HERRGOTT Alphonse

1849-1927

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

Voici des mois qu'un funèbre glas ne cesse de tenir en émoi notre pauvre Faculté, cruellement éprouvée par la mort de plusieurs des Maîtres qui l'ont le mieux servie et le plus grandement honorée : en peu de semaines ont disparu en effet des hommes qui furent parmi les plus représentatifs de l'Ecole nancéienne et dont les noms, Vautrin, Prenant, Herrgott, Gross éveillent dans le coeur de leurs élèves et jusque dans la conscience populaire d'inoubliables souvenirs avec des sentiments de reconnaissance et d'inconsciente fierté. Parmi ces chefs Alphonse Herrgott tenait une place à part que lui avaient acquise sa courtoisie nuancée, son affabilité extrême, sa haute tenue morale, son esprit de primesaut, son goût très sûr en même temps qu'un sens infiniment subtil des convenances. Il avait d'ailleurs de qui tenir, fils de cet admirable François-Joseph Herrgott, historiographe de l'obstétricie française, homme éminent lui-même par l'esprit et par le coeur, humaniste averti, profond érudit, nourri du miel attique, traducteur de Soranus d'Ephèse et dont la mémoire ne cesse d'être révérée par les spécialistes du monde entier.

A. Herrgott naquit le 22 avril  1849 à Belfort alors que son père y exerçait la médecine avant d'être appelé à Strasbourg comme agrégé d'obstétrique. A. Herrgott aimait à rappeler qu'il était né prématurément à sept mois, avec  une  dent, et pesant à peine 1500 grammes, des suites d'un voyage en diligence qu'aurait fait sa mère, et il en tirait argument pour en appeler, auprès de son vieil ami Pinard, de la malédiction que celui-ci devait prononcer contre les infortunées  victimes de la naissance avant terme. Il fit ses études médicales à Strasbourg où il terminait sa deuxième année de doctorat lorsque la guerre de 1870 vint l'y surprendre. Il resta dans cette ville durant le siège aux côtés de son père qui dirigeait les ambulances du Grand et du Petit Séminaires ; après la reddition de la place il s'engagea à Lyon comme aide-major auxiliaire pour la durée de la campagne ; il y soigna d'abord les varioleux, puis fut attaché à l'ambulance du quartier général du 24e corps ; sa brillante conduite à l'armée de l'Est, à Vyans, près d'Héricourt en particulier, où il parvint, non sans péril, à dégager son ambulance prise entre les feux français et allemands, le fit proposer par trois de ses chefs pour être  mis à l'ordre de l'Armée. Il termina enfin la guerre sur la Loire en mars 1871. De retour à Strasbourg, il devint l'interne du Pr Schutzenberg, suivit en 1872 la Faculté à Nancy où il fut successivement l'interne du Pr Bernheim et du Pr Stoltz, doyen de la Faculté transplantée et professeur de clinique obstétricale. Il passa sa thèse en 1874 à Nancy sur « L'exstrophie vésicale dans le sexe féminin », ouvrage récompensé successivement par la Faculté qui lui décerna le prix de Thèse et par l'Institut de France (Prix Godard).

En 1878, il fut nommé agrégé d'accouchements, auprès de la Faculté de Nancy ; sa thèse de concours sur les « Maladies foetales qui peuvent faire obstacle à l'accouchement » fut très remarquée et d'ailleurs est restée classique. Entre temps il avait fait un séjour de neuf mois à Vienne où il étudia particulièrement les méthodes d'enseignement obstétrical alors en usage dans la capitale autrichienne et d'où il rapporta d'intéressantes suggestions dont nos méthodes   didactiques françaises devaient elles-mêmes bénéficier. Il fit également de longs stages à Paris où il noua avec la génération des accoucheurs des  temps héroïques, Tarnier, Pinard, Budin, Bar, Ribemont, etc., de solides amitiés auxquelles il devait rester fidèle toute sa vie.

Attaché à la Faculté de Nancy à partir du 1er novembre 1878, il ne devait plus la quitter qu'à l'âge de la retraite le ler novembre 1919. Il contait avec esprit ses débuts dans l'art d'enseigner et il appelait malicieusement comment, en raison de son jeune âge qui faisait de lui un « Eliacin obstétrical » et pour des raisons de convenance (!), on lui  confia  d'abord le soin de transmettre le rudiment des maladies de peau avant de l'admettre à révéler les arcanes de l'art dont Lucine  avait été la  prêtresse... 

