` sommaire

Immunologie médicale

 

par G. FAURE et  M-C. BENE

 

les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

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La Médecine et la Biologie sont devenues très diverses et très complexes pour le grand public et même pour les médecins eux-mêmes, qu'ils soient non-spécialistes, ou spécialistes d'autres disciplines. Il est nécessaire de rendre plus humains le développement des méthodes, et de leurs applications et les processus de découverte.

La plus grande partie de ce texte est écrite à la première personne, mais l'histoire qu'il raconte est le résultat d'un travail d'équipe, d'une petite équipe efficace, dynamique et sympathique dont les membres se retrouveront au fil des lignes.

Une liste de références illustrant la production scientifique du Groupe de Recherche en Immunopathologie est adjointe.

 

PROLOGUE : JEAN DUHEILLE

 

Il était une fois, dans un bâtiment préfabriqué, un enseignant quadragénaire d'histologie-cytologie. C'était au début des années 1970, et il allait jeter les bases de l’Immunologie Médicale à Nancy, une discipline jeune, transversale, différente….

Jean Duheille, professeur d'histologie, cytologie, embryologie, occupe le laboratoire de Recherche Médicale dans un bâtiment préfabriqué dans la cour de la Faculté de Médecine, rue Lionnois. Ses maîtres et collègues proches sont René Herbeuval, Gérard Cuny, Jean Pierre Nicolas, Jacques Leclère, Jean Beurey, ... Depuis le début des années soixante, il s'intéresse avec Herbeuval à l'hématologie (mégacaryocytes, plasmocytes, leucoconcentrations à la recherche de cellules leucémiques…) mais également à l'immunologie et notamment à l'auto-immunité. Il développe la toute jeune immunofluorescence, avec une lampe à vapeur de mercure posée à côté du microscope. Ploem n'a pas encore inventé l'épi-illumination qui canalisera plus tard le faisceau de lumière blanche vers les filtres adéquats puis la coupe à examiner, seule la fluorescence émise gagnant ensuite les pupilles de l'examinateur.

 

LES ANNEES 70, GILBERT FAURE

 

Nous ne savons pas qui avait installé ce bâtiment préfabriqué dans le parking actuel de l’Université, la cour de la maison Bergeret, mais c’est là que je suis entré pour la première fois dans un laboratoire universitaire, plus précisément en immunologie, sur les conseils de Jacques Pourel qui avait senti l'intérêt d'étudier les articulations dans les rhumatismes inflammatoires.

Que voulait dire le mot immunologie pour un étudiant et pour un enseignant quelques années après 1968 ?

L'héritage de Pasteur et de Metchnikoff quittait doucement les laboratoires de microbiologie et de biochimie pour donner forme à quelque chose de plus vaste. On commençait à deviner un système physiologique complexe, ubiquitaire.

C'était une discipline totalement nouvelle, une idée de futur prometteur, de potentialités diagnostiques et thérapeutiques.

On devinait qu’une clé des traitements de la polyarthrite rhumatoïde se tenait dans l’articulation et la synoviale, et dans les molécules encore inconnues qui interagissaient à ce niveau.

Il n’y avait pas eu de cours d’immunologie dans le cursus, mais les cellules et les molécules étaient déjà là, actives, puissantes, détruisant les articulations des patients.

Les lymphocytes étaient des cellules magiques, à la mode, quasi omnipotentes.

Les immunoglobulines étaient présentes depuis longtemps dans le sérum et la sérologie infectieuse et identifiées dans les gammapathies monoclonales, mais il s'agissait surtout de protéines, pas vraiment d'anticorps.

Le système majeur d'histocompatibilité faisait l'objet des travaux qui valurent en 1980 le Prix Nobel à Jean Dausset chez lequel Jean Duheille était allé travailler, mais les applications des connaissances de ce système aux malades avaient à peine commencé après les premières greffes de rein fin des années 50, début des années 60;

Dans ce petit laboratoire, Paul Montagne, Marie Louise Cuillière et Denise Hettich s'affairaient autour des antigènes musculaires, de la thyroglobuline et des pathologies hépatiques auto-immunes.

Quand je suis revenu du service militaire, le CHU de Brabois était opérationnel et la Faculté de Médecine se terminait en face sur le plateau. Jean Duheille avait obtenu un laboratoire au 2ème étage du bâtiment AB, au bout du grand laboratoire d’Histologie-Cytologie-Embryologie, mais d’abord sans entrée individualisée … et sans toilettes !

Le Service de Rhumatologie était lui aussi monté à Brabois, au CHU, Alain Gaucher succédant à Pierre Louyot, mais elle était démunie de personnels de rang B.

Nous étions deux internes, Patrick Netter et moi-même, et nous avons pris en charge les soins quotidiens aux patients ainsi que l'enseignement, en développant des supports audio-visuels illustrant les pathologies rhumatologiques.

La nécessité de poursuivre des travaux de recherche clinique et fondamentale nous paraissait également évidente, et nous avons réfléchi sur les possibilités locales autour des problématiques rhumatologiques que nous côtoyions quotidiennement.

Deux partenaires naturels existaient pour la rhumatologie : la pharmacologie et l'immunologie. Nous avions déjà fréquenté le bâtiment préfabriqué mentionné plus haut, et au hasard des nouvelles collaborations, l'histoire a fait que nous nous sommes orientés l'un vers le bâtiment D, l'autre vers le bâtiment AB de la toute neuve Faculté de Médecine.

L’idée de Jean Duheille était d’approfondir l'étude des caractéristiques de la membrane synoviale rhumatoïde en microscopie à balayage, technique d'imagerie cellulaire en plein essor à l'époque.

L'appareil et la technique existaient à la Faculté des Sciences pour des applications non-biologiques, mais il semblait possible de s'orienter vers le vivant.

Les quatre premiers prélèvements tissulaires furent très décevants : mauvais choix des malades, techniques inappropriées, bref, nous apprenions les nécessaires étapes préanalytiques et de mise au point de protocoles !

