COLLIN Remy

1880-1957

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Leçon inaugurale

REMY COLLIN par Georges GRIGNON (La lettre du Musée - 2003)

ELOGE FUNEBRE

La Faculté de Médecine de Nancy, qui s'honore, à juste titre, de posséder une Ecole anatomique florissante, animatrice depuis le début du siècle, d'un mouvement scientifique continu, générateur des plus fécondes découvertes dans le domaine de l'Embryologie, de l'Histologie normale et de l'Endocrinologie, voit disparaître avec le Professeur Remy COLLIN, décédé le 2 novembre 1957 après une très courte maladie, un histologiste et un philosophe de grande classe, qui a su, au cours d'une longue carrière universitaire et au delà même de la retraite, s'imposer, malgré les controverses que sou oeuvre a parfois suscitées, à l'intérêt des biologistes du monde entier.

D'autres que moi ont déjà, dans différentes revues, rappelé avec beaucoup de talent, d'émotion et d'érudition, les qualités intellectuelles et morales du Maître dont nous déplorons la perte. Il revient très justement, semble-t-il, pour clore la série de ces éloges, et bien que la tâche qu'il ose assumer aujourd'hui lui paraisse très ardue à celui qui fut, dès la première année du titulariat du Professeur COLLIN, et pendant plus de vingt ans, son collaborateur permanent, de tenter - avec quelle appréhension - d'exposer dans ces modestes pages ce que fut l'oeuvre pédagogique, scientifique et philosophique de l'homme qui a, dans le cadre restreint de la Faculté provinciale à laquelle il demeura toujours attaché, malgré les plus flatteuses sollicitations, si efficacement contribué à la formation scientifique de nombreuses générations d'étudiants et à la constitution d'une jeune équipe, toujours renouvelée, de chercheurs et d'expérimentateurs.

M'adressant à des lecteurs d'une Revue spécifiquement lorraine, et plus particulièrement à des anciens collègues, condisciples et élèves du Professeur COLLIN, il me semble qu'il n'est pas superflu de rappeler quel fut le déroulement de sa carrière universitaire, et de présenter notre Maître sous un aspect plus familier, dans le cadre du Laboratoire d'Histologie où il a effectué toutes ses recherches scientifiques.

Remy COLLIN, issu d'une famille rurale, naquit à Frouard, proche banlieue de Nancy, le 7 juillet 1880. Il aimait à rappeler à ceux qu'il honorait de son affectueuse confiance, les origines terriennes de sa lignée, qu'il poursuivait dans le pays meusien, au travers des générations, jusqu'au début du XVIIème siècle. Elève de l'Ecole Saint-Sigisbert de Nancy où il eut comme plus jeune condisciple le futur Cardinal Eugène Tisserant, il s'inscrivit à la Faculté de Médecine, où il conquit rapidement ses titres universitaives et hospitaliers. Il me souvent que dans ses conversations intimes il m'avait confié, un jour, très simplement, sa vocation première de marin. Et cependant, vraisemblablement, poussé par l'exemple d'un médecin-praticien de sa petite bourgade, pour lequel il avait conservé un véritable culte, le Docteur Baseil, le futur Maître, remarquablement doué, accédait sans difficultés aux postes successifs d'Aide puis de Prosecteur d'Anatomie dans le laboratoire du Professeur Adolphe Nicolas. Cet éminent embryologiste, fondateur de l'Association des Anatomistes, lui fournit le sujet de sa thèse, soutenue en 1907, sujet à la fois d'embryologie et d'histologie, sur le développement de la cellule nerveuse chez l'embryon de poulet. Bien que pourvu d'une solide compétence clinique, que lui conférait le titre d'Interne des hôpitaux, la préparation de ce travail l'avait définitivement orienté vers le laboratoire et principalement vers la recherche histologique. Quelques mois après sa soutenance de thèse, Remy COLLIN se présentait au concours d'Agrégation des Facultés de Médecine, concours alors mixte, commun à l'Anatomie et à l'Histologie. Reçu dans des conditions particulièrement brillantes, il devenait, à 27 ans. le plus jeune Agrégé des Facultés de Médecine françaises. C'est à la faveur du départ simultané pour la Faculté de Médecine de Paris des Professeurs Nicolas et Prenant, que le nouvel Agrégé fut affecté au  Service d'Histologie dirigé par le Professeur Pol Bouin, successeur de Prenant. Il devait effectuer dans ce laboratoire, alors équipé de la façon la plus sommaire, toute sa carrière universitaire, et c'est dans ce même cadre qu'il poursuivit avec une inlassable ténacité les recherches qui ont consacré sa notoriété scientifique.

