` sommaire

L'école gérontologique nancéienne (1878-1913)

 

R. HERBEUVAL et A. LARCAN

Annales Médicales de Nancy – 1975 – 14 – pp 17-39 (Références dans cet article)

 

Puisque la gérontologie, après avoir subi quelque éclipse entre les deux guerres, est à nouveau au premier plan des préoccupations médicales, il est bon de rechercher la contribution importante de l'Ecole française à l'étude du vieillard sain et du vieillard malade. Deux importants traités français (BINET, DE GRAILLY) viennent de combler récemment le retard de notre Nation. Mais il faut bien reconnaître, avec une certaine tristesse, que ces traités, s'inspirant probablement des récents traités anglo-saxons, italiens, allemands ou hollandais, sont muets ou presque sur l'apport des gériatres français d'autrefois. C'est là une injustice flagrante car les cliniciens français, à l'aide de la méthode anatomo-clinique de LAENNEC, avaient exploré d'une façon particulièrement fouillée cette tranche de vie si spéciale que constitue la vieillesse. Certes, l'aspect biodynamique et les différents aspects thérapeutiques ou sociaux occupent actuellement l'attention des chercheurs. Mais les gériatres actuels peuvent se reposer tranquillement sur les données anatomiques et cliniques, fruit de patientes et minutieuses recherches de leurs prédécesseurs. Parmi toutes les Ecoles françaises, l'Ecole de Nancy occupe à ce sujet une place d'honneur. Il nous a semblé qu'elle n'était pas toujours suffisamment connue et appréciée : or, il nous est apparu que l'apport gérontologique nancéien est considérable, et il est facile de s'en rendre compte à la lecture des traités, des thèses et articles écrits par les Maîtres nancéiens ou leurs élèves. En 1913, PIC et BONNAMOUR pouvaient écrire un traité, encore classique, des maladies des vieillards, afin de remplacer les traités périmés de RAUZIER et de DURAND-FARDEL. On note facilement à la lecture de cet ouvrage didactique, forcément incomplet, la très importante contribution lorraine. C'est celle-ci que nous voulons analyser, en présentant brièvement les lieux de recherche, les Chefs d'Ecole, ensuite et de façon plus détaillée leur œuvre si riche et si variée.

 

LES  LIEUX   DE  RECHERCHE

L'activité gériatrique s'est essentiellement concentrée à l'Hôpital Saint-Julien. Au moment de l'installation de la Faculté de Médecine, succédant à l'Ecole de Médecine, en 1872, il s'agissait encore du vieil Hospice Saint-Julien, construit en 1588, en remplacement d'une Maison hospitalière placée sous le patronage de Saint Julien, et fondée en pleine ville vieille en 1335. Le second Hospice Saint-Julien occupait l'emplacement actuel de l'Hôtel des Postes. Au début de son fonctionnement, il recevait les fous, les infirmes, les enfants. Mais depuis 1809, il ne recevait que les vieillards et les infirmes. Les Sœurs de Saint-Charles possèdent la direction de l'établissement depuis 1702. L'histoire, souvent pittoresque de cet Hospice, a été très bien analysée par PFISTER, et finement racontée par PILLEMIN. La nécessité de places de plus en plus nombreuses apparaît clairement dans le rapport d'Emile DEMANGE (1887) qui, à côté de principes toujours valables concernant l'hospitalisation des sujets âgés, nous donne un aperçu de l'activité de Saint-Julien. L'hospice comportait 275 lits occupés en permanence, et il y avait, nous dit-il, 40 postulants pour une place.

Dans ce cadre ancien, mais attachant, un enseignement de clinique des maladies des vieillards fut donné d'abord de façon non officielle par Charles DEMANGE. Mais le Cours complémentaire de Clinique des Maladies des Vieillards n'a été instauré qu'en 1878 (1er novembre), et l'Agrégé Emile DEMANGE en fut chargé. Dès lors, des études anatomiques et cliniques concernant le vieillissement parurent régulièrement dans la presse locale et nationale.

