FLORENTIN Pierre

1900-1987

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ELOGE FUNEBRE

Le 5 janvier dernier s'éteignait dans sa 87ème année, un de nos anciens maîtres vénérés, le Professeur Honoraire Pierre FLORENTIN. Cette disparition discrète mettait un terme à une longue période de maladie qui, depuis sa retraite en 1970 l'avait isolé dans sa maison familiale de Malzéville. S'étant volontairement tenu à l'écart, il avait perdu tout contact direct, non seulement avec les lieux de son existence professionnelle, Faculté de Médecine et Centre Régional de Radiothérapie, mais aussi avec ses anciens collègues et élèves qui n'avaient plus avec lui que des relations assez espacées, plutôt épistolaires, suffisantes cependant pour se rendre compte qu'il avait gardé sa vive intelligence. Nombre de nos jeunes collègues ne l'ont pas connu, sinon de réputation. Et pourtant, en la personne de Pierre FLORENTIN, l'Université de Nancy a perdu un pédagogue, médecin et biologiste, dont les qualités didactiques et les travaux scientifiques, notamment en cancérologie sont éminents.

Pierre FLORENTIN est né le 17 décembre 1900, à Robert-Espagne (Meuse) où son père exerçait la médecine de campagne. Ce père, le Docteur René FLORENTIN était cependant un scientifique accompli : avant de s'installer en Meuse, il avait fréquenté le laboratoire du Professeur A. CUENOT et y avait soutenu une thèse de sciences naturelles en 1899, intitulée "Etude sur la faune des mares salées en Lorraine". Ce père a marqué de sa forte personnalité et de ses qualités humaines les riverains de la vallée de la Saulx, mais aussi son fils Pierre, qui dira plus tard que médecin et naturaliste, il fut son premier maître et sut lui inspirer  très tôt une véritable vocation de la recherche scientifique désintéressée en zoologie, en botanique et en médecine.

Pierre FLORENTIN va donc naturellement fréquenter la Faculté de Médecine de Nancy, sitôt après la première guerre mondiale. Reçu au concours de l'externat des Hôpitaux dès 1919, il va très tôt fréquenter le laboratoire d'histologie du Professeur Remy COLLIN auquel il s'attachera comme préparateur en 1922, puis comme Chef de travaux à partir de 1927. De cette époque datent ses premières publications, orientées vers la neuro-endocrinologie (quoi de plus naturel chez un élève du Professeur COLLIN) et l'histo-physiologie des pigments biliaires. Ce dernier sujet sera l'objet de sa thèse de médecine intitulée « Recherches expérimentales sur la biligénie pigmentaire », soutenue en 1924 sous la présidence de son maître Remy COLLIN, assisté des Professeurs HAUSHALTER, WATRIN et CORNIL. L'expérimentation portait sur l'hémolyse et l'érythrophagie chez les batraciens et le lapin. Dès cette période, en collaboration avec P.L. DROUET, P. FLORENTIN avait élargi ses recherches sur les propriétés phagocytaires des cellules de ce que l'on appelait alors le « système réticulo-endothélial ».

En endocrinologie, les travaux poursuivis chez R. COLLIN ont abouti en 1932 à une thèse de doctorat es sciences intitulée « Recherches sur l'histologie et l'histo-physiologie de la glande thyroïde des mammifères » sous la présidence du Professeur Lucien CUENOT, dont il avait suivi l'enseignement de zoologie à la Faculté des Sciences. Expérimentant chez le cobaye, FLORENTIN constate des analogies entre l'hyperplasie thyroïdienne de la gestation et celle de la stimulation par l'ésérine ou l'irradiation : il en tire une conception personnelle sur le mécanisme de la sécrétion thyroïdienne. Il avait aussi confirmé les interrelations endocriniennes et remarqué l'hétérogénéité fonctionnelle topographique de la thyroïde, devenue familière bien plus tard en pathologie humaine. De cette époque datent encore des travaux sur les parathyroïdes et le thymus, ainsi que sur l'hypoglycémie adrénalinique, en collaboration avec P. L. DROUET et J. WATRIN.

