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L'enseignement médical en Lorraine : quatre siècles d'histoire

Le CHU et les facultés de médecine de Nancy

 

par F. STREIFF

 

Médicographie - mars 1988

 

 

La Lorraine a été projetée, ces dernières années, au premier plan de l'actualité en raison des problèmes majeurs que pose la reconversion de ses grands secteurs économiques frappés de plein Jouet par la crise actuelle : l'économie de cette région, insuffisamment diversifiée, reposait sur trois grands secteurs, le charbon, l'acier, le textile, qui avaient assuré un essor économique remarquable, en particulier après la Seconde Guerre mondiale. Confrontée aux difficultés économiques actuelles et à la compétition internationale, la Lorraine doit faire face à une difficile reconversion. Forte d'un potentiel humain de 2300000 habitants, cette province a connu bien des épreuves au cours de son histoire mouvementée, mais toujours elle a trouvé en elle-même, avec des hommes courageux au caractère rigoureux et inflexible, la solution de ses problèmes et les atouts de son avenir.

Les institutions médicales et universitaires en Lorraine sont le reflet de cette histoire et de ces mutations : une tradition de près de quatre siècles d'enseignement médical se poursuit aujourd'hui dans le cadre du CHU de Nancy et de ses facultés A et B de médecine qui représentent pour la Lorraine un atout de premier plan.

 

C'est en 1572, par la bulle "In Supcreminenti" du pape Grégoire XIII, que fut créée l'université de Pont-à-Mousson à l'instigation du duc Charles fil de Lorraine et du cardinal Charles de Lorraine, frère du grand duc de Guise. Les motivations de cette création n'étaient pas que d'ordre sanitaire ou humaniste : il convenait avant tout de créer un rempart vis-à-vis de la réforme luthérienne dont les progrès devenaient préoccupants, à Metz notamment.

Le site de Pont-à-Mousson, sur les rives de la Moselle, fut choisi en raison de sa proximité avec les évêchés de Metz, Tout et Verdun.

Le révérend père Hey, de la Société de Jésus, fut nommé premier recteur de celte université qui devait comporter quatre facultés : théologie, philosophie et arts, dirigées par des jésuites, droit civil et canonique, et médecine, dirigées par leurs doyens, laïcs. Les facultés de théologie et de philosophie connurent dès 1572 un succès certain et une grande renommée. La faculté de droit ne fut créée qu'en 1576 et Pierre-Grégoire de Toulouse fut chargé de l'organiser.

Les premiers cours de la faculté de médecine n’ouvrirent que le 25 octobre 1592 avec Toussaint Fournier et en 1598 Charles Lepois en devenait le premier doyen et inaugurait l'enseignement officiel.

Pendant près de deux siècles, l'université de Pont-à-Mousson, et plus particulièrement sa faculté de médecine, devaient connaître des fortunes diverses et une histoire tourmentée.

Le succès initial fut indiscutable et rapide : l'université comptait près de 2000 écoliers en 1607 dont 400 pour médecine et droit. Mais, en 1632, survint la terrible épidémie de peste noire au cours de laquelle le doyen Charles Lepois mourut, victime de son courage, en soignant les pestiférés.

En 1635, ce furent les "malheurs de la guerre", si bien illustrés par les gravures de Jacques Callot : la Lorraine fut le théâtre d'un champ de bataille atroce et Pont-à-Mousson fut envahi par les troupes de Louis XIII et Richelieu. En 1638, il restait moins de 100 écoliers à l'université, il n'y avait plus de maîtres à la faculté de médecine. Charles IV de Lorraine, rétabli alors dans ses états, fait renaître l'université avec un certain succès, mais survient alors la deuxième occupation française sous Charles V. A la suite de la paix de Ryswick, le duc Léopold tente alors de restaurer l'université de Lorraine et obtient même une nouvelle phase de prospérité relative, mais jamais l'élan initial ne sera retrouvé.

Puis c'est le règne de Stanislas qui marque la prédominance progressive de Nancy : malgré son refus de transférer à Nancy l'université de Pont-à-Mousson, Stanislas autorise, en 1752, la fondation d'un collège royal de médecine à Nancy, dirigé par Charles Bagard, qui porte un coup fatal à la faculté de médecine de Pont-à-Mousson, par ailleurs bien décadente.

Le 23 février 1766, meurt le roi Stanislas, la Lorraine devient française et, par lettre patente du 3 avril 1768, Louis XV transfère à Nancy l'université de Pont-à-Mousson : le doyen Joseph Jadelot, dernier doyen à la faculté de médecine, donne sa démission et décide de terminer ses jours à Pont-à-Mousson.

