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Editorial

par P. CHALNOT

 

 

Notre journal a fêté le 1er janvier 1974 le centenaire de sa fondation. Et ces cent ans, le siècle qui vient de s'écouler, correspondent à l'extraordinaire développement des sciences biologiques et médicales. On s'en aperçoit vite en feuilletant le Tome 1 de la « Revue Médicale de l'Est », ancêtre des Annales médicales de Nancy.

En effet, la création d'un journal médical à Nancy fut la conséquence naturelle de l'établissement d'une Faculté de Médecine dans cette ville.

Après la défaite de 1870 et le démembrement qui prit à la France, Strasbourg et Metz, la capitale de la Lorraine, Nancy, resta le principal centre scientifique et littéraire de l'Est de la France.

C'est le 21 mars 1872 que l'Assemblée Nationale votait le transfert à Nancy de la Faculté de Médecine et de l'Ecole supérieure de Pharmacie de Strasbourg. Il faut rappeler, qu'à cette époque, il n'y avait en France que trois Facultés : Paris, Montpellier et Strasbourg. C'est dire qu'un sort privilégié fit de Nancy la troisième faculté de médecine en remplacement de l'Ecole préparatoire de médecine et de pharmacie.

La « Gazette Médicale de Strasbourg » avait, jusque là, survécu à la conquête mais il devenait impérieux, en cas de disparition de cette dernière, de permettre au corps médical de s'exprimer. C'est ainsi que fut fondé le nouveau journal dont le premier comité de rédaction fut présidé par M. Stoltz, doyen de la Faculté de Médecine de Nancy et le rédacteur en chef, le docteur F. Gross alors agrégé. Ce dernier qui dirigea notre journal jusqu'en 1878 devait devenir doyen et vivre jusqu'à un âge avancé. Nous avons le souvenir de sa silhouette menue et distinguée, sillonnant à petits pas les rues de la capitale lorraine.

Il existait déjà à Nancy plusieurs sociétés savantes. La société de Médecine, qui avait généreusement offert l'hospitalité aux membres de la Société de Médecine de Strasbourg et de Metz, confia dès le début la publication de ses procès-verbaux et de ses mémoires à la revue. Son histoire a été reconstituée et présentée dans une très jolie plaquette due à la plume de notre collègue Streiff.

L'histoire de la revue est intimement liée à celle de la Société de Médecine dont elle est l'organe d'expression scientifique en même temps que celle de nos facultés. Il existait même des conventions financières entre la Société et la revue fixées par le docteur Gross, dès le 9 février 1876.

Les rédacteurs furent successivement, le professeur Heydenreich, futur doyen également, de 1879 à 1891, puis le professeur Schmitt jusqu'en 1891.

Pendant plus de 20 années, de 1892 à 1914, le professeur Pierre Parisot présida aux destinées de la revue. Doué d'une autorité indiscutable le maître, assisté de son fidèle Morin, parcourt à grands pas l'Amphithéâtre de médecine légale. Veston noir et manchettes empesées, il a ajusté son binocle, soutenu à la boutonnière par le cordon de soie noire à droite faisant pendant à la rosette rouge à gauche. Le visage coloré, encadré de deux mèches blanches et triangulaires, le bras gauche derrière le dos, la respiration légèrement haletante, la voix entrecoupée, il campe d'un geste tranchant de la main droite la silhouette du pendu blanc ou bleu, objet de la leçon du jour. Puis, à sa table de travail, faisant suite aux expertises documentées ce sont ses mains vigoureuses qui portent la revue à bras le corps jusqu'en 1914.

Puis ce fut la guerre. Si elle n'entraîna pas de suspension de séances de la Société de Médecine, elle interrompit la publication de la « Revue Médicale de l'Est » de 1915 à 1919.