Les autopsies étaient alors pratiquées de façon systématique, et on en faisait jusqu'à 70 par an. Mais l'Hospice était destiné à disparaître, et les étudiants ne purent plus fréquenter la salle basse, mal éclairée et inconfortable. Le nouveau titulaire du cours, le professeur Agrégé P. PARISOT, nommé en 1889, procède an transfert de la clinique dans les nouveaux locaux, qui n'ont pas changé depuis. Un important service de recherches, un musée, furent annexés à la clinique, qui occupait l'ensemble des bâtiments situés à gauche de la Chapelle, par rapport à l'entrée sur la rue Molitor. Les destinées de la clinique sont liées dès lors au nouvel hôpital, et rien n'est changé en 1904 lorsque le nouveau titulaire, le professeur Agrégé G. ETIENNE, prend possession de la clinique. L'Hospice Saint-Julien fait partie intégrante des Hospices Civils de Nancy, et continue de nos jours à recevoir des vieillards impotents, infirmes ou malades. Mais les destinées de la clinique ne lui sont plus liées, puisque l'enseignement est donné de nos jours à la Maison Départementale de Secours. Le cours n'a d'ailleurs pas eu de titulaires entre les deux guerres, ce qui correspond sans doute à la désaffection de l'époque pour la gériatrie. Cependant, le Service médical restait assuré, et des esprits clairvoyants (DROUET, CORNIL, MICHON), chargés de l'enseignement de la propédeutique et de la séméiologie ou d'une consultation neurologique, continuaient à s'intéresser aux multiples aspects de la pathologie du vieillard.

 

LES HOMMES : CHEFS D’ECOLE ET ELEVES

La Faculté de Nancy eut le grand avantage de confier le cours complémentaire des maladies des vieillards à des hommes qui s'intéressèrent très spécialement au domaine gérontologique dans ses différents aspects. Ils surent grouper autour d'eux une pléiade de chercheurs, inspirer de nombreuses thèses, susciter de nombreuses investigations dans les domaines médicaux, chirurgicaux, expérimentaux ou biologiques. E. DEMANGE et P. PARISOT sont dans ce domaine les derniers représentants de cette médecine en redingote telle que l'a qualifiée LERICHE : en redingote et haut-de-forme à la ville, en jaquette ou même en vareuse barrée d'un tablier symbolique à l'intérieur de l'hôpital, médecins méticuleux, obstinés, qui, le malade affronté, l'interrogent longuement, le scrutent de tous leurs sens tendus, le palpent, l'auscultent, le tapotent, s'attardent sur la radiale, s'efforcent de déchiffrer l'énigme qui leur est soumise, avec les ressources conjuguées de leur intellect, de leur sensibilité, de leur faculté intuitive. Ils recourent parfois à l'analyse des urines, qu'ils demandent à leurs collègues GARNIER ou GUERIN, plus rarement à des examens de sang. Tout bien considéré, ils en appellent dans les cas mortels à la confrontation anatomo-clinique.

Emile DEMANGE (1846-1904), fils de Charles DEMANGE, avait une formation très rigoureuse, qu’il devait à la Faculté des Sciences (Licencié es Sciences), à l'Ecole de Médecine de Nancy (il fut préparateur de chimie et Interne de l'Hôpital Saint-Charles), à la Faculté de Médecine de Paris où il réussit brillamment l'Internat, à l'Ecole pratique des hautes études où il suivit les leçons de RANVIER. Docteur en Médecine en 1874 (sa thèse portait sur un sujet nouveau pour l'époque: la lymphadénie). Chef de Clinique de Victor PARISOT en 1870, professeur Agrégé en 1878, c'est dans ces conditions que, chargé du cours complémentaire, nous le retrouvons à Saint-Julien. Son activité gériatrique est très importante. Elle porte surtout sur les scléroses d'origine vasculaire, atteignant différents organes (cœur, rein, cerveau, moelle, etc...). Il étudie un processus de dégénérescence péri-artérielle systématisée, liée à l'endartérite régionale, et codifie sa pensée en une loi qui mériterait de s'appeler loi de DEMANGE. Un des premiers en France, il classe, corrige, et concentre les observations faites au vieux Saint-Julien, et publie chez ALCAN en 1886 une étude méthodique de l'anatomie et de la pathologie du vieillard. Ses Mélanges anatomo-cliniques, ses Mémoires à la Revue de Médecine ou à la Revue médicale de l'Est, complètent ce travail original et très important.

En 1889, nommé Professeur de Médecine légale, il laissait la place à Pierre PARISOT (1859-1938).

