` sommaire

Rhumatologie

par J. POUREL

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les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

 

Au seuil de sa retraite, en 1974, notre maître, le Pr. Pierre LOUYOT, retraçait l’histoire de la Rhumatologie et celle des cliniques médicales dans le numéro spécial, « du centenaire », des Annales Médicales de Nancy. Son érudition, fruit d’un labeur inlassable, s’y manifestait de même que son souci de ne pas faire valoir ses propres mérites. Trente ans plus tard, le moment est sans doute venu de souligner qu’il lui revient d’avoir fondé la Rhumatologie nancéenne et d’avoir puissamment contribué à l’éclosion de cette discipline en France. Rappelons à ce propos que, dès 1951, les Hôpitaux de Nancy étaient dotés d’un service de Rhumatologie  et que, dès 1961, une chaire de Rhumatologie était attribuée au Pr. LOUYOT,  alors qu’elles étaient encore très rares en France.

En 1974, le Pr. Alain GAUCHER a succédé au Pr. LOUYOT à la tête du service, assisté d’un nouvel agrégé, Jacques POUREL. En 1984, le service a été scindé en deux : service de Rhumatologie A (Pr. A. GAUCHER, Dr. P. PERE nommé PH en 1987), service de Rhumatologie B (Pr. J. POUREL), jusqu’au départ en retraite du Pr. A. GAUCHER,  en 1998, au terme de 24 années à la tête de la Rhumatologie nancéienne. A cette date, le service a été réunifié sous la direction du Pr. POUREL et Mme Isabelle CHARY-VALCKENAERE a été  promue PU-PH.  Peu après, en 1999,  la nomination du Dr. Damien LOEUILLE comme MCU-PH de Pharmacologie-Rhumatologie montrait l’étroitesse et la pérennité des liens anciens qui unissent la Clinique Rhumatologique au laboratoire de Pharmacologie et à l’U.M.R. CNRS 7561 de Pharmacologie et Physiopathologie articulaires où plusieurs Assistants-Chefs de clinique de Rhumatologie avaient déjà poursuivi leur carrière hospitalo-universitaire au cours de ces trente dernières années  : les Pr. P. NETTER, B. BANNWARTH (parti à Bordeaux) et P. GILLET. L’ouverture du service vers d’autres disciplines a également été illustrée par le passage d’autres Assistants Chefs de Clinique vers l’Immunologie (Pr. G. FAURE), vers l’Endocrinologie (Pr. G. WERHYA) et vers l’Epidémiologie et la Santé Publique (Pr. F. GUILLEMIN). Leur  fidélité à la Rhumatologie a été la source de fructueuses collaborations.

L’année 1974 a aussi été marquée par le transfert du service à partir des locaux vétustes de l’Hôpital Saint Julien pour les locaux, modernes selon les normes de l’époque, du 5ème étage du nouvel Hôpital de Brabois. Il y disposait, alors, de 4 secteurs d’hospitalisation traditionnelle regroupant plus de 80 lits, complétés par d’importants locaux dévolus à la Rééducation Fonctionnelle et à la Médecine Physique. Cette structure s’est profondément modifiée à la mesure d’une prise en charge plus rapide des malades, mieux articulée avec les soins dispensés en ville et mieux adaptée aux besoins et aux motifs d’hospitalisation. Actuellement, le service est organisé en trois unités d’hospitalisation. Une unité d’hospitalisation conventionnelle (20 lits), sous la responsabilité du Pr. CHARY-VALCKENAERE, rassemble principalement les patients justifiant des soins hospitaliers prolongés et/ou dont l’autonomie est fortement réduite. Une unité d’hospitalisation de semaine (14 lits) et une unité d’hospitalisation de jour (6 lits), sous la responsabilité des Dr. LOEUILLE et PERE, prennent en charge les malades nécessitant des soins spécialisés ou des examens complémentaires planifiés. Parallèlement à cette évolution de l’hospitalisation, la consultation externe a connu un développement important et joue un rôle croissant dans la régulation des hospitalisations.

 

INNOVATIONS

 

Quelles innovations « techniques » retenir plus particulièrement, au cours de ces trente dernières années ? Il faut sans doute d’abord souligner que la Rhumatologie a beaucoup bénéficié du progrès remarquable des procédés d’imagerie dont nos collègues radiologues ont toujours su faire bénéficier le service en première ligne, à la faveur d’un intérêt commun pour l’imagerie ostéoarticulaire où le scanner puis l’IRM ont trouvé un champ d’application très propice. Remarquons aussi l’impulsion donnée à la scintigraphie osseuse par le Pr. A. GAUCHER et nos collègues isotopistes qui ont su la promouvoir et faire valoir son intérêt dès les années 1970. D’autres techniques, implantées au sein du service lui-même, ont vu leur importance s’affirmer :

-         La « chondroscopie », arthroscopie médicale, a pu être initialement développée grâce à l’aide de nos collègues chirurgiens (Pr. J.P. DELAGOUTTE, Pr. D. MAINARD). Installée dans un local adapté à la faveur de deux Programmes Hospitaliers de Recherche Clinique (1994 et 1998), elle demeure un outil de recherche clinique mais elle est devenue, aussi, un moyen important de diagnostic et de traitement dans les mains du Dr. D. LOEUILLE. Notons que très peu de services de Rhumatologie disposent de cette technique.

