GROSS André

1921-1980

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

Le Professeur André GROSS nous a quittés brutalement le 30 octobre 1980. La mort l'a frappé alors que, convalescent d'un infarctus myocardique survenu deux semaines auparavant, il faisait avec son optimisme et son énergie habituels des projets familiaux et professionnels. Il se réjouissait de disposer bientôt à l'hôpital Jeanne-d'Arc du Service clinique nancéien dont il rêvait depuis bien des années. Une énergie opiniâtre et un optimisme sans défaillance étaient deux des qualités majeures d'André GROSS. Il a lutté toute sa vie contre les difficultés sans jamais abandonner son amabilité, ni sa courtoisie.

Né à Oran le 2 septembre 1921, il perd son père à l'âge de neuf ans. Après de brillantes études secondaires au lycée de sa ville natale, il entre à la Faculté de Médecine d'Alger. Dès 1941, il est externe des hôpitaux, un an après il est déjà interne provisoire, mais la mobilisation l'empêche de prendre un poste. De novembre 1942 à août 1945, il est sous les drapeaux, affecté comme médecin auxiliaire dans une unité combattante qui participe à la libération de la Corse, puis remonte des Côtes de Provence vers l'Alsace. Durant l'hiver 1944-1945, les combats sont particulièrement rudes; avec ses infirmiers, il relève de nombreux blessés dans des conditions difficiles sur les champs de bataille d'Alsace. Revenu pour quelques semaines à l'arrière, il redonne courage à ces blessés, montre à des amputés qu'une rééducation est possible. Parmi ceux-ci, une jeune ambulancière qualifie son petit docteur de bon samaritain. Bien des années plus tard, devenue la Générale LEFORT, elle reçoit au Palais du Gouvernement à Nancy le Professeur GROSS et lui rappelle son dévouement. De ses campagnes, il aimait raconter d'autres anecdotes, sans jamais se départir de sa modestie.

Démobilisé en novembre 1945, il prend ses fonctions d'interne des hôpitaux à Alger. Simultanément, il travaille dans le Laboratoire de Physiologie. Pendant toute sa carrière médicale, il poursuit cette double voie expérimentale et clinique. Les Professeurs MALMEJAC et CHARDON l'initient aux techniques difficiles d'une expérimentation physiologique rigoureuse. La brillante équipe de recherche de ce laboratoire utilise alors des anastomoses vasculaires et des techniques complexes de circulation croisée. Les expérimentations rigoureusement conduites sur le chien, aboutissent à l'irrigation in situ du plexus solaire ou de la surrénale, grâce à des séries d'isolement et d'anastomoses vasculaires minutieuses. Les techniques sont exigeantes, longues et difficiles, mais combien formatrices. André GROSS apprend là, la rigueur et l'habileté manuelle nécessaires à l'expérimentation sur l'animal. Il collabore, dès ce moment, aux travaux pratiques et aux démonstrations de physiologie pour les étudiants. Bientôt Préparateur, il est délégué dans les fonctions d'Assistant, en même temps qu'il poursuit son internat dans divers services de Médecine du Centre hospitalier d'Alger, et plus particulièrement dans le service du Professeur LEBON dont il devient le Chef de clinique dès sa thèse passée en 1949. Peu après, il est nommé Assistant titulaire de Physiologie et il exerce ses deux fonctions conjointement. Admissible à l'agrégation de Physiologie en 1952, il devient Chef de travaux titulaire de Physiologie, tout en poursuivant des fonctions d'Assistant de Médecine dans la clinique médicale du Professeur LEBON.

En 1955, il passe l'agrégation de médecine expérimentale. Ses démonstrations sur l'animal, comme ses deux leçons, sont particulièrement brillantes. Il est reçu premier haut la main devant Pierre MAURICE et Jacques LOEPER qui bénéficient cependant de l'appui très efficace d'un membre du jury influent, le Professeur LENEGRE. Le Doyen HERMANN ancien agrégé d'Alger, qu'à Lyon on appelait toujours le Lorrain, se plaît à féliciter tout particulièrement le brillant candidat reçu major.

