HELLUY Joseph

1911-1976

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ELOGE FUNEBRE

Le Professeur Joseph-René HELLUY est né à Lunéville le 15 avril 1911. Formé à l'Institution Saint-Pierre-Fourier de cette ville puis à l'Ecole Saint Sigisbert, de Nancy, il aimait à rappeler ces années d'études et les professeurs qui l'avaient marqué et pour lesquels il éprouvait gratitude et admiration. Ses études secondaires terminées, il s'inscrivit à notre Faculté puis prépara l'Externat des Hôpitaux. Reçu au concours de 1931, il occupa ses fonctions dans les services des Professeurs JACQUES, ANDRE, MICHEL, DE LAVERGNE, SPILLMANN et DROUET.

C'est auprès de Pierre SIMONIN qu'il apprit la nécessaire rigueur des travaux expérimentaux. Avec lui également, il eut ses premières fonctions d'enseignement. Préparateur au Laboratoire de Médecine expérimentale et de Pathologie générale dès 1932, il poursuivit dans ce laboratoire des recherches sur la valeur d'une réaction proposée en 1920 par KOTTMANN pour apprécier la fonction thyroïdienne. Cette étude critique, inspirée et dirigée par SIMONIN, fit l'objet de sa thèse de doctorat qu'il soutint en 1935.

Diplômé et lauréat de la Faculté, il accomplit son service militaire. Rendu à la vie civile, tout autant attiré par la médecine générale que séduit par la biologie, inspiré peut-être par la lecture de la thèse classique de SIMONIN sur les « toxines vermineuses », il retrouva son Maître DE LAVERGNE et reprit le chemin du Service des Maladies Infectieuses. Ce fut le début d'une collaboration qui devait durer vingt ans. P. DE LAVERGNE en fit son Chef de Clinique, puis d'emblée, il l'associa à ses travaux : observations minutieuses au lit du malade mais aussi investigations biologiques au Laboratoire de Bactériologie et de Parasitologie. De cette époque datent leurs recherches communes sur les spirochétoses méningées, les encéphalites post-morbilleuses, les méningites tuberculeuses et à méningocoque, ainsi que l'élucidation de l'étiologie des varicelles gangréneuses, que seules des études répétées, au Laboratoire, permirent de rattacher à la présence constante d'un staphylocoque dont l'action dermo-nécrosante se surajoutait à celle de l'agent viral.

Cette carrière qui s'amorçait sous les meilleurs auspices fut interrompue par la guerre. Sans être belliqueux, mais animé d'un patriotisme exemplaire, il s'y lança avec la fougue et le don de soi qu'il mettait dans toutes ses entreprises. Rappelé sous les drapeaux et mobilisé le 28 août 1939, il ne ménagea ni son courage, ni son dévouement, comme en témoignent deux citations, l'une à l'ordre du régiment, l'autre à l'ordre de l'armée.

Il fut fait prisonnier en mission le 18 mai 1940 et envoyé dans un OFLAG. Nommé médecin-chef du STALAG XXI CZ à Grodzisk, il aurait pu estimer que, pour lui, la guerre était terminée. Mais il refusa de courber l'échiné. Il fut alors muté, par mesure disciplinaire, dans un autre STALAG à Ostrzeszow où il fut libéré le 28 janvier 1941. Revenu en Lorraine, civil, il se considère pourtant comme toujours mobilisé et quelques jours après son retour, soldat sans uniforme, il s'engage dans les réseaux de la France Combattante. Tout en luttant dans l'ombre contre l'envahisseur, il reprit sa carrière et retrouva ses activités au Laboratoire de Bactériologie où il fut chargé des fonctions de Chef de Travaux de Bactériologie et de Parasitologie. En même temps, soucieux de parfaire sa formation scientifique, il s'inscrivit à la Faculté des Sciences où il obtint le Certificat d'Etudes Supérieures d'Evolution des Etres organisés en 1941, et l'année suivante, les certificats de Zoologie agricole et de Zoologie générale.

En 1943, il fut chargé des cours de Microbiologie et de Biologie générale, en même temps qu'il assura la direction des travaux pratiques de Microbiologie à la Faculté des Sciences et à la Faculté de Médecine dans le cadre de l'Année Préparatoire Médicale. Au laboratoire débutent alors ses longues études sur le bacille tétanique.

