MELNOTTE Pierre

1891-1979

` sommaire

ELOGE FUNEBRE

Les Annales Médicales de Nancy et de l’Est fidèles à leur tradition se font un pieux devoir de publier le bel éloge du Professeur MELNOTTE prononcé devant les Facultés de Médecine par le Professeur Raoul SENAULT.
Mais le rédacteur de la revue, particulièrement ému de la perte de ce collègue et ami et tout en s'excusant, ne peut résister au désir de rappeler quelques souvenirs personnels éclairant la personnalité de l'ami disparu. Ces souvenirs sont liés particulièrement aux dernières années d'activité du Professeur MELNOTTE.
Ayant pris sa retraite de médecin des Hôpitaux Militaires, le Professeur MELNOTTE, encore en pleine vigueur physique et intellectuelle, se voyait privé de toute activité hospitalière et de tout contact avec les malades. C'est alors que le Professeur FLORENTIN lui proposa de faire : au Centre Anticancéreux de Lorraine, une consultation et de diriger le Service de Médecine.
M. MELNOTTE s'acquitta de cette nouvelle mission avec la compétence, le zèle, l'enthousiasme même qu'il manifestait dans toutes ses activités. Il nous fit bénéficier de son immense expérience dans de nombreux domaines, en particulier dans celui de l'épidémiologie, des maladies tropicales dont certaines apparaissant de façon épisodique chez nous posaient des problèmes. C'est ainsi qu'il nous apprit à déceler les abcès amibiens du foie dont le diagnostic était souvent difficile pour les inexpérimentés, sans compter les soins quotidiens, la réanimation et la diététique des grands dénutris, etc.
Pendant plus de dix années nous avons ainsi collaboré au Centre Anticancéreux. Nous faisions ensemble une consultation par semaine. Après les examens, les discussions thérapeutiques, la fin de la consultation entre 12 h 30 et 13 h était consacrée à la musique.
Je lui avais offert un jour un disque du Magnificat de Bach que j'avais particulièrement apprécié. Il m'envoya en retour les Métamorphoses de Richard Strauss. Cet œuvre dont le mystérieux langage des cordes l'avait séduit avait été donné par l'Orchestre de Chambre qu'il avait fondé et qu'il animait avec autant de dynamisme que d'érudition.
Nous avions soigné ensemble la femme d'une importante personnalité locale, M. MELNOTTE suggéra au mari qui voulait nous témoigner sa reconnaissance de m'offrir les 17 quatuors de Beethoven par le quatuor hongrois. Au cours de nos conversations musicales au Centre et alors qu'il était en parfaite santé, il me parla avec gravité du mouvement lent du 16e quatuor. C'est alors qu'il me fit cette confidence voilà ce que je désirerais qu'on fit entendre à mon enterrement. Lorsqu'à la fin de la cérémonie funèbre je reconnus les faibles échos d'un disque entamant l'Allegretto au lieu du lento assai Cantante et tranquillo j'eus le cœur un peu serré en pensant que celui qui avait fait tant pour la musique et les musiciens, n'avait pu réunir pour un quart d'heure quatre instrumentistes pour nous faire communier dans la beauté de cet ultime message. Dans son indulgente simplicité, M. MELNOTTE n'en aurait sûrement pas conservé d'amertume.
Notre dernière entrevue : une poignée de main lors du service funèbre d'une famille médicale où le Professeur MELNOTTE me glissa ces mots : la prochaine fois ce sera moi. Puis son hospitalisation dans le Service de Réanimation Cardiaque de l'Hôpital Central où il m'accueillit avec son sourire et sa bienveillance habituelle. Nous parlâmes de musique bien sûr et de son inquiétude pour savoir si le pace-maker qui venait de lui être posé lui permettrait encore de jouer du violon !
Illuminée par cette vision anticipée d'un monde de bonté et de dévouement, témoin de cette joie intérieure que connaissent les musiciens, ceux qui sont sensibles à cette mystérieuse résonance du son, voilà l'image que je conserverai du Professeur MELNOTTE.
Nous sommes loin peut-être de la personnalité officielle du Professeur MELNOTTE, de ses titres et de ses décorations. Une fois encore je l'entends me dire à ce propos « tout cela est vain ».
Combien je le comprenais et je l'approuvais ! Sa sensibilité, le côté sentimental de sa personne surpassaient encore sa valeur scientifique et c'est tout ce qui faisait le charme de sa personnalité. Il ne m'en voudrait pas, j'en suis sûr, de parler de lui de cette sorte, de dévoiler le côté secret de son caractère.
Je m'excuse et surtout auprès de Mme MELNOTTE et de ses enfants de ces propos presque familiers, mais dictés par l'affection et qui me font revivre bien des heures de joie.
Je laisse la parole au Professeur SENAULT qui retrace les étapes de la brillante carrière du Professeur MELNOTTE.

