` sommaire

Les sciences physiologiques et physico-chimiques

par P. ARNOULD

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

Le choix de Nancy comme ville de transfert de la Faculté de Médecine de Strasbourg fut dicté essentiellement par des raisons politiques et patriotiques. A l'époque, les hôpitaux de la cité étaient notoirement incapables de suffire aux besoins de l'enseignement. Il en était de même des locaux mis à la disposition des laboratoires. Ceux affectés aux sciences physiologiques (physiologie, chimie, physique) furent tout d'abord ceux de l'école supérieure de garçons, place Carnot. Dès le mois de mai 1875, ces laboratoires purent être transférés dans le nouveau palais Académique, ce qui constitua une amélioration, malgré les difficultés rencontrées pour l'élevage des animaux. Un nouveau déménagement provisoire eut lieu en 1895, vers l'Institut Anatomique. Ce n'est qu'en 1902, que furent construits les locaux actuels, certainement très bien adaptés, grâce à l'action du doyen Gross, aux besoins de la recherche et de l'enseignement, et considérés alors comme laboratoires « modèles ». On peut certes admirer l’ampleur de vue des constructeurs, puisqu'en 1902 la Faculté comptait 229 étudiants, et que ces locaux ne se sont révélés insuffisants qu'après la dernière guerre (si l'on ne tient pas compte des locaux nouveaux nécessités par les explorations fonctionnelles effectuées pour le compte du centre hospitalier).

CHAIRE DE PHYSIOLOGIE

Dès 1872, la Faculté de Médecine de Nancy comportait une chaire de physiologie. Or le titulaire de la chaire de Strasbourg, Kuss, venait de mourir. Kuss était maire de Strasbourg au moment de la guerre, et assura les devoirs de sa charge avec un courage admirable. Elu député de l'Alsace à l'Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux, c'est dans cette ville qu'il mourut en 1871.

Ce fut donc son agrégé, Beaunis, qui fut nommé titulaire de la chaire de physiologie.

Henri Etienne Beaunis était né le 2 août 1830, à Amboise, où sa mère s’était réfugiée en raison des événements révolutionnaires. Ses parents habitaient Rouen, et c'est dans cette ville qu'il fit ses études secondaires et commença sa médecine, qu'il alla continuer à Paris.

Il semble bien que, dans la capitale, il consacra moins de temps à la Faculté qu'à des activités littéraires, d'ailleurs appréciées, puisqu'il put faire représenter au théâtre de l'Odéon une «Ode à Molière» (il avait alors 23 ans). Les pères de ce temps là étaient peu compréhensifs, et celui de Henri Etienne, fonctionnaire des contributions indirectes, envoya d'autorité son fils continuer ses études à Montpellier, où il soutint sa thèse en 1856 (« L'habitude en général »). Sans doute pour des raisons financières, il concourut pour devenir médecin militaire et, sitôt achevé son stage au Val de Grâce, fut affecté à divers postes en Algérie, puis à Montpellier et à Arras.

C'est à ce moment qu'il se décida à tenter une carrière universitaire, visant d'emblée la Faculté de Médecine de Strasbourg. Il lui fallut pour cela se mettre d'abord à l'étude de l'allemand, puis il concourut avec succès pour le poste de répétiteur à l'école de santé militaire de Strasbourg. Une fois sur place (1861), il prépara le concours d'agrégation d'anatomie et physiologie, auquel il réussit en 1863.

C'est à cette époque qu'il écrivit, avec Bouchard une « Anatomie descriptive » qui eut 5 éditions et fut traduite en espagnol.

Parallèlement à ses activités universitaires, Beaunis était resté médecin militaire et avait la charge du service des vénériens à l'Hôpital militaire.

Vint la guerre de 1870. Beaunis fit son devoir dans Strasbourg assiégée ; à la chute de la ville, il passa clandestinement en Suisse pour rejoindre l'armée française et prit part à la campagne de la Loire. Il reçut ensuite diverses affectations et n'abandonna l'armée active qu'à sa nomination comme Professeur de Physiologie à la Faculté de Médecine de Nancy, en 1872.

Sa première tâche fut d'organiser le laboratoire et de se procurer du matériel. Très rapidement, il en obtint du Ministère et put ainsi mettre en route, dès 1875, des travaux pratiques - facultatifs - qui eurent un tel succès auprès des étudiants qu'il fallut dédoubler les séries au bout de deux ans de fonctionnement.

Nous verrons que ses collègues chimiste et physicien avaient la même préoccupation, continuant la tradition strasbourgeoise, mais jouant un rôle de précurseur, puisque les travaux pratiques dans ces disciplines ne devinrent obligatoires qu'en 1879.

En 1877, toujours avec Bouchard, il publiait un « Précis d'anatomie et de dissection», et surtout, en 1876, la première édition des « Nouveaux éléments de physiologie humaine». Cet ouvrage eut 3 éditions et fut traduit en italien ; la troisième édition date de 1888 ; beaucoup plus importante que celle de 1876, c'est un traité en 2 volumes, comportant 1672 pages et 626 figures, couvrant tout le champ de la physiologie (y compris la physiologie générale, la chimie physiologique, la physiologie cellulaire). Cet ouvrage est remarquable par sa clarté, son érudition (les références sont très nombreuses, et actualisées) et son objectivité : s'agit-il d'exposer un sujet encore controversé (par exemple, de savoir si l'acide du suc gastrique est de l'acide chlorhydrique ou de l'acide lactique), l'auteur expose les arguments des tenants des diverses hypothèses, avant de donner son opinion personnelle, plus ou moins ferme selon les cas, mais faisant toujours preuve d'un jugement sain, et souvent étayée par ses propres expériences.

Le domaine de recherche de Beaunis était essentiellement le système nerveux, et plus spécialement la psycho-physiologie. Ses travaux dans ce domaine furent récompensés par la création à la Sorbonne, en 1889, d'un laboratoire de psychologie physiologique dont il fut nommé le Directeur (non rétribué).

L'atmosphère de Nancy était certes propice à une telle orientation, en vertu notamment des retentissants travaux de Bernheim et de son école. Dans un livre paru pour la première fois en 1886 (« Le somnambulisme provoqué »), Beaunis relate ses propres recherches sur l'hypnotisme, recherches intéressantes en ce sens qu'elles tendaient à obtenir des mesures de grandeurs physiologiques au cours de l'hypnose (mesure de divers temps de réaction, mesure de la force musculaire).