Ainsi en 1933, lors de son concours d'agrégation d'histologie, P. FLORENTIN s'était déjà acquis une solide notoriété scientifique, avec quelques 80 publications non seulement d'histologie expérimentale et comparée, mais aussi plus cliniques : il avait, en effet, de 1927 à 1930, été, comme Chef de clinique de maladies infectieuses, le collaborateur du Professeur P. DE LAVERGNE qui l'avait associé à plusieurs de ses travaux, notamment sur les oreillons et l'érysipèle.

A cette époque, P. FLORENTIN était déjà un membre actif de Sociétés scientifiques régionales ou nationales, comme la Société de biologie de Nancy (depuis 1925), l'Association des anatomistes (depuis 1927), la Société anatomique de Paris (1929), la Société des sciences de Nancy (1930), l'Association lorraine d'études anthropologiques (1928).

Nommé Agrégé Chef des travaux d'histologie le 1er janvier 1934, P. FLORENTIN effectuera quelques stages biologiques en France à Besse, chez le Professeur GRASSE et en Allemagne à l'Institut Neurologique de Francfort. Il poursuivra des travaux sur l'origine des cellules sexuelles (1935), le déterminisme de la sécrétion lactée (1936) le mécanisme de l'ostéogénèse (1936).

En janvier 1938 survient un tournant décisif dans sa carrière : il s'agit, selon le souhait du Doyen Louis SPILLMANN, de la succession du Professeur L. HOCHE à la direction du Centre Anti-cancéreux de Nancy et à la chefferie de service d'anatomie pathologique de l'établissement. Il allait assumer cette charge pendant 33 ans. Se disant plus scientifique que clinicien, il s'était préparé à ses tâches cliniques et administratives pendant 6 mois passés à l'Institut du cancer de Villejuif. Là, le Doyen Gustave ROUSSY l'avait "paternellement accueilli", disait-il, et inspiré de ses conseils pour développer l'établissement nancéien. Celui ci comportait alors une vingtaine de lits d'hospitalisation, installés dans l'immeuble bourgeois dit Ferlin Maubon, jouxtant l'Hôpital Central, au 47 bis de l'avenue de Strasbourg. Les moyens thérapeutiques étaient essentiellement ceux de la curiethérapie par radium et de l'irradiation à 200 Kv.

Le Professeur FLORENTIN voulait susciter l'intérêt de plusieurs collègues universitaires des spécialités concourantes à la cancérologie naissante. Mais la deuxième guerre mondiale interrompit le projet car, mobilisé, il dut séjourner pendant un an en repli à Toulouse. Au Centre anti-cancéreux de cette ville régnait la forte personnalité du Professeur DUCUING, Directeur et Chirurgien, que le Professeur FLORENTIN fréquenta avec beaucoup d'intérêt. De retour en octobre 1941, il affronte les années d'occupation, les difficultés d'approvisionnement en toutes choses ; cependant une subvention de l'union régionale des caisses d'assurances sociales permet l'installation d'un poste de contacthérapie. Il organise une unité de statistiques médicales.

Peu après l'armistice, le 1er octobre 1945, une ordonnance signée du Général De Gaulle instituait la possibilité d'une reconnaissance d'utilité publique pour les Centres Anti-cancéreux privés qui conformeraient leurs actions à un schéma de pluri-disciplinarité médicale, et leurs activités médico-sociales à un programme régional de lutte contre le cancer. En échange, les centres adhérents, tout en gardant leur statut privé pouvaient bénéficier de subvention d'état et du soutien public. Le Professeur FLORENTIN mit le centre anti-cancéreux de Lorraine, que l'on appelait à l'époque centre de radiothérapie, en conformité avec cette réglementation nouvelle. L'agrément fut donné le 30 décembre 1946.