Mais cette activité en plein essor est brutalement brisée le 10 mai 1944. Arrêté en mission, il est déporté à Dachau puis à Natzweiller. Pendant un an, il vécut les affres des camps de concentration. Le régime sévère qu'il connut ne brisa pas ses qualités de médecin et d'homme de science. Au camp de Neckargerach, l'un des multiples camps de travail de Natzweiller, il s'occupa de 170 malades atteints de typhus exanthématique et chercha à lutter contre la propagation de l'épidémie. Mais les conditions étaient difficiles. Tout le temps devait être consacré au travail et les appels, fréquents, rognaient encore les rares heures disponibles. Le simple épouillage ne pouvait se faire que pendant les quatre heures permises pour le sommeil, dans l'obscurité. Deux mauvaises tondeuses, pour tout le camp étaient à la disposition des « coiffeurs ». Dans cet état lamentable où seul survivre paraît essentiel, il parvint à rédiger des notes sur l'évolution de l'épidémie et ses caractères particuliers. De même, lorsque dans ce même camp 57 personnes furent atteintes de pneumonie, il rédigea ses observations. De ces documents, qu'il parvint à conserver jusqu'à sa libération, il tira la matière de quatre notes qu'il présenta devant la Société de Médecine en 1946. Car de cet enfer il sortit. Libéré et démobilisé le 1er mai 1945, il reprit, sans attendre, ses études scientifiques suspendues, complétant une licence de Sciences naturelles par l'obtention du certificat de Botanique générale. Il retrouva, également, ses charges d'enseignement et fut nommé Chef de Travaux titulaire.

Peu avant son arrestation, il avait été délégué dans les fonctions d'agrégé. Dès son retour à Nancy, il prépara l'agrégation de Bactériologie. Reçu au concours de 1946, il fut institué agrégé le 1er octobre de la même année. Peu après, en 1947, il fut appelé à enseigner aussi à l'Université Sarroise de Hombourg où il fut chargé des cours de Bactériologie et de Parasitologie et assura la direction des travaux pratiques de ces deux disciplines.

En 1949, il fut intégré dans le cadre des Maîtres de Conférences Agrégés, cette même année, il fut nommé Officier d'Académie. Son courage, son dévouement durant la guerre, les souffrances qu'il avait endurées, furent officiellement reconnus et récompensés. La « Medal for Freedom » lui fut remise en 1946. Il fut fait Chevalier de la Légion d'honneur et décoré de la Croix de Guerre avec une palme et une étoile, en 1948. Il était déjà titulaire de la Médaille d'Argent des Epidémies. En 1952, le Ministère de l'Education Nationale, sur la proposition de la Faculté, lui conféra le titre de Professeur sans Chaire, reconnaissant ainsi ses qualités didactiques. En 1956, le Professeur V. DE LAVERGNE ayant fait valoir ses droits à la retraite et la Chaire de Bactériologie et Parasitologie ayant été déclarée vacante, il succéda à son maître et devint Professeur Titulaire à 45 ans à peine. Pendant quelques années encore, il collabora bénévolement aux activités du Service des Maladies Infectieuses.

Au cours de ces vingt années passées au chevet des malades, auprès de l'un des maîtres incontestés de la Pathologie infectieuse, sont nés des travaux dont les plus importants concernent le botulisme, la brucellose, la lymphoréticulose bénigne d'inoculation et surtout, la tularémie. L'épidémie lorraine de 1949-1950, lui permit de s'attacher, avec V. DE LAVERGNE, aux aspects cliniques et physiopathologiques de cette affection. Elle fut l'occasion, surtout, de mettre au point la « tularino-réaction », méthode biologique de diagnostic par intradermo injection de « tularine » maintenant bien connue.

Le tétanos et le bacille tétanique furent également au premier rang de ses préoccupations. Non seulement la maladie et son traitement, mais tout autant, le bacille envisagé sous son aspect purement bactériologique. Il en étudia la fréquence dans les plaies, le polymorphisme, la structure fine, en particulier, le vacuome et la ciliature.