En 1892, Beaunis eut des ennuis de santé assez graves pour qu'il dut demander sa mise en congé, puis prendre une retraite anticipée en 1894 ; il avait alors 64 ans.

En fait, son état de santé s'améliora, et il ne mourut qu'en juillet 1921, âgé de 92 ans, après avoir eu une retraite active, au cours de laquelle il publia quelques articles scientifiques et surtout des œuvres littéraires. A vrai dire, cette activité littéraire, commencée dès sa jeunesse, n'avait jamais été interrompue : ce sont plus de vingt œuvres - contes, récits, poésies, pièces de théâtre - que Beaunis publia sous son nom ou sous le pseudonyme de Paul Abaur - sans compter une traduction d'Eschyle, commencée au lycée et reprise dans la huitième décade de sa vie.

Beaunis fut aidé dans sa tâche successivement par Poincaré et par René.

A l'école de médecine de Nancy, la physiologie était enseignée par Emile Poincaré (né à Nancy en 1828). En 1872, ce dernier fut nommé Professeur adjoint de physiologie. Il s'intéressait tout spécialement au système nerveux, publiant en 1877 un traité en plusieurs volumes : « Physiologie normale et pathologique du système nerveux ». Mais la physiologie n'était pas sa seule préoccupation, et l'on créa pour lui en 1879 une chaire d'Hygiène.

En 1886, Albert René fut institué agrégé de physiologie. C'était un Lorrain, qui avait fait toutes ses études à Nancy (thèse en 1877 : « Étude expérimentale sur l'action physiologique de la nicotine »). René a peu publié ; c'est lui qui eut l'idée de munir le tambour inscripteur de Marey d'une vis latérale permettant un réglage facile et précis de l'appui de la plume sur le cylindre enfumé - dispositif dont plusieurs générations de physiologistes ont pu apprécier la commodité. René démissionna en 1894, au départ de Beaunis.

Le successeur de ce dernier fut Meyer.

Edouard Marie Jules Meyer était alsacien, né à Lauterbourg en 1860.

Il avait commencé ses études médicales à Nancy, mais les avait terminées à Lille. Sa thèse de 1886 avait pour titre « La réfrigération des mammifères ». Agrégé de physiologie à Lille en 1889, il était parti à Toulouse comme chargé du cours de physiologie deux ans plus tard.

Revenu à Nancy en 1894, ce fut donc lui qui eut la charge de faire les plans du nouveau laboratoire, et de l'organiser. Ses travaux personnels furent surtout consacrés à l'appareil cardio-vasculaire ; citons en particulier des études sur la régulation de la pression sanguine chez l'animal nouveau-né. Physiologiste de renom, il participa à l'élaboration de plusieurs traités dans le domaine des sciences physiologiques.

Meyer a laissé le souvenir d'un Maître, aimé et respecté de ses élèves, qu'il savait guider et aider. Plusieurs d'entre eux ont fait par la suite une carrière brillante soit en physiologie (par exemple Henri Hermann, qui fut Doyen de la Faculté de médecine de Lyon), soit dans d'autres disciplines, tels Jeandelize, Caussade ou Jacques Parisot. Ce dernier, entré au laboratoire en 1902 comme aide-préparateur, y effectua et y inspira de nombreuses recherches pendant vingt ans ; par exemple les travaux de Hermann sur la ventilation unilatérale, liés à l'introduction du pneumothorax artificiel dans le traitement de la tuberculose pulmonaire.

Meyer laissait une grande liberté à ses élèves : parmi les nombreuses publications du laboratoire à cette époque, peu sont cosignées de lui. Il accueillait volontiers tous ceux qui cherchaient dans son laboratoire des moyens de travail : c'est chez lui, par exemple, que Sencert effectua une partie de ses recherches sur les voies d'abord chirurgical de l'oesophage.

En 1913, Edouard Meyer fut élu Doyen de la Faculté. C'est donc à lui qu'échut la lourde tâche de diriger l'établissement pendant la guerre - on sait avec quel courage et quelle efficacité, comme en témoigne la citation de la Faculté à l'ordre de la Nation. La fin de la guerre lui apporta de nouveaux soucis dus au transfert à Strasbourg, par un juste retour des choses, de plusieurs des plus brillants professeurs nancéiens. Meyer mourut subitement, en pleine activité, le 23 octobre 1923.

Il y eut plusieurs agrégés de physiologie sous le long règne de Meyer : Lambert (1895), que nous allons retrouver - Busquet (1910), qui resta peu de temps et s'orienta vers la pharmacologie, Pierre Mathieu, agrégé en 1920 et démissionnaire en 1924 - Daniel Santenoise.

Ce fut Mayer Simon Lambert qui succéda à Meyer. Agrégé depuis 1895, il avait eu une carrière difficile du fait des règlements de l'époque, qui limitaient à 9 ans la durée des fonctions d'agrégé. Sa prolongation dans les fonctions, à plusieurs reprises, ne se fit pas sans de grandes difficultés. Peu avant la première guerre mondiale, il partit enseigner la physiologie à Sao Paulo, d'où il revint pour faire son devoir militaire. En 1919, il obtint la chaire de Physique, d'où il demande naturellement son transfert à la chaire de physiologie lorsque celle-ci devint vacante, en 1924 ; il l'occupa jusqu à sa retraite en 1937.

Ses publications portent notamment sur les mécanismes humoraux de la régulation digestive ; on lui doit un « guide pratique de l'alimentation rationnelle » et une importante participation au dictionnaire de Charles Richet. Cependant une santé défaillante ne lui permit pas de maintenir l'activité du laboratoire au niveau atteint par son prédécesseur.

Le transfert de Daniel Santenoise de la Chaire d'Hydrologie thérapeutique à celle de physiologie, en 1937, inaugura au contraire une période de travail intense. Avec l'aide de l'équipe qu'il avait constituée au sein de sa précédente chaire, il continua avec fougue l'étude des deux facteurs endocriniens qu'il avait isolés du pancréas : la vagotonine et la centropnéine ; notes et thèses sortent nombreuses sur ce sujet ; c'était l'époque où la notion d'« équilibre vago-sympathique » avait en clinique une importance qu'elle n'a plus actuellement, et les physiologistes s'efforçaient de lui fournir une base objective.