Apprentissage finalement rapide, puisque le cinquième prélèvement apporta des résultats passionnants, et fit le tour du monde d’abord à Helsinki lors du congrès européen de rhumatologie (ma première présentation internationale) et ensuite dans les « textbooks » de rhumatologie. On voyait pour la première fois en « 3D » le foisonnement des cellules recouvrant le tissu prolifératif protrudant en massues et diverticules erratiques dans l'espace synovial, on comprenait mieux l'envahissement de l'articulation, et on soupçonnait que cet afflux cellulaire avait tous les moyens de détruire le cartilage et l'os…

Très vite, l'idée est venue d'appliquer la technique à l'étude des cristaux des arthropathies microcristallines, et ce fut l’émerveillement devant leurs formes élancées, rhomboédriques, merveilleusement géométriques…

Les deux Steinmetz, Pierre et Jean et Bernard Malaman, scientifiques purs et durs, malgré l'exotisme de l'approche, bien loin de leurs matériaux solides, ont accepté de s'intéresser à ces microcristaux médicaux et y ont retrouvé les « patterns » caractéristiques initialement décrits par Dan Mc Carty dans les chondrocalcinoses articulaires et les tendinopathies calcifiantes.

Les possibilités d’analyse du Calcium et du Phosphore par la spectrométrie se sont ajoutées à la gamme des techniques, et la nature des ces cailloux biologiques, si proche de celle des cristaux des géodes ou des cailloux des chemins, s'est progressivement dévoilée.

Les collaborations avec la Faculté des Sciences ont été exemplaires et étaient aussi précurseurs. D'autres collaborations nationales et internationales ont permis d'aborder la microscopie haute-résolution avec des images de cristaux pathologiques qui n'ont pas depuis été dépassées.

L'approche n'était certes pas encore ni très immunologique ni très pharmacologique, mais elle permettait d'écrire les premières publications internationales, de nouer les premiers contacts internationaux au fil des congrès, et surtout d'étendre le projet de recherche des calcifications aux chondrocalcinoses articulaires, diffuses, familiales ou sporadiques, qui sont encore aujourd'hui un des sujets de recherche de l'équipe de Patrick Netter !

Les premiers travaux réalisés avec Jay E Seegmiller ont montré que le défaut du métabolisme des pyrophosphates était généralisé chez ces patients puisqu'il pouvait être détecté dans les fibroblastes cutanés et les lymphocytes sanguins (G Lust et al, 1981).

Je me rapprochais de l'immunologie et de son implication dans les phénomènes inflammatoires, notamment en étudiant les calcifications périarticulaires touchant particulièrement l'épaule, qui sont intégrées dans les rhumatismes à apatites et dont le mécanisme phlogogène n’est toujours pas résolu. On n’est pas loin des maladies orphelines, trop bénignes…mais je pourrai montrer plus tard la participation cellulaire inflammatoire dans les différentes étapes de la réaction à ces apatites, servant moi-même de « cobaye », sans autorisation de quelque CCPPRB ou agence ….

Sur le terrain, ce n'était pas facile ! Il fallait quitter l'hôpital et fabriquer tous les tampons de lavage et de fixation…  tâche ingrate dans les conditions d’organisation d'un laboratoire universitaire des années 70 !

Pendant ce temps là, seul, sans assistant, sans interne, quasiment sans technicien et avec une seule secrétaire, Jean Duheille montait dans les mêmes locaux un laboratoire d'Immunologie Biologique, dans le cadre d'une convention avec le CHU. Il avait poursuivi les développements de l'immunofluorescence et réalisait les techniques diagnostiques d'immunofluorescence directe pour les diagnostics de pathologies rénales et cutanées, et d'immunofluorescence indirecte pour la recherche et le typage des auto-anticorps sériques. Il réalisait seul toutes interprétations, assurait avec sa secrétaire le rendu des résultats, la facturation au CHU ou directement aux patients, la gestion comptable, le dialogue avec les collègues cliniciens qui ne pouvaient imaginer les difficultés pratiques d'un laboratoire hospitalo-universitaire sous convention. Devenu Professeur d'Immunologie, il assurait aussi  l'enseignement de la discipline dans le cursus médical, pour les CES et dans une « Attestation d'immunologie et allergologie ». Et il développait et gérait la recherche, dans ses aspects administratifs et de quête aux subventions.

Pour ma part, j'avais développé de nouveaux contacts, plus immunologiques, avec Francine Bertrand en Biochimie, dans le cadre du suivi des gammapathies monoclonales malignes et de signification indéterminée, et avec Colette Raffoux au Centre de Transfusion, dans le cadre des premières études sur les implications de certains allotypes du HLA dans le développement de maladies rhumatologiques (Spondylarthrite Ankylosante), et surtout pour l'étude de familles informatives (Rendu-Osler, Ochronose, Chondrocalcinose articulaire familiales), me permettant d'obtenir un autographe de Coombs, éditeur des  « Internal Archives of Allergy and Applied Immunology ». (Kissel et al, 1977).

La rhumatologie était un cul de sac pour des positions hospitalo-universitaires. Elle a colonisé l’immunologie et la pharmacologie.

 

1979, LE PARI ET LE TOURNANT

 

Un poste d'Assistant Hospitalo-Universitaire est créé pour le Laboratoire d'Immunologie au 1er Octobre 1979, et je quitte la Rhumatologie !

Si j’avais su (administrativement…) que la convention faculté/université hôpital évoluerait si peu en 25 ans !

Heureusement, un poste d’interne avait été miraculeusement ouvert aussi, et Marie Christine Béné est arrivée le même jour ! Pharmacienne, Interne des Hôpitaux de Nancy, son cursus tournait autour de l'hématologie et de l'immunologie, puisqu'elle avait fait deux années d'internat au CTS, sur le rythme original à l'époque d'une semaine de garde de nuit (distribution du sang, groupes sanguins, hémostase et NF d'urgence), une semaine d'hématologie cytologique et une semaine de « rien » où elle avait développé elle aussi quelques activités de recherche avec Colette Raffoux. Nous étions sans nous connaître quasi co-signataires d'un article puisque son nom figurait dans une curieuse rédaction des remerciements, sous les auteurs eux-mêmes ! Elle avait aussi passé une année, en tant qu'interne de Nancy (quelle belle époque où les CHU encourageaient et soutenaient la mobilité internationale) en détachement au Western Infirmary à Glasgow, dans le laboratoire attenant au service de transplantation rénale de David Hamilton. Son initiation à la recherche avait ainsi été un peu moins spartiate que la mienne, et elle apportait des techniques nouvelles, notamment d'analyse des cellules immunitaires.

