur HEULLY-DEVIN, à Marie-Claude, Madame le Docteur LAPREVOTE-HEULLY, à ses autres enfants et à tous ses proches, je ne peux que redire toute ma sympathie attristée.

Professeur P. GAUCHER.