Fils de Victor PARISOT, sa formation fut essentiellement nancéienne. Sa carrière fut brillante : Interne, puis Chef de Clinique, Docteur en 1884, il était agrégé en 1886. et à ce titre chargé du cours complémentaire des maladies des vieillards. Il devait aussi inaugurer les conférences sur les maladies mentales, ce qui explique l'orientation surtout neuro-psychiatrique prise par son activité gériatrique avant sa titularisation dans la Chaire de Médecine légale en 1904. Il fait preuve à Saint-Julien d'une très grande maîtrise, et déploie toutes ses qualités de clinicien subtil et fin, rigoureux et analytique, en étudiant plus spécialement le système nerveux sénile.

Ce fut enfin le regretté Georges ETIENNE (1866-1935), dont la carrière sera particulièrement brillante. Interne en 1890, Chef de Clinique en 1894, Docteur en 1893 (passant sa thèse sur les pyosepticémies). Agrégé en 1895, chargé du cours complémentaire en 1904, il s'y consacre jusqu'en 1913. Avec HAUSHALTER, il établit la transition de la médecine instituée par LAENNEC à la médecine liée au laboratoire. Chercheur tenace et fureteur, ingénieux, il arborera la blouse blanche, s'adonnera lui-même aux vérifications microscopiques ou bactériologiques indispensables, tout en perfectionnant les méthodes d'investigation clinique de ses prédécesseurs. Armé du crayon dermographique il préfigure par ses silhouettes, les ombres portées de la radiologie.

Tels furent les professeurs ; nombreux furent leurs élèves, et nous craindrions d'en oublier en voulant les citer tous. Qu'il nous soit permis cependant de nommer ceux dont les travaux gériatriques ont fait autorité : SADLER, P. HAUSHALTER, RICOUX, MARLIER, JABOT, SAUCEROTTE, LEVY, STERNE, FRITSCH, DAUPLAIS, etc..

Il ne faut pas oublier la contribution gériatrique importante réalisée, soit en collaboration avec l'Hospice Saint-Julien, soit d'une façon indépendante, par les autres cliniques médicales. Le professeur BERNHEIM, le professeur P. SPILLMANN s'intéressent tout particulièrement à la gériatrie. Parmi les jeunes Agrégés, Maurice PERRIN, puis LUCIEN et J. PARISOT étudient à fond certains aspects de la pathologie gériatrique, continuant souvent des travaux commencés lors de leur Internat. Les spécialistes ne sont pas les derniers à être intéressés : si OBELIANNE étudie les parotides, JACQUES et PRAUTOIS révèlent certains aspects de l’ORL chez le vieillard, et l'œil sénile n'a plus de secrets depuis la thèse de BOSMENT (1905), et le rapport de ROHMER (1906).

 

L'ŒUVRE

Etude analytique

Une étude d'ensemble mérite d'être citée à la première place, c'est celle de DEMANGE (1886), qui fait le point des connaissances gériatriques de son époque, tout en apportant une riche documentation personnelle. La plupart des travaux ayant été publiés en différents endroits, nous sommes contraints d'envisager l'apport des auteurs nancéiens aux différents chapitres de la pathologie du vieillard.

1) Appareil cardio-vasculaire

A celui qui est si souvent touché par l'âge, à celui qui était parfaitement accessible au clinicien comme à l'anatomiste, va correspondre une importante succession de travaux. Cependant, il ne s'agit pas toujours de gériatrie pure, et nous ne ferons que les signaler, mais ils mériteraient davantage: les apports de BERNHEIM à la connaissance des anévrysmes, d’ETIENNE à l'étude de la syphilis vasculaire. Les travaux spécifiquement gériatriques sont plus rares: il faut remarquer cependant une thèse anatomo-clinique de P. HAUSHALTER, sur le cœur sénile. Il a étudié des cœurs d'individus exempts de goutte, de R.A.A.. dans leurs antécédents, et fait une minutieuse étude des variations du poids du cœur au cours de la vieillesse. Il étudie les rapports des cavités, l'épaisseur de leurs parois, il note la quasi-constance de l'athérome coronarien, l'importance de la sclérose atteignant les deux ventricules, et plus spécialement les piliers de deuxième ordre. L'étude histologique démontre l'hypertrophie fréquente des fibres musculaires, et la dégénérescence granulo-graisseuse. Les modifications cliniques sont relatées, et HAUSHALTER insiste sur l'équilibre instable des vieillards.