En 1939, deux candidats nancéiens se présentèrent à l'agrégation de physiologie : Robert Grandpierre et Claude Franck. Tous deux furent reçus, le premier affecté à Nancy, le second à Bordeaux. Aucun des deux ne put, naturellement, prendre ses fonctions immédiatement, du fait de la guerre.

En 1942, le professeur Santenoise quitta Nancy pour l'Institut Pasteur de Paris. Son successeur fut un parisien, Paul Chailley-Bert (1890-1973). Petit-fils de Paul Bert, il était agrégé de physiologie à Paris. Élève de Langlois, il s'était orienté très tôt vers la biologie et la médecine du sport (ce qui explique son amitié avec Louis Merklen), domaine auquel il avait déjà apporté d'importantes contributions, tant sur le plan des connaissances scientifiques que sur celui de l'enseignement et de l'organisation.

A Nancy, l'époque n'était guère favorable à la recherche ; il était déjà bien difficile de maintenir un niveau convenable d'enseignement. De plus, le Professeur Paul Chailley-Bert avait des préoccupations tout autres que scientifiques : résistant actif, il dirigeait le service médical du maquis des Vosges ; à la libération de Nancy, ce fut lui qui fut nommé Commissaire de la République. A partir de ce moment, il abandonna pratiquement la direction effective de la chaire, tout en en restant titulaire jusqu'en 1952.

Cette direction effective fut assurée, une fois la paix revenue, par le Professeur agrégé Claude Franck, revenu à Nancy. En étroite collaboration avec le Professeur agrégé Robert Grandpierre, qui poursuivait simultanément carrières universitaire et militaire, ce fut lui qui remit en route le laboratoire. En physiologie comme dans bien d'autres sciences, les français prenaient brusquement conscience du retard qu'ils avaient pris par rapport à d'autres, notamment bien entendu les U.S.A. ; il y avait une dure pente à remonter. Le Professeur Franck, pédagogue et organisateur de premier ordre, s'y attacha avec énergie et continuité, s'entourant d'une équipe entièrement nouvelle. Il orienta ses propres recherches vers la physiologie respiratoire, guidé en cela par des préoccupations de physiologie aéronautique.

Le Professeur Chailley-Bert ayant été transféré à Paris, le Professeur Claude Franck devint titulaire de la chaire en 1952. Parallèlement à son activité physiologique, il prenait une part de plus en plus grande à l'administration de la Faculté. En 1960, il fut nommé Recteur et occupa successivement les postes de Dakar, Poitiers et Aix-Marseille.

Le Professeur Robert Grandpierre ne sollicita pas la succession ; il devint en 1962 Professeur de physiologie à Bordeaux - jusqu'en 1974. La chaire de Nancy échut ainsi au Professeur Pierre Arnould, agrégé de physiologie depuis 1955.

Depuis la division de l'ancienne Faculté en deux unités d'enseignement et de recherche, le laboratoire est administrativement divisé en deux : le laboratoire de Physiologie A est dirigé par le Professeur Pierre Arnould et le Professeur Michel Boura, Professeur sans chaire ; le laboratoire de physiologie B est dirigé par le Professeur Michel Boulangé, aidé du Professeur agrégé Jean-Pierre Crance. En fait les deux équipes mettent en commun une partie de leurs ressources et prennent soin d'harmoniser leur enseignement.

En plus des activités de recherche «traditionnelles» du laboratoire dans les domaines respiratoire et cardio-vasculaire, deux nouvelles orientations sont apparues depuis quelques années : physiologie rénale (surtout : contrôle hormonal de la sécrétion urinaire), sous l'impulsion du Professeur Boulangé ; physiologie néo-natale, grâce au Professeur agrégé Crance. A vrai dire, ces orientations ne sont pas vraiment nouvelles pour la physiologie nancéienne, puisque déjà E. Meyer avait étudié les sécrétions internes du rein et les mécanismes physio-pathologiques de l'urémie ainsi que - nous l'avons signalé - la régulation du tonus vaso-moteur du nouveau-né.

Trois des Professeurs du laboratoire de physiologie sont biologistes des Hôpitaux : le Professeur Boulangé est Chef d'un service d'explorations fonctionnelles rénales et métaboliques ; le Professeur Boura assure la direction du laboratoire d'explorations fonctionnelles du Centre de Médecine Préventive de Vandœuvre, le Professeur agrégé Crance celui des services de pédiatrie.

Enfin, il nous semble justifié de consacrer une étude particulière à la physiologie aéronautique et à la physiologie du sport, deux domaines où la contribution nancéienne n'est nullement négligeable.

La Physiologie du sport

Ce n'est pas ici le lieu de faire l'historique de la médecine du sport en général. La première manifestation officielle de l'intérêt porté par la Faculté de Médecine de Nancy à cette discipline remonte à 1924 : Pierre Mathieu, agrégé de physiologie, est chargé d'un « cours d'éducation physique et d'organisation du travail et du sport ». Un article de lui dans la Revue Médicale de Nancy de la même année est consacré à la « mesure des aptitudes physiques et intellectuelles ». Mais, dès l'année suivante, c'est Louis Merklen, alors simple préparateur de physiologie, qui assure cet enseignement, qu'il oriente plus spécifiquement vers l'éducation physique, et auquel il donne un grand développement. En 1929 est crée à Nancy un Institut Régional d'éducation physique, dont la direction est confiée à Merklen. Cet I.R.E.P. est un Institut d'Université (comme les quatre autres établissements similaires créés en France à peu près à la même époque), mais ses statuts donnent une importance prépondérante à la Faculté de Médecine dans sa direction et son fonctionnement. L'institut s'installe dans des locaux proches de ceux de la Chaire d'Hydrologie, dans l'ancien Hôtel des Missions Royales, avenue de Strasbourg CU Sa vocation est triple : faire de la recherche biologique et médicale sur l'exercice musculaire et le sport - former des enseignants d'éducation physique - donner aux étudiants en médecine une formation en médecine du sport.