Quelques années avant la première guerre mondiale, le jeune agrégé d'Histologie, avec le souci très louable d'assurer un avenir qui s'avérait très incertain - les Agrégés des Facultés de Médecine n'étaient nommés que pour neuf ans - ouvrit pour peu de temps un cabinet professionnel où il se consacra aux maladies du système nerveux. C'est alors que le conflit de 1914 suspendit momentanément sa carrière universitaire, et lui donna l'occasion de se soumettre pendant quatre années consécutives et sans défaillances, aux pénibles besognes de médecin régimentaire, accomplissant ses fonctions périlleuses avec un courage et une sérénité qui lui valurent l'attribution de la Croix de Guerre, de la Croix de la Légion d'Honneur, puis de la Croix du Combattant et de la Médaille de Verdun.

Le Professeur COLLIN reprit fin 1919, après sa démobilisation, son enseignement à la Faculté de Nancy. A la suite du départ du Professeur Pol Bouin, affecté à la Chaire d'Histologie de la Faculté de Médecine de Strasbourg redevenue française, il prenait possession en 1920 de la Chaire d'Histologie de Nancy qu'il devait illustrer pendant plus de trente ans par son enseignement et ses recherches. En septembre 1939, toutefois, il réendossait l'uniforme de Médecin militaire et était affecté comme Médecin-Chef de l'Hôpital Complémentaire de Contrexéville. Aussitôt après sa démobilisation, il reprenait, tout d'abord privé de personnel, son enseignement et ses recherches momentanément abandonnées. C'est dans son laboratoire d'Histologie qu'il atteignit l'âge de la retraite universitaire en 1952. Néanmoins, cette suspension officielle de sa carrière d'enseigneur ne devait pas mettre un terme à son activité scientifique et c'est dans un local de son ancien Service, obligeamment mis à sa disposition par son successeur, le Professeur Etienne Legait, qu'il continue avec J. Barry ses recherches de neuro-endocrinologie, préoccupé qu'il était encore, à la veille de sa mort, de mettre au point cette passionnante question de la neurocrinie hypophyse-thalamique, au développement de laquelle il avait si puissamment contribué au cours de toute son existence de chercheur.

Le Professeur COLLIN était doué de qualités pédagogiques indiscutables. Admirablement servi par une très riche culture littéraire - les oeuvres des auteurs latins et grecs n'avaient pour lui pas de secrets - il maniait notre langue avec une très rare distinction d'expression. Pour lui, tout substantif avait sa signification précise, et il faut l'avoir vu contrôler dans ses plus minimes détails un texte de communication présentée par un de ses collaborateurs pour comprendre quel était son souci de l'exactitude dans la manifestation verbale d'une pensée ou le développement d'une argumentation scientifique. Tous ses élèves se souviennent, sans doute, de son enseignement didactique. Il avait adopté de son Maître prenant l'heureuse initiative - qu'ont du reste conservé ses élèves - de préparer, avec chaque cours, pour ses auditeurs, un tableau où ils trouvaient un plan détaillé de la question qui devait être traitée, résumé périodiquement mis à jour et dans lequel il tenait à signaler avec un souci scrupuleux de la propriété scientifique, les plus récentes découvertes et le nom de leur auteur. Ces leçons firent du reste l'objet d'ouvrages didactiques destinés aux étudiants (Leçons détaillées dans le Bulletin du Laboratoire d'Histologie, 1928-1931 ; Leçons élémentaires sur l'Anatomie Générale du Système Nerveux, 1932 ; Leçons sur les récepteurs de la sensibilité, 1935). Doué d'un sens artistique indéniable (ses collections d'aquarelles personnelles en témoignent) il illustrait ses leçons de la manière la plus heureuse, soucieux de présenter aux élèves des dessins se rapprochant au maximum de la réalité microscopique. Rares sont les étudiants en Médecine qui n'ont su apprécier son talent d'enseigneur et sa rigoureuse conscience dans l'exercice de ses fonctions professorales.