La physiologie retiendra surtout ETIENNE, qui à l'aide de méthodes qui nous paraissent un peu désuètes (ABRAMS-LIVIE-RATO) étudie à plusieurs reprises les épreuves cliniques de la résistance du cœur sénile (1908).

Les rapports toujours discutés de l'athérome et de l'hypertension retiennent G. ETIENNE et J. PARISOT, qui soulignent le rôle de l'élévation de la pression artérielle à l'origine de l'athérome (1908). L'athérome expérimental est d'ailleurs réalisé par L. RICHON et PERRIN, à l'aide d'adrénaline, comme le faisait JOSUE. Ils notent l'inefficacité du nitrite d'amyle dans la prévention d'une telle affection, et s'intéressent au rôle du tabac. ETIENNE et FRITSCH, puis ETIENNE et DAUPLAIS, étudient le rôle possible du calcium, et concluent que cet élément ne peut déterminer l'athérome. Certains aspects pathologiques retiennent l'attention: les arythmies sont étudiées à l'aide de la méthode sphygmomanométrique par CLEMENT en 1912.

Nous n'insisterons pas sur l'étude des anévrysmes, et retiendrons l'étude anatomo-clinique des ruptures du cœur par anévrysme pariétal (P. PARISOT).

La phlébosclérose, sujet peu étudié, fait l'objet de la thèse de THIEBAUT (1890).

Les aspects de la défaillance cardiaque au cours des maladies infectieuses, de la grippe, de la pneumonie, retiennent ETIENNE et PERRIN, qui en déduisent la prescription logique de petites doses de digitaline. Une étude de la chlorurie faites par HABERT insiste sur l'intérêt du régime sans sel. Certains points de séméiologie (dyspnée des cardiaques, épilepsie des cardiaques) sont détaillés par BERNHEIM ou par PARISOT. Enfin, les formes cardiaques du R.A.A. chez le vieillard sont l'objet de la thèse de DEMANGE (1902). Il rapporte 3 cas entre 60 et 70 ans, 6 entre 70 et 76, 3 entre 80 et 84. Il s'agit pour la plupart de récidives. Celles-ci sont assez exceptionnelles dans une population de vieillards (10 sur 340). Il observe une péricardite et une endocardite. Cette dernière est exceptionnelle car « le cœur sénile semble mal se prêter à l'endocardite ». PARISOT et HOCHE insistent sur les caractères spéciaux de l'endocardite rhumatismale du vieillard (1902).

2) Appareil nerveux et fonctions psychiques

L'école des morphologistes devait s'attacher dans le détail aux finesses de l'examen neurologique du vieillard, et tâcher de rechercher la topographie des lésions responsables. DEMANGE fit dans ce domaine une œuvre admirable. P. PARISOT s'est attaché plus spécialement aux perturbations mentales au cours de la vieillesse, et aux aspects médico-légaux de la vieillesse.

L'étude de la moelle sénile a fait l'objet d'un travail très original et particulièrement complet de DEMANGE, dans deux Mémoires de la Revue de Médecine (18825:). Il individualise une sclérose médullaire d'origine vasculaire, responsable d'une « myélite interstitielle diffuse périvasculaire ». Les lésions d'endopériartérite sont entièrement disséminées, ce qui explique la variabilité des tableaux cliniques. Il constate une sclérose plus marquée des cordons postérieurs ou latéraux, et parle d'une sclérose souvent systématisée. Il décrit le mode de début : dérobement des jambes, marche incertaine, paraparésie, incoordination. Il note les signes cliniques associés : contracture progressive, vivacité des réflexes, abolition des cutanés abdominaux, extension du gros orteil, discrets troubles sphinctériens, paraplégie en flexion. Bref, dans le chapitre complexe des paraplégies des vieillards qu'étudiera LHERMITTE plus tard (1907), DEMANGE isole la paraplégie médullaire, à côté de la paraplégie cérébrale et de la myosclérose.

L'étude de la pathologie cérébrale sénile a retenu l'attention de DEMANGE, puis de P. PARISOT. Nous retrouvons sous la plume de DEMANGE une excellente description des « pseudobulbaires ». MARLIER dans sa thèse (1885) décrit parfaitement les hémiplégies bilatérales par lésions cérébrales symétriques et reprenant les travaux de LEPINE et de FERE, préfigure ainsi la thèse de THUREL. Certains aspects neurologiques post-hémiplégiques : chorée, tremblements, sont soigneusement notés dans les thèses de RICOUX (1884), puis de POIREL (1904).