Effectuant ses gardes en Toxicologie, elle proposa de passer chercher des prélèvements d'enfants leucémiques à ses retours matinaux depuis Central, et le laboratoire commença à étudier ces cellules, avec les moyens de l'époque : immunoglobulines de surface ou intracytoplasmiques pour la lignée B, rosettes mouton pour la lignée T ! Inutile de dire que les leucémies indifférenciées étaient largement majoritaires !

Le laboratoire était trop petit pour accueillir ces deux nouveaux arrivants, qui se croisaient généralement, MC Béné étant surtout là le matin, et moi l'après midi après mes activités hospitalières maintenues à cette époque en Rhumatologie. Les locaux en partie inoccupés du 3ème étage du Bâtiment AB ont alors été progressivement débarrassés et nettoyés, d'abord pour une pièce de manipulations pour les techniques cellulaires, puis pour un bureau commun où nous avons commencé à nous rencontrer plus fréquemment. Jean Duheille souhaitait aussi nous apprendre à interpréter les techniques d'immunofluorescence, et cet apprentissage nous réunissait tous les trois les samedi matins autour de l'énorme microscope Leitz à épi-illumination, tout neuf.

Il serait trop long de raconter cette époque de réelle construction de l'immunologie hospitalière. Il suffit sans doute de dire que ce laboratoire hospitalier, toujours sous convention, acheva de s'installer dans l'ensemble du couloir de façade du troisième étage du bâtiment AB en 1987, et que le développement de son activité permit d'embaucher progressivement 4 techniciennes d'abord en remplacement d'été et de renforcer l'équipe de secrétariat.

Il faut également rendre hommage à la latitude que nous laissa Jean Duheille dans cette tâche passionnante de développement. Peu de nos collègues ont installé une à une les pièces de leur activité professionnelle quotidienne. Cette période fut aussi celle d'un développement considérable de la discipline en médecine, avec le SIDA, l'essor de la transplantation, les progrès de l'immunothérapie. Des relations étroites s'établirent avec de nombreux services, notamment avec Corinne Amiel et Thierry May dans le Service de Maladies Infectieuses et Tropicales de Philippe Canton, avec Edith Renoult, Jean Luc André et Marie Jeanne Krier autour de la transplantation rénale, avec Jean Pierre Villemot, Sophie Mattei et Jean François Chabot en Chirurgie Thoracique et Pulmonaire, ainsi qu'avec les différents services de médecine interne, pour le développement d'approches diagnostiques et de suivi au long cours des patients.

Jean Duheille choisit à cette époque de se consacrer à l’informatique, pour améliorer notamment la gestion des dossiers-patients, et à la Recherche sur le développement de dosages innovants en immunonéphélémétrie sensibilisée à l'aide de microbilles, une approche précurseur des nanotechnologies actuelles.

Il avait aussi eu l'idée de s'intéresser aux effets sur l'immunité de la dénutrition, en collaboration avec les pédiatres et un chercheur de l'ORSTOM. L'étude du thymus chez des enfants dénutris de la banlieue de Dakar mit alors le laboratoire sur la piste des facteurs thymiques et tout particulièrement du Facteur Thymique Sérique, le FTS isolé et individualisé par Mireille Dardenne et Jean François Bach de l'U25 INSERM à Necker.

Nous avons développé ce projet avec Jean Duheille et Bernard Jambon, et nous avons montré que cette molécule était contenue dans les cellules épithéliales thymiques (B Jambon et al, 1981).

La synthèse de cette petite molécule par le laboratoire CHOAY nous a ensuite permis, en collaboration avec Necker, d'aborder l'immunopharmacologie in vitro et in vivo de ce composé physiologique bien toléré. Son activité a été évaluée et démontrée dans différentes pathologies immunologiques : déficits immunitaires, rhumatismes inflammatoires, SIDA.

Une application clinique en collaboration avec la médecine infantile a été établie en aveugle dans les déficits en IgA (P Bordigoni et al 1982), mais cette molécule est devenue orpheline et les essais ont été abandonnés, même si les Italiens et les Japonais continuent à produire du FTS à visée thérapeutique.

Sous la responsabilité de Paul Montagne, Ingénieur INSERM, de Marie Louise Cuillière, Ingénieur CNRS, et en partenariat avec Sanofi et Bernard Pau, le projet de néphélémétrie devait rapidement permettre d'obtenir un financement important et le recrutement d'une équipe de thésards qui aboutit non seulement à la mise au point de nombreux dosages, mais surtout à la création d'un nouveau néphélémètre (P Montagne et al, 1992). Les bases de l'actuel automate-star Access ont indiscutablement été jetées dans le laboratoire pendant cette période. Les travaux de fabrication des microbilles, de structure tout à fait originale, leur conférant des propriétés particulièrement adaptées à des dosages immunologiques extrêmement sensibles, et le développement de tests diagnostics se sont poursuivis pendant une dizaine d'années (P Montagne et al, 1992). Une valorisation a été concrétisée par des brevets, les techniques ont été intégrées dans les nouveaux automates commercialisés mais l'évolution des organisations industrielles vers Sanofi-Pasteur, Kallestadt puis Bio-Rad n'a pas permis de maintenir le contact.

La poursuite de mes travaux de recherche en autoimmunité et en inflammation m'avait permis d'assurer les conditions d'un recrutement en Immunologie, et je me préparais pour mon passage au CNU d'Immunologie, qui sous l'autorité de Maxime Seligmann, n'avait pas que la réputation de la difficulté ! Mais l'Immuno-rhumatologie et l'étude de la membrane synoviale étaient un champ d'investigation peu abordé au niveau international. J'avais entamé en 1980 mon DERBH, avec le projet très innovant à l'époque de l'étude des sous-populations lymphocytaires chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde à l'aide des tout nouvellement développés anticorps monoclonaux, accessibles à Necker chez Jean François Bach. Ce fut un DERBH très physique, puisque, à côté des tests que je pouvais réaliser à Nancy, je travaillais surtout à Necker, après être allé chercher les prélèvements chez Marcel Francis Kahn à Bichat. Les souvenirs de train et de métro sont presque aussi vivaces que les souvenirs de labo !

En 1982, après que le poste ait été voté localement et ouvert, le CNU accepta mon recrutement en tant que Chef de Travaux d'Immunologie.