-         L’échographie ostéoarticulaire s’est implantée récemment dans le service, il y a 3 ans. Elle complète et précise les données cliniques, elle permet l’évaluation des lésions : recensement des sites inflammatoires synoviaux et des enthèses (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie…), mise en évidence des lésions abarticulaires (tendons…). Elle permet aussi des gestes écho-guidés dans les conditions de précision et de sûreté nécessaires. La compétence acquise par des opérateurs entraînés (I. CHARY-VALCKENAERE, D. LOEUILLE) l’a rendu indispensable et son développement n’est freiné que par le coût des équipements.

-         La podologie est une activité traditionnelle du service, mise en œuvre dès ses débuts par le Dr. CH. GAUNEL, un des fondateurs de la discipline. Cette activité, très technique  pour certains  aspects (podoscopie, définition des orthèses…), se perpétue grâce aux Dr. R. AUSSEDAT, P. FENER, B. DAUM. En collaboration avec le Pr. DELAGOUTTE, elle a permis l’enseignement d’un DU de Podologie qui a formé de nombreux confrères.

-         Les innovations thérapeutiques récentes ont ouvert un nouveau chapitre de la Rhumatologie. Les « biothérapies », notamment les anti-TNF-Alpha apparus il y a 5 ans, sont fondées sur des données physiopathologiques précises ; elles se caractérisent par une efficacité remarquable dans le traitement des « grands » rhumatismes inflammatoires, mais aussi par un coût très élevé qui les ont rendues moins populaires chez les gestionnaires hospitaliers que chez les malades ! Elles ont induit une profonde modification de la prise en charge des malades (développement des courts séjours) ainsi que la mise en place d’un « collège des biothérapies » qui assure une décision rigoureuse et consensuelle des indications. Elles sont aussi à l’origine d’une intense activité de recherche clinique qui a fait progresser et a systématisé les méthodes d’évaluation (scores semi-quantitatifs, échographie…).

-         D’autres innovations thérapeutiques moins spectaculaires, méritent d’être signalées. Ainsi, de  nouvelles classes médicamenteuses sont susceptibles  d’améliorer la masse et la solidité osseuse, et de prévenir ainsi les fractures par insuffisance osseuse de l’ostéoporose qui représentent un problème majeur de santé publique ; leur évaluation fait appel à l’ostéodensitométrie. Il est à présent justifié et nécessaire de poursuivre le développement de réseaux pour une meilleure prise en charge de l’ostéoporose. Remarquons, enfin, les progrès du traitement médical de l’arthrose, avec l’introduction des techniques de lavage articulaire et de visco-supplémentation développées depuis une dizaine d’années, dans le service, par D. LOEUILLE.

 

RECHERCHE

 

La recherche en Rhumatologie s’est appuyée sur des collaborations anciennes et sans faille, en particulier avec l’U.M.R  CNRS 7561 de Pharmacologie et Physiopathologie Articulaires dirigée par le Pr. P. NETTER, mais aussi avec les services d’Imagerie Médicale, de Chirurgie Orthopédique, avec le Laboratoire d’Immunologie et, plus récemment, avec l’Ecole de Santé Publique. Elle a ainsi pu devenir une des forces du service et un outil de la formation des jeunes rhumatologues.  Nous ne dégagerons que quelques thèmes de prédilection qui ont suscité un intérêt constant et un apport original du service au cours des trente années écoulées.

-         Chondrocalcinose articulaire

Depuis plusieurs décennies, le service a largement contribué à la description de cette affection et à sa compréhension physiopathologique. L’étude d’un groupe de familles alsaciennes, entreprise dès les années 1960 sous l’impulsion de P. LOUYOT et de A. GAUCHER, a d’abord permis d’en caractériser les traits cliniques et radiographiques, et de démontrer la transmission autosomique dominante des formes familiales. La découverte d’une anomalie du métabolisme des PPi a marqué une étape importante qui en a éclairé la pathogénie. Récemment, l’analyse génétique des familles initialement étudiées, menée en collaboration avec  une équipe américaine, a mis en évidence la mutation du gêne ank qui code pour une protéine réglant le transport transmembranaire des PPi. L’implication de cette protéine dans les formes sporadiques de la chondrocalcinose articulaire est en cours d’investigation.

-         Arthropathie des dialysés

Elle représente une complication majeure qui altère la qualité de vie des insuffisants rénaux hémodyalisés. Une série de travaux menés en collaboration ave le service de Néphrologie (Pr. M. KESSLER), et grâce à la création d’un réseau INSERM, en ont précisé la description et la physiopathologie. Nous retiendrons particulièrement la mise en évidence du rôle de l’aluminium et celui des dépôts amyloïdes qui ont fait l’objet de plusieurs publications et de la thèse d’université de  CHARY-VALCKENAERE.

