` sommaire

Sciences morphologiques

 

par A. DUPREZ

 

les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

 

Classiquement, les Sciences Morphologiques rassemblent toutes les disciplines concernées par l’anatomie et le développement macroscopique et microscopique normal et pathologique des métazoaires. Dans les Facultés de Médecine, toutefois, leur domaine était le plus souvent, sauf pour l’Embryologie, limité à l’étude des mammifères. Mais, depuis l’instauration, par l’ordonnance de 1959, de la double appartenance hospitalo-universitaire des enseignants des Facultés de Médecine, les activités des Sciences Morphologiques se sont progressivement réduites aux seules études relatives à l’homme. Ainsi, leur caractère fondamental et général a cédé la place à des préoccupations plus spécifiques de l’être humain malade ou normal. L’Anatomie normale, toujours essentiellement consacrée à celle de l’homme, associée de longue date à la chirurgie, a étendu son association à l’imagerie médicale pour devenir, dans les deux cas, une discipline d’explications et de pratiques cliniques. L’Anatomie Pathologique, discipline mixte, alliant les techniques des Sciences Morphologiques aux  préoccupations de toutes les disciplines cliniques dont elle assure et assume les diagnostics morphologiques de certitude, a tout naturellement conservé puis développé sa place antérieure dans les hôpitaux. L’Embryologie, en revanche, transformée en biologie du développement, a perdu une grande partie de ses préoccupations morphologiques mais a trouvé une place importante dans les maternités. L’Histologie, enfin, amputée par la biologie cellulaire de son histophysiologie, n’a souvent pas rejoint l’Anatomie Pathologique pour sa pratique hospitalière et, dans ces cas, elle a difficilement trouvé une place dans les CHU. En définitive, l’intégration de l’histologie dans les hôpitaux n’a malheureusement pas résulté d’une démarche générale arrêtée par la discipline mais des pratiques professionnelles hétérogènes de ses enseignants.

Pour leur intégration hospitalière, les quatre disciplines morphologiques classiques se sont donc restructurées en trois groupes d’activités paracliniques : la Biologie du Développement dans les maternités, l’Anatomie Pathologique et l’Imagerie dans les hôpitaux, tout en conservant leurs prérogatives antérieures dans les Facultés.

Depuis 1970, le CHU de Nancy n’a pas dérogé à ces règles générales d’évolution. Dans une première partie, nous décrirons les nouvelles relations entre ces quatre disciplines constituant les Sciences Morphologiques classiques, durant les trois dernières décennies, puis  tenterons de situer, en fonction de ces évolutions, leur place actuelle et dans un avenir proche, au sein des Hôpitaux et de la Faculté de Médecine de Nancy. Enfin, nous résumerons l’évolution de l’Anatomie Pathologique au CHU de Nancy.

 

LES EVOLUTIONS DES SCIENCES MORPHOLOGIQUES  MEDICALES

 

A la suite de l’intégration de leurs enseignants dans les CHU, l’Anatomie et l’Histologie ont suivi sensiblement la même évolution. Ces deux disciplines de l’état normal n’ont pas pu créer de nouvelles activités de soins en continuité avec l’enseignement indispensable qu’elles dispensent et ont donc intégré, mais de façon assez ambiguë, d’autres disciplines ayant leurs propres enseignements et recherches. Cette dichotomie leur a été très défavorable puisque leurs enseignants n’enseignent pas ce qu’ils pratiquent quotidiennement dans les hôpitaux mais doivent assumer une énorme charge d’enseignement dans le premier cycle et puisque leurs recherches sont dissociées des soins qu’ils assurent. A terme, ces deux disciplines n’échapperont probablement pas à des restructurations complètes en relation avec l’évolution des sciences morphologiques paracliniques devenues morpho-fonctionnelles dont nous résumerons rapidement les nouvelles caractéristiques.

