GUILLEMIN André

1891-1967

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ELOGE FUNEBRE

Le Professeur André Guillemin a succombé tout récemment, à l'âge de 75 ans, à la suite d'une courte mais inexorable maladie, inaccessible à toute thérapeutique. La nouvelle de sa disparition a pu surprendre un grand nombre de ses collègues : certains l'avaient en effet aperçu, il y a quelques mois à peine, dans l'enceinte hospitalière, venant reprendre, comme par nostalgie, un rapide contact avec quelques amis.

La longue carrière médicale et universitaire du Professeur André Guillemin, admis à l'Honorariat en 1962, débuta, dans notre Faculté, en 1909. Après ses études secondaires poursuivies à l'Ecole Saint Sigisbert de Nancy, il continuait, en pénétrant dans l'Institut de la rue Lionnois, les traditions de sa lignée paternelle, comme arrière-petit-fils, petit-fils, fils et neveu d'éminents médecins civils et militaires qui lui avaient transmis leurs viriles et très solides qualités morales et professionnelles.

Externe des Hôpitaux en 1911, la guerre devait brusquement interrompre ses études. Mobilisé en 1914 comme Médecin-Auxiliaire dans un régiment d'infanterie, il fut blessé, décoré de la Croix de guerre et de la Médaille de Vermeil des Epidémies. Rendu à la vie civile en août 1919, il opta très rapidement pour la carrière chirurgicale, à laquelle il se consacra jusqu'à la veille de sa mort. Pour se préparer, comme il se devait alors, à cette discipline qui exigeait, compte tenu des aléas opératoires, une connaissance très approfondie de l'architecture du corps humain, il entrait comme Aide, puis Prosecteur d'Anatomie dans le Service dirigé depuis 1907 par le Professeur Paul Ancel, puis, dès 1919, par le Professeur et Doyen honoraire Maurice Lucien.

Les plus anciens d'entre nous se souviennent peut-être de l'atmosphère qui régnait à l'Institut Anatomique à l'époque où André Guillemin était prosecteur, Maurice Mutel chef des Travaux, Paul-Louis Drouet, André Cornu et Robert Fourche, aides et préparateur d'Anatomie. Cette petite équipe de jeunes anatomistes, de tempéraments très différents, était soumise chaque année, pendant le semestre d'hiver, à une sévère rectitude horaire qui n'admettait aucun relâchement, aucun repos en fin de semaine. De 13 h. 30 à 16 heures, les étudiants de la Salle de dissection, turbulents suivant la tradition, se voyaient encadrés par le « Patron » et par leurs préparateurs qui ne leur épargnaient pas les interrogations et passaient des heures sur le cadavre à manier avec eux la pince et le scalpel et à préparer des pièces pour démonstrations. C'est à cette rude discipline, librement et allègrement consentie, qu'agrémentaient parfois des épisodes pittoresques souvent évoqués par notre Collègue - que se formèrent de futurs Maîtres, et que se précisèrent et s'affermirent le caractère et la destinée professionnelle d'André Guillemin. Il eut, par surcroît, à cette époque, l'heureuse chance de trouver un guide très précieux et très sûr en la personne du Professeur Alexis Vautrin.

L'Internat brillamment obtenu dès  1914, il soutenait sa thèse sur un sujet de Gynécologie le 16 avril 1921 et devenait, après un concours assez âprement disputé, jusqu'en 1925, le   Chef  de  Clinique de cet éminent chirurgien. C'est sous la direction très énergique, très exigeante, et aussi très austère du Professeur Vautrin, excellent Gynécologue, pionnier de la Lutte Anti-Cancéreuse à Nancy, que notre Collègue devait acquérir les indiscutables qualités techniques qu'il ne cessa de perfectionner au cours de sa carrière, fréquentant en outre, à Paris, les Services chirurgicaux des Professeurs Gosset, Duval et Cuneo. Cette préparation « manuelle », associée à une documentation scientifique vigilante, consacrèrent bientôt sa virtuosité opératoire, la sécurité de son diagnostic et ses facilités d'adaptation dans les différents services chirurgicaux qui lui furent confiés, parfois imposés, par le Conseil de la Faculté.

Chirurgien des hôpitaux du concours de 1926, le Service de Chirurgie Thoracique lui fut attribué à l'Hôpital Maringer. Nous étions à l'époque où la thoracoplastie était considérée, en dépit des mutilations importantes qu'elle exige, comme la seule opération efficace, susceptibles de bloquer l'évolution de certaines lésions tuberculeuses. Les résultats obtenus par André Guillemin dans ces interventions, auxquelles il apporta des modifications techniques et dont il sut préciser les indications, se révélèrent extrêmement encourageants. Son ascension universitaire s'affirmait par sa réussite au Concours d'Agrégation de Chirurgie Générale en 1930.

Il avait entre temps, en 1927, recueilli, à la demande expresse du Professeur Vautrin, quelques mois avant sa mort, la succession de la Clinique privée de la rue Sainte-Marie, dans laquelle il ne cessa d'opérer pendant près de 40 ans. Il sut conserver à cette maison, à laquelle il était très attaché, le renom que lui avait donné son fondateur, intervenant très efficacement dans l'organisation matérielle de l'établissement et dans sa constante et intelligente modernisation. Nombreux sont les malades qui lui doivent leur guérison et lui ont témoigné leur reconnaissance.