Le développement de la technologie des anticorps monoclonaux nous permit bientôt de commander directement les réactifs. Ils arrivaient des Etats-Unis et le dédouanement à Roissy n'était pas une mince affaire, mais nous avions de nouveaux outils, ô combien précieux, pour étudier les cellules; en suspension mais aussi in situ, puisque nous bénéficions de la culture d'immunomarquage transmise par Jean Duheille. Nous avons alors élargi notre champ d'investigations à l'Endocrinologie, en raison des contacts amicaux et de l'intérêt de Jacques Leclère pour les pathologies autoimmunes de la thyroïde. Il nous avait permis d'accéder à des tissus thyroïdiens de patients souffrant de maladies de Basedow et d'Hashimoto, et le thème de mon Doctorat de Biologie Humaine fut l'exploration de ces tissus. Nous avons ainsi pu caractériser la composition des infiltrats cellulaires lymphocytaires dans les espaces intervésiculaires et découvrir la présence de cellules CD8+ en péripolésis au contact de l'épithélium, invisibles en histologie conventionnelles mais « allumées » par les monoclonaux et la fluorescence (MC Béné et al, 1983). Nous avons aussi mis en évidence l'hyperexpression de molécules HLA de classe II au niveau de l'épithélium thymique, quasiment en même temps que Gian Franco Bottazo à Londres, avec qui les relations devinrent assez étroites pendant une période, dans le laboratoire des célèbres Ivan Roitt et Deborah Doniach.

Jacques Leclère a poursuivi jusqu'à son départ en retraite une démarche de curiosité pour les mécanismes immunologiques en action dans la thyroïde, notamment en développant avec nous le premier modèle de greffe de tissu thyroïdien autoimmun chez la souris « nude » inspiré par le modèle d'Adrien Duprez dans les cancers (J Leclère et al, 1984).

En 1986, à nouveau muni des prérequis nécessaires et adoubé par la communauté nancéienne, je passais à nouveau devant les CNU (et toujours Maxime Seligmann) et étais recruté Professeur des Universités-Praticien Hospitalier.

 

1980-1993, MARIE CHRISTINE BENE

 

Marie Christine Béné s'était lancée dès son arrivée dans le laboratoire, à l'instigation de Jean Duheille, sur l'étude des néphropathies à IgA, pathologie glomérulaire la plus fréquente identifiée par Jean Berger en 1968, initialement considérée comme bénigne mais dont le pronostic s'avère péjoratif dans environ 20% des cas. L'idée était de tenter de caractériser la nature monomérique ou dimérique des IgA mésangiales, sur coupes de biopsies de rein humain. Les tissus étaient là, adressés à fins diagnostiques. Il n'y avait pas de réactif anti-pièce J, et Jean Duheille pensait qu'il fallait essayer de purifier la pièce secrétoire et voir si elle se fixait sur les coupes, au niveau des IgA. Ce fut une expérience épique, assortie de longues nuits de surveillance du chromatographe, que de préparer la pièce secrétoire à partir d'un échantillon de colostrum obtenu à la maternité, mais ce fut aussi un succès.

Nous avons ainsi été les premiers à démontrer que les dépôts d'IgA étaient formés d'IgA dimériques (MC Béné et al 1982). Plus tard, non pas avec un anticorps de titre ridicule envoyé par Jiri Mestecky, mais avec un polyclonal commercial, nous avons aussi identifié la pièce J dans les dépôts mésangiaux, confirmant notre première technique. Ces IgA étaient donc analogues à celles élaborées au niveau du chorion des muqueuses, avant qu'elles n'acquièrent la pièce secrétoire par le processus de transcytose dirigée dans les cellules épithéliales. Oui, mais quelle muqueuse ?

A la même période, en raison des angines fréquentes de ces patients, et de leur concomitance avec des épisodes d'hématurie, des néphrologues français avaient proposé l'ablation des amygdales comme thérapeutique de cette néphropathie.

Bruno Hurault de Ligny était alors Chef de Clinique en Néphrologie, et l'idée l'avait séduit. Ce fut le début d'une fructueuse collaboration, et d'une amitié qui perdure aujourd'hui qu'il est professeur à Caen. L'analyse des amygdales opérées à Nancy nous a permis de mettre en évidence une inversion du rapport IgA/IgG des plasmocytes présents dans les amygdales des malades par rapport à des témoins, l'augmentation étant formée de plasmocytes fabriquant des IgA dimériques (MC Béné et al 1983). Cette observation est quasi pathognomonique de la néphropathie à IgA. Cette anomalie a été retrouvée au niveau de la sclère mais ne peut être démontrée au niveau digestif. La collaboration avec la néphrologie dans ce domaine nous permettait d'être présents dans les rencontres internationales très actives à l'époque, et d'organiser en 1994 à Nancy avec Michèle Kessler le congrès anniversaire des 25 ans de l'individualisation de la néphropathie à IgA.

Cette théorie muqueuse, bien que discutée, a été récemment soutenue par des travaux japonais qui ont validé l'intérêt d'un traitement chirurgical précoce dans cette affection.

L'origine de cette anomalie de production des IgA n'est pas totalement élucidée, mais est associée à des anomalies des cellules lymphocytaires précurseurs et aussi de la vacularisation permettant l'entrée des cellules dans les tissus lymphoïdes amygdaliens (MC Béné et al 1987).

A la fin de 1980, il n'y avait pas de solution immédiate pour garder Marie Christine Béné au Laboratoire. Une demande de poste vert à l'Inserm, malgré une visite à son rapporteur Laurent Degos, n'avait pas abouti. Directeur de laboratoire à temps partiel à Langres, elle partagea son temps pendant un an entre la Haute Marne et Nancy, poursuivant avec moi les activités de routine hospitalière et de recherche que nous avions commencé à mettre en place, avec une seule laborantine à l'époque. Puis un poste d'Assistant-Assistant arriva au laboratoire, d'origine obscure tant les demandes avaient été réitérées auprès de nombreux services.

Stabilisée à Nancy, ces travaux permirent à Marie Christine Béné de soutenir une thèse de troisième cycle, dès 1982. Elle s'engagea alors à ma suite dans le cursus DERBH-Thèse de Biologie Humaine. Maxime Seligmann était à l'époque au Ministère et ses souvenirs de DERBH sont moins terribles que les miens, puisqu'elle bénéficia du mentorat moins stressant de Jean Claude Brouet.