L'épilepsie des vieillards fait l'objet d'un travail de JABOT en 1890. Nous ne voulons pas insister sur les travaux neurologiques ayant trait à l'aphasie, qui, inspirés par DEMANGE et BERNHEIM, ont certes un peu vieilli. Cependant, dès 1881, DEMANGE dans la thèse de DUFOUR s'élevait contre le dogme de BROCA, constatait l'intégrité de la 3e circonvolution frontale gauche, et attribuait l’aphasie à une lésion du lobule de l'insula Reil. En 1887, HECHT revenait sur cet important sujet.

Les manifestations pyramidales, les lésions des corps striés sont fréquentes en neurologie gériatrique, et nous ne nous étonnerons pas de voir étudier la chorée vulgaire du vieillard par NICOLAS, dans sa thèse en 1882, où il individualise « la chorée sénile ».

La paralysie agitante a retenu également l'attention de DEMANGE. Une étude anatomo-clinique soigneuse est entreprise. Mais DEMANGE s'intéresse surtout à la séméiologie, et campe magistralement le diagnostic différentiel des tremblements des vieillards. Il analyse finement ces tremblements pré- et post-hémiplégiques, et les différencie des tremblements de la sclérose en plaques, de la paralysie agitante, et du tremblement sénile. Il publie d'ailleurs en 1882 une excellente étude sur ce dernier sujet. Il en note sa rareté, l'ayant retrouvé 6 fois chez 300 vieillards. Il décrit son début à la tête, sa rapide généralisation. Il étudie les oscillations rythmiques, uniformes, de sens vertical ou horizontal. Il constate sa variabilité, augmentant à l'effort, lors de l'ascension où d'une émotion, s'exagérant lors des repas, diminuant lors du sommeil. Il faut citer DEMANGE, qui décrit ce tremblement en le distinguant de celui de la paralysie agitante: « Les doigts sont agités par de petites oscillations régulières, uniformes, isochromes, imprimant aux mains ou aux doigts des déplacements totaux dans un sens ou dans l'autre. » Il distingue l'absence d'arrêt initial lors de l'exécution d'un mouvement, et l'augmentation d'intensité au début de l'extension et lors de l'effort. Il note enfin la tendance à la généralisation. Dans les facteurs étiologiques, il souligne le rôle de l’hérédité. Mais il pense qu'il existe une certaine parenté avec la paralysie agitante. Quoi qu'il en soit, ce « tremblement oscillatoire rythmé » si particulier mériterait bien la dénomination de maladie de DEMANGE. Ses caractères graphiques seront à nouveau étudiés par MEYER et PARISOT en 1899. Le tremblement de la maladie de Parkinson retiendra plus tard (1906) J. PARISOT, dans une belle étude clinique, graphique et thérapeutique.

La psychiatrie sénile a retenu l'attention de P. PARISOT. La neurasthénie et la démence séniles ont fait l'objet d'études systématiques. La thèse de LEVY (1896) est une excellente mise an point sur la démence sénile. A ce sujet, P. PARISOT note la plus grande rareté, mais aussi la plus grande précocité de cette affection chez l'homme. Il signale la notion d'antécédents, et insiste sur les facteurs occasionnels. Certains aspects séméiologiques sont plus spécialement étudiés : transformation de la personnalité, manifestations vésaniques, hallucinations de l'ouïe. Il note à propos de ces dernières leur caractère triste ou injurieux, monotone et nocturne : il souligne les reviviscences d'états psychiques antérieurs. Nous n'insisterons pas sur les multiples travaux concernant la paralysie générale, pour noter les incidences médico-légales que ne pouvait manquer de souligner P. PARISOT. C'est ainsi qu'il étudie la valeur du témoignage du vieillard (thèse de CAZIN).

Enfin, sur le plan de la séméiologie neurologique, il ne faut pas oublier l'étude du réflexe cutané abdominal chez le vieillard par P. PARISOT. Sa recherche en est difficile : il faut parfois piquer fortement le sujet : il s'épuise vite, enfin il est aboli dans la démence sénile et dans la constipation. Bien plus tard, mais nous débordons du cadre tracé, SCHACHTER fera une étude du réflexe palmo-mentonnier.