Louis Merklen était particulièrement compétent pour une telle tâche : sa thèse de 1929, sur « Le rythme du cœur au cours de l'activité musculaire et notamment des exercices sportifs », réalisée à l'aide de moyens d'exploration très simples, est restée le document de base dans ce domaine jusqu'à une époque récente - jusqu'à la mise au point des méthodes de mesure télémétrique permettant la réalisation facile de ce que Merklen n'avait pu obtenir qu'à force d'ingéniosité et de ténacité.

L'institut est très actif d'emblée. A cette époque, la plupart des candidats à l'enseignement de l'éducation physique étaient des instituteurs, qui ne pouvaient se libérer de leurs obligations professionnelles que le jeudi et le dimanche : c'est donc ces jours-là que se fait l'enseignement ; les élèves de l'époque ont conservé un vif souvenir du dévouement de leur Directeur.

Comme dans le domaine de l'Hydrologie, le Professeur Merklen devient rapidement un expert fort écouté sur le plan national dans le domaine des aspects biologiques et médicaux de l'éducation physique et du sport. Il crée à Nancy - bien en avance sur la législation - un centre médico-sportif destiné à déceler d'éventuelles contre-indications à la pratique sportive, et à conseiller dirigeants et pratiquants sur les méthodes d'entraînement.

En ce qui concerne la formation des médecins à la médecine sportive, il crée un Diplôme d'Université : le diplôme d'études médicales d'éducation physique et sportive. Transformé par la suite (comme le diplôme de médecine aéronautique) en C.E.S. national de Biologie et Médecine du Sport, ce certificat a toujours été très suivi (actuellement, environ 40 candidats chaque année).

Quelques années après la dernière guerre, toutefois, l'Institut vit son activité fortement réduite, la formation des Professeurs d'éducation physique lui ayant été retirée ; le Doyen Merklen n'était pas homme à entériner des orientations qu'il désapprouvait... Il mourut en 1964.

Le Professeur Pierre Arnould fut alors chargé de la direction de l'Institut, avec mission de remettre en route l'enseignement préparatoire au professorat d'éducation physique, ce qui fut fait. A la suite des événements de 1968, l'Institut a été transformé en Unité d'enseignement et de recherche et n'a plus de lien officiel avec la Faculté de Médecine. Cependant ce sont toujours les chaires d'anatomie et de physiologie qui y assurent l'enseignement de ces deux disciplines, et le Président du Conseil d'administration est un professeur de la faculté de médecine : le professeur Guy Rauber.

Au cours des dernières années, l'activité du centre médico-sportif créé par le Doyen Merklen avait pris une telle expansion qu'il est apparu nécessaire de le dédoubler : le centre médico-sportif proprement dit (c'est-à-dire chargé de l'examen médico-physiologique des sportifs en vue de l'obtention du certificat de non-contre indication à la pratique du sport nécessaire pour la délivrance de la licence) a été transféré à l'office municipal des sports de la ville de Nancy - ce qui est d'ailleurs conforme à la législation nationale. Ce centre a pris, à juste titre, le nom de Centre médico-sportif Louis Merklen. D'autre part, il a été créé au sein de la chaire de physiologie une section de Biologie du Sport, dirigée par le Professeur Michel Boura ; cette section dispose d'un laboratoire d'exploration fonctionnelle bien outillé, qui - outre ses préoccupations de recherche - assure des examens très élaborés appliqués soit aux sportifs confirmés en vue de guider leur entraînement, soit aux cas litigieux détectés par les médecins du sport. C'est également le Professeur Boura qui est responsable de l'organisation du certificat d'études spéciales de biologie et médecine du sport.

La physiologie aéronautique à Nancy

Il se trouve que, pour des raisons diverses, la Faculté de médecine de Nancy a apporté, à plusieurs reprises, d'importantes contributions à la physiologie et à la médecine aéronautique.

Déjà, en 1881, la thèse de Maurice Seiler (« Essai expérimental sur les conditions de toxicité de l'oxygène pur ») relate des expériences faites sous l'inspiration et la direction de Feltz. Les conclusions de Paul Bert sur la toxicité aiguë de l'oxygène sous pression y sont confirmées (l'animal respirant de l'oxygène pur sous pression présente rapidement des convulsions). Mais Feltz met en évidence un fait nouveau : la toxicité plus lente de l'oxygène pur, inhalé sous une pression proche de la pression atmosphérique normale ; dans ce cas, les troubles ne surviennent qu'après une exposition longue, de plusieurs dizaines d'heures ; ce sont des troubles respiratoires, dus à des lésions pulmonaires de type congestif, amenant la mort de l'animal en expérience. Cette toxicité est actuellement connue sous le nom d' « effet Lorrain Smith », du nom de l'auteur anglais qui l'a retrouvé en 1899, sans citer - et probablement sans connaître - les travaux nancéiens. La comparaison des publications rend manifeste l'antériorité de Feltz, car les expériences de l'auteur anglais ne sont ni plus nombreuses ni plus précises que celles de Feltz.

Au cours de la guerre de 1914-1918, deux nancéiens apportent une importante contribution à la médecine aéronautique et à la mise au point des méthodes de sélection des aviateurs, dont le recrutement semble à cette époque lié dans bien des cas tout simplement à l'incapacité à servir dans d'autres armes...

Joseph Georges Ferry était interne des Hôpitaux de Nancy. Mobilisé comme médecin dans un parc aéronautique, il s'attache à observer les réactions des aviateurs au cours et après le vol. Sa thèse de 1917 (« Le syndrome mal des aviateurs - étude expérimentale des réactions cardio-vasculaires pendant le vol ») expose le résultat de très nombreuses mesures effectuées soit sur lui-même soit sur le pilote qui le conduit. Il y relate aussi quelques expériences, réalisées à l'instigation du Professeur agrégé Jacques Parisot, de mesure directe par un manomètre à mercure de la pression sanguine de lapins emmenés en avion. Ferry contribue par plusieurs rapports officiels à fixer les règles d'examen médical et physiologique du personnel volant, pendant et après la guerre. Il publie d'ailleurs plusieurs livres sur les aspects médicaux de l'aviation, après la guerre.

Pierre Lucien Perrin de Brichambaut était interne provisoire des Hôpitaux de Nancy, et déjà breveté pilote à la déclaration de guerre. C'est en qualité de pilote, et non de médecin, qu'il est mobilisé. Sa thèse de décembre 1921 s'intitule : « Critères de l'aptitude au vol en avion - étude comparative de méthodes d'examen employées en France, dans les pays alliés et chez les puissances centrales ». Sa dure expérience de pilote combattant le conduit à insister sur les aspects psychologiques de la sélection.