1985 fut une année faste puisqu'elle put soutenir sa thèse de Biologie humaine, sur nos travaux amygdaliens dans la Néphropathie à IgA, mais, surtout, poser sa candidature à un recrutement original, qui ne dura que deux années. En effet, les conseillers du ministre avaient eu l'idée à ce moment là d'ouvrir un contingent de postes de Maîtres de Conférences, Praticiens Hospitaliers au niveau national, sans demande ni création locales. Il y avait trois postes pour l'immunologie, et une journée d'auditions, sous la houlette de Charles Salmon, au Centre de Transfusion de Paris, rue Alexis Carrel. J'étais pour ma part à cette époque élu au CNU. Une lettre fut tirée au sort, le D. De David Klatzmann à Jacques Henri Marcel Cohen, j'ai ainsi vu défiler avec mes collègues du CNU 14 membres du futur potentiel de l'immunologie médicale française. Marie Christine et Jacques prenaient leur mal en patience en tournant dans le quartier, de café en promenade, tissant des liens indéfectibles pendant cette journée étrange puisqu'ils étaient les deux derniers candidats. Il y avait pour chaque candidat une courte présentation de son CV, sans support, et une série de questions de la part du jury. Puis en fin de journée un vote. Philipe Rouget, Marie Christine Béné et JHM Cohen furent les trois nouveaux MCU d'Immunologie cette année là. Nous ramenions de Paris un poste de titulaire à Nancy !

L'équipe hospitalo-universitaire d'Immunologie était ainsi stabilisée, et la poursuite du développement de l'activité hospitalière, de la recherche et de l'enseignement pouvait se faire dans un climat plus serein. C'était aussi le moment de développer les relations nationales et internationales. Les visites à Londres conduisirent aussi à des entretiens mémorables chez George Janossy. A partir de 1986 et jusqu'au début des années 2000, la semaine hivernale annuelle aux Keystone symposia conjuguait découverte des Rocheuses, bol d'air au ski, et immersion intense dans un sujet pointu d'immunologie.

Depuis fin 1983, sur une idée d'Alain Bernard et Laurence Boumsell qui, initiateurs des ateliers de nomenclature des antigènes de différenciation (HLDA), avaient perçu l'intérêt de l'application des anticorps monoclonaux à l'immunophénotypage des leucémies, les laboratoires français du sujet étaient réunis dans le Groupe d'Etude Immunologique des Leucémies (GEIL) dont nous avions accepté de gérer le secrétariat (activité pérenne s'il en est puisque c'est toujours le cas !!). A côté des deux réunions annuelles du groupe, un premier congrès au Mont Dore en 1985 était suivi d'un second, dix ans après l'inclusion du premier patient, à Nancy en 1994. C'était l'occasion de faire le point des initiatives européennes dans ce domaine, et ce fut la fondation de l'EGIL, European Group for Immunophenotyping of Leukemias, où le GEIL et la France sont représentés par Marie Christine Béné (JP Vannier et al, 1989 ; R Garand et al, 1989 ; MC Béné et al 1995; M Maynadié et al, 2002 ; Feuilard J et al, 2002 ; Béné et al, 2004).

Un autre sujet nous tenait à cœur, de par nos instincts papivores communs, celui de l'information scientifique et technique. Ce fut la participation aux jeunes travaux de Dic-Doc à l'Inserm, aux journées d'Obernai, et surtout l'organisation de deux congrès Scicom à Nancy, en 1987 et 1997.

Entre temps, Marie Christine Béné avait passé son HDR en 1991 et était prête pour succéder à Jean Duheille. Ce dernier devança l'appel, en décidant de partir en 1993 au lieu de 1994. Cette fois, il fallait néanmoins franchir d'abord les fourches caudines de l'Assemblée Facultaire. La tradition exigeait que les candidats fassent au préalable le tour de tous les professeurs, puisque l'assemblée votait et avait pouvoir décisionnel sur les demandes d'ouverture de postes. Marie Christine Béné fit donc le tour de tout le monde, découvrant avec un intérêt passionné les univers personnels de chacun, trouvant avec chaque interlocuteur les points communs entre sa spécialité et l'immunologie. Nous avions déjà de nombreux correspondants, mais ces visites permettaient d'élargir encore le champ des collaborations possibles, au sein d'une communauté hospitalière dont notre localisation géographique nous a toujours en partie isolés. La soirée fut longue, mais nos efforts couronnés de succès, puisque la communauté médicale nancéienne acceptait finalement de recruter pour la deuxième fois (après Francine Nabet de nombreuses années au préalable) un pharmacien comme Professeur de Médecine. Restait à passer devant le CNU, de nouveau présidé par Maxime Seligmann. Les rapporteurs de Marie Christine Béné étaient Jean François Bach et Jean Claude Homberg. Les autres candidats cette année là étaient Harold Von Boehmer, chercheur de réputation internationale issu du Basel Institut, qui cherchait une fin de carrière dans la fonction publique française et le successeur de Maxime Seligmann, Jean Paul Fermant. Pour une fois, le CNU d'Immunologie faillit à sa réputation de l'époque qui voulait que chaque année au moins un candidat soit renvoyé dans ses foyers……

 

1993-2005, LES ELEVES

 

J'avais transformé au fil des années mon poste d'Assistant en poste de Professeur. Le poste de MCU de Marie Christine Béné était retombé dans le pool des postes d'AHU lors de sa nomination à la suite de Jean Duheille. Mais le poste d'interne a perduré, et a même enflé au hasard de certaines promotions pléthoriques jusqu'à 5 internes en même temps. Certains d'entre eux, médecins, ont utilisé leur droit au remords et quitté la biologie sans pour autant quitter le laboratoire. D'autres internes, dans des disciplines cliniques, se sont intéressés à l'immunologie et sont venus passer un bout de leur cursus avec nous. Des étudiants en maîtrise de sciences, en DEA, en MSBM, sont venus gonfler les rangs au fil des années. Leurs histoires seraient aussi passionnantes à raconter, certaines d'entre elles sont tristes, d'autres pleines de rebondissements, mais ils le feront peut-être un jour eux mêmes.

Mentionnons simplement que le « board of fame » du laboratoire arbore en 2005, 27 plaques commémorant les DEA et 15 commémorant les Doctorats d'Université du laboratoire.

