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Allergologie

                           

par D. MONERET-VAUTRIN et J-P. GRILLIAT

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les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

 

L’allergologie nancéenne est le fruit de l’intérêt de plusieurs générations. Nous tracerons son historique en trois périodes, en détaillant ses bases expérimentales puis ses développements cliniques, selon le ternaire habituel pour les professeurs de médecine : enseignement, soins, recherche.

 

UNE PREMIERE PERIODE …

 

Dès 1919, Jacques Parisot inspire le sujet d’une thèse, écrite par Pierre Simonin, où les phénomènes allergiques sont envisagés dans les réactions aux « toxines » hydatiques. Les aspects allergiques de certaines pathologies cutanées sont rapportés par Spillmann et Ravaux dans un rapport au Congrès de Dermatologie de Strasbourg en 1923. Le grand bactériologiste, Paulin de Lavergne, publie en 1927 dans la Presse médicale « Pathogénie des accidents sériques » puis Emile Abel dans la Semaine des Hôpitaux en 1927 présente les modifications du LCR au cours des réactions sériques.

 En 1931, de Lavergne édite un petit livre faisant la synthèse des connaissances documentées par l’expérience clinique « Allergie et anergie clinique », envisagées en anaphylaxie, infectiologie, parasitologie, asthme et dermatoses. Dans son préambule il écrit alors : « Il nous a semblé qu’il y aurait intérêt à esquisser une histoire de l’allergie et de l’anergie, et à montrer combien ces notions peuvent déjà, si incertaines qu’elles soient, aider la clinique pour l’interprétation de quelques syndromes, pour le diagnostic, le pronostic et même le traitement de certaines infections ou affections ». Soixante-quinze ans plus tard on ne pourra que souscrire à cette pensé ; le qualificatif « incertaines » étant seul à modifier…

Dans la suite, les travaux paraissent plus espacés jusqu’à la thèse de Jacques Simonin en 1948, inspirée par P. Florentin, consacrée à « Histopathologie de l’anaphylaxie », travail expérimental portant sur le cobaye sensibilisé au sérum de cheval. A la description clinique de l’animal, qui  « commence à se gratter et l’inquiétude le gagne » succède une remarquable étude des différents parenchymes et des glandes surrénales dans le choc aigu ou subaigu.

Ainsi dans cette première partie du siècle, les travaux correspondent essentiellement à une démarche nourrie de l’expérimentation et des connaissances fondamentales mais n’associant encore que quelques faits cliniques isolés.

 

L’ALLERGOLOGIE DEVIENT CLINIQUE

 

C’est à partir de 1956, date du médicat des hôpitaux de Jean-Pierre Grilliat, que l’allergologie s’implante en clinique, dans le sein d’un modeste service de Médecine complémentaire. JP Grilliat crée la première consultation d’allergologie. Exercée par lui-même avec deux collaborateurs de la première heure, les Dr. Jeannine Fau et Pierre Bourgaux, elle prenait en compte la maladie asthmatique et le rhume des foins. La première publication consacrant cette activité clinique parait en 1961 et traduit les résultats des désensibilisations aux pollens. Le Pr. Grilliat initie une collaboration avec la Faculté de Pharmacie pour installer sur le toit un capteur de pollens et procéder à l’identification botanique. Le calendrier pollinique de la région Lorraine, publié dans la nouvelle Revue Française d’Allergologie, est un des premiers calendriers polliniques français, après les régions parisienne et marseillaise. Puis à partir des années suivantes, alors que le service est désormais un service de Médecine Interne, les publications en allergologie seront régulières, et couvriront différents champs : allergies médicamenteuses, allergies ORL, en collaboration avec les Pr. Wayoff et Jankowski, allergies en milieu anesthésique avec la collaboration du Pr. M-C. Laxenaire. A partir des années 1985, les travaux concernant l’allergie alimentaire, et l’anaphylaxie ont pris une  place prédominante…

Le Pr. Grilliat organisera plusieurs fois la réunion annuelle de la Société Française d’allergologie à Nancy, à partir de 1969.

 

 LE DEVELOPPEMENT DE L’ACTIVITE ALLERGOLOGIQUE

 

Il a progressé selon  trois grands axes : l’enseignement, les soins médicaux, les activités de laboratoire et de recherche.

 

L’enseignement

Vers les années 1960, la formation allergologique dépendait alors exclusivement d’un volontariat personnel des médecins autodidactes complétant leur expérience par  l’assistance aux réunions annuelles parisiennes sous la direction du Pr. Wolfromm avec la présence fréquente du Pr. Halpern, et aux Journées de Marseille organisées par le Pr. Charpin, ainsi que par la fréquentation des séances de la jeune Société Française d’Allergologie. A leur tour le Pr. Grilliat et ses collaborateurs instituèrent dans le service hospitalier les premières réunions de formation des généralistes aux particularités de « l’allergie »