De 1768 à 1792 s'ouvre alors une période au cours de laquelle une pléthore de structures médicales à Nancy rivalisent entre elles. C'est tout d'abord le Collège royal de médecine qui est non seulement une académie, mais aussi un établissement d'enseignement avec des cours d'anatomie, de botanique, de chimie : il se préoccupe également de l'état sanitaire de la Lorraine, organise des consultations gratuites et surveille l'exercice de la pharmacie. Il siège au premier et au deuxième étage du pavillon de la Place royale, occupé aujourd'hui par le musée des Beaux-arts, place Stanislas.

Le 19 mars 1770, par lettre patente du roi Louis XV, est créé un Collège royal de chirurgie avec mission, entre autres choses, d'enseignement. Il siégera dans divers locaux dont l'actuel musée des Beaux-arts, les serres du jardin botanique et même le Palais ducal. S'y illustrèrent notamment Jean-Baptiste Lafflite, son premier doyen, et surtout, La Flize et Jean-Baptiste Simonin père.

Enfin, la faculté de médecine de Pont-à-Mousson, transférée à Nancy en 1768, siège également dans les mêmes bâtiments que le Collège royal de médecine, ce qui ne va pas sans poser de nombreux problèmes de rivalités ou de préséances. Il y a tout au plus quatre professeurs, dont Tournay et surtout Nicolas Jadelot, auteur d'un très beau traité d'anatomie illustré par des planches en couleur selon un procédé nouveau inventé par Gauthier d'Agoty. Les élèves ne sont pas plus de 25. Et il faut reconnaître à cette faculté un certain parfum de décadence. Son dernier doyen, Tournay, meurt en 1791.

C'est alors que survient la tourmente révolutionnaire et toutes ses conséquences : un décret du 18 avril 1792 supprime les universités en France (il y en avait 22) ; un autre décret du 8 avril 1793 pris à l'initiative d'un Lorrain resté célèbre à d'autres titres, l'abbé Grégoire, supprime toute académie, société savante, tous collèges, etc. S'instaurent alors dans le domaine médical l'anarchie, le charlatanisme et la misère : la liberté d'exercice de la médecine et de la chirurgie sans aucune condition légale d'études et de diplômes est proclamée.

Fourcroy, le 14 frimaire an III (4 décembre 1794), s'émeut de cette situation et obtient la création de trois écoles de santé en France : Paris, Montpellier et Strasbourg qui formeront des officiers de santé. Ces écoles sont érigées en facultés en 1808. Mais Nancy n'en était pas, malgré le rapport favorable de Cales, député de la Haute-Garonne, en 1796. Il n'y aura pas de nouvelle faculté de médecine en France avant 1874.

C'est alors qu'à Nancy, un groupe de médecins lucides et courageux va tout mettre en œuvre pour restaurer un enseignement médical digne de ce nom en Lorraine. Ils fondent tout d'abord une "Société de santé", le 28 nivôse an Y, très éphémère, puis une "Ecole libre de médecine" en 1809. Leurs efforts ne seront consacrés qu’en 1822 avec la création d'une école secondaire de médecine, avec Jean-Baptiste Simonin, de Haldat, Serrières, Bonfis, Braconnot. Il y a alors en France 27 écoles secondaires de médecine dont l'École militaire créée à Metz en 1814. Ces écoles formaient des officiers de santé.

En 1843, l'école secondaire devient "École préparatoire de médecine et de pharmacie" parmi les 2l créées en France : J.-B. Simonin en est le premier directeur, mais c'est Edmond Simonin qui, en 1850, lui donnera toute son impulsion vigoureuse : il y aura au moins 20 étudiants par an, certains maîtres seront très réputés. Edmond Simonin, par ses travaux sur l'emploi de l'éther et du chloroforme, sera l'un des promoteurs de l'anesthésie. Parmi les élèves illustres, citons Malgaigne, Leuret, Deshayes.

L'histoire intervient alors à nouveau : le désastre de 1870 et le traité de Francfort du 10 mai 1871 entraînent comme conséquence l'annexion de l'Alsace-Lorraine. Nancy même est occupée et le général baron Von Manteuffel siège au palais du gouvernement. La faculté de Strasbourg n’est plus en France. Il ne reste alors que deux facultés : Paris et Montpellier, et 22 écoles préparatoires dont une à Nancy.