Chargé de l'enseignement de la Pathologie Chirurgicale puis de la Chirurgie opératoire jusqu'en 1938, il lui fut demandé, à la veille de la seconde guerre mondiale, d'assurer la direction du Service d'Urologie de l'Hôpital Central, laissé sans titulaire depuis la mort du Professeur Paul André. C'était pour lui, plus particulièrement orienté vers la Gynécologie, l'obligation assez pénible de s'adapter à une nouvelle discipline qui, si elle exige la dextérité opératoire qu'il possédait sans conteste, nécessite l'utilisation de procédés d'endoscopie qui lui étaient à peu près étrangers. Avec courage et ténacité, épaulé par quelques spécialistes nancéiens de sa génération, le Professeur Agrégé Guillemin se consacrait à la remise en route d'un Service hospitalier depuis quelque temps privé de Chef, et auquel il sut donner une impulsion nouvelle. Sa consécration comme Urologue devenait évidente : plusieurs procédés opératoires originaux firent l'objet d'intéressantes publications. Cet effort méritoire devait être reconnu et sanctionné par le Conseil de la Faculté qui le nommait Professeur sans Chaire puis le titularisait en octobre 1956 dans la Chaire d'Urologie, rétablie en sa faveur.

La seconde guerre mondiale l'avait une nouvelle fois contraint à abandonner ses obligations universitaires et son foyer. Il fut mobilisé en 1939 comme Médecin Chef de Service de Chirurgie à l'Hôpital militaire Sédillot, puis reprit ses différentes activités fin 1940, dès son retour à Nancy. Il fut successivement fait Chevalier, puis Officier de la Légion d'honneur à titre militaire et de la Résistance, Officier des Palmes Académiques, Commandeur de la Santé publique, Chevalier du Mérite Social.

Son enseignement, qu'il poursuivit jusqu'en 1962, date de sa mise à la retraite, tendait plutôt à orienter ses élèves, - car il avait conservé les traditions de son Maître Vautrin - vers l'établissement du diagnostic et les indications thérapeutiques, abordant discrètement la technique opératoire qui n'intéresse que les futurs spécialistes, et que les étudiants ne sont pas astreints à connaître dans tous ses détails. Ses nombreuses publications (280), surtout consacrées à la Gynécologie, et ses différents travaux sur des sujets très variés, lui permirent d'acquérir des titres très flatteurs.

Membre des nombreuses Sociétés locales et nationales dont font partie la majorité des Universitaires et des Médecins, il se vit conférer avec une satisfaction non dissimulée, les titres enviables de Membre titulaire non-résident de l'Académie de Chirurgie, de Correspondant de l'Académie de Médecine et de Membre de la Société Internationale de Chirurgie. Ces trois nominations, qui sont la preuve de l'estime élogieuse que lui réservaient ses Pairs, l'ont manifestement comblé de joie et, bien sûrement, dissipé certaines amertumes.

Admis à la retraite et nommé Professeur Honoraire, notre Collègue ne se résigna pas à l'inaction. Toujours passionné de son métier, il continua, sans défaillance, à assurer la direction chirurgicale de la Clinique Vautrin, avec autant de zèle et de juvénile ardeur qu'au début de sa carrière. Néanmoins, un avertissement sévère devait, il y a trois ans, mettre un frein à son activité. Il n'acceptait pas le repos qui lui était imposé, et depuis cet accident révélateur, manifestait ouvertement son impatience et son dépit devant l'amoindrissement intempestif de son équilibre physique.

Puis ce fut le développement sournois, en quelques mois seulement, de cette inexorable maladie, dont il endura les souffrances avec une parfaite résignation, perdant progressivement ses forces, abordant l'instant du suprême départ avec un courage et une sérénité qui firent l'admiration et la consolation de tous ses proches, réunis à son chevet. La cérémonie des obsèques, qu'il a voulue très simple, groupa, autour de sa famille, ses collègues, ses confrères, et tous ceux de ses anciens malades qui lui apportèrent l'ultime témoignage de leur reconnaissance.

Le déroulement de la carrière du Professeur André Guillemin ne fut pas exempt de difficultés et il ne nous appartient pas d'en rechercher aujourd'hui les motifs. Nous savons bien que l'accession à une Chaire d'Université dépend souvent d'impondérables qui résultent, sans conteste, de circonstances absolument imprévisibles.

D'une extrême sensibilité, que dissimulait une attitude réservée, parfois distante, dominée par une évidente rigidité de principes et par le respect de ses traditions familiales, notre Collègue a manifestement pâti de contingences désavantageuses, au cours de sa vie hospitalière et universitaire. C'était un modeste, mais intimement conscient, à juste titre, de sa valeur et de ses capacités. Son accession, quoique tardive, à la Chaire d'Urologie, sanctionnée par un vote très élogieux du Conseil de la Faculté, avait depuis longtemps effacé quelques rancoeurs. Comme suprême apaisement, n'a-t-il pas éprouvé l'immense joie d'apprendre, quelques semaines avant sa mort, la nomination si méritée de son fils Paul à la Chaire dont il avait été le plus récent titulaire et à laquelle il avait consacré les dernières années de sa carrière professorale ?

A sa femme, qui a su lui créer un foyer apaisant, à ses fils les Docteurs Paul et Jean Guillemin, héritiers d'une tradition médicale déjà séculaire, à sa fille dont l'érudition est très appréciée des Lorrains, à ses belles-filles qui font, elles aussi, partie du corps médical nancéien, nous exprimons aujourd'hui notre sympathie attristée, en les assurant du souvenir très vivant que nous conservons de celui qui vient de les quitter et qui nous avait, depuis de longues années, honoré de sa constante et très précieuse amitié.

Professeur P. FLORENTIN