L'orientation des recherches du Professeur COLLIN a, sans doute, été déterminée par son indiscutable attrait pour l'Anatomie et l'Histologie du Système nerveux, sujets qu'il avait contribué à mettre an point, comme jeune Professeur, en collaborant au Traité d'Anatomie de Poirier, Charpy et Nicolas (L'Oreille interne 1912 ; Histologie générale du système nerveux 1921). Cette documentation très poussée sur un objet qui fut durant toute son existence sa préoccupation essentielle, l'avait tout naturellement conduit à orienter dans ce domaine jusqu'alors insuffisamment exploré, les recherches morphologiques et expérimentales qu'il devait poursuivre au cours de toute sa carrière. Ses Maîtres Ancel et Bouin venaient d'inaugurer la Science des Hormones en publiant leurs premiers travaux sur l'histophysiologie des glandes génitales, Prenant lui-même avait soupçonné la signification endocrine du corps jaune de l'ovaire. Le jeune Professeur était donc tout préparé à continuer l'oeuvre de ses prédécesseurs en abordant ses recherches sur la cytologie de la glande pituitaire dont les premiers éléments firent l'objet de la thèse de J. Baudot, son préparateur, en 1922. Il décrit ensuite le cycle sécrétoire de la cellule hypophysaire, son mode de régénération, les modalités de la sécrétion hypophysaire et les diverses voies d'excrétion de la substance colloïde dont il reconnaît le cheminement progressif au travers du lobe nerveux jusqu'au niveau des noyaux de l'hypothalamus (neurocrinie), et son déversement dans le liquide céphalo-rachidien (hydrencéphalocrinie) et le sang veineux du système porte-hypophysaire (hémoneurocrinie). Les relations de la substance colloïde avec les cellules nerveuses et névrogliques lui apparaissent des plus étroites et l'incitent à penser que celte substance, qui véhicule les principes des hormones pituilaires, intervient dans l'histo-physiologie des noyaux du tuber cinereum. Les images qu'il relève lui permettent de supposer que le complexe tubéro-infundibulo-pituitaire s'explique d'une manière satisfaisante et que l'hypophyse, considérée peu de temps auparavant connue une « ruine névroglique » devient le type même des glandes endocrines. Il va sans dire que ces travaux suscitèrent le plus vif intérêt dans le monde des histophysiologistes et qu'ils eurent une portée considérable. Confirmée par quelques histologistes chez les Mammifères et les Vertébrés inférieurs, la neurocrinie hypophysaire expliquait dans une certaine mesure les propriétés hormonales reconnues à la neurohypophyse et au plancher du 3ème ventricule (action ocytocique, action mélanophoro-dilatatrice).

Dès 1932, l'équipe des chercheurs du  Laboratoire d'Histologie de Nancy poursuit inlassablement son but qui est de préciser le rôle joué par l'hypophyse dans la régulation hormonale, et de définir les corrélations endocrines de la glande pituitaire. Avec J.  Watrin, P-L. Drouet, P. Florentin, F. Stutinski, M. Weis, P. Grognot, Th. Fontaine, S. Besson, le Professeur COLLIN cherche à préciser la place occupée par l'hypophyse dans le déroulement des phénomènes hormonaux. Une glande endocrine ne peut, en effet, être considérée comme isolée dans l'organisme : elle déclenche par ses principes actifs toute une cascade de modifications tissulaires et en particulier influence le système hormonogène tout entier.  La  question  des  interactions hormonales devenait dès lors la préoccupation majeure des chercheurs du  laboratoire.  La notion des « stimulines »,  déjà émise et vérifiée par quelques auteurs, devait être renforcée et amplifiée par les patientes recherches du  Professeur  COLLIN  et de ses élèves, de même que s'édifiait cette   nouvelle branche de la science  morphologique  et  expérimentale  qu'est la neuro-endocrinologie.