3) Appareil respiratoire

La pneumonie et la bronchopneumonie ont été particulièrement bien étudiées. BERNHEIM et PARISOT décrivent la pneumonie abortive du vieillard (1889). G. ETIENNE étudie (1906) les types thermiques de la pneumonie et de la bronchopneumonie des gens âgés. ETIENNE et PERRIN insistent (1909) ensuite sur les variations leucocytaires au cours de ces maladies. Ils notent la façon de mourir des pneumoniques, et soulignent le rôle de la défaillance cardiaque. Enfin BELLOT (1909) étudie l'hémiplégie au cours de la pneumonie franche.

La pleurésie sénile fait l'objet de la thèse de COLLIN (1881), puis de celle de SAUCEROTTE (1890). Les différentes étiologies ? (défaillance cardiaque, bacillose) sont notées, les aspects trompeurs évoqués.

Nul n'ignore la fréquence et la sévérité de la tuberculose pulmonaire des gens âgés. Son étude revient à Nancy à SPILLMANN et à ETIENNE. Les aspects cliniques, les circonstances de découverte, la rareté et aussi la très grande valeur de la découvert des B. K., tout est analysé par ETIENNE.

Il faut rappeler, parce qu'elle a eu une incidence gériatrique, l'importante thèse de RUEFF (1903), inspirée par BERNHEIM, qui décrit la tuberculose des sommets, associée à l'emphysème des bases.

Les essais de traitement par la tuberculine et les recherches sur l'ohptalmoréaction témoignent de l'esprit curieux de G. ETIENNE.

4) Appareil digestif

Certains aspects médicaux ou chirurgicaux sont étudiés sans esprit de système. Il faut retenir quatre importants mémoires : STROUP, dans sa thèse, étudie de façon très originale un sujet ignoré qui n'a pas été repris depuis : la constipation du vieillard. Il décrit la clinique, le retentissement respiratoire, cardiaque, nerveux, et analyse les différents facteurs: parésie musculaire, défaillance nerveuse, troubles de la sensibilité, rôle favorisant du régime, de la vie sédentaire, du prostatisme. Une étude anatomique sérieuse y est jointe, où il note la dégénérescence granulo-graisseuse, la sclérose des tuniques intestinales amincies, les lésions glandulaires, musculaires et nerveuses. L'étude longue et étoffée de BARTHELEMY (1903) sur l'appendice et l'appendicite du vieillard, constituait à l'époque un travail très nouveau. La partie anatomique est spécialement intéressante : aspect de moins en moins régulier avec tendance à l'oblitération et à l'état filiforme au fur et à mesure que l'âge avance. Les modifications histologiques avec altération des follicules sont notées : chez le vieillard l'appendice n'est plus qu'un diverticule sans spécificité.

Les aspects pseudo-tumoraux, biliaires, pseudo-occlusifs, apyrétiques, herniaires, de l'appendicite sénile retiennent aussi l'attention.

L. MICHEL donne (1901) une revue d'ensemble, et fait la critique des hernies du vieillard, après avoir défini la hernie sénile survenant après 60 ans, après avoir étudié l'anatomie, les formes plus ou moins symétriques, bilatérales, monstrueuses, l'association hydrocèle-hernie et varicocèle-hernie. La clinique, les complications, le traitement sont envisagés.

STERNE en 1896 a donné une étude de la lithiase biliaire du vieillard, dont il précise la fréquence et l'habituelle latence : sur 29 autopsies pratiquées sur des sujets âgés de 70 à 94 ans, il trouve 11 fois des calculs, et une seule fois le diagnostic avait été porté cliniquement.

Enfin, LUCIEN et J. PARISOT, en 1905, étudient les aspects souvent méconnus de la cholécystite suppurée chez le vieillard, à propos d'un cas ayant entraîné une fistule abdominale et un abcès du foie.

6) Os et articulations

La distinction toujours actuelle d'ostéoporose et d'ostéomalacie est apparue anatomiquement à DEMANGE (1881). L'ostéomalacie sénile intéresse par la suite, à plusieurs reprises, l'Ecole de Nancy. L'ostéomalacique âgé, dont les os plient, ne diffère pas de la femme ostéomalacique qui a eu de nombreux enfants (DEMANGE et GRAJON). La clinique est étudiée à nouveau, et une iconographie est présentée par SPILLMANN  et PERRIN (1906). Plus tard, SPILLMANN et BENECH étudieront l'ostéomalacie dans le Traité de Médecine classique de Roger WIDAL et TESSIER.