 

1 - L’évolution de la médecine anatomo-clinique

 

Grâce aux corrélations entre les observations cliniques et les constatations d’abord macroscopiques puis microscopiques, la médecine est passée progressivement d’un « art du soin » à une authentique science anatomo-clinique. Plus récemment, les explorations statiques puis dynamiques des fonctionnements des divers organes et systèmes, associées à des dosages sanguins de molécules de plus en plus nombreuses, ont procuré à la médecine des bases physio-pathologiques d’un très grand intérêt. Un attrait important pour le fonctionnement par rapport à la morphologie a même fait imaginer à certains que l’approche morphologique de la médecine serait rapidement délaissée au profit des fonctionnements macroscopiques, microscopiques et moléculaires normaux et pathologiques. Cette conception de la morphologie comme palliatif d’attente relève du même manichéisme qu’un aphorisme ancien selon lequel, pour pouvoir utiliser les disciplines morphologiques, il suffisait d’apprendre, alors que pour parvenir à se servir des disciplines physiologiques, il fallait comprendre. Penser en ces termes c’est oublier qu’il ne peut y avoir de fonctionnement sans structure et réciproquement qu’une structure n’a d’existence durable que par son fonctionnement normal ou pathologique. A l’échelle de l’ontogenèse puis des renouvellements des tissus jusqu’à la mort, la structure et son fonctionnement sont les deux expressions interdépendantes régies par le code génétique et des processus épigénétiques. Lors de la phylogenèse, enfin, une structure se maintient à long terme si elle fonctionne, devient vestigiale ou disparaît dans le cas contraire et à l’inverse un fonctionnement nouveau n’apparaît que conjointement avec une structure adaptée. De la compréhension de la structure émerge souvent celle du fonctionnement. Mais un même fonctionnement global peut résulter de structures différentes, obligeant, pour beaucoup d’actions thérapeutiques, à nécessairement explorer la morphologie à l’origine de l’état normal ou pathologique. L’approche optimale réside donc dans l’étude morpho-fonctionnelle aux différents niveaux d’organisation macroscopique, microscopique et maintenant moléculaire.

En clinique, jusqu’à récemment encore, les structures morphologiques et les fonctionnements normaux ou pathologiques étaient explorés séparément par des études indépendantes. Désormais, l’examen macroscopique des organes internes, qui échappe de plus en plus à la clinique classique au profit de l’image, est entrepris par l’endoscopie, l’imagerie radiologique, magnétique ou isotopique qui mettent en évidence la lésion mais allie désormais l’analyse de la structure à son fonctionnement par l’imagerie fonctionnelle. De même, l’étude microscopique classique se poursuit maintenant par des explorations histophysiologiques et cytophysiologiques in situ jusqu'au niveau de l’information biologique contenue dans les structures des protéines et des acides nucléiques par l’intermédiaire de l’immunohistochimie et de l’hybridation moléculaire. La morphologie histologique permet de reconnaître le tissu puis ses cellules dont les fonctionnements normaux ou pathologiques sont explorés in situ. Ainsi, l’histopathologiste est devenu un clinicien cellulaire et l’imagier un clinicien d’organes ou de systèmes.  

En quelques décennies, la démarche clinique s’est radicalement transformée et les sens du médecin ont été progressivement remplacés par des outils qui fournissent des images et graphiques de plus en plus nombreux, précis et variés. La morphologie, loin d’être dépassée, est, au contraire, par la fusion de ses composantes statiques et dynamiques, plus que jamais le fondement de tout exercice médical. L’interrogatoire minutieux permet de situer le patient dans son environnement et de faire émerger les signes cliniques ressentis et découverts par le malade, alors que l’examen clinique se limite désormais à la recherche des signes externes ou de possible localisation dans un organe interne. Puis, la biochimie décèle les anomalies des métabolismes de l’organisme entier et ses résultats chiffrés servent de signes aux dépistages d’une ou plusieurs affections. En cas d’infection, la microbiologie recherche l’agresseur éventuel et ses caractéristiques. Enfin, les imageries macroscopiques et microscopiques statiques, qui visualisent la ou les lésions, permettent d’évoquer des diagnostics et les images fonctionnelles associées aux autres informations procurent le diagnostic final. Ainsi, les disciplines biologiques fournissent des résultats, alors que les disciplines morphologiques procurent des diagnostics.