Professeur P. CHALNOT

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Ne m'étant pas cru autorisé à transgresser l'expresse volonté familiale exprimée de voir conduit, en sa dernière demeure, dans la plus stricte intimité, le Professeur Pierre MELNOTTE, je souhaite que cet hommage posthume me soit l'occasion d'honorer la mémoire du Maître respecté qui vient de nous quitter. Et cependant cet éloge même n'est-il pas en opposition avec le désir d'effacement - de longue date décidé - que le Professeur MELNOTTE s'imposa dès qu'il fut admis pour ancienneté d'âge et de services à faire valoir ses droits à pension. Personnellement j'ai souvent regretté cette décision; mais ceux qui furent ses proches collaborateurs savaient, qu'accessible à la discussion, sensible à l'argumentation, il était vain en certaines circonstances de vouloir infléchir une résolution prise. La preuve nous en fut apportée quand, après avoir accepté que fussent frappés médaillon et médailles à son effigie, il esquiva la manifestation officielle de remise. Nous ne pouvions que nous incliner.

Profondément marqué par sa formation militaire initiale, il sut assumer, avec harmonie et réussite enviables, une double mission : médico-militaire et universitaire sans qu'ait à en souffrir l'une ou l'autre. C'est sans doute à l'exemple paternel qu'il fait choix d'embrasser la première. En 1913, il a 22 ans, le jeune médecin major Pierre MELNOTTE qui vient d'être admis au grade de docteur en Médecine, voit comme les hommes de sa génération s'approcher l'aventure guerrière. Il en reviendra avec la Croix de Guerre et la Médaille des Épidémies. Vingt années plus tard le Médecin-Colonel Directeur du Service de Santé de la 12ème Division Motorisée qu'il est devenu terminera la campagne de France à Dunkerque. Une nouvelle Croix de Guerre témoigne de sa valeur militaire. Les deux gagnées s'ornent de cinq citations. Entre ces deux épisodes de sa carrière, à la vie souvent peu exaltante des villes de garnison en métropole il préféra des affectations plus riches d'action. Ainsi de 1921 à 1927 il servira au Maroc, ou il dirigera à Marrakech et à Fès les services de contagieux des hôpitaux militaires. En 1925 il est reçu au difficile concours du Médicat des Hôpitaux de l'Armée.

Là, sans nul doute, s'affirme son intérêt pour l'étude des maladies infectieuses et parasitaires dans leur traduction clinique, biologique ou épidémique. Cette lutte contre des maladies encore redoutées : peste, typhus, variole, amibiase, paludisme ou autres guidera quelques années plus tard sa réflexion épidémiologique. Elle aboutira à une publication très remarquée à l'époque intitulée : « Les bases actuelles de l'Épidémiologie et de la Prophylaxie ». Ecoutons-le encore une fois : « Selon une conception encore trop répandue même dans les milieux médicaux, l'épidémiologie ne serait qu'une branche stérile, une branche morte de la médecine ayant comme unique activité l'établissement de statistiques et se complaisant à les commenter sans fin. En réalité elle doit être et elle en est actuellement une partie vivante comme la clinique elle-même. L'épidémiologie a pour but en effet l'étude des épidémies. Or qu'est-ce qu'une épidémie sinon une maladie infectieuse collective ? C'est dire que l'épidémiologiste doit être d'abord un clinicien, le dépistage précoce des premiers cas n'étant possible qu'à cette condition : il sera d'ailleurs d'autant plus aidé dans sa tâche qu'il sera plus averti des techniques de laboratoire. Enfin étant donné les troubles que les maladies épidémiques apportent à la vie sociale des collectivités et d'autre part, les ressources que l'organisation sociale peut apporter à la lutte contre les épidémies, l'épidémiologiste doit s'intéresser à toute l'activité sociale quelle que soit la forme sous laquelle elle se manifeste. L'étude de l'épidémiologie n'est pas une fin en soi elle n'est qu'un moyen ; c'est une préface nécessaire à la prophylaxie ». Dans cette acception classique de l'épidémiologie, ce texte n'a pas vieilli.