Agrégé de 1878, Alphonse Herrgott arrivait moins de dix ans après, en mars 1887, c'est-à-dire très jeune, au titulariat : il a 38 ans lorsqu'il s'installe dans la chaire de clinique obstétricale d'où  descendait son père auréolé de gloire et où avait jadis retenti la voix autoritaire et autorisée du « père » Stoltz...Dès lors commença pour lui cette période de 32 ans pendant laquelle se manifesta son activité professorale dont le souvenir est encore trop vivace pour que j'aie loin de révoquer. Il fut le chef de service le plus courtois et le plus ponctuel ; d'une politesse raffinée, il avait le souci de plaire ; il était d'un commerce exquis avec son personnel, ses élèves, ses malades ; il était naturellement aimable et bon ; il ne craignait rien tant que de faire de la peine et de voir s'assombrir les visages qui se pressaient autour de lui. Il adorait sa clinique, il aimait l'enseignement qu'il formait à son image et qu'il voulait séduisant. Il était un conteur délicieux, comme il n'en est guère, agrémentant l'austérité des sujets ingrats des fleurs d'une rhétorique délicate, piquant la curiosité, suspendant l'intérêt, ménageant avec un art infini la gradation de ses récits, plantant le trait final avec une charmante désinvolture. I1 mettait une certaine coquetterie à s'évader des plates-bandes étroites et austères où l'aurait enfermé sa spécialité, pour pousser des digressions dans toutes les directions, où l'entraînait son démon familier, ailé et mutin ; il jouissait de l'étonnement de ses auditeurs auxquels il donnait, comme en se jouant, des leçons de tact, de morale, de déontologie, aussi bien que de géographie, de tenue professionnelle, d'actualité ou d'histoire ancienne..... Cette manière n'appartenait qu'à lui et tous les élèves qui ont passé par son service sont restés sous le charme, de ces causeries subtiles où miroitaient toutes les facettes d'un esprit quelquefois espiègle, jamais méchant, et où notre bon maître mettait le meilleur de lui-même. Son enseignement fut surtout verbal; il aimait mieux instruire en amusant, ce qui ne l'empêchait pas, à l'occasion, d'aborder de grands sujets avec toute la maîtrise qui convenait.

Sa plume élégante se donna libre cours dans cette revue même et dans les Annales de Gynécologie où il traita des sujets divers dont je n'énumérerai que les plus importants : l'antisepsie obstétricale, les accidents gravido-cardiaques, les grossesses multiples, la cocaïne en obstétrique, les foetus thoracopages, tuberculose et gestation, les hémorragies gastro-intestinales du nouveau-né, la pathogénie de l'éclampsie, la putréfaction foetale, l'achondroplasie, l'appendicite dans ses rapports avec la gestation, la rupture utérine, le myxoedème et la gestation, l'opération césarienne, l'emphysème traumatique, le nanisme obstétrical, l'érysipèle du nouveau-né, les prématurés, les avortements criminels et le secret profession, la femme outragée victime de la guerre, etc., etc. Toutes ces questions sont abordées dans un esprit clinique très averti, avec autant de bon sens que de finesse.

L'activité scientifique d'A]phonse Herrgott trouva vite sa consécration dans sa nomination comme membre correspondant dès 1894, puis comme associé national de l'Académie de Médecine en 1911. Chevalier de la Légion d'honneur en 1908, il fut fait officier en 1921 - après sa sortie d'exercice - à l'occasion du jubilé de Pasteur. L'autorité qu'il tenait de ses fonctions et du prestige de sa personne fît qu'à différentes reprises ses confrères l'appelèrent à présider la Société de Médecine de Nancy, successivement en 1887, 1901, 1915, la Société Obstétricale de France en 1901, la Société d'Obstétrique et de Gynécologie de Nancy de 1913, date où elle fut créée par lui, jusqu'en 1919.

