` sommaire

La neurologie

par G. ARNOULD

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

Si l'on voulait ne reconnaître une École neurologique nancéienne qu'à partir du moment où elle a été officiellement admise par la Faculté de Médecine, l'année 1951, époque à laquelle le Professeur Pierre Kissel obtient un poste de Chef de clinique neurologique, serait à retenir comme date inaugurale.

En fait, il faut remonter à la fondation de la Faculté de Médecine elle-même pour en trouver les origines. Et cela par la venue à Nancy du Professeur Hippolyte Bernheim, avec le transfert de la Faculté de Médecine de Strasbourg. Professeur de Clinique médicale, cette haute personnalité illustrera son activité de médecin hospitalier par ses nombreux travaux neuropsychiatriques et psychologiques. Son enseignement se fera sur ce point « au lit du malade » et par des publications à la Société de Médecine et dans la Revue médicale de l'Est, qui représentent alors, beaucoup plus que maintenant et avec une audience bien plus grande, le lieu où l'on vient recueillir les fruits de l'expérience et des réflexions du Maître.

Il en sera de même avec le Professeur Lucien Cornil. C’est à l'hôpital que quelques privilégiés recevront une formation neurologique. Il atteindra les autres en utilisant aussi abondamment l'estrade des Sociétés Savantes de Paris et de Nancy, les feuillets des revues spécialisées et de la revue médicale locale.

C'est lui qui démontrera que la science neurologique nécessite d'être dissociée de la médecine générale et mérite un enseignement particulier. Cette intention est recueillie par le Professeur Pierre Kissel qui s'emploiera à donner une structure hospitalière et universitaire à l'École neurologique nancéienne. Mais il ne bornera pas l'enseignement aux bancs de la Faculté. Lui aussi, conservant ce moyen qu'offrent les colloques, les réunions, la littérature, fait part de son savoir, entre autres revues et livres, dans la Revue médicale de l'Est, et y encourage ses élèves.

A considérer que dès le départ il y a toujours eu, à Nancy, une pensée psychologique et neuropsychiatrique, traduite dans les compte-rendus de la Société de Médecine locale, même sans étiquette universitaire officielle, l'École neurologique nancéienne a aussi cent ans.

A quoi devions-nous la première orientation neuropsychiatrique à Nancy ?

A une rencontre : celle du Professeur Hippolyte Bernheim avec le médecin de ville, le Docteur Liébault. En réalité, la relation quotidienne avec le malade, le besoin d'objectivité, les problèmes de l'hypnotisme, de l'hystérie hantent depuis longtemps l'esprit du Professeur Hippolyte Bernheim.

Il est né à Mulhouse en 1837. Après ses années de collège, il fait ses études médicales à la Faculté de Strasbourg. Interne des Hôpitaux, il est l'élève de Sédillol, de Koeberlé. Il y connaît Villemin, alors répétiteur à l'École du Service de santé militaire. Deux années à Paris, où Grisolle, Béhier, Trousseau, Cornil, Ranvier furent ses principaux Maîtres, sont couronnées par le concours d'agrégation. Il passe alors six mois à Berlin auprès de Traube, Frerichs et Virchow.

Agrégé stagiaire à la Faculté de Strasbourg au moment de la déclaration de la guerre, i! assiste de son ambulance, au bombardement puis à la capitulation de la ville. Par la Suisse, il rejoint l'armée française ; attaché à une ambulance lyonnaise, il soigne les blessés jusqu'au moment où le traité livre l'Alsace à l'Allemagne. La Faculté de Strasbourg est transférée à Nancy, et, dès lors, la carrière universitaire de Bernheim se déroule toute entière à Nancy. Il supplée son Maître Hirtz, et lui succède en 1878 comme Professeur de Clinique médicale.

Après quarante et un ans d'enseignement et de recherche scientifique, le Professeur Bernheim prend sa retraite en 1910. Il meurt à Paris, où il s'est retiré, en 1919.