Mais suivons, pour un instant encore, la carrière du Professeur MELNOTTE puisqu'elle le conduira aux degrés les plus élevés de la hiérarchie militaire. Dès la fin de la sombre période 1941-1945 durant laquelle il acceptera d'assumer la délicate charge de Directeur Régional de la Santé et de l'Assistance - son attitude vis-à-vis des autorités d'occupation lui vaudra la Médaille de la Résistance - il reprend son activité militaire. Il est alors nommé Directeur du Service de Santé de la 20e Région militaire, puis appelé par le Maréchal de Lattre de Tassigny - auquel il vouait une grande admiration -, devient Médecin Général Directeur du Service de Santé de la Première Armée pour accéder en 1947 à la fonction de Médecin-Général Inspecteur, consécration d'une belle carrière médico-militaire débutée 34 ans plus tôt. Mais il va lui falloir choisir, - et ce choix sera n'en doutons pas douloureux - entre la reprise de son activité universitaire un moment interrompue et la poursuite de ses hautes responsabilités militaires.

Il opte pour l'Université et reprend sa place à la Chaire d'Hygiène et de Médecine Sociale. Il y était entré en 1933, alors que le Professeur J. PARISOT en avait pris depuis quelques années la direction et que Robert LEVY et Louis FERNIER y étaient assistants. Il les affrontera en une loyale compétition à l'occasion du difficile concours d'agrégation qui comporte à cette époque, épreuves écrites, leçon magistrale et épreuves pratiques. C'est Pierre MELNOTTE qui de haute lutte emportera la palme. Institué agrégé d'Hygiène et de Médecine Sociale à la Faculté de Médecine de Nancy le 1er janvier 1933 il saura dès lors, aux côtés de l'homme de Santé Publique prestigieux qu'est Monsieur PARISOT, être un collaborateur dévoué, efficace qui marquera de sa forte personnalité d'enseignant doué d'un remarquable talent pédagogique les nombreuses générations médicales qui fréquenteront l'amphithéâtre de la rue Lionnois.

Professeur sans chaire en 1944, Professeur titulaire à titre personnel en 1953 il accède à la chaire magistrale en octobre 1955. C'est à cette date que je devins son agrégé. L'équipe qui l'entourait était modeste : le fidèle FERNIER alors chef de travaux secondé par notre dévouée et plus ancienne laborantine, Mme GILLARDIN, Bernard et Christiane ANZIANI, DEBRY étaient nos assistants auxquels s'ajoutaient au gré des affectations quelques médecins militaires attirés par la réputation du Professeur MELNOTTE. Parmi d'autres FOLIGUET sera un jour de ceux-là.

Monsieur MELNOTTE aimait enseigner : dans un amphithéâtre, devant un auditoire toujours attentif, séduit par l'aisance de l'élocution, le souci du terme exact, la logique du raisonnement, la clarté de l'exposé, au lit du malade dans son service des contagieux de l'Hôpital Sédillot, plus tard à la consultation externe du centre Anticancéreux, dans un laboratoire l'oeil fixé au microscope, en chacune de ces circonstances on retrouvait chez lui les mêmes qualités d'exposition, qui bannissaient tout détail inutile, la même rigueur conduisant à l'essentiel, pour découvrir ce qu'il fallait chercher, voir, palper, connaître, retenir pour apprendre aux autres.

Clinicien et homme de laboratoire, cette double formation apparaissait quotidiennement dans ses enseignements. Il fallait l'entendre décrire et commenter avec minutie un étalement sanguin - qu'il avait lui-même coloré - et dans lequel il découvrait la confirmation de son diagnostic clinique de paludisme, il fallait le voir palper le foie d'un rapatrié d'Indochine chez lequel il suspectait l'existence d'un abcès amibien, en localiser l'exacte situation, le ponctionner et montrant le pus caractéristique qu'il en retirait sembler dire « Voyez cela est facile », il fallait le suivre pas à pas dans les enquêtes épidémiologiques, qu'en fin limier, il conduisait sur le terrain, je pense en particulier aux cas de variole à Saint-Dié en 1957, pour comprendre tout ce que cette facilité relative devait à l'expérience et ainsi vivre ces moments privilégiés qu'un homme de Santé Publique peut découvrir en de telles circonstances. Toujours avide de connaître, il consignait de sa fine écriture le fruit de ses lectures dans les pages de cahiers d'écoliers pour actualiser sans cesse son enseignement. Doué d'une mémoire parfaitement entraînée, il a toujours mis en échec les tentatives des étudiants de le prendre en défaut dans la citation des dernières statistiques.