Les recherches de ce genre nécessitant une très forte documentation, M. COLLIN n'hésita   pas à consacrer une partie de son temps à une prospection bibliographique et à la rédaction d'un volume de 350 pages, intitulé  « Les Hormones », dont la première édition parut en 1938, et qui a connu une importante diffusion dans le monde scientifique. La notion d'endocrinologie, conçue à la manière de Claude Bernard,  se développe et se précise ; « l'idée mère de l'endocrinologie, à savoir que les stimulations hormonales sont transmises aux organes effecteurs par voie sanguine est toujours valable et mérite d'être conservée, mais elle est trop simple. L'organisme vivant, en effet, est un tout  dont  les parties sont solidaires et  de   nombreux faits montrent que les régulations nerveuses sont liées aux régulations hormonales, et inversement ».

En 1944, le Professeur COLLIN publie un volume de 530 pages sur l' « Organisation nerveuse », ouvrage réédité en 1949 et dans lequel il met au point, dans une lumineuse synthèse, nos connaissances sur l'Anatomie, l'Histologie et l'Histophysiologie du Système nerveux. Le Congrès de l'Association des Anatomistes qui se tint à Nancy en 1951 devait permettre au Maître, sur le point de prendre sa retraite, de « faire le point » de la question de la neurocrinie hypophysaire et de développer dans un rapport très circonstancié l'ensemble de ses travaux et de ceux de ses principaux collaborateurs.

Néanmoins, cette question fondamentale de la neurocrinie hypophysaire, conçue comme un cheminement des principes hormonaux de la glande vers les neurones du plancher du 3ème ventricule, devait évoluer par la suite et se compliquer étrangement. La controverse née dès 1936 entre le concept de neurocrinie hypophysaire tel que l'imaginait l'école de Nancy et celui de la sécrétion neuronale proprement dite, développée par Scharrer, Roussy et Mosinger, devait entraîner le Professeur COLLIN à reviser une notion qui s'avérait trop étroite et à reconnaître que l'action des hormones se compose, dans toutes sortes de circonstances, et par différents mécanismes, avec celle du système neuro-végétatif et cérébro-spinal. Bien loin de persister dans son idée première, il contrôle et adopte ces vues nouvelles, et poursuit de nouvelles recherches dans ce sens. L'essentiel de cette conception remaniée, qui élargit considérablement la notion de neurocrinie, née de la découverte de la glande nerveuse diencéphalique par Scharrer, fut l'objet d'un rapport à la IVe Réunion des Endocrinologistes de langue française tenue à Paris en juin 1957.

L'auteur, avec J. Barry, considère qu'au niveau de la glande diencéphalique se trouvent associées les structures spécifiques des neurones végétatifs centraux et des structures glandulaires proprement dites, les neurones crinophores de la glande diencéphalique étant divisés en deux groupes : un groupe hypophysaire et un groupe extrahypophysaire. Cet élargissement considérable apporté à la conception de la neurocrinie pituito-hypothalamique, telle que l'avait exprimée dès 1923 le Professeur COLLIN, n'en laisse pas moins subsister l'immense portée des travaux du Maître nancéien auquel revient de mérite incontestable d'avoir créé cette branche très féconde de l'endocrinologie, la neuroendocrinologie, actuellement en plein essor, et à laquelle l'équipe actuelle des chercheurs du Laboratoire d'Histologie de la Faculté de Médecine de Nancy, sous la direction du Professeur E. LEGAIT, apporte chaque jour de nouvelles et intéressantes contributions.