Les travaux cliniques de Bernheim, très divers, ont trait principalement à la pneumonie, aux affections du cœur, aux mécanismes d'action de la digitale, aux localisations pulmonaires de la maladie de Bouillaud. On lui doit la découverte des formes nerveuses cérébrospinales de la fièvre typhoïde ; du rôle du système nerveux central dans la fièvre continue typhique. et de l'artériosclérose du polygone de Willis dans la respiration de Cheynes-Stokes ; de l'asystolie droite par hypertrophie ventriculaire gauche, ou « syndrome de Bernheim ». Les titres caractéristiques de deux de ses premiers livres, « Leçons de clinique médicale (1877), Recueil de faits cliniques (1886) », témoignent des qualités particulières de la personnalité intellectuelle de Bernheim et de son esprit véritablement scientifique ; ils démontrent qu'il n'a rien d'un thaumaturge, hypnotiseur et guérisseur, comme on se l'imagine trop souvent.

En 1883, en pleine maîtrise de son art, de sa « science », il commence, en effet, à s'intéresser à l'hypnotisme et à l'hystérie, pour dégager, le premier, la thérapeutique suggestive du maquis charlatanesque de l'ancien hypnotisme, et apporter des bases scientifiques à la psychothérapie.

Il entre en relation avec un praticien de Nancy, le Docteur Liébault, auteur d'un livre intitulé : « du sommeil et des états analogues, considérés surtout au point de vue de l'action du moral sur le physique (1866) », et qui, malgré l'absence d'audience, continue ses essais de cure par le sommeil. Bernheim s'intéresse à l'étude des phénomènes d'hypnose, tente de provoquer le sommeil hypnotique, et, après avoir beaucoup cherché, simplifie peu à peu ses conceptions, pour démontrer finalement (De la suggestion et de ses applications à la thérapeutique, 1896); Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, 1890) que chez beaucoup de personnes on peut obtenir, à l'état de veille et sans aucun artifice, tous les phénomènes dits hypnotiques, qu' « il n'y a pas d'hypnotisme, il n'y a que de la suggestibilité » ; l'hypnotisme lui-même n'est qu'un sommeil obtenu par suggestion.

Il s'oppose ainsi aux conceptions de Charcot, défendues avec vivacité par ses élèves Gilles de la Tourette et Babinski, décrivant les trois phases « catalepsie, léthargie, somnambulisme » de l'hypnotisme, mais termine vainqueur cette bataille en faisant reconnaître avec le recul du temps que « l'hypnotisme de la Salpêtrière est un hypnotisme de culture ». La querelle de l'hystérie l'oppose encore à Charcot. Il lui reproche une description artificielle parce que trop précise et trop systématisée, et remarque en particulier que l'anesthésie sensitivo-sensorielle de l'hystérie n'existe que dans l'imagination du sujet, et qu'elle est le plus souvent curable par suggestion. Puis il est amené à critiquer les conceptions de Babinski sur le pithiatisme, en confirmant le rôle des émotions et dans l'hystérie et dans les accidents pithiatiques.

Les travaux d'Hippolyte Bernheim ont fait l'objet d'études dans différentes revues (Revue philosophique, Revue de l'hypnotisme) de rapports au Congrès (Association pour l'avancement des Sciences, Psychologie physiologique, Congrès de Moscou), de thèses inspirées à ses élèves Brullard et Aimé, et de nombreux articles ou livres. Mais il en réserve la primeur à la Société de Médecine de Nancy et à la Revue médicale de l'Est. Citons « Mémoire sur la magnétothérapie » (1881), « De la suggestion dans l'état hypnotique » (1883), « Études physiologiques sur le somnambulisme » (1885), « Souvenirs latents et suggestion à longue échéance» (1896), « Un cas d'hypnotisme en apparence mortel » (1894), « Entraînement suggestif actif ou dynamogène psychique contre les paralysies ou impotences fonctionnelles » (1898), « Conception du mot hystérie. Critique des doctrines actuelles » (1904), sans oublier ses réponses aux controverses et ses prises de position du point de vue médico-légal dans la suggestion.

Dans sa clinique médicale, Hippolyte Bernheim applique scrupuleusement les méthodes d'observation et d'investigation. Il a constamment recours aux confrontations anatomocliniques. Justement célèbre par ses travaux de psychothérapie suggestive, il attire la curiosité de nombreux médecins, psychologues, magistrats et juristes qui viennent en foule assister à des expériences d'hypnose. Il se garde cependant de toute mise en scène et applique à ses patients hystériques, la rigueur d'une attitude objective. Joignant la bienveillance à la prudence, il réconforte et rassure son malade d'un mot juste, suffisant pour déclencher le processus de guérison.