La Revue Médicale de l'Est contient, en 1921 et 1922, plusieurs mémoires de ces deux auteurs, ainsi qu'une étude d'Étienne et Lamy sur « l'adaptation du cœur des aviateurs ».

En 1931, un jeune médecin militaire affecté à la base aérienne d'Essey-les-Nancy entre comme préparateur bénévole au laboratoire d'Hydrologie du Professeur Santenoise : naturellement, Robert Grandpierre est conduit à se préoccuper de physiologie et de médecine aéronautique. Bien des problèmes nouveaux se posent avec l'entrée en service des nouveaux appareils mis au point en vue d'une guerre qui apparaît de plus en plus probable. Dès cette époque, il fait des expériences dans des avions aménagés en laboratoires volants.

Une fois la guerre finie, sa compétence dans le domaine de la physiologie aéronautique conduit l'armée à lui confier des responsabilités de plus en plus étendues, sur le plan national et international.

Parmi les nombreuses recherches de physiologie aéronautique qu'il a effectuées, l'une mérite particulièrement d'être rappelée : la description de certains incidents survenus chez des pilotes en haute altitude le conduit à étudier - en très étroite collaboration avec C. Franck - un phénomène, déjà incidemment signalé par divers auteurs, mais resté méconnu : l'apnée paradoxale à l'oxygène. Il s'agit d'un arrêt de la respiration survenant chez un sujet en état d'hypoxémie au moment même où il inhale à nouveau de l'oxygène. Comme c'est la règle en biologie, l'analyse minutieuse du phénomène montre qu'il n'est en rien paradoxal, et que sa survenue peut s'expliquer sur la base de nos connaissances actuelles des mécanismes régulateurs de la ventilation.

En 1946, la Faculté de médecine de Nancy obtient la création d'un «diplôme de Médecine aéronautique», diplôme d'Université rapidement transformé en C.E.S. national. Cet enseignement obtient d'emblée un grand succès, qui ne s'est jamais démenti ; il a permis de former un grand nombre de médecins compétents, susceptibles de rendre de grands services tant à l'armée de l'air qu'à l'aviation civile, notamment à l'aviation légère et sportive.

La direction de ce certificat incombe actuellement au Professeur Michel Boulangé, qui a tenu, lors de sa promotion comme Professeur titulaire à titre personnel, à attester cette vocation en prenant le titre de Professeur de physiologie humaine et de médecine aéronautique. Il a inspiré plusieurs thèses de médecine aéronautique au cours de ces dernières années.

CHAIRE DE PHYSIQUE

Il existait à Strasbourg une chaire d'Hygiène et de Physique, qui fut transférée à Nancy sous ce titre ; le titulaire en était Jean-François Rameaux. Il était né dans le Jura en 1805, avait commencé ses études de Médecine à Strasbourg, puis les avait interrompues pour conquérir à Paris le titre de Docteur es sciences mathématiques (1833) puis celui de Docteur en Médecine 2 ans plus tard. Il était alors reparti à Strasbourg, avec l'intention de faire une carrière universitaire. Après s'être présenté sans succès à l'agrégation de physiologie, il réussit au concours de mai 1839 pour les sciences physiques et chimiques. Le titulaire de la chaire d'Hygiène et Physique étant décédé dès le mois de décembre de la même année. Rameaux obtint sa succession. Il se consacra entièrement à l'enseignement et à l'organisation de son laboratoire, ayant renoncé à toute pratique médicale.

Lors de l'ouverture de la Faculté de Nancy, Rameaux ne disposait d'aucun moyen et dut chercher asile chez ses collègues de la Faculté des Sciences, qui lui prêtèrent le matériel destiné aux démonstrations. Très rapidement, il obtint du Ministère l'équipement nécessaire à la reconstitution d'un « cabinet de physique » très complet, qui lui permit d'organiser des travaux pratiques.

Rameaux a peu publié. Plusieurs de ses travaux concernent les rapports entre fonctions physiologiques et dimensions de l'individu. Il fut l'un des premiers à attirer l'attention sur l'importance de la surface corporelle, vers 1840, puisque la chaleur produite par l'organisme ne peut être cédée à l'extérieur que par son intermédiaire ; en théorie, par conséquent, tout homéotherme devrait produire la même quantité de chaleur par mètre carré de surface corporelle. Les mesures expérimentales effectuées montrent que cela n'est pas le cas ; cependant la référence au mètre carré de surface corporelle reste la moins mauvaise dans la plupart des cas, lorsque l'on veut comparer les grandeurs liées au métabolisme chez des individus de taille différente.

Les contemporains de Rameaux ont fait un vif éloge de ses qualités d'enseigneur, et de la conscience avec laquelle il s'occupait de ses étudiants. Il mourut subitement en 1878, à l'âge de 72 ans, encore en pleine activité.

Or au cours de cette année 1878, un nouvel agrégé venait d'être affecté à la chaire d'Hygiène et de Physique : Augustin Charpentier. Le précédent agrégé, Monoyer, s'était orienté vers l'ophtalmologie. Ainsi comme son prédécesseur, A. Charpentier n'eut pas à attendre longtemps pour devenir Professeur titulaire. Toutefois la Faculté jugea bon de dédoubler cette chaire hybride d'Hygiène et Physique, et put obtenir une décision favorable du Ministère. Ainsi fut créée une Chaire d'Hygiène, attribué à Poincaré (Professeur adjoint de Physiologie), la Chaire de Physique revenant à Charpentier.

Né en 1852 à Charenton-sur-Creuse, Poincaré avait fait ses études de Médecine à Limoges puis à Paris. Sa thèse de doctorat était consacrée déjà à la vision (« La vision avec les diverses parties de la rétine»). Il fut pendant plusieurs années l'assistant de Landolt. La plupart de ses travaux porte sur l'optique physiologique et la physiologie de la rétine. Il inventa un «photoptomètre » - longtemps classique - appareil permettant la comparaison précise de faibles éclairements. Grâce à lui, Charpentier étudia l'adaptation de la rétine à la lumière, et ce qu'il appellait les « oscillations rétiniennes ». Il s'occupa aussi de l'audition et de la physiologie des nerfs.