Durant sa carrière à la Faculté de Médecine et dans les hôpitaux d'Alger, André GROSS poursuit très activement des recherches expérimentales et des travaux cliniques. Il commence par envisager chez l'animal, les effets des anoxies. Avec ses Maîtres MALMEJAC et CHARDON il consacre plus de vingt publications à ses recherches. Les effets cardiovasculaires de l'anoxie et plus particulièrement la vasoconstriction sont minutieusement analysés. Les modifications de la sécrétion pancréatique externe, des éléments figurés sanguins ou des équilibres protidiques et électrolytiques du plasma sont également envisagées. Il consacre une de ses premières publications à l'influence de l'anoxie sur la sécrétion urinaire, recherches qu'il développera ultérieurement au cours de sa carrière nancéienne. Sa thèse inaugurale analyse l'influence de l'anoxie sur la leucocytose et met en évidence les modifications surrénaliennes secondaires à l'anoxie.

La physiologie et la physiopathologie de l'adrénalino-sécrétion constitue un autre grand thème de recherche mené par André GROSS. Ses travaux sont effectués en grande partie grâce à la technique de la surrénale irriguée in situ, à la mise au point de laquelle il a participé, et qui lui permet d'étudier l'action sur l'adrénalino-sécrétion de l'anoxie, du choc anaphylactique et de certains agents pharmacodynamiques, tels que les curarisants, l'acétylcholine ou l'atropine. L'innervation du système sécréteur médullo-surrénalien est minutieusement envisagée. Ces travaux sur la physiologie de la médullo-surrénale font l'objet d'une trentaine de publications qui s'échelonnent entre 1950 et 1955.

A partir de 1953, André GROSS s'intéresse aux asthmes expérimentaux qu'il provoque à l'aide d'histamine ou d'ovalbumine. Il étudie les variations d'intensité des crises d'asthme en fonction de l'équilibre hormonal utilisant chez l'animal des hormones mâles et femelles. Ensuite, c'est l'étude de la toux qui retient son attention; il imagine des techniques originales de toux expérimentale chez l'animal provoquée soit par irritation de la plèvre, soit par excitation de la zone tussigène de la bifurcation trachéale.

En 1962, la carrière algéroise de notre collègue prend fin. Rapatrié d'Algérie, il se fixe à Nancy, souhaitant renforcer les relations médicales qu'il a nouées quelques années plus tôt avec le Centre Thermal de Vittel, où il a jeté les bases d'un Laboratoire d'examens biologiques. Devenu lorrain, il aime à rappeler que ce n'est qu'un retour aux sources, puisque son arrière grand-père, alsacien, avait épousé une Messine. Polytechnicien ayant participé à la défense de Colmar en 1870, affecté ensuite en Algérie, cet officier avait coutume, lors de ses voyages en France, de venir contempler la cathédrale de Metz, d'une colline voisine de Mousson. Il y renouvelait solennellement la promesse de délivrer un jour la Lorraine annexée, ajoutant que s'il n'était pas en mesure de la faire, il souhaitait que ses descendants participent à cette libération.

J'accueille ce collègue d'Agrégation, durement frappé par le sort, au Laboratoire de Médecine Expérimentale. Il devient bientôt un ami très cher. Malheureusement, les fantaisies administratives n'ont pas affecté André GROSS en surnombre de la Faculté de Médecine de Nancy, mais à l'École de Médecine d'Angers où rien ne l'appelle. Avec la plus grande conscience durant le rude hiver 1962-1963, il part chaque semaine faire ses cours à Angers. Pendant sa vie nancéienne, il développe un Laboratoire de néphrologie expérimentale dans les locaux rapidement devenus trop étroits de notre Laboratoire de Pathologie expérimentale. Il devient, au début de 1963, Chef d'un service de Médecine à l'hôpital de Vittel. Il s'agit d'abord d'un petit service intitulé de convalescents hépato-vésiculaires, rénaux et nutritionnels, mais André GROSS développe ce service, l'oriente avant tout vers les affections rénales auxquelles il consacre depuis déjà quelques années une grande partie de son activité. Son souhait le plus vif est d'obtenir son rattachement à notre Faculté, il s'engage à ne pas briguer un poste hospitalier à Nancy et souligne qu'il conservera le service qu'il a créé à Vittel. Malgré l'appui du Doyen BEAU, malgré tous les efforts déployés pour créer un laboratoire de recherche et surtout l'intérêt de renforcer les liens entre Vittel et Nancy, le Conseil des Professeurs ne se prononce qu'après deux ans en faveur du rattachement du Professeur GROSS à la Faculté de Nancy. Devenu enfin Professeur sans chaire, dans notre Faculté, il obtient que son service hospitalier soit rattaché au Centre Hospitalier Universitaire. Des refus répétés qui lui ont été opposés, il ne tient pas rigueur à ses collègues, car de toutes les actions des hommes, André GROSS ne retient que celles qui ont été bienfaisantes. Souhaitant rendre service à Nancy, il désigne comme son successeur à Angers, dans la charge d'enseignement de Pathologie expérimentale, un jeune confrère nancéien qui sera injustement écarté lorsque le temps sera venu de désigner un agrégé.