La plupart de ces recherches furent présentées devant les Sociétés Savantes locales dont il était un membre actif : Société des Sciences, Société de Médecine et Société de Biologie dont il fut élu Secrétaire Général en 1950 et régulièrement réélu tous les trois ans à la même fonction jusqu'à sa disparition.

Il appartenait également à la Société de Pathologie comparée, à celle de Thérapeutique, à la Société de Parasitologie mais, surtout, il fut l'un des piliers de la Société de Biologie de Nancy. Fidèle à toutes les séances, même lorsque celles-ci se déroulaient entre les multiples activités auxquelles il participait, il y venait surchargé de dossiers qui bourraient la volumineuse serviette dont il semblait ne jamais se défaire.

Outre les travaux cliniques et de laboratoire, l'épidémiologie l'attirait. Encore étudiant, il avait, en 1934, dressé l'état sanitaire d'une commune du département, Réméréville, et, dans un mémoire de 42 pages, fait l'historique des épidémies et élaboré un projet d'amélioration des conditions d'hygiène de cette localité. Au cours de l'été 1948, il identifia et observa une très importante épidémie d'amibiase survenue dans la populeuse région industrielle de Joeuf-Homécourt-Auboué, qui fit l'objet de la thèse de son élève SCHWARTZ.

A l'occasion des 5èmes Journées de Pathologie Comparée qui se déroulèrent à Strasbourg en 1953, il présenta une magistrale étude d'ensemble sur le paludisme endémique en Lorraine au cours des XVIIIe et XIXe siècles, jusqu'en 1885 et dont on observa un réveil lors de la Première Guerre Mondiale, principalement dans la vallée de la Seille. D'autres sujets parasitologiques retinrent son attention : la lambliase, les helminthes intestinaux dont, en 1942, il montra la recrudescence à Nancy et dont le rôle dans l'appendicite iléo-caecale fut le sujet de l'excellente thèse de son élève GUITTIN.

A son retour de captivité, il trouva un Laboratoire qu'avait visité l'occupant et où manquait le matériel didactique nécessaire à l'enseignement de la Parasitologie. Il fit appel à la générosité de Collègues et, surtout, au Laboratoire de Parasitologie de la Faculté de Médecine de Paris qui fit don de nombreuses préparations et lui ouvrit ses collections.

Ainsi se nouèrent des liens d'amitié. Ceux qui l'unirent à son Collègue CALLOT, Doyen de la Faculté de Strasbourg, se concrétisèrent par la rédaction, en commun, d'un ouvrage de « Parasitologie médicale » publié en 1958 par Flammarion dans la collection médico-chirurgicale à révision annuelle. Depuis, les relations entre les deux laboratoires n'ont fait que se resserrer et, entre les deux élèves de ces Maîtres, une grande amitié est née.

Il s'intéressait à toute l'activité humaine et était porté à prendre des responsabilités dans tous les domaines. Déjà, les Agrégés le portèrent à la tête de leur Société ; il siégea au Comité Consultatif des Universités et la vie de son quartier, celle de la Cité, ne le laissaient pas indifférent. Il oeuvra au sein des Conseils municipaux au cours des mandats de M. PINCHARD et du Docteur WEBER.

Il avait le courage de ses opinions et leur restait fidèle même quand cela n'allait pas sans risques. Il le montra durant la guerre et fut égal à lui-même par la suite, quand des événements douloureux dressèrent des Français contre d'autres Français. Mais il n'était pas nécessaire d'être de son bord pour bénéficier de son estime ; par contre, il ne pardonnait pas à ceux qui paraissaient rallier ses idées mais n'avaient pour but que d'obtenir ses bonnes grâces. Ils étaient vite décelés et écartés, sans éclat mais définitivement.

La tempête de 1968 ne le submergea pas. Au contraire, calme et tranquille il émergea. Ses qualités d'administrateur trouvèrent leur plein emploi dans la mise sur pied des structures nouvelles. Devenu Président de l'Unité d'Enseignement et de Recherche des Sciences Médicales A, il fut également élu à la tête de l'Assemblée Constitutive provisoire de l'Université de Nancy I.