La tourmente passée, le professeur Georges Etienne prit en charge la revue qui porta alors un sous-titre : « Bulletin de la Société de Médecine de Nancy ». Ce fut alors l'érudition souriante qui illumina l'atmosphère de la rédaction. Au milieu des livres et des revues qui s'accumulaient sur la table de travail, jusqu'à une heure tardive de la nuit, le nouveau rédacteur fit de la revue le reflet de l'activité médicale la plus avancée. Mais le tumulte des idées quotidiennes, l'évocation avec son élève Drouet des problèmes d'actualité les plus délicats ne résolvaient pas toujours les questions pratiques. Les articles étaient émaillés de coquilles typographiques. Le télescopage des signes réalisait souvent des mots « curieux » comme disait le « patron ». Ceci ne manquait pas de susciter la verve de certains chefs de cliniques ou internes studieux, capables de réciter par cœur Anatole France et dont la critique amusée s'exerçait sur ces « néologismes » intempestifs avec l'irrévérence très mesurée de l'époque.

Le professeur Etienne dirigea le journal jusqu'à sa mort en 1936.

C'est alors le professeur Hamant qui prit la relève avec l'aide d'un nouveau comité formé d'un certain nombre de collègues de la Faculté et des Hôpitaux dont les professeurs Mutel, Florentin, Thomas et moi-même.

Le titre devint alors : « Revue Médicale de Nancy ».

A cette époque, la situation financière de la revue n'était pas brillante. A la mort du professeur Etienne le journal ne paraissait pas régulièrement, il existait un passif important, le déficit allait croissant. Mme Etienne en combla une partie et M. Hamant réussit à augmenter progressivement les recettes et à aboutir à un équilibre financier.

En 1939 la revue, grâce à ses efforts et à ceux du comité, possédait une trésorerie florissante, malheureusement pour peu de temps. Pendant la guerre, lus exigences de l'autorité occupante furent telles que le professeur Hamant préféra supprimer purement et simplement la revue, ce qui coupa court à bien des difficultés.

Dès la Libération, pour pouvoir paraître, il fallut obtenir à nouveau l'autorisation gouvernementale. Par bonheur, le Commissaire de la République à Nancy, était à l'époque, notre collègue Chailley-Bert. Il facilita considérablement la parution et simplifia les démarches. Mais il fallait à nouveau réorganiser la revue. Le professeur Hamant s'attela à cette tâche ingrate : trouver des annonceurs et stimuler la publicité. Grâce à ses efforts et à ceux de l'imprimeur M. Thomas, le journal put reparaître en augmentant progressivement son tirage.

Le jeudi 7 mars 1962 désirant résilier ses fonctions, M. Hamant réunit le comité de la « Revue Médicale de Nancy » à la clinique chirurgicale A du Centre Hospitalier. Il demanda aux membres présents à cette réunion d'être déchargé de ses responsabilités et de me confier la rédaction du journal.

A ce moment, l'état de la revue était des plus florissants. Elle paraissait en un nombre d'exemplaires permettant de toucher tous les départements de la région sanitaire et les pays limitrophes (Luxembourg en particulier). Elle était envoyée à toutes les Universités de France et diffusait ainsi les travaux de la Faculté et des Hôpitaux de Nancy par l'intermédiaire de ses articles originaux et des comptes-rendus de la Société de Médecine. En échange, du reste, elle recevait des publications venant quelquefois de très loin. Il suffit, pour en avoir une idée, de savoir qu'elle touche actuellement 25 pays étrangers de te nés les parties du monde : Europe, Afrique, Amérique du Nord et du Sud, Asie et, Japon, etc. Ses articles sont analysés dans les journaux russes et nous en recevons régulièrement les comptes-rendus.

C'est donc bien volontiers que j'acquiesçai à l'honneur qui m'était fait en reprenant la direction du journal. Depuis et pendant longtemps, M. Hamant m'a prodigué ses conseils ; étant son élève, je connaissais son dynamisme que rien n'arrêtait et ses qualités d'organisation.