Le transfert de la faculté de médecine de Strasbourg fut l'objet d'âpres discussions : Lyon, Bordeaux revendiquaient l'héritage. L'action de tous les Lorrains fut déterminante, la municipalité de Nancy consentit des moyens matériels importants. Le 1er octobre 1872, le décret de transfert à Nancy de la faculté de Strasbourg est signé. Lyon devra se contenter d'accueillir l'école militaire de Strasbourg transférée, mais deviendra à son tour faculté, ainsi que Bordeaux, en 1874. Nancy accueille alors les maîtres strasbourgeois émigrés et Stoltz, un Strasbourgeois, devient le premier doyen : sur 16 chaires, 3 seulement reviennent à des Nancéiens (Blondlot, Simonin, Victor Parisot).

La faculté est d'abord abritée dans une aile du palais académique, mais une nouvelle faculté de médecine est mise en chantier : en 1894 est inauguré l'Institut anatomique au 31 rue Lionnois, en 1899 l'Institut d'hygiène, en 1902 les autres bâtiments de la rue Lionnois. Parallèlement, un hôpital neuf est construit rue de la Prairie, inauguré le 5 novembre 1882, complétant les structures existantes et désuètes : hôpital Saint-Charles, hôpital Saint-Léon, Dépôt de mendicité, l'ancien hôpital Saint-Julien et la Maison de secours.

Des enseignants de grande réputation y exerceront, tels Nicolas et Prenant, Ancel et Bouin, Lucien puis plus tard Remy Collin, dans les disciplines morphologiques, fondant les bases de l'endocrinologie moderne, tels que Bernheim, Haushalter, Parisot dans les disciplines classiques. Bernheim se rendit particulièrement célèbre par son opposition aux thèses de Charcot sur l'hystérie ; Freud lui-même vint le voir à Nancy.

Les étudiants étaient nombreux : de 1873 à 1914, plus de 10000 étudiants y furent formés.

De cette époque, date également l'essor considérable que connut la Lorraine restée française et Nancy, tout particulièrement dans les domaines industriel, économique, artistique avec la célèbre "École de Nancy" des Gallé, Daum, Majorelle, Gruber, Mougin.

Par ailleurs, en 1876, la pharmacie s'autonomisait et était érigée en faculté en 1920. L'enseignement dentaire était créé en 1901 et l'Institut dentaire était construit en 1910, l'un des tout premiers en France.

En 1914 survint la Première Guerre mondiale. Malgré la proximité immédiate du front, la faculté et les hôpitaux poursuivent leur mission, dans des conditions difficiles : pour sa conduite exemplaire, la faculté fut citée à l'ordre de la nation le 16 avril 1920. En 1918, la paix revenue, l'Alsace redevenait française et la faculté de Strasbourg était restaurée. Des maîtres réputés quittent Nancy pour Strasbourg.

Mais la paix retrouvée ne devait pas être de longue durée et c'est de nouveau la guerre. La Lorraine est comprise dans la zone dite "interdite" par l'occupant. Une grande partie des hôpitaux et de la faculté est réquisitionnée, mais l'enseignement continue malgré tout. Les doyens Lucien et Parisot, les professeurs Drouet, Heully seront déportés.

Enfin, la paix revient. Il faut alors reconstruire le pays dévasté par quatre années d'occupation et de destructions. Rapidement, il faut faire face à l'augmentation importante du nombre des étudiants et aux besoins d'une médecine moderne. De nombreux problèmes matériels sont à résoudre, problèmes de locaux notamment. Le doyen J. Parisot entreprend la construction des bâtiments sis dans l'ancienne propriété Bergeret. Le doyen Beau fait implanter des bâtiments préfabriqués, dits bâtiments "Prouvé". L'ancien Hôtel des missions royales est annexé et sa chapelle transformée en amphithéâtre.

Au cours de cette inflation galopante des effectifs étudiants et de cette expansion subie plus que maîtrisée, éclate alors 1968 et ses remises en question fond amentales. La faculté de médecine de Nancy, comme toute l'Université, est ébranlée dans ses dogmes et ses certitudes. Des assemblées provisoires, mises en place, décident la création de deux unités d'enseignement et de recherche médicale, A et B, succédant donc à la faculté de médecine.

Les effectifs étudiants continuent de progresser, pour atteindre jusqu'à 1600 en 1ère année en 1975-1976; mais les pouvoirs publics, préoccupés des conséquences de cette inflation sur l'exercice de la profession médicale, instaurent en 1971 un numerus clausus qui de 420 étudiants par an initialement, va redescendre progressivement à partir de 1977 pour atteindre 188 en 1984-1985.

Les hôpitaux, de leur côté, réalisent un vaste programme d'expansion pour s'adapter aux besoins de la médecine moderne, tant sur le plan de la technicité que des conditions d'accueil. C'est ainsi que des opérations de remodelage sont entreprises à l'Hôpital central, que l'ancien hôpital militaire américain de Dommartin-lès-Toul est acquis et transformé.

