NICOLAS Adolphe

1861-1939

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ELOGE FUNEBRE

La Faculté de Médecine de Nancy a ressenti très vivement la disparition du Professeur Nicolas qui fut l'un de ses Maîtres les plus distingués et un de ceux dont le renom a particulièrement rejailli sur notre Université lorraine.

Né à Pont-à-Mousson le 1er mars 1861, Adolphe Nicolas fit ses études à la Faculté de Nancy où de très bonne heure il s'orienta vers les sciences anatomiques. Aide d'anatomie en 1880, prosecteur en 1882, docteur en médecine en 1883, chef des travaux anatomiques en 1885, il était nommé agrégé à l'âge de 25 ans. Après avoir assuré l'enseignement à la suite de la mort du Professeur Lallement, il devint titulaire de la chaire d'Anatomie en 1893. C'est à ce poste qu'il resta jusqu'en 1907 et où il accomplit le meilleur de son oeuvre.

Appelé par ses mérites exceptionnels et sur le voeu de la Faculté de Médecine de Paris à occuper la chaire vacante de son ami et collaborateur Poirier, il accompagnait ainsi dans la capitale le Professeur Prenant, nommé de son côté à la chaire d'Histologie. Bien qu'à Paris l'atmosphère ne fut pas le même, son activité scientifique ne se ralentit pas et l'Académie de Médecine lui ouvrit ses portes en 1918. C'est à Nancy qu'il vint se retirer à l'âge de la retraite ; il y retrouvait ses amis et ses anciens élèves.

Il serait trop long de rappeler ici les nombreux travaux du Professeur Nicolas ; signalons seulement que c'est sous sa direction et avec sa participation active que fut édité le grand « Traité d'Anatomie humaine » de Poirier, Charpy, Nicolas. C'est à Nancy qu'il créa et édita une revue anatomique fort estimée : la Bibliographie anatomique.

Mais nous devons surtout lui être reconnaissant d'avoir su grouper en une Association devenue bientôt florissante, les anatomistes de langue française. Réunissant des savants du monde entier, cette Association contribue à porter au delà de nos frontières l'esprit scientifique français.

Savant aussi modeste que plein d'érudition, le Professeur Nicolas ne quittait guère son laboratoire. Son activité dirigée tout d'abord vers les recherches de morphologie pure, déborda dans la suite largement ce cadre trop étroit de l'Anatomie descriptive. Dans les études microscopiques, il se montra un technicien remarquable. Ses travaux sur les processus histologiques de l'absorption intestinale sont parmi les premiers dans le domaine de l'histophysiologie ; ses publications sur les glandes thyroïde et parathyroïde en collaboration avec Gley ouvrent la voie de l'Endocrinologie moderne. Il figure avec Prenant parmi les embryologistes les plus actifs de la première heure.

Mais à côté du savant, le Professeur Nicolas a été surtout un grand enseigneur. Citons ses propres paroles: « Le professeur doit se consacrer exclusivement à sa tâche et se donner tout entier à ses élèves ». Jamais il ne manqua à l'idéal qu'il s'était tracé. Durant les longues après-midi de travaux pratiques, on le retrouvait toujours auprès de ses étudiants, les encourageant de ses conseils et de son exemple. Plus favorisés furent ceux qu'il accueillit auprès de lui comme collaborateurs, aides d'anatomie, prosecteurs, chef de travaux, il leur distribua plus largement encore les trésors de son intelligence et de son coeur. C'est ainsi qu'à Nancy, puis à Paris, il sut grouper autour de lui une quantité de disciples qui aujourd'hui s'honorent d'avoir reçu leur formation d'un tel Maître et gardent pieusement la mémoire du disparu.

Il repose maintenant dans sa ville natale de Pont-à-Mousson, dans cette terre lorraine qu'il a si grandement illustrée.

Professeur M. LUCIEN

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ELOGE DE L'ACADEMIE DE MEDECINE par le Professeur L. BINET

Il y a quelques jours, disparaissait à Nancy, au milieu des hommes de son pays qui étaient fiers de lui et que lui-même aimait profondément, le Professeur Adolphe Nicolas.

Né à Pont-à-Mousson en 1861, il fit ses études médicales à Nancy où il devint successivement aide d'Anatomie, prosecteur, Docteur en Médecine, chef des travaux anatomiques, Professeur Agrégé, Professeur d'Anatomie et Directeur des travaux pratiques d'Anatomie.

En 1907, il fut nommé Titulaire de la Chaire d'Anatomie de la Faculté de Médecine de Paris, et en 1918, il était élu dans notre Académie. Nous esquisserons les travaux les plus importants de l'homme éminent qui nous a quittés, sans prétendre, en d'aussi courtes pages, à pouvoir en souligner suffisamment la valeur.