C’est après 1968, à l’occasion des réformes de l’enseignement médical, que le Pr. Grilliat fut à l’origine d’une avancée à deux niveaux. L’initiation  des étudiants en médecine fit l’objet d’un programme de cinq heures de cours et de quatre heures d’enseignement dirigé en quatrième année de médecine (DCEM2), plus tard portés à sept heures de cours et six heures d’ED. Cette formation fut l’une des premières en France, événement notable si l’on pense que cette formation n’était toujours pas réalisée  dans toutes les facultés de médecine trente ans après… Elle disparut hélas récemment lors de la nouvelle réforme instituant les APP et les modules. Actuellement l’enveloppe horaire de l’enseignement du module 8 : « Immuno-pathologie et inflammation » a diminué (à Nancy) la place impartie à l’enseignement des maladies allergiques dans un rapport de 3 à 1… La clarté de cette formation initiale est sérieusement obérée…

 D’autre part le Pr. Grilliat créa une des premières Attestations Universitaires d’Allergologie, après celles de Paris et Marseille. Celle-ci, destinée à l’exercice des allergologues exclusifs, c’est-à-dire à l’exercice plein temps de l’allergologie par des généralistes, proposait une formation à l’allergologie durant deux ans. En accord avec le Pr. Duheille, immunologiste, la première année de cours était consacrée aux bases immunologiques, la seconde à l’allergologie clinique. Bien des attestations qui se créèrent ultérieurement dans d’autres villes ne comportaient qu’un an de stages cliniques…

Cette attestation d’excellent niveau dura jusqu’en 1990, année où fut instituée une Capacité Nationale d’allergologie, qui, homogénéisant la formation au plan national, était une avancée importante. La Capacité repose sur un programme de deux ans, une obligation de stages pratiques et un examen écrit national de niveau difficile, recevant chaque année de 30% à moins de 50% des candidats.

En 2001 un DESC d’Immunopathologie, créé par les immunologistes, fut transformé en DESC d’allergologie et d’immunologie clinique, visant la formation d’internes des hôpitaux. Ce DESC est actuellement en cours de réforme. D’un haut niveau théorique il n’a pas jusqu’ici été  adapté à l’exercice courant de l’allergologie. La Capacité devrait perdurer car le DESC, avec son obligation d’une année de stage post-internat et le cursus particulier des stages de médecine générale ne serait pas, d’après les informations actuelles, accessible aux étudiants en filière de Médecine générale. Leur formation à l’allergologie dans le but de devenir allergologues exclusifs, ainsi que  la nécessité d’offrir une  formation à l’allergologie à des médecins installés souhaitant changer leur exercice, ou à des médecins étrangers, nécessiteront le maintien de cette Capacité.

L’activité universitaire et le rayonnement du service du Pr. Grilliat se manifesta également  par l’organisation de symposiums et congrès nationaux.

 

Les soins

L’activité hospitalière s’est progressivement modifiée et étoffée de 1956 à 1990, en recrutant régulièrement de nouveaux collaborateurs. A partir de 1990, les activités de consultation externe sont devenues plein temps, sur rendez-vous, bénéficiant de douze attachés, allergologues exclusifs comme spécialistes allergologues : internistes, pneumologues, pédiatres, ORL, anesthésiste, de cinq infirmières, d’une hôtesse d’accueil. Les motifs de consultation recouvrent toute la médecine interne, et une population pédiatrique consulte couramment.

Avant 1990, le service de médecine Interne accueillait dans ses lits surtout des asthmatiques. Dès 1984 le besoin se fit sentir de réserver régulièrement sept lits (sur 73) aux besoins des autres maladies allergiques. En 1990 l’accession du Pr. Moneret-Vautrin aux fonctions de chef de service fut l’occasion d’une restructuration du service qui réduisit les lits à 45. Une unité de 23 lits est dès lors consacrée à l’allergologie et à l’immunologie clinique sous forme d’une hospitalisation de semaine et de jour pour répondre aux nouveaux besoins ainsi qu’aux nouvelles méthodes de diagnostic.  Les tests de provocation réalistes, nécessitant une surveillance médicale prolongée sur 24 heures, prennent une place considérable. Une spécialisation infirmière nouvelle apparaît ; la programmation de bilans en un minimum de temps. Une diététicienne spécialisée en allergologie alimentaire devient une indispensable collaboratrice. Une psychologue vient compléter l’équipe.

Les délais d’attente de bilans programmés sont devenus préoccupants et une réflexion visant à une extension des possibilités, d’hébergement en particulier, est en cours. Alors que l’exercice médical va connaître une mutation, avec le choix obligatoire d’un médecin de référence, avec les procédures d’évaluation et d’accréditation de la qualité des soins des équipes hospitalières qui dépendront de la jeune Haute Autorité de Santé installée fin décembre 2004, il parait essentiel au responsable actuel de réfléchir sur l’évolution nécessaire d’un système de soins qui a fonctionné efficacement depuis 199. Et ce d’autant plus que les impératifs économiques de la Tarification à l’acte viennent s’ajouter aux exigences d’une médecine allergologiste de CHU de haut niveau…

 

Parallèlement à l’exercice hospitalo-universitaire,  de nombreuses activités ont fleuri grâce à la création d’une association 1901, à but de recherche, le CICBAA, qui bénéficie d’un statut d’organisme de formation permanente, utile pour que les médecins libéraux voient leurs stages de formation continue pris en compte. En 1996, l’édition bimestrielle d’une revue médicale spécialisée en allergologie alimentaire et médicamenteuse, Alim’Inter a vu le jour. Elle a pour but une information rapide, mais scientifiquement contrôlée, des nouveaux acquis allergologiques, à l’intention des allergologues de langue française.