Cette vocation élargie de l'établissement conduisit le Professeur FLORENTIN à se préoccuper de l'information du public ; il rédigea plusieurs articles d'information sur la lutte régionale contre le cancer. Les premières consultations avancées se développeront ultérieurement. Sur place, des collègues universitaires répondaient à son appel. Le Professeur CHALNOT fit à la salle d'opération du centre ses premières interventions de chirurgie thoracique pour cancer, avec une équipe ardente dont Soeur Monique n'était pas la moindre personnalité. Le Professeur MELNOTTE, hygiéniste et bactériologiste, assurait la consultation générale du centre, le Professeur GRIMAUD l'otorhino-laryngologie. Le Professeur ROUSSEL développait le service de radiologie. Le Docteur LOUYOT était gynécologue consultant. Puis P. FLORENTIN accueillit divers jeunes collaborateurs qui se fixèrent entièrement au centre : les Docteurs SCHOUMACHER et PERNOT en radiothérapie, le Docteur CHARDOT et le Docteur J.M. CAROLUS en chirurgie, puis le Docteur METZ pour la chimiothérapie débutante, les Docteurs C. MACINOT, B. PIERSON et R.M. PARACHE au laboratoire.

Dans les années 1950 et 1960, on pouvait assister chaque jeudi à un colloque de réflexion pluri-disciplinaire : les maîtres, représentant chacun une discipline, examinaient ensemble les cas présentés par les internes et assistants ; chacun était l'objet d'une discussion. La décision thérapeutique, l'ordonnancement des séquences de traitement étaient consignés sur l'observation, le plus souvent de la main même du Professeur CHALNOT. C'était la naissance du principe de concertation pluri-disciplinaire en cancérologie. Les données humaines pour chaque cas n'étaient pas absentes de la décision et une réflexion globale sur les intérêts du malade intervenait toujours sans se tenir aux seules technologies médicales. Parfois aussi, faut-il le dire, des apartés, éventuellement passionnés, de nature musicale, culturelle ou philosophique, ou d'autres encore, interrompaient la séance et enrichissaient la culture des plus jeunes.

Sous son impulsion, on développa à cette époque les techniques d'irradiation à haut voltage, ainsi que les exérèses pour cancers du pelvis, de la tête et du cou, du sein, de la peau. L'anesthésie et les soins intensifs se développaient avec la venue du Docteur Jacqueline CAROLUS puis celle du Docteur D. DARTOIS. Au laboratoire d'anatomie pathologique, l'activité rayonnait bien au-delà des malades pris en charge par le Centre.

Ainsi, de multiples activités cliniques, thérapeutiques et scientifiques s'étaient développées, et des collaborateurs avaient été attirés par la haute compétence et l'ouverture d'esprit du Professeur FLORENTIN. Plus un seul mètre carré n'était disponible à son départ en retraite. Toutes les caves et greniers étaient exploités ; des travaux lourds avaient été menés en passant des tonnes de béton pour les blocs de la radiothérapie à haut voltage au sous-sol, à travers un unique soupirail donnant sur le trottoir de l'avenue. On était passé en 25 ans de 700 à 1700 nouveaux malades, de 20 à 70 lits.

Le Professeur FLORENTIN avait accédé en 1942 à la chaire d'anatomie pathologique de la Faculté de Médecine. Il y avait succédé au Professeur Jules WATRIN muté à la clinique de dermatologie. L'un de nous (G.R.), jeune étudiant en médecine, eut la chance d'être au nombre des premiers étudiants de ce maître, sans se douter qu'il en deviendrait le collaborateur, puis le successeur. Il assistait à la séance solennelle de rentrée de la Faculté de Médecine le 15 novembre 1943 pour la leçon inaugurale du Professeur FLORENTIN sur l' « Introduction à l'étude des tumeurs » : il fut d'emblée séduit par la précision de la pensée, l'élégance et la clarté de l'expression verbale, jamais démenties dans l'enseignement quotidien. Dans cette leçon, il énonçait clairement et de manière très actuelle la mutation somatique comme mécanisme intime de la cancérisation.