Son rôle social ne fut pas inférieur à son rôle scientifique. C'est lui qui installa dès 1890 l'oeuvre dite de la Maternité et qui consista à faire revenir les femmes accouchées dans le mois qui suit leur sortie du service pour donner  une prime d'argent à celles qui allaitent avec succès. Comme directeur de l'Ecole de sages-femmes, il eut à former de nombreuses générations d'élèves ; il s'adonna avec une véritable prédilection à cet enseignement et il était touchant de voir cet homme, marqué an coin d'une aristocratie de bon aloi, et d'une distinction supérieure, se modeler aux exigences d'un auditoire de jeunes élèves, toutes fraîches émoulues de la campagne, encore un peu frustes mais animées d'un ardent désir de s'instruire. C'est A. Herrgott enfin qui avec le doyen Gross, le préfet Bonnet et l'architecte Bourgon, conçurent le projet et la construction de la nouvelle Maternité qui, interrompue par la guerre, et reprise depuis, s'achèvera dans un prochain avenir sans que, malheureusement, ni le doyen, ni l'architecte, ni le professeur d'alors aient vu la réalisation d'un rêve qu'ils caressèrent si longtemps. Le gouvernement   reconnut l'activité sociale d'Herrgott en lui conférant en 1919 la médaille d'or de l'Assistance publique.

La carrière officielle du Maître prit fin en 1919, époque à laquelle la Faculté de Nancy lui conféra l'honorariat et où, pour des raisons de famille il quitta sa Lorraine adoptive et se fixa à Paris. C'est là que s'écoulèrent les huit dernières années de sa vie, partagées entre sa famille, de chères lectures, une assuidité remarquée aux séances académiques où d'ailleurs il évoluait à l'aise et où il n'hésita pas à se faire entendre sur la question, des Maisons maternelles, sur les rapports de la Tuberculose et de la Grossesse, sur la Réglementation de la profession de sage-femme.

Je ne serais pas complet, après avoir signalé que la carrière d'Herrgott évolua entre les deux guerres, si je ne rappelais que, commencée sur les remparts de Strasbourg, elle se termina sur le front de Nancy où il resta du 1er août 1914 à l'armistice en assurant son service et son enseignement sous les bombardements, si je n'ajoutais enfin quelques mots sur l'homme tel qu'il se manifestait aux yeux de ses collègues et de ses amis. Alphonse Herrgott jouissait en effet d'une autorité particulière envers ses collègues et pairs et cette activité se manifestait surtout en séance de conseil. Nous le verrons toujours avec sa noble prestance que tempérait si bien l'aisance de ses manières et la grâce de son sourire, sa taille redressée que l'âge devait à peine incliner, avec ses cheveux d'argent adroitement ramenés, sa barbe qui avait blanchi très tôt et dont  la  pointe élégante se serait si bien inscrite dans la fraise d'un Rembrandt, la figure contrastée par la barre disciplinée de sourcils très fournis et très noirs, le regard empreint de bonté et de vivacité. I1 avait les séductions et les finesses d'un diplomate de la « Carrière » ; ses qualités d'urbanité et de courtoisie, son désir d'impartialité, la politesse raffinée qu'il  apportait dans les discussions les plus âpres, faisaient qu'il était toujours écouté et souvent suivi. Les mêmes qualités firent  de lui l'homme le plus sociable qui fût et qui faisait revivre ou continuait en lui des aptitudes très françaises, un peu « vieille France », dirais-je volontiers, charmantes d'ailleurs, bien périmées aujourd'hui et qui, cependant, ont eu tant de grâce et de gentillesse. Ces manières affables qui rendaient cet homme si séduisant, et créaient constamment autour de lui un rayonnement très spécial, trouvèrent dans un milieu familial privilégié un cadre à leur mesure ; je n'ai pas le droit ici d'être indiscret, mais je puis bien dire que le foyer d'Herrgott fut d'une qualité exquise et rare, et si ce foyer n'avait pas été assombri par le deuil le plus cruel qui pût meurtrir le coeur de l'homme, j'achèverais ma pensée en disant que ce foyer fut béni entre tous, Herrgott était né pour être heureux et pour créer du bonheur et de la joie autour de lui.

Si la vie lui a été injustement douloureuse, qui lui a ravi une fille dans sa jeune et radieuse maturité, la mort lui a été douce qui est venue le surprendre à l'improviste dans sa 79ème année, au soir du 20 septembre dernier : Herrgott a quitté le monde furtivement comme il y était entré ; il n'a pas souffert ; il n'a connu aucune des diminutions d'une vieillesse hostile ; il est parti élégamment ainsi qu'il avait toujours vécu. Il n'a pas voulu que de vaines paroles fussent proférées sur sa tombe et il est venu par un matin pluvieux se ranger à Préville auprès de son père et de sa fille qu'il avait tant aimés. Nous garderons pieusement dans notre mémoire la chère image de ce maître amène et disert dont le nom a brillé si longtemps et si justement sur notre Faculté.

Professeur A. FRUHINSHOLZ