-         Spondylarthropathie

Le concept de « polyenthésite ossifiante » développé par A. GAUCHER, met bien en valeur la cible principale de cet ensemble de rhumatismes inflammatoires : l’enthèse ; il tend à s’imposer actuellement. La première description d’une forme autosomique dominante de l’affection représente aussi une importante contribution. Soulignons le caractère pionnier de l’exploration des enthésites en IRM, et, à présent, en échographie, menée depuis plusieurs années. Enfin, la collaboration de l’Ecole de Santé Publique (F. GUILLEMIN) a permis d’importantes acquisitions concernant l’évaluation des spondylarthropathies (mise au point de scores), la recherche de leurs facteurs pronostiques (importance de la coxite) et, enfin, leur épidémiologie en France (Enquête de prévalence EPIRHUM).

-         Arthrite de Lyme

La découverte de l’arthrite de Lyme a marqué le dernier épisode de l’identification de la maladie de Lyme, ensemble des manifestations liées à l’inoculation de Borrelia burgdorferi par une tique. Le diagnostic est souvent difficile et le mécanisme discuté des atteintes articulaires introduit le problème général des relations entre germes et rhumatismes inflammatoires. Nous avons montré que l’amplification génique par PCR permettait de détecter le génome du germe dans le tissu synovial, même lorsque cette recherche était négative dans le liquide synovial. Ce résultat, en faveur d’une séquestration intra tissulaire prolongée d’un faible nombre de germes, a été corroboré par la démonstration originale de leur localisation intra-cellulaire en microscopie électronique (collaboration avec l’Institut de Bactériologie de Strasbourg, Dr. B. JAULHAC, et avec le service d’Anatomopathologie de l’Hôpital de Brabois, Dr. CHAMPIGNEULLE, Pr. FLOQUET). Nous avons également prouvé, par une étude cas – témoin de séro-prévalence, que Borrelia burgdorferi n’était pas impliquée dans le déclenchement de polyarthrites rhumatoïdes en dépit de certaines similitudes entre les formes chroniques de l’arthrite de Lyme et la polyarthrite rhumatoïde.

-         Arthrose. Imagerie du cartilage

La caractérisation de lésions cartilagineuses et synoviales au cours de l’arthrose représente un axe majeur des recherches menées dans le service depuis une dizaine d’années, sous l’impulsion de D. LOEUILLE, qui leur a consacré sa thèse d’université. Elle a été menée en collaboration avec le servie d’Imagerie Guilloz, l’Ecole de Santé Publique (appui statistique) et l’UMR CNRS 7561.  Une double approche, expérimentale et clinique a apporté des résultats orignaux : développement d’un score IRM quantitatif des lésions cartilagineuses, corrélé avec le score arthroscopique pour les phases précoces de la maladie ; démonstration de l’intérêt de la cartographie T2 ; description de « l’aspect laminaire » des variations du signal du cartilage ; évaluation IRM de l’atteinte synoviale et de ses corrélations arthroscopiques,  histologiques et avec les lésions chondrales.

-         Ostéoporose

En dehors des aspects thérapeutiques les travaux du service ont principalement concerné la description des fractures par insuffisance osseuse, l’importance de l’IRM dans leur identification, ainsi que l’évaluation des facteurs génétiques dans le déterminisme de la masse osseuse.

-         Thérapeutique

L’implication du service dans de multiples protocoles multicentriques d’évaluation de nouveaux traitements s’est beaucoup accrue au cours de ces dernières années. Elle concerne principalement les «biothérapies » des rhumatismes inflammatoires et elle a entraîné le développement d’outils d’évaluation sophistiqués d’imagerie (IRM, échographie) ainsi que celui de scores clinico-radiologiques. Une nouvelle approche thérapeutique originale pourrait être fournie par un oligonucléotide anti-TNF-Alpha mis au point en collaboration avec l’UMR CNRS  7561  de Physiopathologie et Pharmacologie Articulaires et avec l’URA CNRS  1430 (Pr. E. TAILLANDIER). Cet oligonucléotide s’avère extrêmement puissant, in vitro, pour bloquer la synthèse du TNF-Alpha. Il a fait l’objet d’un dépôt de brevet.

 

PERSPECTIVES

 

Ce « coup d’œil dans le rétroviseur » ne saurait inspirer la nostalgie. La qualité de l’équipe médicale rajeunie qui prendra prochainement la direction du service, l’excellence des collaborations dont bénéficie la Rhumatologie, assurent l’avenir. Le développement de nouvelles structures en réseau, impliquant notamment nos confrères libéraux : Resos pour l’ostéoporose, Arthrilor, en projet pour les rhumatismes inflammatoires, contribueront aussi, sans doute, à une prise en charge de mieux en mieux adaptée de nos malades. Il faut espérer, enfin, que l’instauration du Pôle de Spécialités Médicales, regroupant les services de Rhumatologie, d’Endocrinologie (Pr. WERHYA), de Nutrition (Pr. ZIEGLER) et de Médecine Interne (Pr. KAMINSKY) aidera également à mieux accomplir la mission du service dans le souci constant de l’innovation, de la qualité des soins, et d’une attention permanente aux malades.