Pour celui qui a collaboré pendant vingt années aux différentes recherches du Professeur COLLIN, il apparaît presque inconcevable qu'une telle somme de travaux scientifiques ait été fournie par la même petite équipe, avec les faibles moyens matériels mis à la disposition du Laboratoire. Dans des locaux modestes, sans personnel auxiliaire, avec la lourde charge de ses fonctions professorales et du Secrétariat de l'Association des Anatomistes, le Professeur COLLIN a réalisé une oeuvre scientifique et philosophique dont la notoriété a de beaucoup dépassé les limites de notre pays.

Car le chercheur de laboratoire se doublait d'un philosophe et d'un humaniste dont les publications nombreuses, qu'il s'agisse de volumes, de notes succinctes ou de conférences, ont connu les louanges du public cultivé et suscité parfois d'assez violentes controverses. C'est en 1925 que paraît un premier ouvrage intitulé « Physique et Métaphysique de la Vie », dans lequel il prend nettement position, comme biologiste, en se déclarant partisan convaincu de la théorie animiste, qui, pour lui, « ne sépare pas la matière de la forme ou la forme de la matière... Le Savant animiste croit au progrès scientifique indéfini parce qu'il sait que le champ de la recherche des relations spatiales est pratiquement illimité, mais il croit aussi à la vie morale, parce que dans la vie organique la plus humble, il découvre, ébloui, la fécondation magnifique de la matière par l'Esprit ».

Cette profession de foi résumait par avance toute son oeuvre philosophique et sa position intellectuelle affirmée dans les ouvrages qu'il a successivement publiés. En 1926, il fonda, avec Roland Dalbiez, la Société de Philosophie de la Nature, qui groupait des biologistes et des philosophes de tendances analogues et qui édita plusieurs « Cahiers », dans lesquels nous trouvons des articles signés de savants finalistes : Lucien Cuénot, Louis Vialleton, Elie Gagnebin, W-R Thompson, Hans André et de philosophes spiritualistes : Roland Dalbiez, Jacques Maritain. Ces cahiers ne reflètent pas une doctrine officielle touchant la psychologie et la biologie animale, mais on y sent circuler au moins une idée commune, à savoir que les actions des animaux et le comportement de la matière vivante, transcendent la mécanique. La Société de Philosophie de la Nature, qui par ses publications exprimait en son temps un courant d'idées opposé aux théories purement mécanistes de l'univers vivant, devait cesser ses travaux fin 1938.

Les ouvrages du Professeur COLLIN s'échelonnent alors régulièrement : Message social du Savant (1941), Les deux Savoirs (1946), Mesure de l'Homme (1948), Plaidoyers pour la vie humaine (1952), ce dernier livre réunissant des sujets de conférences et des articles parus dans diverses revues scientifiques et médicales. Dans ces ouvrages, il tentait de défendre la dignité humaine menacée dès le début du siècle par des idéologies positivistes contre lesquelles se révoltait sa conscience de chrétien convaincu. Néanmoins il me semble qu'un petit livre, paru en 1945, extériorise au mieux la sensibilité de notre Maître, quand il expose, dans « Panorama de la Biologie », ouvrage destiné aux jeunes qui se sentent attirés vers la carrière de chercheur, quel est le domaine de la Science à laquelle ils désirent se consacrer. Il y expose dans une analyse particulièrement heureuse quels sont les différents aspects de la Biologie : une Biologie concrète, utilisant les procédés des Sciences Physico-Chimiques et montrant que l'organisme vivant obéit à des lois analogues à celles qui régissent la matière inerte, une Biologie théorique, groupant les différentes hypothèses sur l'origine des êtres vivants et les mécanismes de l'évolution, une Biologie philosophique, terme transcendant de ces étapes auquel aboutissent en général la plupart des chercheurs convaincus. C'est à ce propos que le Professeur COLLIN exprime de la manière la plus formelle la position qu'il a adoptée en se ralliant à la doctrine néothomiste, issue elle-même de la doctrine d'Aristote : la vie, explicable en partie par des phénomènes physico-chimiques, possède en réalité son autonomie et sa finalité.