C'est donc à bon droit qu'Hippolyte Bernheim a revendiqué le mérite d'avoir, le premier dans le monde, introduit la psychothérapie par persuasion ou suggestion dans la science médicale. Démontrant l'influence du moral sur le physique, établissant les bases anatomo-physiologiques de la psychothérapie scientifique, il est le véritable fondateur, le père de la médecine psychosomatique, comme l'a reconnu Freud lui-même.

Bernheim, Chef de l'École de Nancy, est le Maître de la psychothérapie, le précurseur de la pensée psychosomatique.

Après Bernheim, alors que la neurologie reste partie intégrante de la médecine générale, tant sur le plan hospitalier qu'universitaire, la psychiatrie est assurée par les médecins aliénistes du Centre psychiatrique de Maréville. L'un de ces médecins est alors chargé de cours à la Faculté, ce qui se traduit pratiquement par des démonstrations cliniques que l'on appellerait aujourd'hui « enseignement dirigé ».

Une assez longue période s'écoulera ainsi, vraisemblablement prolongée du fait de la première guerre mondiale, vraisemblablement aussi du fait qu'Hippolyte Bernheim, souvent discuté, incompris, et finalement abandonné dans l'oubli, n'a ainsi ni suscité des vocations, ni encouragé des disciples.

Avec le Professeur Lucien Cornil, présent à Nancy de 1923 à 1930, la neurologie nancéienne prend tournure. Menant de front les recherches neuropathologiques et la clinique neuropsychiatrique, il dessine les contours de cette branche particulière de la médecine, et donne ainsi une nouvelle vigueur à l'École neurologique nancéienne.

Né à Vichy le 1er août 1888, Lucien Cornil reçoit de sa famille et de son terroir, auxquels il est resté fidèlement attaché, des empreintes indélébiles qui marqueront toute son œuvre : calme, sérénité, méthode et persévérante opiniâtreté dans le travail.

Les études secondaires se partagent entre Cusset et Clermont. Il monte à Paris pour sa formation médicale ; mais il y trouve aussi diverses possibilités d'assouvir sa curiosité intellectuelle. C'est au cours de son internat qu'il rencontre Gustave Roussy dont il devient le « fils spirituel ».

Les années de guerre, commencées pour lui en 1912 dans les Balkans, couronnées dès 1914 par la Légion d'Honneur pour sa bravoure au combat, semblent décider de sa vocation neurologique ; au centre de Besançon en 1916, avec Gustave Roussy et Jean Lhermitte, il étudie les blessures de la moelle épinière et les tumeurs du système nerveux.

Rentré à Paris, moniteur au Laboratoire d'Anatomie pathologique de la Faculté, il est nommé, en 1923, Professeur agrégé à Nancy, dans cette discipline. Dès 1925, on lui confie la charge de cours de neurologie et le Service de Neuropsychiatrie infantile à l'Hospice Jean Baptiste Thiéry. Puis il organise, à l'Hospice Saint-Julien, une consultation et un « embryon de service » de neurologie. C'est alors l'association et la confrontation fructueuse des données cliniques et anatomo-pathologiques.

En 1930, Lucien Cornil est nommé Professeur titulaire d'anatomie pathologique et de médecine expérimentale à Marseille. En 1937, ses collègues l'élisent Doyen de la Faculté de Médecine et de Pharmacie, tandis qu'il s'oriente vers la cancérologie et devient, en 1938, directeur du Centre Régional anticancéreux de Marseille.

Atteint d'une cardiopathie rhumatismale, avec laquelle il dut composer toute sa vie, surtout dans les dernières années, il meurt en 1951.

L'œuvre de Lucien Cornil est très riche et diverse. En fait, il aborde toute la pathologie à travers ses travaux anatomiques et physiopathologiques. Mais il reste qu'il marque une nette prédilection pour la neurologie.

Il inaugure sa carrière scientifique par l'étude de lésions traumatiques de la moelle épinière, et dans sa thèse, il analyse les altérations médullaires de la commotion médullaire, celles qui rendent compte des déficits définitifs, mais surtout celles qui expliquent et permettent la régénération anatomique et la récupération fonctionnelle.