Il y a aussi eu 8 HDR, notamment celle de Chantal Kohler, qui a choisi en 1994 de localiser son activité hospitalière dans notre laboratoire, lorsque le local qu'elle occupait en Médecine D pour les explorations allergologiques et des secrétions nasales a disparu au cours du déménagement du service. Elle a importé son activité et s'est investie considérablement dans les tâches hospitalières et dans une démarche de recherche, conservant ses responsabilités d'enseignante de cytologie et d'assesseur du Premier Cycle des études médicales. Les autres ayant décroché ce diplôme-sommet de la hiérarchie universitaire, passage obligatoire mais non obligé vers les recrutements universitaires, sont MC Béné, MN Kolopp-Sarda, D Mayot, P Barbarino-Monnier, P Montagne, A Barbaud, JM Serot.

Au sein de nos différentes activités de recherche, liées pendant plus ou moins longtemps à des relations privilégiées avec des services ou des hommes, se dégage notre intérêt persistant, depuis les néphropathies à IgA, pour l'immunité des muqueuses. Thématique longtemps (et encore) négligée par les immunologistes préoccupés par les nombreux autres champs d'investigation de cette vaste discipline, l'immunité muqueuse nous est rapidement apparue comme un système physiologique majeur de la tolérance à l'environnement, et nous nous sommes passionnés pour l'étude de ses mécanismes.

L'accès, en collaboration avec les services d''ORL, et notamment l'ORL pédiatrique avec Philippe Perrin, aux prélèvements d'amygdales et de végétations, nous a permis d'approfondir le mécanisme d'action d'un immunostimulant utilisé empiriquement depuis de nombreuses années, Ribomunyl. Cet extrait ribosomal constituait un matériau de choix pour l'étude des réponses immunitaires muqueuses spécifiques, dans le contexte d'essais cliniques d'envergure, fortement soutenus pendant plus de dix ans par les laboratoires Pierre Fabre. Les résultats obtenus au cours de ces travaux ont démontré l'intérêt de ce produit dans le renforcement des défenses immunitaires et permis de confirmer chez l'homme et chez l'animal les mécanismes de re-circulation cellulaire qui gouvernent la tolérance active muqueuse.

L'approche de l'immunité pulmonaire a été initiée par Marie Nathalie Kolopp Sarda lors de son stage de doctorant en partenariat avec l'INRS où elle a abordé les effets de l'exposition des individus aux poussières de farine et débuté l'analyse des hypersensibilités. Paradoxalement, Marie Nathalie Kolopp-Sarda n'a pas été interne au Laboratoire, mais sa grande amie Claire Molé qui avait fait suivre son internat de la préparation de son DEA et de sa Thèse, sur un poste d'attaché, était une des élèves-espoirs du Laboratoire. Pourtant, c'est à Besançon que Claire décrocha son poste de MCU, tandis que Marie Nathalie, qui avait fait un DEA de parasitologie chez Marc Gentilini à Paris, cherchait à revenir d'un poste de biologiste privé à Sarreguemines. Une commande de travail bibliographique sur l'immunotoxicologie émanant de l'INRS et assortie d'un financement permit de la recruter pour une année suivie d'un contrat plus long lui permettant de réaliser ce travail de thèse très original. Une thèse soutenue en urgence pour pouvoir bénéficier du poste d'AHU libéré par le recrutement de Marie Christine Béné comme PU-PH, un an plus tôt que prévu… Une thèse qui lui permit aussi, après quelques années complémentaires de recherche, d'enseignement et de biologie quotidienne, de ramener le poste de MCU-PH au laboratoire, en étant recrutée par le CNU, cette fois présidé par Jean Louis Preud'homme, en 1999. Elle s'est énormément impliquée depuis dans le développement du plateau de cytométrie en flux, dans l'analyse immunologique du poumon profond via les liquides de lavage broncho-alvéolaire, et développe un axe de recherche original sur les intolérances aux protéines du lait de vache, dans la suite de ses travaux princeps sur l'exposition aux antigènes alimentaires.

Parallèlement, Paul Montagne, après s'être impliqué dans le cadre de collaborations industrielles à la définition des caractéristiques protéiques du lait bovin (P Montagne et al 1995) a abordé le sujet largement sous-étudié en physiologie humaine du lait humain (P Montagne et al, 2000). Pourtant il s'agit de la sécrétion muqueuse la plus importante pour le développement de l'enfant et la survie de l'espèce et ses capacités en immunité spécifique et innée sont en tous points remarquables. Ces travaux ont aussi permis à une étudiante en DEA d'origine scientifique, Christine Prin-Mathieu, de réaliser sa thèse d'Université et de rejoindre l'équipe Hospitalo-Universitaire en tant qu'ingénieur pour les travaux de recherche et développement en immunologie clinique.

Christine Prin-Mathieu, avec une ex-interne actuellement doctorante, Patricia Aguilar, est d'ailleurs à l'origine d'une récente reprise de contact fructueuse avec la Rhumatologie, pour la surveillance des patients traités par anticorps monoclonaux.

Combinant immunité muqueuse et auto-immunité, l'un des sujets les plus originaux que nous ayons abordé en autoimmunité est celui de l'autoimmunité antiovarienne dans le cadre des infertilités et des tentatives de fécondation in vitro. Le sujet a débuté par une question de Frédérique Guillet-May qui débutait dans la procréation médicalement assistée : « Sommes-nous délétères lorsque nous effectuons des ponctions multiples pour recueillir des oocytes ? ». Il s'est poursuivi par la mise en évidence d'anticorps antiovariens chez un certain nombre de patientes soumises à des tentatives de fécondation in vitro, corrélés à l'inefficacité des ces techniques (P Barbarino-Monnier et al, 1991). L'apparition de ces anticorps paraît effectivement liée aux traumatismes ovariens, une molécule antigénique candidate a été isolée et un peptide candidat a fait l'objet de dépôts de brevets avec un partenaire industriel. La prescription de corticoïdes peut faire régresser le processus auto-immun et aboutir à des grossesses. Patricia Barbarino Monnier a fait de ces travaux l'objet de sa thèse de Doctorat, avant de devenir Professeur de Gynécologie Obstétrique. Une collaboration avec Tartu en Estonie s'est développée depuis et une thèse en co-tutelle est en cours.

Les relations entre immunité muqueuse et infectiologie ont été abordées dans deux domaines, d'une part au tout début de la découverte d'Helicobacter pylori, avec Jean Dominique De Korwin, et d'autre part au cours de toute une série de travaux menés en collaboration avec la Faculté de Chirurgie Dentaire, et notamment Gérard Martin et Neil Miller.