Dans le même temps, il fut élu Président du Conseil départemental de l'Ordre des Médecins. De ces postes, il embrassait toute la profession médicale, suivant d'un côté la formation de l'étudiant, recevant par ailleurs le jeune diplômé au moment de son installation, lui faisant toucher du doigt, au cours d'une conversation amicale, l'éthique et la déontologie de notre profession, les rappelant, si besoin était, aux plus anciens qui auraient pu s'en écarter ; au courant de tout ce qui pouvait survenir dans ce petit monde médical du département et même au-delà : la maladie, les drames, les décès mais aussi les mariages et les naissances. Il aimait particulièrement ce rôle qui permettait à son autorité paternelle de se donner libre cours.

En 1970, il fut élu pour cinq ans à la Présidence de l'Université de Nancy I, confirmé ainsi dans les fonctions qu'il avait tenues auparavant. Cette même année, l'Académie de Stanislas l'appela à siéger parmi ses membres. Promu Officier des Palmes Académiques en 1959 et Commandeur en 1971, Médecin-Lieutenant-Colonel de Réserve, le 12 juin 1972, son ami de longue date le Doyen honoraire BEAU, lui remit les insignes d'Officier de la Légion d'honneur.

Durant ces années d'intense activité, bien des satisfactions lui furent accordées, mais parfois aussi il ressentit l'amertume de n'être pas compris ou de ne pas rencontrer chez d'autres un peu de diplomatie et la politesse qui lui était naturelle. Son indulgence pardonnait beaucoup, mais la fatigue, quelquefois, semblait avoir raison de sa robustesse. Les épaules ployaient, le front se plissait, mais cela durait peu et un sourire venait à nouveau éclairer son visage. Aux moments les plus noirs, quand la lassitude se faisait trop envahissante, alors, il y avait la nature, les bois, la solitude parmi les arbres. Il suffisait qu'il s'enfonçât dans ses forêts, pour qu'il en revînt lavé de toute incertitude.

Sa compétence forestière était un autre aspect de sa personnalité, unanimement appréciée des spécialistes. Président du Syndicat des Propriétaires Forestiers-Sylviculteurs de Meurthe-et-Moselle, Président du Conseil d'Administration du Centre Régional de la Propriété Forestière de Lorraine-Alsace, il fut particulièrement heureux le jour où l'Académie d'Agriculture le reçut associé correspondant dans sa Section Sylviculture, mais toujours discret, il n'en parlait guère.

En février 1976, arrivé au terme de son mandat de Président de l'Université, il retrouva son Laboratoire qu'il prit quelque plaisir à réinstaller dans des locaux neufs, mais, était-il soudain las après toutes ces années de tension ? Ressentait-il quelque trouble auquel il ne voulut ou ne put prêter plus attention ? Bien qu'il eût encore quelques années d'activité possible avant sa retraite, il songea à se retirer. Il était probablement trop tard.

L'été finissait quand nous parvint la terrible nouvelle. Rejoignant Nancy en voiture avec son épouse et l'une de ses enfants, il fut pris d'un malaise dans la traversée de Lyon. Grâce au sang-froid de Madame HELLUY, il n'y eut pas de collision. Transporté immédiatement dans un hôpital de la ville, ilreçut les soins de collègues lyonnais puis des Nancéiens se rendirent à son chevet. L'atteinte était sérieuse. Dès lors, les jours puis les semaines s'écoulèrent. Nous étions tiraillés entre la peur d'apprendre l'issue fatale et la hantise de le retrouver diminué. L'espoir, de jour en jour plus déraisonnable, d'une guérison s'évanouit le 7 octobre. Pendant plus d'un mois, sa robuste constitution avait tenu la mort éloignée.

Les stigmates de la lutte se lisaient sur son visage défait quand, dans cette petite pièce alors surchauffée par la canicule, nous le revîmes, cherchant en vain un certain regard, le pli de la lèvre amorçant un sourire, un signe, vingt ans, à peine, nous séparaient ; assez pour que naissent des sentiments filiaux, trop peu pour qu'une incompréhension se dresse entre nous. Au cours de dix-huit années passées à ses côtés, point de querelle, pas même de mouvements d'humeur. Sachant toujours faire confiance à chacun, accordant son aide quand elle s'avérait nécessaire, ne refusant aucun service, il se montra toujours le plus courtois et le plus bienveillant des hommes. Son souvenir survivra dans le coeur de ceux, nombreux, qui l'ont aimé.

Professeur G. PERCEBOIS