 

2 - Des images visuelles aux images instrumentales

 

Durant toute la période anatomo-clinique classique, les structures morphologiques, tant macroscopiques que microscopiques, ont été observées directement par l’œil humain et, si nécessaire, conservées initialement par le dessin puis par la photographie, d’abord en noir et blanc, puis en couleur. Ces documents, utiles pour la recherche et l'enseignement, ne faisaient que rarement partie de l’observation clinique des patients, seule la description littéraire et les conclusions diagnostiques étaient transmises par le morphologiste aux cliniciens. Cette pratique reposait sur l’observation puis l’interprétation du morphologiste et l’acceptation a priori du diagnostic morphologique par le clinicien. Mais en confrontant ce diagnostic initial avec les constatations cliniques, le clinicien pouvait le valider ou le remettre en cause puis porter avec d’autres analyses le diagnostic définitif.

L’énorme valeur de l’image elle-même pour les transferts des connaissances ou des résultats des observations par rapport à sa simple description s’est rapidement imposée grâce, notamment, à la radiologie. Le gigantesque développement de l’image numérique a ensuite permis de facilement généraliser le transfert des images photographiques ou instrumentales et même de transformer les résultats chiffrés de multiples explorations fonctionnelles en image de synthèse en deux ou trois, voire quatre dimensions, en incluant la couleur, ayant le plus souvent comme structure de fond le corps, un organe, un tissu ou une cellule. Jusqu’alors, l’image du réel, perçu uniquement par l’œil dans le spectre visible, s’est exponentiellement enrichie de multiples images de fonctionnements décelés par des méthodes physiques utilisant tout le domaine du spectre électromagnétique, aux performances et en nombre sans cesse croissants. L’image et son double le modèle sont, en quelques décennies, devenus le mode de présentation des résultats acquis par les sciences physiques, chimiques et biologiques utilisées en médecine. L’image numérique a donc logiquement transformé une partie croissante des pratiques médicales diagnostiques et thérapeutiques en des démarches et raisonnements morphologiques explicites ou implicites.

           

3 - Du regroupement de la morphologie normale et pathologique

 

Au vu de ce bref rappel de l’évolution des Sciences Morphologiques, malgré quelques réticences résiduelles, de nouveaux regroupements disciplinaires s’imposeront. La Biologie du Développement pourrait intégrer tous les aspects du développement normal et pathologique et, en particulier, la pathologie fœtale actuellement rattachée à l’Anatomie Pathologique. L’Anatomie et l’Imagerie pourraient constituer l’imagerie macroscopique normale et pathologique alors que l’anatomie pathologique et l’histologie pourraient devenir la biologie  tissulaire et cellulaire normales et pathologiques. Cette nouvelle nomenclature hospitalo-universitaire cohérente ne ferait d’ailleurs que consacrer une réalité existant déjà. Toutefois, pour ne pas préjuger de l’évolution de ces disciplines, nous limiterons la description des Sciences Morphologiques au CHU de Nancy à celle de la seule Anatomie Pathologique, laissant aux autres sciences morphologiques le soin de présenter leur évolution dans le cadre des autres disciplines avec lesquelles elles se sont associées.

 

L’ANATOMIE PATHOLOGIQUE AU CHU DE NANCY

 

L’évolution de l’Anatomie Pathologique au CHU de Nancy, contrairement à ce qui s’est souvent passé dans d’autres villes, a résulté d’un projet destiné à introduire le maximum de biologie cellulaire en histopathologie pour passer progressivement de l’étude  morphologique classique à l’analyse morpho-fonctionnelle. Ce projet, parce qu’établi en concertation entre tous les hospitalo-universitaires de la discipline, a permis à chacun d’introduire, dans les deux laboratoires de l’établissement, des techniques appliquées ou applicables à l’histopathologie et, ainsi, de mettre à la disposition de tous de nouveaux outils. Nous présenterons d’abord les acteurs de cette très importante évolution puis des considérations générales fondant le projet et enfin les réalisations pratiques

 

1 - Les Hospitalo-Universitaires et Praticiens Hospitaliers de 1970 à 2005

 