Ses qualités didactiques étaient rehaussées par un talent de dessinateur exceptionnel : au tableau, le maître exécutait immédiatement des schémas et dessins à la craie, en polychromie, si utiles pour la compréhension d'une discipline morphologique aride, à une époque où les diapositives n'existaient pas. Le talent du dessinateur, à la plume et à l'encre de Chine également, fut mis au service des étudiants dans des ouvrages didactiques, aussi bien que scientifiques. Après les « démonstrations d'histologie », il fit éditer chez Georges Thomas, les « Démonstrations d'anatomie pathologique » sur les tumeurs et sur les processus inflammatoires. Ces petits livres furent des modèles du genre, qui ont rendu de grands services à des générations de futurs médecins. Dans un autre domaine, il convient de préciser qu'il ne dédaignait pas de pratiquer des nécropsies avec rapidité et précision, sachant en tirer une synthèse anatomo-clinique profitable pour l'observation du malade et pour l'enseignement à l'étudiant.

La pathologie tumorale était devenue naturellement un de ses sujets de prédilection : en particulier il étudia (avec CAUSSADE et NEIMANN) les tumeurs malignes de l'enfant encore très mal connues en 1947 ; puis il s'intéressa beaucoup aux tumeurs endocrines et aux tumeurs gonadiques, mais aussi aux tumeurs thoraciques, bronchiques et pleurales. Les confins des processus tumoraux et les notions de bénignité et malignité ont également retenu son attention, notamment dans le cadre des dysgénèses, des pseudo-tumeurs inflammatoires, des « tumeurs à cellules granuleuses », de la maladie de Hodgkin qui à l'époque, n'était pas encore considérée comme un processus tumoral.

Toute cette activité d'enseignement, de recherche, ces fonctions administratives à la tête du Centre de recherche et de lutte contre le cancer et dans les organismes de prévention et de traitement du cancer ont valu au Professeur FLORENTIN de nombreuses distinctions, il était : Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier de l'Ordre National du Mérite Officier de l'Ordre de la Santé Publique, Commandeur des Palmes Académiques.

A la Faculté, son premier élève et collaborateur fut Jacques SIMONIN, qui poursuivit l'orientation expérimentale de ses travaux et dont il fera, en quelques années, un Chef de travaux, puis un Maître de conférences. Jacques SIMONIN disparut tragiquement en 1952, laissant dans le désarroi le maître et les membres de la jeune équipe que formaient à l'époque G. RAUBER, B. PIERSON et C. MACINOT. Plus tard furent adjoints J. FLOQUET, A. DUPREZ, R.M. PARACHE et d'autres plus jeunes.

Parmi les préoccupations du Professeur FLORENTIN, la vie familiale tenait une place importante et, à maintes reprises, il eut à coeur de nous y associer, plus particulièrement à la belle saison. A cette occasion, il faisait volontiers les honneurs de son jardin qui était l'objet de soins attentifs. C'est dans cette chaude ambiance familiale que nous avons, mieux encore qu'au laboratoire, apprécié l'étendue de la culture de notre maître, son affabilité, sa cordialité et sa générosité sous-tendues par une foi chrétienne sans ostentation.

Cette personnalité scientifique et humaine laisse un souvenir profond chez tous ceux qui l'ont connu et ont pu l'apprécier. Nous prions Madame FLORENTIN, ses enfants et toute sa famille de trouver ici un témoignage de reconnaissance de ses élèves, de ses collaborateurs et de l'Université de Nancy, qui resteront attachés par le souvenir à ce maître éminent.

Professeurs G. RAUBER et C. CHARDOT