Et ce petit volume se clôt par un chapitre où il traduit avec beaucoup de sensibilité comment lui apparaît la vocation de biologiste. S'adressant à de futurs étudiants en Médecine, il leur montre quelles sont les qualités foncières du chercheur et quelles joies leur réserve, malgré les déceptions inévitables, la carrière qu'ils ont choisie. Nous trouvons là des pages d'une très haute élévation de pensée, que nous ne saurions comparer, dans leur saisissante beauté, qu'à celles  de  Pierre Termier, dans « La Vocation de Savant ».

L'oeuvre sociale du Professeur Remy COLLIN n'est pas moins importante que son oeuvre scientifique et philosophique. Mais elle est beaucoup moins connue du public. Persuadé que la condition des travailleurs et leur niveau moral sont intimement liés au problème de l'habitat, il avait coopéré dès 1919, avec le Chanoine Thouvenin, à la création d'une Société d'Habitations à bon marché, dont le but était de permettre à la population ouvrière d'accéder à la propriété. L'attrait de la politique ne l'avait jamais séduit. Et cependant, il avait accepté, pendant l'occupation allemande, la charge momentanée de Conseiller municipal de la Ville de Nancy, il va sans dire que cette fonction, qu'il n'avait considérée que comme un moyen de rendre service à ses compatriotes dans des circonstances difficiles, lui valut, le moment venu, d'injustes insinuations qui, du reste, n'altérèrent jamais sa sérénité. Ajoutons enfin qu'il présidait la section locale des Anciens Combattants de Frouard et ne manquait pas, à chaque anniversaire de l'Armistice de 1918, d'exalter les vertus foncières de son pays et de revivifier le courage civique de ses concitoyens.

Les honneurs officiels qui lui furent décernés au cours de sa carrière ont été presque ignorés, même de ses intimes. Officier de la Légion d'Honneur depuis 1939, titulaire de décorations étrangères, Commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand (il avait présidé le Comité d'organisation du Congrès Eucharistique de Nancy en 1949), toutes ces distinctions furent reçues par lui avec satisfaction certes, mais il n'en tirait aucune vanité. Membre correspondant de l'Académie Nationale de Médecine, Secrétaire Général de l'Association des Anatomistes, il présida à Paris en juillet 1955 le VIe Congrès International d'Anatomie. Déjà sérieusement touché dans sa santé, il se démit de ses fonctions et confia au Professeur A. BEAU, la tâche difficile de Secrétaire qu'il avait assumée sans défaillances, pendant trente ans, avec un dévouement auquel ses Collègues ont à plusieurs reprises rendu un légitime hommage.

Notre Maître nous a quittés, en un matin de novembre, sans que l'âge ait altéré sa lumineuse intelligence et sa prodigieuse activité. Nous avions coutume de le retrouver à toutes les manifestations publiques intéressant notre Faculté de Médecine, aux séances de l'Académie de Stanislas, aux réunions du Conseil de la Faculté. Et c'était pour lui l'occasion de nous entretenir de ses recherches et de ses projets de travail. Nous le sentions encore très proche de nous et toujours prêt à nous fournir les plus judicieux conseils.

Ses obsèques furent l'objet d'une manifestation officielle à laquelle participèrent, à côté du Recteur et du Conseil de l'Université, les Membres de la Faculté de Médecine et plusieurs délégués de Facultés françaises et étrangères. Un seul discours fut prononcé : Mgr Huet, représentant Mgr l'Evêque de Nancy, tint à apporter au disparu l'hommage réservé au chrétien qui avait donné à ses compatriotes, au cours de sa carrière de Médecin et de Savant, l'exemple d'une conscience droite, d'une foi profonde et des plus belles vertus professionnelles.

Je voudrais que cet hommage bien imparfaitement exprimé, hélas, que j'ai tenu à rendre à celui qui inspira et guida ma carrière scientifique, dans une atmosphère toujours empreinte de la plus amicale compréhension, fût pour sa veuve et ses enfants, l'expression sincère de mon infinie tristesse et de mon indéfectible affection.

Professeur P. FLORENTIN