Les Professeurs

P. FLORENTIN (1933-70), Chef de service (1942-70), Centre Anticancéreux (décès en 1987)

G. RAUBER (1955-86), Chef de service (1974-86), à l’hôpital de Brabois

A. DUPREZ (1970-2002), Chef de service (1974-99), à l’hôpital Central

J. FLOQUET (1974-98), Chef de service (1986-97), à l’hôpital de Brabois

F. PLENAT (1988), Chef de service (1998), à l’hôpital de Brabois

J-M. VIGNAUD (1990), Chef de service (1999), à l’hôpital Central

E. LABOUYERIE (1999) à l’hôpital de Brabois        

Les Maîtres de Conférences

C. MACINOT (1964-77),  à l’hôpital Central (décès en 1977)

C. MANGIN-CHEVAL (1973-76), à l’hôpital Central (décès en 1998)

F. BOMAN (1995-99) à l’hôpital de Brabois

B. MARIE (1999) à l’hôpital Central

Y. GRIGNON (1999-2004) à l’hôpital Central

L. ANTUNES (2002) à l’hôpital de Brabois

Les Praticiens Hospitaliers

B. AYMARD  (1991-92), à l'hôpital de Brabois

J. CHAMPIGNEULLE (1994) à l’hôpital de Brabois

V. HENNEQUIN (2001) à l’hôpital Central

 

 2 - Considérations générales expliquant la mise en œuvre du projet  

 

Depuis 1970, les techniques histopathologiques ont énormément évolué avec deux importants progrès qui ont transformé l’Anatomie Pathologique : la création de l’immunohistochimie disposant progressivement d’une multitudes d’anticorps sans cesse plus variés et spécifiques d’un épitope d’une molécule ou famille de molécules et l’utilisation in situ de l’hybridation moléculaire des ADN et ARN. L’immunohistochimie permet, par la caractérisation notamment des protéines cytoplasmiques et membranaires, d’explorer de plus en plus de fonctionnements cellulaires. Il est, ainsi, possible d’identifier les cellules par leur morphologie, leur topographie dans les tissus et organes et, simultanément, par leur physiologie ou expression pathologique. L’hybridation moléculaire des acides nucléiques in situ a ouvert l’accès à l’information biologique de chaque cellule normale ou pathologique. Cette évolution continue a radicalement transformé les possibilités diagnostiques de l’Anatomie Pathologique et permis des progrès thérapeutiques considérables, notamment par l’identification de nombreuses affections différentes confondues antérieurement dans des  entités uniques.    

L’Anatomie Pathologique, initialement discipline essentiellement d’observations morphologiques à des grossissements croissants : à l’œil, à la loupe, en microscopie optique et en microscopie électronique, a longtemps utilisé des colorants variés pour caractériser des organites cellulaires et la présence, dans les cellules ou dans la matrice intercellulaire, de quelques familles de protéines, glucides, lipides ou atomes tel que le fer ou le calcium. La multitude des molécules biochimiques différentes produites par la très grande variété de cellules composant l’organisme ne pouvait, toutefois, pas être appréhendée par la seule histochimie qui ne parvient à mettre en œuvre qu’un petit nombre de réactions colorées pour quelques groupes de molécules.

 

L’immunohistochimie, qui correspond à l’utilisation sur les coupes histologiques d’un anticorps, comme détecteur d’un motif antigénique spécifique d’une molécule, lui-même révélé par une réaction colorée, procure un outil universel de caractérisation d’une multitude de substances produites par les cellules des divers tissus de l’organisme. Ainsi, l’état fonctionnel normal ou pathologique, qui peut désormais être aisément exploré par l’immunohistochimie, permet de reconnaître, avec certitude, les cellules par leur fonctionnement, même lorsque leur morphologie n’est pas très caractéristique. L’énorme progrès que constitue l’exploration de l’expression de l’information biologique allie la topographie et le fonctionnement, mais ne renseigne pas sur l’information biologique elle-même qui, par sa perturbation, peut-être la cause de nombreuses affections.