Il cherche à saisir les caractéristiques topographiques des lésions dans la maladie de Parkinson et des syndromes parkinsoniens. Il montre déjà la variabilité des structures compromises suivant les cas, même dans la forme akinéto-hypertonique. Sa curiosité, le besoin de la confrontation anatomoclinique, dont il se fait une règle permanente, l'amènent à aborder l'appareil digestif, les complications pulmonaires des affections neurologiques, les malformations urinaires, les glandes endocrines tumorales, les tératomes de l'axe cérébrospinal. C'est alors qu'il fixe les normes de recherche et de fiabilité du réflexe oculocardiaque.

Son esprit enclin à la rigueur et à la logique le porte tout naturellement à se consacrer particulièrement à la neurologie. Déjà sous la direction des Professeurs Roussy et Lhermitte, et aussi de lui-même, avant sa nomination à Nancy, il ajoute à ses travaux antérieurs, des chapitres sur le Parkinson, les chorées, le spasme de torsion, la paralysie générale, les tumeurs cérébrales, le pithiatisme, les traumatismes et inflammations médullaires, les atteintes périphériques, dégénératives et traumatiques.

A Nancy, il maintient le rythme de ses publications au gré des fonctions d'anatomo-pathologiste et de neurologue qui lui sont confiées, mais aussi en raison de la collaboration qu'il lui est demandée dans différentes branches.

C'est ainsi qu'avec ses collègues de médecine et de chirurgie, Lucien Cornil anime de sa parole et de sa plume la Société anatomique de Paris, la Revue neurologique, la Société de Médecine de Nancy et la Revue médicale de l'Est. Il réserve pour ces dernières la plus grande part de ses travaux : sur quelque 150 études qui marqueront son activité à Nancy, 90 seront présentées dans les réunions et les pages nancéiennes.

Les confrontations anatomo-cliniques qu'il aura affectionnées tout au long de sa carrière débordent certes le cadre neurologique (appareil digestif, organes génitaux, affections ophtalmologiques). On y retrouve pourtant des thèmes favoris : tumeurs cérébrales et méningées, rapport du traumatisme et du gliome ; il crée dans le Service du Professeur Hamant un laboratoire d'anatomie-pathologique où il étudie les troubles sympathiques et respiratoires des traumatisés médullaires, avec son interne Mosinger ; il s'intéresse avec le Professeur Fruhinsholz aux hémiplégies et aphasies transitoires des accouchées ; une grande partie des publications concerne les noyaux gris centraux.

Il aime la séméiologie et revient souvent à la pathologie vasculaire cérébrale : syndrome thalamique, dysbasie du vieillard, syndrome pédonculaire. Le signe de Babinski et tout ce qui est réflexe restent une de ses préoccupations principales : réflexes spino-iliaque, linguo-mentonnier, réflexes associatifs.

Les troubles du système sympathique le retiennent aussi : acroparesthésies, syndrome de Claude-Bernard-Horner, migraines, arthropathies de la syringomyélie. La sclérose en plaques lui pose des problèmes thérapeutiques.

Tous ces sujets, si variés, lui donnent l'occasion d'inspirer des thèses fort intéressantes à ses jeunes étudiants, et de rédiger de nombreux articles didactiques.

Pendant les sept années passées à Nancy, le dynamisme de Lucien Cornil l'entraîne à collaborer dans presque tous les domaines avec les Maîtres d'alors. Il fait autorité et devient rapidement Chef d'École. Par son esprit curieux et cultivé, son souci d'objectivité, par son charme dans les discussions cliniques et de tous ordres, son tempérament artiste et parfois bohème, qui font de lui une personnalité très attachante, il attire dans son Service de consultations et de chroniques, à l'Hôpital Saint-Julien, les futurs agrégatifs. Dans ses publications figurent, à côté du sien, les noms de ceux qui deviendront plus tard des Chefs d'École et des Maîtres, Paul Michon, Louis Mathieu, Jean Girard, René Grimaud, Pierre Chalnot, Charles Thomas, et surtout Pierre Kissel dont il fera son élève privilégié et auquel il transmettra son enthousiasme de neurologue.

A son départ de Nancy, il sera remplacé à l'Hospice J.B. Thiéry par le Docteur Meignant qui se consacrera à la neuropsychiatrie infantile pendant une trentaine d'années, et en assurera l'enseignement et le développement social.

Avec Lucien Cornil, la neurologie nancéienne devient une spécialité. Hippolyte Bernheim en a fait pressentir l'envergure, Lucien Cornil lui donne corps et forme en la dégageant de la médecine générale.