Les prédécesseurs de Nicolas, à Paris, s'étaient efforcés de préciser et d'enseigner une Anatomie humaine pratique, appliquée à la Médecine, à la Chirurgie, à l'Obstétrique. J'entends encore l'un d'eux, retiré dans un petit village de Brie, conseiller le jeune étudiant que j'étais « Apprends l'Anatomie le plus possible avec les yeux et les doigts, dissèque vivement, sans laisser de trace de graisse, sans entamer le moindre organe : fais-le pour devenir un Médecin ou un Chirurgien digne de ce nom, car n'oublie pas qu'une belle dissection est un présage de bon opérateur. »

Nicolas crut devoir se placer à un point de vue différent et il s'efforça toujours d'associer étroitement à l'Anatomie les recherches embryologiques, les techniques histologiques, et les enquêtes dans le domaine de l'Anatomie comparée. C'est sous ces trois aspects qu'il convient, croyons-nous, de considérer son activité.

Embryologiste, il analysa avec profit le développement du larynx et de l'arbre bronchique, l'origine de l'épiphyse; il explora, avec une série de résultats importants, la fécondation des reptiles, l'hypocorde dans la vie embryonnaire de l'oiseau; enfin, il donna une étude très poussée sur le développement du foie, du pancréas et de la rate chez les poissons.

Histologiste, il étudia les organes érectiles, en précisant l'aspect de leurs capillaires, analysa l'épithélium des trompes utérines, ainsi que les éléments des canalicules du rein primitif : mais il aborda surtout les caractères cytologiques de l'épithélium de l'intestin grêle. Tout biologiste connaît les recherches de Nicolas sur la constitution du protoplasma dans les cellules épithéliales des villosités de l'intestin grêle, et sur l'état de ces cellules pendant l'absorption des graisses. Ses observations - reprises, confirmées et étendues plus tard avec le succès que l'on sait - devaient démontrer le rôle actif de la cellule intestinale dans les phénomènes de l'absorption.

Enfin, dans le domaine de la morphologie, Nicolas ne se contenta d'interroger l'Anatomie humaine. « Je ne trouve pas, pour ma part, grand intérêt, écrivait-il, à certaines investigations d'Anatomie humaine qui s'épuisent en des révisions déjà vingt fois faites.... sur tel ou tel point de forme ou de rapport. » Ainsi s'explique son amour pour l'Anatomie comparée. Il interrogea l'Anatomie du bélier et du hérisson; celle de la salamandre et du lézard, mais il nous faut faire une mention particulière pour son remarquable travail publié en 1893 sur les glandes et glandules thyroïdes (parathyroïdes) chez les Chéiroptères. A une époque où le problème anatomique et physiologique des parathyroïdes était si diversement résolu, Nicolas eut le grand mérite de donner une étude parfaitement poussée des glandules parathyroïdes chez la chauve-souris; le nombre, le siège, le volume de ces organes sont parfaitement précisés, et nous soulignerons dans ses travaux cette phrase très précise écrite en 1895, alors que dualistes et unicistes discutaient sur les relations entre la glande thyroïde et les glandes parathyroïdes : « Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous n'avons jamais trouvé, même dans les glandules enlevées un an après thyroïdectomie, la moindre trace de vésicules closes renfermant le contenu colloïde caractéristique des vésicules thyroïdiennes. »

Nicolas n'eut pas, pour l'enseignement magistral, une attirance très marquée. Cet homme de haute taille, de constitution solide, semblait intimidé dans un amphithéâtre remplide jeunes étudiants, prêts à écouter et à applaudir, mais prêts aussi à la critique et aux manifestations, bruyantes. Par contre, il aimait guider, démontrer dans les salles de dissection, et pour la formation de l'étudiant, il collabora avec Poirier et Charpy au remarquable « Traité d'Anatomie Humaine » que chacun de nous a consulté.

Enfin, patriote ardent, ce grand Lorrain eut le mérite de penser et de soutenir, avec Laguesse, qu'il fallait grouper, associer les hommes s'adonnant aux mêmes études anatomiques, parlant la même langue, et ayant le même idéal. Ainsi naquit cette remarquable « Association des Anatomistes de Langue Française » qui compte aujourd'hui plus de 400 Membres, et qui organise chaque année, en France ou à l'étranger, un Congrès dont le succès n'est plus à souligner. Nicolas devint et resta le secrétaire perpétuel de cette belle Association.

Alors que notre pensée émue s'en va vers la terre Lorraine, où repose notre éminent collègue, nous vous invitons à vous sentir aussi pénétrés de gratitude pour la mémoire de celui qui s'est efforcé de faciliter la collaboration des savants et de renforcer encore la fraternité des nations amies.