 

L’hybridation moléculaire in situ des ADN et ARN permet d’explorer les diverses étapes conduisant à l’expression de l’information biologique. Toutefois, des contraintes liées à l’étude intracellulaire ont obligé à créer une biologie d’extraction hypersélective, doublée d’une amplification des molécules extraites, par exemple, par la PCR. Ce vaste domaine de connaissances et techniques correspond à la biologie moléculaire qui, de prime abord, peut paraître aux antipodes de la morphologie. La réalité est pourtant toute autre. En effet, comme chaque organisme, organe et même tissu est constitué d’une grande quantité, voire d’une multitude de cellules différentes souvent sous forme de lignées à différentiation en cascades, les explorations de biologie moléculaire au niveau cellulaire autre qu’in situ impliquent la microdissection, donc la reconnaissance morphologique ou selon les cas morpho-fonctionnelle de la ou des cellules à prélever pour les  étudier. Le choix des cellules dont les acides nucléiques sont à analyser est donc la démarche sine qua non, procurant à l’histopathologie la primauté sur toutes autres les techniques qui sont des outils d’autant plus faciles à utiliser qu’ils sont désormais présentés sous forme de kits prêts à l’emploi.   

           

Les explorations morpho fonctionnelles constituent des progrès énormes mais elles correspondent à un constat instantané au moment du prélèvement et ne peuvent pas appréhender la dynamique globale dans la durée que constituent l’histophysiologie et la physiopathologie de toute affection, tant à l’état spontané qu’en cours ou après traitement. Il est donc indispensable de les associer à des modèles expérimentaux in vivo de cette dynamique. Mais la spécificité d’espèce de beaucoup de processus cellulaires normaux et pathologiques oblige à disposer de modèles in vivo constitués par les tissus de la pathologie humaine à étudier sans toutefois, pour des raisons éthiques évidentes, impliquer l’organisme entier de l’homme.

 

Les greffes sur des souris nude de tissus humains permettent de disposer d’un modèle qui répond conjointement aux exigences éthiques et scientifiques, fondements de toute médecine humaine. Ce porte greffe universel, véritable mère nourricière des tissus et micro-organes humains implantés, permet d’utiliser, de façon itérative et sans restriction éthique, toutes les explorations disponibles en clinique et toutes les techniques histologiques évoquées antérieurement, pour étudier les développements normaux et pathologiques des tissus et même des organes embryonnaires provenant d’IVG.

           

3 - La réalisation du projet

 

Les études macroscopiques

 

Elles ont progressivement été très majoritairement limitées, depuis 1985, à celles des pièces opératoires. Les autopsies pratiquées jadis très fréquemment pour comprendre une évolution imprévisible, confirmer ou modifier un diagnostic, sont devenues, pour des raisons indépendantes de la discipline, des pratiques rares, voire exceptionnelles sauf chez les fœtus et nouveaux-nés. Les difficultés liées aux transports sans mise en bière, aux procédures administratives rendues complexes et aux réticences et même, très souvent, à l’opposition catégorique des familles, ont conduit à la quasi disparition de ces activités pourtant scientifiquement très euristiques et cliniquement très utiles pour améliorer les diagnostics et thérapeutiques compliqués. La macroscopie, désormais étudiée par l’imagerie in vivo, après des recherches de corrélations avec des constatations morphologiques lors d’autopsies ou  d’analyses des pièces opératoires, a en partie remplacé les autopsies. Elles sont donc devenues assez marginales à Nancy, comme d’ailleurs dans tous les hôpitaux de tous les pays industrialisés.

 

Les examens microscopiques morphofonctionnels

 

Ils ont en revanche,  pris durant les trois dernières décennies un essor considérable lié aux énormes progrès des connaissances et des techniques, transformant au CHU de Nancy les anatomopathologistes en des histopathologistes presque exclusifs. Durant cette période chaque PUPH a, dans une perspective d’intérêt commun et dans une entente et collaboration remarquable mais avec une spécialisation liée à son cursus hospitalo-universitaire personnel, sans cesse agit pour que l’anatomie pathologique nancéienne soit parmi les plus réputée de France.

Dès les années 1960, l’intérêt du Pr. RAUBER pour la pathologie hépatique dont les altérations morphologiques pouvaient être étudiées grâce aux « ponctions biopsies » qu’il réalisait lui-même en clinique avant de les examiner au laboratoire, ouvrit des perspectives anatomocliniques importantes. Un peu plus tard, son attachement à la pathologie rénale a permis,  avec les Pr. HURIET et BOULANGE, de créer puis de développer la néphrologie au CHU de Nancy et de déjà mettre en œuvre, dans les années suivantes, des techniques immuohistochimiques dans ce domaine. De plus, la création, en 1794, du service de l’hôpital de Brabois et son développement incombant au Pr. RAUBER furent un redoutable défi qu’il a remarquablement relevé.