C'est au Professeur Pierre Kissel que revient l'honneur d'en être le Maître d'œuvre. Mais à cette époque personne ne conçoit, à juste titre, qu'on puisse se consacrer à une spécialité sans avoir obtenu ses lettres de noblesse : le médicat et l'agrégation, sinon la titularisation. Les structures hospitalières n'offrent guère de ressources : il faut créer un service. La deuxième guerre mondiale ne facilite nullement les choses. Le Professeur Kissel donnera à la neurologie ses structures universitaires et hospitalières surtout à partir de 1946.

Pierre Kissel est né le 10 juillet 1906. Il a fait toutes ses études médicales à Nancy. Interne des Hôpitaux en 1928, Docteur en médecine en 1934, Médecin des Hôpitaux en 1936. il partage toutes ces années entre la Clinique médicale, les Laboratoires d'Histologie et de Bactériologie, renseignement, connaissant en tout le succès. Il est nommé agrégé de Médecine en 1936. La guerre interrompt ses activités qu'il retrouve pour les années d'Occuoation.

La Chaire de Thérapeutique lui est confiée en 1943, et en 1955, il devient titulaire de la Chaire de Clinique médicale, succédant au Professeur Paul Louis Drouet.

Dès que les circonstances le lui permettent, une fois la paix de 1945 revenue, Pierre Kissel poursuit une double tâche : créer le Service de neurologie, fonder une École neurologique nancéienne. Tout sera mené avec ardeur, finesse et célérité.

Avec son collègue et ami René Rousseaux, qui va être nommé Professeur de Clinique neurochirurgicale (1947), il « colonise » le grenier du Pavillon Krug. C'est dès lors une fructueuse symbiose entre la neurologie et la neurochirurgie, dont profitent les élèves des deux Maîtres, excellents enseigneurs, alors que la technique était des plus réduite. Jusqu'en 1953, époque à laquelle le Professeur Rousseaux reçoit la chaire de Clinique chirurgicale, la neurologie nancéienne va croître en partie, grâce aux confrontations neurochirurgicales. C'est le temps, pour ceux qui en ont eu la chance, des longues et merveilleuses écoutes, de la formation directe et objective.

En moins de dix ans, le Professeur Kissel donne sa structure au Service de neurologie qui s'enrichira progressivement des laboratoires de techniques.

L'œuvre scientifique du Professeur Pierre Kissel touche à tous les domaines. Il gardera de son Maître affectionné Cornil le goût de la confrontation. C'est ainsi que parallèlement à la Clinique de médecine générale, il a des activités dans les laboratoires d'Histologie et surtout de Bactériologie, activités de recherche et d'enseignement ; il se livre à des études de pathologie expérimentale et hématologique. Mais dans la plupart de ses travaux apparaît sa prédilection pour la neurologie, notamment en ce qui concerne les maladies infectieuses : fièvre typhoïde, oreillons, herpès, varicelle. Il collabore principalement avec le Professeur de Lavergne et le Professeur Cornil. Ses publications proprement neurologiques révèlent dès le départ ses points d'attraction dans ce domaine. Mais elles donnent surtout la mesure du Chef d'École qu'il a été dès la création de son service.

Il s'entoure rapidement d'élèves séduits et respectueux, dirige leurs premiers pas, leur confie les tâches que réclame une activité hospitalière de plus en plus importante, pour les faire gravir, sur un rythme cadencé, les différents échelons qui mènent au sommet de la hiérarchie hospitalo-universitaire. L'École neurologique nancéienne, dans les thèses de chacun de ses membres, reflète ses thèmes préférés : neurologie infectieuse avec Georges Arnould et Pierre Hartemann, neurologie génétique avec Jean Bernard Dureux et Pierre Tridon, phacomatoses et malformations avec Jean Schmitt et Michel Laxenaire. Il est l’auteur de nombreux rapports et articles didactiques sur ces sujets, et il participe à de nombreux Colloques nationaux et internationaux, où son avis, sur les malformations et les considérations génétiques, fait autorité.

La Revue médicale de Nancy reflète par le rapport de cas princeps la plupart de ces travaux. Elle permet aussi la publication de nombreuses observations qu'apporté la pratique quotidienne avec le dynamisme du Maître. Avec la Revue neurologique, elle rend compte des études sur les incidences neurologiques des malformations, des infections, des tumeurs, et des désordres vasculaires à laquelle se consacre toute la nouvelle École.