Ses travaux lui valurent une grande notoriété, attestée par de nombreuses récompenses de la part notamment de l'Académie des Sciences, et par les missions dont il fut chargé soit par les autorités universitaires, soit par ses collègues.

Il mourut subitement le 4 août 1916.

La fin de sa carrière avait été attristée par la célèbre et malencontreuse histoire des rayons N, auxquels il consacra plus de quinze publications en 1904, décrivant leur émission par les organismes vivants et leur action biologique...

Charpentier avait eu deux agrégés : Bagneris, agrégé en 1889, quitta rapidement Nancy pour aller s'installer ophtalmologiste à Reims. Théodore Guilloz fut institué agrégé en 1895. Il s'occupa tout d'abord d'optique, publiant des travaux considérés comme remarquables. A partir de 1897, il se consacra entièrement à la radiologie et à l'électrothérapie. Son œuvre dans ce domaine est rappelée dans un autre article de ce numéro.

La chaire de physique échut en 1919 à Lambert, agrégé de physiologie. Il la conserva peu de temps, puisqu'il fut transféré à la chaire de physiologie en 1924.

Ce fut Marcel Dufour qui lui succéda. Nancéien, il avait fait de très solides études de sciences - élève à l'école normale supérieure - avant de faire sa médecine. Agrégé de physique à la Faculté de Médecine de Nancy en 1907, il avait été nommé Professeur titulaire à Alger en 1914; il avait eu à y diriger deux services d'ophtalmologie pendant la guerre.

Son œuvre scientifique - de grande valeur - fut avant tout consacrée à l'optique et à ses applications à la correction de la vue. Citons aussi de lui deux publications dans lesquelles il attire l'attention des biologistes et des médecins sur l'intérêt qu'il y aurait pour eux à utiliser le calcul des probabilités pour interpréter leurs données statistiques ; c'était en 1929 !

Il dut prendre une retraite anticipée en 1934, victime des fameux décrets Laval ; de plus, toujours pour raison d'économies, la chaire fut supprimée.

Georges Lamy était agrégé depuis 1924. Lors du départ de Dufour, non seulement il ne put postuler la chaire ainsi supprimée, mais il ne fut pas renouvelé dans ses fonctions d'agrégé. Il se retrouva Chef des travaux pratiques, chargé de la direction du service et d'un cours complémentaire. Il fut chargé aussi de la direction du service d'électroradiologie de l'Hôpital Central.

C'était là une situation psychologique pénible ; de plus, la pénurie qui régnait déjà en 1934 ne fit que s'aggraver du fait de la guerre, et l'on comprend que l'activité du service se soit beaucoup ralentie à cette époque.

La chaire de physique ne fut rétablie qu'en 1946; mais le Professeur Georges Lamy mourut deux ans plus tard.

Le sort de la chaire ne put être réglé immédiatement. Dans une période transitoire, l'enseignement fut assuré par des parisiens « itinérants », Louis Gougerot, délégué dans les fonctions d'agrégé, et Maurice Cara, jusqu'à la nomination de Claude Kellersohn comme agrégé en 1953 ; il devint titulaire en 1958.

Après l'optique, après le rayonnement X, la physique médicale venait de voir s'ouvrir un nouveau champ de recherche et d'applications bio-médicales : la radioactivité artificielle. Il fallait donc se procurer du matériel et former le personnel capable de s'en servir. Le Professeur Kellersohn s'y employa activement, mais fut rappelé à Paris à la fin de l'année 1958, pour prendre la direction d'un nouveau laboratoire créé à l'Hôpital d'Orsay en liaison avec le Commissariat à l'énergie atomique.

Ses travaux à Nancy avaient porté sur la physiologie de la vision (fréquence critique de fusion - adaptation de l'œil à la lumière émise par les tubes fluorescents) et sur la mise au point de techniques de scintigraphie (c'était, à l'époque, un travail de pionnier). En même temps que lui, partait de Nancy Pierre Pèlerin, agrégé depuis 1955, mais laissait un élève qu'il avait eu le temps de former : le Docteur Jean Martin.

En 1959, la chaire fut attribuée au Professeur Constant Burg, agrégé de physique à Strasbourg. Avec un dynamisme exceptionnel, le Professeur Burg entreprit une rénovation totale du service : nouvelles méthodes d'enseignement, avec en particulier mise en place de travaux pratiques nombreux et tout à fait nouveaux ; extension considérable des services d'exploration fonctionnelle par les radio-isotopes ; enfin recherches en cancérologie expérimentale d'un niveau tel que fut créé à Nancy une unité de recherche INSERM pour permettre leur développement.

1959 vit aussi le départ en retraite d'un « dévoué serviteur » de la physique, que bien des générations d'étudiants ont connu : le Docteur Châtelain, Chef des travaux pratiques, qui était entré au Laboratoire en 1929.

Dans les années 50, une nouvelle science venait d'apparaître, dont les applications possibles à la biologie et à la médecine ne furent peut-être pas évidentes d'emblée : l'informatique. Le Professeur agrégé Jean Martin s'y consacra très tôt. Là aussi, il fallait se procurer un matériel coûteux, former du personnel et - tâche parfois délicate - expliquer aux médecins en quoi l'informatique pouvait leur être utile. La preuve fut bientôt faite de la nécessité d'un service d'informatique dans une Faculté de Médecine, tant pour les besoins en calculs des biologistes que pour l'exploitation des dossiers médicaux.

Les qualités d'organisateur du Professeur Burg lui ont valu d'être nommé Directeur de l'INSERM en 1969 ; il est donc « détaché » de notre Faculté.

Actuellement, la structure de la physique médicale est la suivante : le Professeur Jean Martin, titulaire à titre personnel, se consacre exclusivement à cette discipline nouvelle qui groupe statistique, bio-mathématiques et informatique. La physique est enseignée par les Professeurs agrégés Jacques Robert et Alain Bertrand. Le laboratoire d'explorations fonctionnelles par les radio-isotopes a pris une extension si considérable qu'il a dû être dédoublé : le laboratoire de l'Hôpital de Brabois est dirigé par le Professeur Martin, aidé du Professeur agrégé Bertrand ; le laboratoire resté dans les locaux de la Faculté est dirigé par le Professeur agrégé Robert.