A partir de 1963, les travaux d'André GROSS sont orientés en totalité vers la néphrologie. Rapporteur au 34e Congrès français de Médecine sur les mécanismes physiopathologiques de la protéinurie dans les syndromes néphrotiques, il s'intéresse ensuite tout particulièrement aux mécanismes des variations chez l'homme, des clairances de l'urée et de la créatinine. Il décrit et analyse un type particulier d'insuffisance rénale fonctionnelle, la glomérulo-néphropathie hypoxique. Il s'intéresse à la pharmacologie des diurétiques, précisant les modifications de l'équilibre acido-basique qui leur sont secondaires chez les insuffisants respiratoires chroniques. Il poursuit d'intéressantes études sur l'action de la benzodiarone sur l'élimination rénale de l'acide urique. Mais surtout, grâce à une technique originale il analyse chez le rat, la toxicité rénale des aminosides. Il montre que chez le rat blanc ayant subi une amputation de 60 % du volume total des reins, la streptomycine et la dihydrostreptomycine créent des lésions glomérulaires importantes associées, dans le cas de la streptomycine, à des lésions tubulaires. La clairance de la créatinine est plus faible que chez les animaux témoins et la créatinémie s'élève. Simultanément il persiste une protéinurie chez les animaux traités. Il utilise ce modèle expérimental, pour étudier les effets d'un complexe bêta gamma globuline isolé à partir d'un sérum anti-rein obtenu chez la chèvre avec de l'extrait de rein de porc embryonnaire. Il montre que ce complexe exerce un pouvoir néphro-protecteur non seulement sur les glomérules, mais aussi sur les tubules rénaux.

En 1968, il installe dans son service de Vittel une unité de rein artificiel pour insuffisants rénaux chroniques. Cette unité est la première créée en Lorraine. Ici encore, l'expérimentation préalable conduite de façon minutieuse sur l'animal à l'aide d'un appareillage d'hémodialyse spécialement adapté permet à André GROSS de maîtriser parfaitement chez le malade une technique alors en cours d'élaboration.

Ces beaux travaux expérimentaux et ces activités cliniques menés à bien malgré les difficultés, lui valent d'être nommé par ses pairs en 1970, Professeur à titre personnel. Il choisit pour dénomination de sa chaire, « Néphrologie clinique et expérimentale ». Cette nomination ne ralentit pas son activité scientifique, bien au contraire. André GROSS continue à étudier avec rigueur les effets métaboliques endocriniens et vitaminiques de l'hémodialyse. En collaboration avec nos collègues nancéiens il décrit l'évolution de l'hypertension maligne chez les insuffisants rénaux en hémodialyse itérative traités par bi-néphrectomie. Profitant des facilités qui lui sont données par son service hospitalier de Vittel, il perfectionne le traitement diététique des urémies chroniques.

Avec persévérance, il recherche les conséquences pulmonaires des insuffisances rénales traitées par hémodialyse. Dès 1969, il souligne l'intérêt de telles études. Non content d'inspirer une thèse sur le rôle du poumon dans l'équilibre acido-basique chez l'hémodialysé, il montre l'apport du cliché thoracique standard chez l'hémodialysé chronique, puis met en évidence avant dialyse, chez certains sujets, une altération des échanges respiratoires associée à des troubles discrets de la série obstructive. Appliquant les techniques au Xénon radioactif, il démontre avec LACOSTE, MALLIE et BERTRAND, que les troubles de la perfusion sont corrigés par l'hémodialyse.