Excellent pédagogue il aimait se définir, peut-être un peu en matière de boutade, mais plus certainement pour rendre hommage à ceux chargés d'éduquer les esprits des plus jeunes, comme un « instituteur de l'enseignement supérieur ». Ce don pédagogique, beaucoup parmi les responsables actuels de l'enseignement de l'Hygiène y ont eu recours quand ils préparaient l'agrégation. Je suis convaincu que comme moi, les KIRN, MORICHEAU-BEAUCHAMP, PETIT-MAIRE, DEBRY, FOLIGUET n'ont pas manqué d'évoquer avec émotion en apprenant le décès de ce Maître, ces samedis après-midi où ayant effectué le voyage, qui de Strasbourg, qui de Paris, se retrouvait dans l'amphithéâtre de l'Institut Régional d'Hygiène exposant dans les conditions du concours la question tirée au sort quatre heures auparavant. Alors avec bienveillance, mais sans concession la critique du patron en quelques phrases reprenait le fond, la forme et la manière d'exposer et apprenait ce que doit être une leçon bien faite. C'était ensuite et avant la séparation, au cours de conversations détendues, l'évocation de souvenirs, le rappel d'anecdotes autres façons encore d'enseigner.

L'oeuvre scientifique du Professeur MELNOTTE comporte plusieurs centaines de publications, mémoires ou rapports présentés devant les sociétés savantes nationales auxquelles il appartenait. Parmi elles il faut citer les Sociétés de Microbiologie, de Pathologie exotique, de Médecine Publique et de Génie Sanitaire dont il fut le Président à l'occasion du 40e Congrès, et la Société Médicale des Hôpitaux de Paris qui l'accueillit comme membre correspondant en 1964. Ses travaux touchent à tous les domaines du vaste champ qu'embrasse la Santé Publique. Une brève énumération le montrera : maladies infectieuses ou parasitaires autochtones ou exotiques, problèmes liés aux vaccinations, questions d'actualités épidémiologiques, techniques de laboratoire appliquées à la Santé Publique, problèmes d'Hygiène générale et d'assainissement évoquent les grands axes d'intérêt qui retinrent son attention. Dans cette oeuvre importante dont il ne tirait aucune vanité il manquera, et il le regrettait, le traité d'épidémiologie qu'il avait rédigé mais qu'il ne put faire éditer. Il aurait mérité, à une époque où n'existait rien de comparable dans la littérature médicale française, le plus large succès.

Cette réputation d'épidémiologiste fut largement mise à contribution par les services ministériels de la Santé qui, en de nombreuses occasions, confièrent à Monsieur MELNOTTE des missions d'experts en France et dans les territoires d'outre-mer pour étudier telle épidémie et proposer telles mesures appropriées. Il aimait ces missions sur le terrain, elles évoquaient pour lui de lointains souvenirs marocains. Cette compétence recevra sa consécration quand après avoir été nommé membre du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France il deviendra le Vice-Président de la Section d'Épidémiologie et que l'Académie de Médecine l'élira membre correspondant dans sa section d'Hygiène. A ces manifestations d'estime de ses pairs s'ajoutaient celles des gouvernements qui lui conférèrent aux diverses étapes de sa carrière les insignes de plusieurs de nos ordres nationaux : Officier de l'Instruction Publique en 1931, il recevait la Cravate de Commandeur dans l'Ordre de la Légion d'Honneur en 1945, l'année suivante il était fait commandeur de la Santé Publique.

Ayant tenté de résumer les grandes étapes de la carrière du Professeur MELNOTTE je voudrais en terminant évoquer l'homme; dix années de travail quotidien à ses côtés m'en donnent le privilège. Peu expansif il ne manifestait qu'avec réserve ses sentiments, mais il était cependant attentif aux joies comme aux peines des autres. Généreux il vivait concrètement cette qualité par le don régulier de son sang. Sensible, la musique fut pour cet homme de coeur une grande joie de la vie. Mélomane il était aussi un excellent musicien sachant faire chanter les chaudes sonorités de son violon alto. Dévoué, avec discrétion, à ceux qui lui confiaient difficultés ou problèmes il savait écouter, prononcer au juste moment la parole qui console ou stimule. Cachant parfois sous une froide attitude une émotivité très vive la seule évocation de sa première petite-fille Marion faisait alors s'évanouir cette défense. Quelle belle image du grand-père heureux il donnait alors... Je puis assurer Mme MELNOTTE, son fils Pierre-Jean, sa fille Marie-Thérèse et leurs familles que ceux qui furent au cours de la double et féconde carrière du Professeur MELNOTTE ses élèves, ses collaborateurs, ses amis, partagent leur grande peine. Tous garderont avec respect et affection le souvenir de ce Maître aimé.

Professeur R. SENAULT