Il a créé un site internet cicbaa.org, avec une section  pour le public et une section réservée aux allergologues du CICBAA.

Le CICBAA institue tous les deux ans l’organisation de symposiums d’allergologie alimentaire.

En 2001, la création d’un Réseau national d’Allergo-Vigilance en lien avec l’AFSSA, fonctionnant quotidiennement par e-mail, et groupant 331 allergologues, témoigne de la vitalité de l’activité allergologique du service de Médecine Interne, Immunologie Clinique et Allergologie. Ce réseau est un instrument d’informations actualisées sur la fréquence des anaphylaxies sévères.

Les internistes allergologues de Nancy ont  par ailleurs été à l’origine de la création en 2002 du Réseau Allergolor réunissant tous les allergologues à activité hospitalière plein temps comme surtout à temps partiel, de la région Lorraine et de Champagne-Ardenne. Les Services de Pneumologie, ORL, Dermatologie, Pédiatrie du CHU en font partie. Ce Réseau institué par l’ARH de Lorraine bénéficie d’un coordonnateur, praticien hospitalier, le Dr. Flabbee. Il fait état de son activité et de ses initiatives propres par une journée annuelle de rencontres avec communications, depuis 2004.

 Il faut également signaler le développement depuis quelques années d’une activité d’allergologie dans le service de Dermatologie (Pr. Barbaud), Une consultation ciblée sur les eczémas de contact professionnels, assurée par  le Dr. Mougeolle en avait été depuis longtemps le précurseur.

 

La recherche

 L’allergologie, médecine expérimentale par excellence, ne pouvait se développer sans activité de laboratoire. L’arrivée d’un interne des hôpitaux en 1963, consacrant sa thèse à un des premiers tests de laboratoire en allergologie  permit le démarrage des tests fondés sur les cellules. Tour à tour cette activité eut trait aux basophiles de Lapin, puis aux basophiles humains, puis aux lymphocytes (test de transformation lymphoblastique), puis à l’inhibition de migration des macrophages. Tour à tour le clinicien chercheur  trouva hébergement dans les laboratoires d’Embryologie, puis de Physiologie, puis au Centre de Transfusion sanguine,puis dans le service clinique de l’hôpital de Brabois et dans le laboratoire de Bactériologie, et finalement, devenu professeur de médecine interne en charge de responsabilités cliniques dut nécessairement mettre fin à son activité de laboratoire personnelle et « passa la main » pour les développements ultérieurs aux laboratoires d’Immunologie et de Biochimie.

Parallèlement à l’étude des cellules impliquées dans l’allergie naissait  dès 1968 l’exploration des IgE totales et spécifiques dans le laboratoire de Biochimie du Pr. Nicolas, un des premiers en France à faire le pari du développement prometteur de ces nouveaux dosages  puisque la découverte des IgE datait d’un an avant…

A partir des années 1994,  le laboratoire de Biochimie des Pr. Nabet et Belleville avec leurs collaborateurs, ajoutait une collaboration régulière de recherche portant sur les dosages des métabolites de l’histamine et la caractérisation  d’allergènes alimentaires. Ces études continuent avec l’actuel chef de service du laboratoire de Biochimie de l’hôpital Central, le Pr. Jean-Luc Olivier et ses collaborateurs.

Depuis une quinzaine d’années,  une part importante de la recherche clinico-biologique en allergologie alimentaire a pu s’effectuer grâce à des collaborations extérieures avec le département Recherche et Développement d’un laboratoire spécialisé dans la préparation des extraits allergéniques (Allerbio) ou avec des Unités de l’INRA.  Le présent immédiat  est désormais prometteur. La mise en place récente d’une équipe de recherche en instance de contractualisation, dirigée par le Pr. Gisèle Kanny,  permettra les avancées nécessaires en allergologie alimentaire, tant pour l’axe du diagnostic biologique que pour celui de futures thérapeutiques, grâce aux biotechnologies appliquées aux protéines. L’organisation d’un enseignement de haut niveau en allergologie dans le cadre des réformes européennes et de l’institution des LMD dans le proche futur est en cours de réflexion sous forme d’un partenariat avec la Faculté des Sciences, l’INPL et l’ENSAIA. Celui-ci devrait créer une pépinière de chercheurs potentiels dans différents domaines de l’allergologie, dans ses dimensions immunologiques certes, mais aussi environnementales.

 

CONCLUSION

 

Le dynamisme de l’allergologie nancéenne a fait ses preuves – mais est-il assuré ? Pour peu que l’université la soutienne, on peut avec confiance pronostiquer qu’elle aura une part ferme dans les développements de cette médecine expérimentale où les progrès des connaissances, plus que jamais, nécessitent une équipe étoffée d’internistes et de spécialistes cliniciens, et de chercheurs de laboratoire.