Telle est brièvement résumée l'oeuvre scientifique d'André GROSS. Ses travaux n'ont pas été menés en ordre dispersé, bien au contraire. L'examen des 180 publications qu'il a présentées devant notre Société de Médecine, à la Société de Biologie et à la Société Française de néphrologie montrent la continuité de son oeuvre. André GROSS a poursuivi son expérimentation et des observations cliniques pendant de longues années afin d'aboutir à des conclusions où l'expérimentation et l'observation clinique apportent chacune leur part. Il a réussi cette incroyable gageure de mener pendant 18 ans des recherches expérimentales à Nancy et à 70 km de là de diriger et de perfectionner sans cesse, un service clinique qu'il a entièrement créé. A ses tâches de recherche et de soins aux malades, il ajoute les charges d'un enseignement aux étudiants de première année du deuxième cycle d'études médicales, pour la médecine expérimentale, discipline à laquelle il reste profondément attaché et pour le certificat intégré de néphrologie où il joue une part importante. Son enseignement toujours clair, précis et rigoureux, délivré sans hésitation, est de grande qualité. Les étudiants qui ne s'y trompent pas, apprécient en lui, l'enseignant qui prépare soigneusement ses cours et qui ne les encombre jamais d'une érudition inutile, tout en les améliorant chaque année des connaissances les plus récentes.

Comme si ses tâches d'enseignement, de soins aux malades et de recherche ne suffisaient pas à remplir très largement sa vie, notre collègue s'efforce de rendre service à la Faculté B de Médecine en acceptant la tâche de Vice-Doyen, chargé du troisième cycle. Il applique là, comme ailleurs de grandes qualités humaines. Compréhensif pour les étudiants, cherchant à aplanir leurs difficultés et à faciliter leur formation, indulgent pour leurs fautes, mais n'acceptant pour autant ni faiblesse, ni complaisance, il maintient fermement avec une souriante courtoisie, les règles qui s'imposent.

Cette intégrité et ce refus de toute compromission sont une des caractéristiques de la vie d'André GROSS. Rapportant un jour ses travaux sur la toxicité rénale de la gentamycine, il s'attire une remarque d'un collègue parisien « mon jeune ami, il ne me paraît pas opportun de souligner dans un colloque généreusement subventionné par la maison qui commercialise la gentamycine, la toxicité de ce médicament ». Une telle remarque étonne et amuse notre collègue, car elle est à l'opposé de ses conceptions, de sa rigueur et de son honnêteté scientifique. Pour lui, elle reste un symbole de l'erreur trop fréquemment commise par certains pharmacologues cliniciens.

Il aime à conter des anecdotes, mais celles-ci sont toujours indulgentes et ne comportent jamais, la moindre médisance. Lorsque la confiance qu'il avait placée en un ou l'autre de ses collègues avait été déçue, il n'en manifestait aucune rancune, il ignorait totalement l'art de la plainte ou du reproche. Fidèle à ses engagements, il évitait de faire le moindre tort et il n'a accepté la création d'un nouveau service de néphrologie dans le cadre de notre CHU, que le jour où notre collègue HERBEUVAL lui a certifié que cette création ne remettait pas en cause, l'existence du service de néphrologie de l'hôpital de Brabois. Hélas, les efforts de la direction générale du Centre Hospitalier Régional, comme ceux du Président de la Commission Médicale Consultative ne porteront pas leur fruit, puisque c'est au début de l'année 1981 que notre collègue GROSS devait prendre possession de son nouveau service à l'hôpital Jeanne-d'Arc. Jusqu'à la veille de sa courte maladie il a poursuivi ses harassants voyages pluri-hebdomadaires vers Vittel.

Mes chers collègues, nous avons perdu en la personne d'André GROSS, un Professeur exceptionnel, un chercheur remarquable et un ami de grande qualité. Sa conduite exemplaire à travers les difficultés de la vie, son optimisme inébranlable, doivent être pour nous et nos jeunes collaborateurs, un exemple à méditer et à conserver. Permettez-moi, au nom de nos deux Facultés, d'assurer de notre profonde sympathie, Madame GROSS, qui sut s'adapter avec tant de courage, au changement de vie que lui imposa l'exode et de dire nos condoléances à ses fils, Jean Louis, qui nous rappelle si fidèlement son père et à Patrick, interne de notre CHU, qui tous deux manifestent dans la vie de tous les jours, le courage et l'opiniâtreté que leur a légués leur père.

Professeur P. SADOUL