CHAIRE DE CHIMIE

La Faculté de Nancy comportait en 1872 une Chaire de Chimie médicale et Toxicologie

Ce  ne fut  pas  un strasbourgeois qui l'occupa, mais Nicolas Blondlot, déjà Professeur de Chimie à l'école de médecine. Né à Charmes en 1810, Blondlot avait fait ses études médicales à Paris, y avait obtenu un Doctorat es Sciences, et se destinait à la chirurgie ; il fut notamment l'élève de Dupuytren. Revenu à Nancy, il renonça rapidement à la chirurgie pour se consacrer à l'étude de la Physiologie expérimentale et de la chimie. Dès 1836, il était nommé Professeur de chimie, succédant à De Haldat. Ses travaux portent d'une part sur la physiologie digestive, d'autre part sur la toxicologie ; ils lui valurent donc une renommée suffisante pour qu'il soit nommé Professeur à la nouvelle Faculté. Il mourut en activité, le 7 janvier 1877.

Il y avait un agrégé de chimie à la Faculté de Strasbourg en 1872 : Eugène Ritter, nommé en 1866. Au transfèrement de la Faculté à Nancy, il avait été nommé Professeur adjoint de chimie et toxicologie. Ce fut lui qui succéda à Blondlot ; l'intitulé de la chaire fut transformé en : Chimie biologique et pathologique. Ritter s'intéressa notamment à la composition chimique de la bile et aux actions physiologiques de ses constituants. On trouve aussi dans la Revue Médicale de l'Est plusieurs articles de lui, dans lesquels il signale la toxicité de certaines denrées alimentaires, rendues dangereuses par fraude ou par ignorance. Notons aussi sa fructueuse collaboration avec Feltz pour l'étude expérimentale de l'urémie.

Dès 1873, il avait été créé, rattaché à la chaire de chimie, un « laboratoire des cliniques », tout comme il y en avait un à Strasbourg - le premier créé en France d'ailleurs. Ritter en avait immédiatement reçu la direction.

Il mourut prématurément en 1884, à l'âge de 47 ans.

L'intitulé de la chaire fut encore une fois transformé devenant Chimie médicale. Ce fut Léon Garnier (né à Bar-le-Duc en 1855) qui l'occupa jusqu'à sa retraite en 1925. Il était agrégé depuis 1880. Ses publications sont très nombreuses : méthodes d'analyses ; constituants normaux ou pathologiques de l'urine ; métabolisme hépatique : toxicologie médico-légale, etc...

Jusqu'en 1891, ce fut lui qui assura la direction du laboratoire des cliniques. Plusieurs rapports à l'Université nous donnent une idée de l'activité qui s'y déroulait : voici par exemple les analyses qui y furent pratiquées en 1885 :

analyses d'urine pour les hôpitaux 69

analyses pour des cas spéciaux sur la demande des professeurs et médecins 57

recherche de diverses substances dans l'urine 5

recherche de diverses substances dans la salive 1

recherche de diverses substances dans les vomissements 1

recherche de diverses substances dans le pus 1

dosage des peptones dans l'urine 12

analyse de calculs urinaires 3

analyse de concrétions articulaires 1

recherche de l'alcool dans le sang 3

recherche de l'alcool dans le contenu stomacal 4

analyse des gaz du sang 1

analyse des gaz de l'estomac 1

total 159

Ce laboratoire ne fut installé à l'Hôpital qu'en 1887 (au-dessous du service d'ophtalmologie).

Léon Garnier a laissé le souvenir d'un homme de caractère assez rude, dont les relations tant avec ses collègues ou ses collaborateurs qu'avec les étudiants n'étaient pas toujours faciles.

Il fut aidé pendant son long règne par des collaborateurs parmi lesquels il convient de mentionner Guérin et Maillard.

Guérin fut nommé agrégé en 1891, et fut aussitôt chargé de la direction du laboratoire des cliniques, dont il développa beaucoup l'activité. Les services qu'il y rendit justifièrent sa prolongation dans les fonctions d'agrégé à plusieurs reprises. Il fut enfin nommé Professeur à la Faculté de Pharmacie en 1902.

Maillard avait été préparateur de chimie en 1898 ; il avait obtenu le prix Ritter l'année suivante pour un travail intitulé « De l'intervention des ions dans les phénomènes biologiques. Recherches sur la toxicité du sulfate de cuivre pour le pénicillium glaucum ». Nommé Chef de travaux en 1901, il partit à Paris occuper les mêmes fonctions dès l'année suivante. On sait la brillante carrière de biochimiste qu'il poursuivit.

Le successeur de Garnier fut Henri Robert, agrégé depuis 1907. Il devait occuper la chaire de 1925 à 1942. C'était un excellent expérimentateur. Par contraste avec son prédécesseur, il était particulièrement compréhensif pour les étudiants, auxquels il dispensait un enseignement clair et simple.

Depuis 1934, l'agrégé de chimie était le Docteur René Wolff, qui ne put accéder au Professorat qu'en 1945. Sous son impulsion, le laboratoire reprit rapidement une activité scientifique importante, malgré les difficultés nées de la guerre. Il fut aidé pour l'enseignement par le Professeur agrégé Louis Desgrez (de 1946 à 1950).

Parmi les recherches effectuées à Nancy par le Professeur R. Wolff, on peut citer la mise au point de méthodes de dosage microbiologiques de divers facteurs vitaminiques, une importante contribution à la connaissance du facteur clarifiant, l'étude de l'acide folique et surtout, à partir de 1951, celle du métabolisme et des facteurs d'absorption de la vitamine B12 ; dans ce dernier domaine, ses travaux ont obtenu une notoriété internationale.

Depuis le départ en retraite du Professeur Wolff en 1972, c'est le Professeur Pierre Paysant (agrégé en 1958) qui a la responsabilité de la chaire, aidé dans sa tâche par les Professeurs agrégés Pierre Nabet, Jean-Pierre Nicolas et Françoise Belleville. Le Professeur Nicolas continue les recherches de son Maître sur la vitamine B12, tandis que le Professeur Paysant et ses deux autres collaborateurs se consacrent à des recherches sur les hormones peptidiques, dont ils étudient la biosynthèse et les facteurs de régulation, notamment par de délicates techniques de cultures cellulaires.