C'est surtout la construction d'un nouveau CHU à Brabois, d'une capacité de 1300 lits, inauguré en 1973, suivi d'un centre anticancéreux, d'un centre régional de transfusion sanguine, d'hématologie et de fractionnement du plasma, puis plus récemment d'un hôpital d'enfants, d'une école d'infirmières et d'une école des cadres. Deux unités de recherche de l'INSERM et un Institut de recherches chirurgicales complètent cet ensemble tout à fait remarquable implanté sur le plateau de Brabois.

Mais la faculté, elle aussi asphyxiée dans ses anciens locaux datant d'un siècle, est, en 1975-1976, transférée dans ses nouveaux locaux de Brabois, à proximité immédiate du CHU, avec ses 40000 m2 de surface construite, tant en locaux d'enseignement que de recherche et d'administration, auxquels s'ajoutent rapidement une bibliothèque et un restaurant universitaire.

 

Aujourd'hui, les facultés A et B de médecine font partie de l'université de Nancy l qui regroupe les formations de santé et de sciences. L'université de Nancy II rassemble les lettres, le droit et les sciences économiques. L'INPL rassemble les écoles d'ingénieurs prestigieuses. L'université de Metz complète l'ensemble universitaire lorrain, héritier de l'université de Pont-à-Mousson en 1572.

Les facultés A et B de médecine comptent aujourd'hui près de 5000 étudiants : 800 en PCEM1 et un numerus clausus de 174 à la rentrée 1986-1987. Le seul 3ème cycle des spécialités comprend plus de 2000 étudiants, près de 400 sont engagés dans le 3ème cycle de biologie humaine.

Pour encadrer ce grand nombre d'étudiants, les facultés disposent de 127 professeurs, de 190 personnels de rang B dont 34 chefs de travaux titulaires et plus de 150 personnels administratifs, techniques et de service.

Dans les hôpitaux du centre ville, de Brabois et de Toul, 73 services offrent des terrains de stage de haute qualité auxquels s'ajoutent les établissements conventionnés et les hôpitaux généraux de Lorraine et tout particulièrement le CHR de Metz-Thionville, au potentiel remarquable, à une demi-heure de Brabois.

Un potentiel de recherche important complète cet ensemble : cinq unités de recherche de l'INSERM, de nombreux laboratoires universitaires dont bon nombre ayant le label B une étoile ou équipe recommandée, plusieurs groupes associés ou techniciens CNRS, le pôle Est du génie biologique et médical, groupant au total plus de 100 chercheurs statutaires dont 5 directeurs.

Parmi les principaux axes de recherche, notons en particulier la santé publique, l'hygiène et l'épidémiologie illustrée par le doyen Jacques Parisot et son école, la physiopathologie respiratoire, l'alimentation et la nutrition, la biologie du développement, la néonatologie, le génie biologique et médical, les techniques microchirurgicales et la chirurgie de la main, la réadaptation fonctionnelle, les transplantations d'organes (rein, cœur, moelle) appuyés sur un potentiel immunologique très solide, l'informatique médicale, la réanimation médicale.

Sans nul doute, un tel ensemble, un tel potentiel représentent un atout de premier ordre pour la Lorraine.

Mais aujourd'hui, à nouveau, de nombreuses inquiétudes se sont manifestées après l'adoption depuis trois ans de textes trop nombreux et simultanés dont la mise en application a été mal perçue ou refusée par un grand nombre d’hospitalo-universitaires et dont on mesure mal les conséquences : loi sur les enseignements supérieurs et évolution des structures, réforme des statuts des hospitalo-universitaires et des hospitaliers, réforme des études médicales et en particulier du 3ème cycle, réforme des structures hospitalières... sans oublier le contexte économique dans lequel ces structures évoluent avec la progression inexorable du coût de la santé et les conséquences inévitables d'une démographie médicale trop longtemps mal maîtrisée.

Il convient d'aborder ces grands problèmes avec objectivité en dehors de toute connotation politique. Les problèmes de santé publique et de formation des médecins sont trop graves pour être remis en question périodiquement au gré des aléas de la vie politique. L'Université, par définition, est synonyme de "mouvement" et de ces réformes trop nombreuses et souvent mal adaptées, il conviendra de retenir ce qu'elles peuvent impliquer de rénovation et de progrès.

L'histoire tourmentée des institutions médicales lorraines, que nous avons ébauchée, nous apprend qu’au travers des réformes et des événements, la volonté et la détermination des hommes qui les animent ont toujours su dominer les difficultés et répondre à leurs missions de soins, d'enseignement et de recherche.

Ce potentiel humain de haute qualité est le meilleur gage de succès pour l'avenir.