Autre thématique dérivée de l'immunité muqueuse, l'exploration des hypersensibilités aux médicaments nous a passionnés avec Annick Barbaud qui en a fait son thème de recherche et de thèse avant d'être recrutée Professeur de Dermatologie (AM Barbaud et al, 1997; AM Barbaud et al 1998). Cette fois, comme dans l'immunité anti-ovarienne, la tolérance naturelle des tissus muqueux est prise en défaut et conduit à des manifestations cliniquement impressionnantes dont les mécanismes commencent à être mieux compris, sans que leur étiologie précise soit encore élucidée.

Les travaux sur les néphropathies à IgA ont bénéficié depuis le milieu des années 1990 de l'implication d'Anne Kennel. Arrivée au laboratoire pour une thèse d'exercice en Pharmacie, elle s'est pris au jeu de la recherche, et a complété sa formation par une maîtrise de biologie en Sciences, un DEA à Besançon, et une thèse d'Université en 1997. Parallèlement, elle a développé en tant qu'AHU puis Praticien Attaché, ses compétences en biologie hospitalière et en enseignement. Son profil va lui permettre en 2005 de postuler au CNU d'Immunologie pour le deuxième poste de MCU qui vient d'être ouvert pour le laboratoire. Ses axes de recherche récents, sur les cellules dendritiques amygdaliennes, sont extrêmement porteurs, et elle s'implique également dans le développement des nouvelles technologies d'immunomonitorage, notamment dans le domaine de l'immunothérapie.

Au début des années 1990, Jean Marie Sérot, que j'avais connu, interne et chef de clinique en Rhumatologie, vint un jour depuis son service de Mont Saint Martin pour une de ses visites régulières à la bibliothèque. Le hasard a voulu que je passe par là. Je l'ai alors invité à venir déjeuner au laboratoire (tradition locale quotidienne) et cette reprise de contact l'a conduit à rejoindre le laboratoire pour poursuivre une thématique de recherche très originale qu'il avait eue à la fin de son clinicat et abandonnée par la force des choses. Son idée était qu'une interface épithéliale intracérébrale, les plexus choroïdes, interface non-muqueuse, mais à l'origine de la majorité de la sécrétion du LCR, pouvait être modifiée de façon significative au cours du vieillissement et plus encore dans la maladie d'Alzheimer. Au cours d'un travail hebdomadaire régulier pendant plus de dix ans, il a ainsi réussi à démontrer avec nous que les Plexus Choroïdes (PC) sont le siège dans cette maladie de modifications morphologiques importantes, significativement supérieures à celles observées chez le sujet âgé, associant un épaississement du stroma et de la membrane basale épithéliale à une atrophie de l’épithélium et à des anomalies de la physiologie du LCR (JM Serot et al 2000 ; JM Serot et al, 2003)). Nous avons également identifié pour la première fois avec lui, la présence de cellules dendritiques au niveau des PC (JM Serot et al 1997) Une équipe de neurochirurgiens californiens, se basant sur ces travaux, a imaginé d’augmenter le turnover du LCR par la pose de shunts à bas-débit (100 mL/j)  et un essai récent de phase III montre une amélioration des patients souffrant de Maladie d'Alzheimer débutante. Après avoir soutenu grâce à ses travaux sa thèse d'Université et son HDR, Jean Marie Sérot est actuellement en cours de recrutement comme PU-PH à Amiens….

Au début des années 2000, les contraintes de la contractualisation nous ont amenés à aborder le passionnant sujet du cancer du poumon. L'épithélium bronchique est une autre interface muqueuse très mal connue, et les caractéristiques immunologiques des cellules tumorales, leurs propriétés de production de cytokines, leur sensibilité au microenvironnement et aux cellules de la stroma réaction méritent encore beaucoup de travaux. Deux étudiants en Sciences, Frédéric Massin et Sophie Derniame, se sont attelés au sujet, avec des résultats originaux qui ont déjà permis à Frédéric de soutenir sa thèse d'Université.

Pendant la même période, nous avons accueilli un jeune Chef de Clinique réanimateur, Sébastien Gibot, passionné par l'immunité innée anti-microbienne, la paralysie immunitaire des patients en choc septique, et ses mécanismes de régulation. Ses premiers travaux sur TREM-1, menés avec le soutien logistique et scientifique du laboratoire, lui ont permis de soutenir sa thèse d'Université et surtout ouvrent la perspective d'une collaboration industrielle prometteuse avec un laboratoire Italien, la valorisation se traduisant déjà par un dépôt de brevet (Gibot S et al, 2004; Gibot S et al, 2004).

Enfin, l'implication du laboratoire, depuis près de 25 ans dans le développement des techniques immunologiques de définition et de suivi des leucémies, se traduit actuellement par notre participation directe, Marie Christine Béné étant à la tête d'un « working package », à un réseau d'excellence européen du 6° PCRDT, l'European Leukemia Net.

 

1979-2005, DES ENGAGEMENTS COLLECTIFS

 

J'ai déjà mentionné ma participation précoce au CNU d'Immunologie. Nous avons toujours essayé de nous impliquer dans le fonctionnement de nos institutions et dans des groupes de travail, de façon à assurer une visibilité de l'immunologie nancéienne et de faire bénéficier le laboratoire de ces contacts externes.

Ainsi, nous sommes, depuis le tout début de nos carrières hospitalo-universitaires, membres de l'ASSIM (association des enseignants d'Immunologie) et de la Société Française d'Immunologie. Nous avons, Marie Christine Béné et moi, été élus plusieurs fois au Conseil de la SFI. J'ai été président de l'ASSIM et j'en reste le « maître toile ».

Les travaux de l'ASSIM nous ont beaucoup aidés pour monter les enseignements d'Immunologie à Nancy. Le CES et l'ancienne attestation d'immunologie et allergologie qui existaient à notre arrivée ont disparu, mais l'immunologie est maintenant présente dans le cursus médical, de PCEM2 à DCEM3, à travers un enseignement magistral de base, un thème d'APP en commun avec les hématologistes et les enseignements du Module 8. La mise en place de ce dernier au cours de la récente réforme de l'enseignement du 2ème Cycle, a conduit à l'obtention d'un Campus Numérique, RAISIL, monté en collaboration avec l'ASSIM et qui a permis la mise en ligne d'un enseignement consensuel du module 8 développé par les enseignants d'immunologie médicale français.