Un peu plus tard, et avant même que les neurosciences ne prennent l’extraordinaire développement et primauté qui les caractérisent désormais, le Pr. FLOQUET a créé et sans cesse développé une importante section de neuropathologie et de myopathologie. Ses connaissances cliniques en neurologie acquises durant son internat lui ont facilité les nécessaires étroites relations avec les cliniciens pour assurer le développement d’une discipline d’une grande complexité et aux techniques nombreuses, passant de microscopie optique et électronique aux multiples explorations immunohistochimiques. Sous l’impulsion du Pr. FLOQUET, la création du Collège des Pathologistes de Lorraine permit d’instaurer de fructueuses collaborations entre les exercices publics et privés.

Dans les années 1965, j’avais entrepris, avec le Pr. BESSOT, des travaux de recherches pour apprécier, in vivo, la cinétique cellulaire des cancers à l’aide de techniques d’autohistoradiographie après des perfusions de thymidine tritiée chez des patients. Mais l’obligatoire utilisation de précurseurs radioactifs pour étudier la synthèse in situ de l’ADN ne permettait pas d’en faire une exploration clinique de routine. A la fin des années 70, l’apparition, sur le marché, des réactifs d’un anticorps spécifique de l’iododéoxyuracile, homologue de la thymidine mais non radioactif, permettait d’entreprendre, en clinique, de nombreuses études de cinétique cellulaire.

Cette exploration impliquait toutefois la maîtrise de nombreuses techniques immunohistochimiques qui furent introduites à Nancy par deux jeunes assistants de mon service à l’époque, les Dr. PLENAT et VIGNAUD. Ils initièrent un développement considérable et ininterrompu de multiples techniques immunohistochimiques qui ont transformé la pratique de l’histopathologie dans les deux laboratoires hospitaliers du CHU. Les rares techniques immunohistochimiques des années 80, véritables examens complémentaires en histopathologie, sont désormais très nombreuses et correspondent à une démarche quasi systématique de nécéssité pour parvenir à un diagnostic de grande précision indispensable à la clinique.

La découverte des réarrangements, délétions, amplifications de gènes et autres modifications chromosomiques à l’origine de maladies dont le diagnostic était difficile sans une corrélation avec ces anomalies de l’information biologique, incitait à tenter de les mettre en évidence in situ lorsqu’elles se limitaient à un organe ou système de l’organisme. Ceci nécessitait toutefois de créer une structure de biologie moléculaire au CHU de Nancy. Mon élection à la présidence de la CME permit à l’établissement de bénéficier d’un crédit  d’installation spécialement affecté par la DRASS à la création d’un petit laboratoire de biologie moléculaire dont le développement a beaucoup bénéficié de l’important engagement des Pr. PLENAT et VIGNAUD. Malgré, à l’époque, le faible enthousiasme de toutes les disciplines autre que l’Anatomie Pathologique, un Laboratoire Commun de Biologie Moléculaire fut créé dans les locaux de mon laboratoire à l’hôpital Central et géré par lui mais ouvert à toutes les disciplines. La Biochimie s’y intéressa la première puis beaucoup d’autres par la suite. Après mon départ à la retraite et celui du Pr. FLOQUET, une réorganisation des deux laboratoires d’Anatomie Pathologique, convenue entre mes deux élèves les Pr. PLENAT et VIGNAUD, entraîna l’installation de ce laboratoire dans de nouveaux locaux à l’hôpital de Brabois mais toujours sous la responsabilité de l’Anatomie Pathologique. L’adjonction de la microdissection sélective à la biologie moléculaire, dont l’appareillage fut acquis par le laboratoire d’Anatomie Pathologique de Brabois, compléta les techniques d’analyses de l’information biologique cellulaire et permit d’importants développements des explorations, tant pour la clinique que la recherche.

 

L’histopathologie humaine expérimentale et les xénogreffes chez les souris nude

 

Parallèlement aux progrès en histopathologie rappelés précédemment, depuis 1976, un important développement des modèles de greffes de tissus et organes embryonnaires sur des souris nude fut développé dans le Laboratoire d’Anatomie Pathologique de la Faculté. Cette initiative ne fut toutefois possible que grâce à la bienveillance de l’administration du CHU et de ses tutelles qui acceptèrent que mon secteur privé soit effectué dans mon laboratoire universitaire et que mes honoraires soient intégralement versés à l’agence comptable de l’Université pour autofinancer cette recherche pendant 25 ans.