DAUPLAIS en 1911 fait une remarquable mise au point de la question, et fait état des premiers résultats biologiques obtenus au cours de cette affection. Il reprenait là une question chère à son Maître G. ETIENNE, déjà étudiée avec FRITSCH (1901) et ROBERT. Il tente à ce sujet une étude expérimentale et note les mutations calciques. Certaines déformations des extrémités, dénommées par PARISOT et ETIENNE arthropathies séniles des doigts, sont étudiées au Congrès de Médecine de Liège, Trouvées chez 80 % des hommes de plus de 75 ans, il s'agit d'un épaississement de la base des articulations des phalanges.

/) Reins et appareil unitaire

Une excellente étude du rein sénile, à laquelle il n'y a rien à ajouter sur le plan anatomique, est donnée par DEMANGE et SADLER en 1879. 34 fois au cours de 39 autopsies, ils notent la sclérose rénale. Le poids (102 g en moyenne), le volume sont diminués, la surface est irrégulière, la capsule épaissie. On note l'existence de kystes, la corticale est atrophiée, les glomérules atteints, les tubes inégaux et souvent dilatés, les artères athéromateuses. La latence est habituelle. SADLER note le peu de modifications de la diurèse, de la densité. Il signale la rareté de l'albuminurie vraie. Un bon Mémoire de MICHEL, inspiré par GARNIER, étudie avec les moyens de l'époque (1898) la composition chimique des urines séniles. Enfin, ANDRE, à plusieurs reprises, insiste sur les affections prostatiques des sujets âgés.

8) Maladies infectieuses

P. PARISOT relate une meurtrière épidémie de grippe à Saint-Julien (1894), et note la fréquence des formes catarrhales et des formes gastro-intestinales. LUCIEN et J. PARISOT (1909) étudient l'érysipèle du vieillard, ils en montrent la fréquence, le caractère passager, fugace et méconnu, la nécessité de le chercher partout dès la moindre élévation thermique. Les points de départ habituels sont une blépharite, une dacryocystite, un eczéma. Une ulcération des membres supérieurs, un E.O.A., voire une vésicule de zona, le prurit, le manque de propreté, la structure de la peau sénile favorisent, cette lésion. Le mode d'invasion bâtard, les signes cliniques peu francs (bourrelet minime, les types thermiques, les complications sont étudiés. Enfin, les auteurs soulignent le caractère diffus habituel de cette affection, contrairement à l'opinion habituelle, l'affection n'étant grave qu'en cas de tare organique.

Nous ne reviendrons pas sur les études du R.A.A., de la pneumonie, de la tuberculose, et sur le plan thérapeutique nous ne ferons que mentionner les nombreuses publications sur l'action de l’électrargol.

9) Spécialités

L'ophtalmologie nous offre deux mises au point, en 1903 et en 1905. avec la thèse de BOSMENT puis le rapport de ROHMER, consacrés à l'œil sénile. Tout y est décrit : flaccidité palpébrale, conjonctivite chronique, arc sénile, paresse de l'iris, modifications du cristallin, altérations rétiniennes et oculaires. VUILLEMIN et GUILLERMOND étudient les aspects mycologiques du muguet. Les parotidites, fréquentes chez les vieillards, étudiées chez les gastrectomisés par PRAUTOIS et JACQUES, font l'objet ensuite d'un remarquable travail d'ETIENNE et d'OBELIANNE (1906). La fréquence est notée, les causes favorisantes sont analysées : altérations anatomiques des parotides, défaut d'alimentation et de mastication, diminution de la sécrétion salivaire. Le mode d'envahissement habituel est démontré : il s'agit d'un mécanisme canaliculaire. Les aspects cliniques sont évoqués : forme catarrhale, forme suppurée, atteinte bilatérale, tendance à la fistulisation, atteinte des organes de voisinage (tissu cellulaire sous-cutané, os, nerfs, veines, etc...). La sévérité du pronostic est constante. L'épistaxis chez le vieillard fait l'objet d'une étude de PARISOT (1890). Sa fréquence est grande, et on incrimine soit l'hypertension, soit une dégénérescence artérielle.