Marie Christine Béné s'est engagée avec la fédération des associations européennes d'immunologie (EFIS), dans la création d'un groupe de réflexion sur l'immunologie clinique (EFIS-CIG), ce qui l'a amenée à s'impliquer fortement dans la médecine de laboratoire avec l'European Laboratory Medicine (ELM) et les groupes de travail sur l'accréditation, notamment l'EA. Elle a également effectué deux mandats de conseiller à l'Union internationale des Sociétés d'Immunologie, l'IUIS. Je viens de prendre son relais, pour la SFI, en étant élu à l'été 2004 à l'Assemblée Générale de Montréal, et je participe également aux travaux du sous groupe d'Immunologie Médicale au sein de la section de Biopathology de l'UEMS.

Marie Christine Béné siège actuellement en tant que membre élu au CNU d'Immunologie, elle a été nommée conseiller à l'Inserm pendant la période 1987-1991 et plus récemment, en 2004, expert au Comité de Nomenclature de l'ANAES qui vient d'être renouvelé par la Haute Autorité en santé. Elle est également, de par son intérêt et son investissement de longue date pour l'immunologie des leucémies, un membre actif des groupes thérapeutiques, GOELAMS et GRAALL qui développent depuis quelques années un intérêt croissant pour la biologie et les thérapeutiques immunologiques, notamment par anticorps monoclonaux.

Dès 1992 avec le soutien de Claude Griscelli, alors Directeur de l'INSERM, je me suis investi dans l'organisation et la structuration d'une démarche de recherche clinique à l'intérieur du CHU. Depuis 2003, le CHU a décidé de construire le pilier administratif indispensable au fonctionnement de cette démarche dans l'établissement.

Au sein de l'Université Henri Poincaré, j'ai participé en tant que responsable de le Recherche Clinique, aux travaux du Conseil Scientifique. Je suis depuis 2004 Chargé de Mission à la Documentation. Marie Christine Béné et Chantal Kohler sont membres élus du CEVU et entament leur deuxième mandat. Marie Christine Béné est également chargée de mission à l'Europe.

Enfin, à la Faculté de Médecine, Marie Nathalie Kolopp Sarda et moi sommes membres du Conseil Scientifique et de la Commission de Prospective. Marie Christine Béné est Chargé de Mission à la Communication et à la vie Facultaire.

 

A SUIVRE…

 

De quelques pièces dans un bâtiment préfabriqué à un laboratoire hospitalo-universitaire  qui assure une activité de biologie annuelle d'environ 6 millions de B, correspondant à 33000 dossiers patients et plus de 90000 examens biologiques et produit bon an mal an une dizaine de publications internationales, que de chemin parcouru, sans doute. Ce ne fut pas sans écueils, par exemple lorsqu'on entend des phrases du genre « l’examen biologique nouveau, en développement c’est à l’immunologie, quand il devient rentable il nous appartient… (sic) », mais aussi sans de grandes joies et beaucoup de passion.

Actuellement, les domaines d'activité du laboratoire sont résumés annuellement dans les rapports d'activité transmis au CHU, mais ces documents faisant partie de la littérature grise, nous préférons en lister les têtes de chapitres ci-dessous :

- maladies autoimmunes et inflammatoires chroniques

- immunologie des transplantations d'organes et des greffes de tissus

- déficits immunitaires primitifs et acquis

- syndromes lymphoprolifératifs et cancers

- immunothérapie et vaccinations.

Le laboratoire assure et développe des analyses validées et innovantes d'immunochimie, d'immunologie cellulaire et d'explorations fonctionnelles cellulaires et tissulaires.

Un tel retour sur l'histoire met en exergue l'étrangeté de l'évolution des thématiques, souvent plus liée à la présence pendant une période donnée d'un homme ou une femme qu'à une véritable volonté. Il souligne aussi la justesse de la théorie de la sérendipité, de la part du hasard dans les choix, de l'absurdité démontrée par la recherche des idées préconçues….

L'immunologie, paradoxalement, reste une discipline qualifiée de « jeune » et sa position, en France comme en Europe ou dans le reste du monde, n'est pas encore parfaitement assise. Les relations restent parfois ambiguës avec certains cliniciens qui voient des patients allergiques, des maladies autoimmunes, des maladies inflammatoires… et se considèrent de fait immunologistes.

Les progrès dans la formation des étudiants, en médecine, mais aussi en odontologie laissent néanmoins augurer de la persistance, voire de l'augmentation d'une attractivité de la discipline, dans la richesse de ses nombreuses facettes. L'engouement pérenne des étudiants pour la MSBM montée à Nancy depuis près de 15 ans confirme cet intérêt, traduit également par l'identification de plus en plus nette des pathologies à composante immunitaire dans les cas cliniques de préparation à l'Examen National Classant. Il faut donc poursuivre le développement, raviver l'intérêt actuellement un peu émoussé, au moins localement, des scientifiques et des pharmaciens, lire, écrire, enseigner, chercher.

La mise en place depuis quelques années du DESC d'Allergologie et Immunologie Clinique, les rencontres entre européens de bonne volonté laissent espérer que la discipline continuera de se développer au service de la collectivité, des patients, de la santé publique et des étudiants.

Le projet de recherche de la prochaine contractualisation nous associe avec la Génétique et l'équipe de Philippe Jonveaux, au sein de l'IFR111. La thématique est focalisée sur la recherche en onco-hématologie, mais la découverte n'est heureusement pas planifiée. Espérons que la recherche en biologie santé à Nancy aura un jour, enfin les moyens matériels et humains que ces membres actifs souhaitent et méritent, permettant de poursuivre l'analyse des observations faites chez les patients.

Au niveau du CHU, espérons que le projet de pôle permettra enfin à la discipline d'avoir les surfaces indispensables sur le plateau biologique pour les ambitieux projets hospitaliers touchant à la thérapie cellulaire et à l'immunomonitorage des nombreux patients bénéficiant de thérapeutiques immunologiques de plus en plus actives. L'Immunologie clinique « au lit du malade », que j'aurais aimé développer, mais qui ne peut exister sans support biologique solide, pourra enfin naître à Nancy comme dans la plupart des autres villes de France et d'Europe d'importance égale à celle de notre CHU et à son recrutement.