Des greffes de beaucoup de cancers humains différents furent réalisées et permirent d’entreprendre des nombreuses études, sujets notamment de 5 thèses d’université et de nombreuses publications dans de grandes revues internationales. Les premières études de cancérologie expérimentale humaine furent fondamentales, en particulier sur la cinétique cellulaire, la vascularisation, le stroma et le maintien des caractéristiques morphologiques et fonctionnelles des cellules dans le temps au cours des greffes en longues séries de ces divers cancers. Ensuite, d’originales recherches d’imagerie expérimentale, notamment d’IRM et d’écographie des tumeurs cérébrales furent réalisées, en collaboration avec le service de Neuroradiologie. Enfin, d’importants travaux de radio et chimiothérapie expérimentales en oncologie pédiatrique et en neurooncologie, correspondant à des études précliniques, furent entreprises en collaboration avec le Centre Anticancéreux, le service d’Oncologie Pédiatrique et de Neurologie et leurs résultats en partie appliqués en clinique.

Des greffes de beaucoup d’organes et tissus embryonnaires différents provenant d’IVG furent réalisées durant une quinzaine d’années et aboutirent à 3 thèses d’Université et de nombreuses publications dans de grandes revues internationales. Elles permirent, en particulier, d’étudier le développement de l’estomac humain et son histiophysiologie puis, en collaboration avec le service de Bactériologie, d’étudier in vivo des infections expérimentales à Helicobacter pylori et leurs traitements et, enfin, le développement de la rétine humaine en collaboration avec le service de Microscopie Electronique de la Faculté.

Ces xénogreffes microchirurgicales, couplées aux explorations immunohisto chimiques et de biologie moléculaire, sont d’extraordinaires moyens d’études in vivo de la biologie du développement de nombreux organes humains fœtaux. Mais ces xénogreffés sont aussi de remarquables outils d’études expérimentales des organes humains adultes puisque le développement de ces organes embryonnaires chez la souris nude procure des microorganes de quelques centimètres, parfaitement tolérés par l’animal pendant plusieurs mois et ayant toutes les caractéristiques des organes adultes normaux.

 

La poursuite du développement de l’Anatomie Pathologique

 

Les Pr. PLENAT, VIGNAUD et LABOUYRIE, chacun dans leur domaine, poursuivent le développement d’une Anatomie Pathologique morphofonctionnelle et expérimentale en rapide progrès à Nancy et sans cesse davantage au service de la clinique et d’une recherche multidisciplinaire brillante. L’un se consacre plus particulièrement aux modèles animaux, l’autre à la pneumologie, le dernier à l’histopathologie hématologique, tous développent des outils communs gages de progrès et succès pour une discipline en pleine expansion.

 

CONCLUSION

 

Après la physique moderne qui a réduit la dualité matière énergie, les sciences du vivant ont intégré la structure et le fonctionnement dans une catégorie supérieure : l’information biologique. Cette information assure inséparablement à la fois le maintien et la transmission des deux, mais aussi leur évolution simultanée grâce au hasard préservé ou éliminé par la nécessité qu’est la sélection des fonctionnements par l’environnement. L’image numérique, outil né de l’informatique, a non seulement réconcilié la morphologie et la physiologie normales et pathologiques mais permis leur synthèse. Elle a grandement aidé à comprendre que la morphologie n’est que la matière organisée pour la physiologie mais que la physiologie n’est que l’expression rendue possible par la structure adaptée, toutes deux programmées par l’information biologique, elle-même encodée par des morphologies moléculaires multiples interdépendantes. Pas plus qu’il n’y a de soft sans hard et inversement, il n’y a de fonctionnel sans morphologique et réciproquement. L’extrême complexité des fonctionnements du vivant n’échappe donc pas à cette nécessité universelle, même dans sa spécificité humaine hypercomplexe qu’est le psychisme, désormais explorable par les neurosciences, notamment par les techniques non invasives des imageries fonctionnelles.