La tâche m'était donc facile mais je n'ai accepté cette responsabilité qu'autant que je pourrais être entouré de certains secours très importants et, en particulier, de celui d'un collaborateur immédiat. Dans cet esprit et en parfait accord, nous avons demandé au professeur Larcan de nous seconder dans une tâche difficile. Avec l'enthousiasme que nous lui connaissons il est devenu la cheville ouvrière du journal depuis cette époque. C'est pour moi un très agréable devoir aujourd'hui de le remercier bien vivement d'une collaboration efficace, judicieuse, désintéressée et qui ne m'a jamais fait défaut.

Je me suis efforcé personnellement de faire honneur au travail commencé par mon maître en améliorant encore les qualités de la revue et en faire un organe digne de la pensée et de l'enseignement médical de Nancy. Ce périodique est, en effet, essentiellement le reflet de l'activité de la Faculté et du Centre Hospitalier, sans que pour autant les travaux des médecins de la région n'y trouvent place.

Le journal a conservé, du reste, un caractère général. « L'éminence même d'un spécialiste le rend plus dangereux » a dit quelque part Alexis Carrel. On y trouve des articles originaux et des articles critiques personnalisés renseignant le praticien en quête de données précises et sûres, déjà confrontées avec la réalité clinique. Dans cet esprit, j'ai souvent demandé aux auteurs, hautement qualifiés, d'éviter des développements techniques qui trouvent leur place dans des revues plus spécialisées.

En contre-partie, je demande à chacun des praticiens qui désirent diffuser leurs travaux ou préciser leur conduite thérapeutique de nous le faire savoir. Ils trouveront toujours le meilleur accueil et nous ferons tout notre possible pour leur donner la plus large audience.

Vous connaissez les difficultés de la presse médicale qui s'insèrent, du reste, dans un contexte économique qu'il n'est pas de ma compétence d'analyser. J'avoue personnellement, depuis plus de 10 ans que j'assure la rédaction du journal, avoir traversé des épreuves difficiles, tant en ce qui concerne l'impression que les rentrées de publicité. En effet, un journal d'une certaine importance ne peut être prospère sans rentrées financières suffisantes. Se gestion est actuellement d'une extrême complexité. Des dispositions légales récentes concernant les abonnements et les taxes ont encore compliqué le problème. Nous avons pu, grâce au concours d'un certain nombre de personnalités que je remercie, passer ce cap difficile.

Actuellement, tant par le contenu du journal que par la présentation, nous avons l'impression de tenir une place honorable parmi les journaux français de province les plus florissants.

Lorsque M. Larcan m'a parlé de la rédaction de ce numéro du « centenaire » je l'avais envisagée sous un jour plus modeste. Il m'a fait de suite un brillant exposé de l'éclat qu'il lui semblait souhaitable de donner à cette manifestation. Il m'a vite convaincu lorsqu'il a bien voulu se charger lui-même de la recherche des documents, de la mise en page et de la répartition des articles, gardant pour lui la tâche la plus lourde, celle dont une petite partie seulement émerge à la surface. Qu'il en soit remercié du fond du cœur.

Ma reconnaissance ira ensuite à tous les collègues qui ont bien voulu participer à cette magnifique évocation du passé de la revue et au rappel historique de notre Faculté. Sans eux, sans leurs souvenirs personnels, il eut été impossible d'embrasser un tel panorama et rappeler ces cent années de vie médicale lorraine.

M. Larcan se joint à moi pour exprimer notre gratitude à notre éditeur, M. Tridon, qui a fait un effort particulier pour la réalisation de ce numéro, aux Etablissements Eblé et spécialement à M. Grosdidier, notre imprimeur, à notre dévouée secrétaire Mlle Coccio. C'est grâce à eux que l'exemplaire 1874-1974 vous est adressé sous un aspect aussi somptueux.

Mais le sage est de ménager du temps et des paroles.

Merci à tous ceux qui depuis cent ans firent naître et grandir la revue, à tous ceux petits et grands qui la font revivre chaque mois et qui continueront, j'en suis sûr, à assurer sa prospérité et son succès.