Ainsi, après la période constructive de la neurologie neurochirurgicale, la neurologie nancéienne s'épanouit vers de multiples horizons. A chacun de ses élèves, le Chef d'École ouvre le chemin.

En 1962, le Professeur Pierre Kissel demande et obtient la création d'une Chaire de Clinique de neurologie et psychiatrie pour son premier élève, Georges Arnould, tandis que deviennent agrégés de neuropsychiatrie Pierre Tridon, puis Michel Laxenaire.

Une nouvelle étape commence qui se caractérise d'un côté par l'assimilation des techniques : électroencéphalographie, électromyographie, échoencéphalographie, neuroradiologie, scintigraphie cérébrale ; de l'autre par le transfert du Service de neurologie à l'Hôpital Saint-Julien en 1965.

Ceci conditionne les nouvelles tendances de recherche et d'observations.

La pratique de l'électroencéphalographie permet un abord de plus en plus précis de la maladie épileptique dans sa nosographie et dans son traitement Après avoir concerné avec Michel Weber, les accidents des anticomitiaux, les études actuelles portent sur l'application de nouveaux médicaments.

L'électromyographie se révèle un instrument diagnostique incomparable non seulement pour la détection et le pronostic des atteintes périphériques, mais encore pour toutes les affections dégénératives et les myopathies.

La neuroradiologie a fait que les affections vasculaires, autrefois apanage des services de médecine générale, sinon de chroniques, retiennent avec l'épilepsie, une grande partie de l'activité d'un service neurologique. Malformations, athérome des vaisseaux, indications chirurgicales ont donné lieu à de fréquentes observations.

Toutes ces études ont fait l'objet de publications, soit à la Société française de Neurologie, soit, et pour la plus grande part, à la Société de Médecine de Nancy. Nombreuses sont en effet les références dans la Revue médicale de Nancy, devenue « Annales Médicales de Nancy », sur ces différents points comme sur les curiosités cliniques.

Mais le changement concerne aussi l'activité du Service de neurologie lui-même. Il se ressent bientôt du polymorphisme qu'apportent les nouvelles orientations. Il faut sans doute répondre, en ce qui concerne la neurologie adulte, à l'importance grandissante de la pathologie vasculaire, tumorale, comitiale, tant pour les consultations que pour l'hospitalisation ; à l'accroissement de fréquence de la sclérose en plaques, à une pathologie neurologique nouvelle en rapport avec les maladies de système et les désordres immunologiques. Mais parallèlement se développent les besoins accrus de la neuropsychiatrie infantile et de la psychiatrie d'adultes.

Si bien qu'il devient rapidement difficile de faire face à toutes ces nouvelles demandes, qui finalement se révèlent d'une autre « essence » que la neurologie d'adultes, dans des locaux étroits. L'autorité en la matière et le mérite des intéressés, les événements de 1968 qui entraînent l'option, les possibilités offertes par les structures hospitalières, contribueront à la création en 1972, et en 1973, d'un service de pédopsychiatrie que dirige à l'Hospice J.B. Thiéry, le Professeur Pierre Tridon, et d'un service de psychologie médicale pour le Professeur Michel Laxenaire, à l'Hôpital Jeanne d'Arc de Dommartin-les-Toul.

De ce fait, la dernière étape historique de l'École nancéienne en vient à refléter l'histoire et la pérégrination de la spécialité elle-même à la Faculté de Médecine de Nancy. Si l'on peut voir dans le Professeur Hippolyte Bernheim le précurseur de la différenciation neuropsychiatrique, il est intéressant de constater qu'après avoir reçu sa structure universitaire et hospitalière, au sein de toutes les disciplines, par le Professeur Pierre Kissel, la neurologie et la psychiatrie nancéiennes aient retrouvé, pour s'exercer, mais avec plusieurs Chefs de service, les murs de l'Hôpital Saint-Julien et de l'Hospice J.B. Thiéry, comme au temps du Professeur Lucien Cornil.

Cette efflorescence de spécialités dans la spécialité n'est que la conséquence logique des hautes qualités, du dynamisme de ceux qui ont su comme Chefs d'École et Maîtres, favoriser l'essor, conforter la croissance, prévoir et assurer les adaptations d'une science vouée aux exigences et fluctuations du monde moderne.