Conformément à une tradition qui remonte, nous l'avons vu, à 1873, ce sont les biochimistes de la Faculté de Médecine qui assurent la direction du Laboratoire central de chimie du Centre Hospitalier régional ; ce laboratoire a pris, à Nancy, une importance beaucoup plus grande que celle de la plupart de ses homologues des autres centres hospitalo-universitaires français, en partie à cause justement de l'ancienneté de son origine.

HYDROLOGIE ET PHARMACOLOGIE

On trouve naturellement, dès les premiers numéros de la Revue Médicale de l'Est, des articles ou des communications consacrées à l'hydrologie et à la pharmacologie, expérimentale ou clinique. Mais ces disciplines n'étaient pas affectées à des chaires spécifiques ; ce n'est qu'en 1929 que fut créée la chaire d'Hydrologie thérapeutique, et ce n'est qu'en 1964 que, cette chaire prenant le titre d'Hydrologie thérapeutique et pharmacologie, la pharmacologie devint un enseignement individualisé.

En ce qui concerne l'Hydrologie, son développement à Nancy doit être attribué au Professeur agrégé Maurice Perrin. Chargé en 1919 de l'enseignement de la thérapeutique et de la pharmacologie, il y ajoute un enseignement officieux d'hydrologie, qui devient officiel (et obligatoire) dès 1922. Alors, le Pr agrégé Perrin crée un laboratoire d'hydrologie, lance un « cours de perfectionnement d'hydrologie et de climatologie » (40 cours avec la participation de 11 professeurs et agrégés de la Faculté), fonde la Société d'hydrologie et de Climatologie de l'Est ; cette Société est fort active : en 1924, près de 100 pages de la Revue Médicale de l'Est sont consacrées aux communications qui y ont été faites. Il organise des voyages ou «caravanes» thermales ; en 1924 toujours, la revue nous apprend qu'il y en a eu trois ; leur narration est signée de Louis Merklen. En 1925, c'est la parution d'un livre : « Les eaux minérales, leur mode d'action, leur emploi », écrit en collaboration avec le Docteur Paul Mathieu, et la fondation d'une revue : Les Vosges thermales et climatiques.

Sous l'impulsion des pouvoirs publiques, une chaire d'Hydrologie thérapeutique et Climatologie est créée en 1929, et attribuée à Daniel Santenoise (1897-1970). (Maurice Perrin était devenu Professeur titulaire de Thérapeutique en 1925). Originaire du Jura, D. Santenoise avait commencé ses études médicales à Nancy ; mobilisé en 1916, en fin de deuxième année, il avait terminé ses études à Paris, s'orientant à la fois vers la psychiatrie et vers la physiologie sous la direction de Charles Richet. Il avait passé l'agrégation de physiologie en 1926 et avait été affecté à Nancy.

Sous son impulsion enthousiaste, le laboratoire d'hydrologie devient extrêmement actif. Considérant l'eau minérale comme un médicament, il l'étudie avec les techniques habituelles de la pharmacologie. Mais on sait depuis longtemps que l'eau perd au moins une partie de son activité lorsqu'elle vieillit ; il inaugure donc des «campagnes hydrologiques» : on installe un laboratoire complet près de la source elle-même, et on étudie l'action des eaux sur l'animal.

Il constitue une équipe de travail, avec notamment Grandpierre, Franck, Vidakovitch, équipe qui consacre d'ailleurs une part très importante de son activité à des recherches d'ordre purement physiologique.

En 1937, D. Santenoise obtient son transfert à la chaire de physiologie et cède la place à Louis Merklen, comme lui issu de la physiologie, et qui dirige la chaire dans la même optique. Hélas, la guerre survient rapidement, amenant là aussi un ralentissement inéluctable de l'activité.

Après la guerre, l'activité du Professeur, puis Doyen, Merklen s'oriente davantage vers l'organisation du thermalisme français. Ce dernier sortait de la tourmente bien mal en point : matériellement par les dégâts subis par les stations et la disparition de la clientèle riche ; moralement aussi, car l'avènement de médicaments aussi spectaculairement puissants que la pénicilline semblait devoir reléguer les cures thermales au rang de thérapeutique périmée. Le Doyen Merklen devient l'efficace promoteur du thermalisme social, et, grâce à une autorité de mieux en mieux affirmée, contribue à la renaissance de bien des stations de l'Est de la France. Sans aucun doute, le thermalisme lui doit beaucoup. Le Doyen honoraire Louis Merklen mourut en 1964 après une maladie supportée avec grand courage.

Son successeur est le Professeur Maurice Lamarche, agrégé de Pharmacologie et encore une fois de formation physiologique (il fut délégué dans les fonctions d'agrégé de cette discipline). Continuant la tradition de ses deux prédécesseurs, son activité dans le domaine de l'Hydrologie et de la Climatologie est simultanément expérimentale et organisatrice. Il dirige le Centre de triage hydroclimatique (fondé par le Doyen Merklen), régi par une convention entre la Sécurité Sociale et la Faculté de Médecine.

La pharmacologie était naturellement enseignée à Nancy dès la création de la Faculté - en général par un agrégé : en 1876 c'était Engel, agrégé de chimie et pharmacologie qui en était chargé. Plus tard, nous voyons le cours complémentaire de pharmacologie confié tantôt à un chimiste, comme Sannie, tantôt à un clinicien, comme Perrin et Louyot, tantôt même à un accoucheur, comme Remy.

Naturellement aussi, des études de pharmacologie expérimentale étaient réalisées par tous ceux qui, ayant accès à un laboratoire, y trouvaient quelque intérêt.

Mais ce n'est que depuis 1967 que le mot pharmacologie figure dans l'intitulé d'une chaire, comme nous l'avons vu précédemment. Le Professeur Maurice Lamarche s'est orienté principalement vers l'étude des médicaments cardio-vasculaires, étudiant notamment leur action sur le métabolisme du myocarde. Il a organisé sur ce sujet, en 1969, un symposium international qui fut un grand succès. Le Professeur agrégé René Royer s'intéresse plus spécialement d'une part aux médicaments vasculaires, d'autre part - du fait de ses fonctions hospitalières - à la toxicologie médicamenteuse.