Sur le plan dermatologique, enfin, le prurit sénile fait l'objet d'une belle étude de P. PARISOT (Thèse de GAULT). Il s'agit pour PARISOT d'un prurit généralisé, entraînant des désordres psychiques et l'insomnie, sans qu'il y ait de lésions dermatologiques. Il s'agirait pour PARISOT d'une dermatoneurose d'origine toxique.

10) Le milieu intérieur

Moins favorisés que nous ne le sommes aujourd'hui, les anciens cliniciens avaient tenté d'établir les constantes biologiques du vieillard. C'est ainsi que le calcium est étudié par ETIENNE et ROBERT  et les caractères de l'urine sénile par MICHEL. Mais il faut surtout retenir la note si précise et toujours citée d'ETIENNE et PERRIN (1910) sur les leucocytes du vieillard bien portant. C'est la première des études systématiques du milieu intérieur des gens âgés. Les leucocytes oscillent entre 6 à 12.000; la moyenne est de 7.200. Il existe une polynucléose habituelle marquée (70%). Les variations avec la digestion sont comparables à celles de l'adulte. P. PARISOT et JEANDELIZE étudient aussi le sang du vieillard (1901). Nous ne retiendrons que pour mémoire les travaux sur l’uro-hypertension et sur la réaction de Fleig, qui témoignent d'esprits pathogénistes toujours en éveil. Les recherches sur la perméabilité rénale (PARISOT et JEANDELIZE) sont plus actuelles.

Plus tard. P.-L. DROUET étudiera dans la thèse de FABRE la vitamine C chez le vieillard, et P. MICHON le vieillissement des sérums.

11) Endocrinologie

Peu de travaux entre 1889 et 1913; mais par la suite il ne faut pas oublier la description de l'hypophyse du vieillard par LUCIEN (1929), et les aspects gériatriques évoqués dans le Traité d'Endocrinologie de LUCIEN, PARISOT et RICHARD.

12) Psychologie

Cette question a retenu P. PARISOT, qui a étudié la suggestibilité, la perte de la mémoire, la peur (Thèse de BAZELAIRE DE RUPIERRE, 1901), et l'insomnie du vieillard (thèse de TANANOFF, 1901). La criminalité est invoquée par CORROY en 1912.

13) Anthropologie

Les constantes biométriques sont relevées par P. PARISOT au point de vue médico-légal. Il étudie les variations de la taille, et conclut aux différences des critères d'identité judiciaire entre un sujet et le même examiné plus jeune. Il insiste par contre sur la valeur des empreintes digitales.

14) Théories sur le vieillissement

En dehors de la théorie sur la sclérose périvasculaire soutenue par DEMANGE, il n'y a pas d'étude d'ensemble sur la question. Il faut citer cependant un travail original sur les sénilités locales (Thèse de BAROS, 1902). Ce dernier cite des exemples intéressants et invoque tour à tour l'hyperfonctionnement ou l’hypofonctionnement, le rôle de l'hérédité, de l'infection, d'une diathèse et de ces conditions spéciales que sont le climat, la profession et la race. Enfin, un problème souvent discuté est envisagé par LEBON : celui de l'hérédité de la longévité.

15) Aspect médico-social - Hospitalisation des vieillards

Les nécessités spéciales de l'hospitalisation des vieillards, compte tenu de leur physiologie et de leur psychologie, n'avaient pas échappé à P. PARISOT, qui envisage un des premiers l'aspect social de la gériatrie. Il insiste sur la valeur des soins à domicile, préfigurant le « home care », et distingue le vieillard chez lui, le vieillard à l'hospice, enfin le vieillard à l'hôpital, en souhaitant la création de services spécialisés de gérontologie.

 

Ces différents aspects de la gériatrie étudiée à Nancy, témoignent du grand intérêt que l'on portait à l'étude du vieillard entre 1880 et 1912. Certes, les méthodes ont changé, l'aspect dynamique métabolique prime maintenant la méthode anatomo-clinique. Mais il n'en reste pas moins qu'il serait injuste d'oublier la contribution importante des Maîtres nancéiens à la découverte de la gérontologie. La Faculté doit avec raison s'en enorgueillir, en veillant autant que faire se peut à éviter l'oubli plus ou moins volontaire de travaux que l'on ne pourrait plus désormais que redécouvrir..